Chapitre 9 - Partie 4 - Un double apprentissage
Alors que je m'apprêtais à enlever cette pensée, je perçus juste à côté un sentiment plus puissant que les autres : de la colère, mêlée à une intense souffrance. En découvrant le souvenir à l'origine de cette émotion, je fus tétanisé à la vue de cette image : un jeune garçon aux cheveux mi-longs roux et aux yeux gris-vert était torturé à mort par Morior. Le cruel dieu plantait des pieux dans ses jambes, ses bras et son flanc... Vision d'horreur. Moi. Morior était en train de me tuer !
***
Je mis quelques instants à reprendre conscience de la réalité. Morior n'était pas en train de me blesser actuellement, et il ne l'avait pas fait par le passé ; peut-être était-ce son plan futur si j'échouais l'exercice... Je ne mis pas plus longtemps pour me décider : c'était ce souvenir-là que je devais absolument supprimer.
Je me heurtai instantanément à un ultime obstacle : comment ôter la mémoire à quelqu'un ? Seul le vide répondit à ma question intérieure. Pourquoi toutes les manipulations télépathiques ne me paraissaient-elles pas évidentes ? Le souvenir de Morior devint soudainement encore plus réaliste : mon double meurtri hurlait à pleins poumons et se défendait avec de grands gestes inutiles. Furieux devant les horribles pensées de Morior, je déversai ma colère sur ce souvenir qui, en à peine quelques instants, disparut, sans même que je ne comprenne pourquoi. Morior m'expulsa soudainement de son esprit et s'écria en prenant sa tête entre ses mains :
— Mais qu'as-tu fait ?!
— J'ai supprimé le souvenir que je jugeais bon d'enlever...
— Par la pire méthode qu'il existe... grommela Morior tout en continuant à masser ses tempes dégarnies. J'ai eu l'impression que tu venais d'allumer un grand feu dans ma tête !
— J'ai réussi l'exercice alors ? m'enquis-je avec un peu d'enthousiasme.
— En quelque sorte, mais je te conseille de garder cette odieuse méthode pour les gens que tu détestes vraiment.
Comme si je ne le détestais pas, lui et ses horribles remarques ! Je réussis néanmoins à faire preuve d'un minimum de contrôle et je répondis avec calme :
— Quelle est l'autre méthode ?
— Chaque télépathe possède sa propre technique.
— Quelle est la vôtre ? m'enquis-je avant de me raviser : Non, je préfère ne pas la connaître, en fin de compte...
— Détrompe-toi, jeune homme. Elle est bien plus douce que la tienne. C'est comme si j'aspirais le souvenir dans mon esprit. Elle est très discrète et mes victimes ne se rendent presque jamais compte que je leur enlève un souvenir. La tienne, elle affaiblit l'adversaire qui sait parfaitement que tu viens de supprimer un souvenir.
— Il y a un avantage aux deux, protestai-je. Vous êtes juste jaloux de ne pas pouvoir faire souffrir autrement les autres lors de votre lavage de cerveau.
— Tu te méprends entièrement sur moi. Non seulement je ne suis pas aussi cruel que tu ne le penses, mais je ne suis pas non plus trop faible pour pouvoir exercer ta technique qui n'a rien d'extraordinaire.
— Pourtant, lorsque j'ai vu ce que vous comptiez me faire si je ne réussissais pas l'exercice... argumentai-je avant de m'arrêter, conscient de l'erreur que je venais de faire.
Le regard de Morior se fixa soudainement dans le vide et il finit par redresser la tête, un sourire perfide ancré sur son visage décrépi :
— Ah ! C'est donc cela ! Je viens de retrouver le souvenir perdu. Une dernière leçon avant de clore cette séance : ne reparle jamais à ta victime du souvenir que tu viens de supprimer. Elle s'en rappellera. À dans trois jours.
Il me congédia et je décampai en vitesse avant qu'il ne change d'avis sur mon sort.
***
Alors que je m'apprêtais à rentrer dans ma chambre, épuisé et meurtri par la séance d'entraînement, j'entendis Maman m'interpeler à l'autre bout du couloir :
— Ardalis ! J'ai réfléchi sur le projet des robots.
Une lueur d'espoir me gagna en entendant cette phrase : peut-être que je pourrais aider Maman et faire autre chose que de la télépathie avec un vieil homme fou à longueur de journée. Je me retournai vers elle, tout en l'interrogeant :
— Alors ? Que vas-tu faire ?
— Je suis malheureusement trop occupée pour m'occuper personnellement de ce projet. Tout comme Hector.
— Tu abandonnes le projet alors ?! m'exclamai-je, stupéfait par ce revirement de situation. Mais...
— Non, me coupa doucement Maman. Je vais le confier à deux autres personnes.
— Qui ?
— Selina et toi.
La réponse brève de Maman provoqua un grand vide en moi. Selina et moi ? Mais c'était totalement absurde ! L'inverse même de la logique ! Non seulement je la détestais, mais en plus ce n'était qu'une gamine de dix ans ! Je poussai un bref soupir pour me calmer un minimum et répondre le plus diplomatiquement possible :
— Pourquoi nous ? Nous ne sommes que des enfants inexpérimentés ! C'est idiot de nous confier un tel projet si important !
— Vous n'êtes pas si inexpérimentés que tu le dis, interrompit Maman, un regard bienveillant se dessinant sur son visage. Tu es télépathe et ton esprit est fortement développé : il ne fait aucun doute que tu trouveras des idées fabuleuses et ingénieuses. Et Selina, étant la fille d'Hector, connaît mieux que quiconque les armes et les armures. C'est donc pour cela qu'Hector et moi avons pensé vous confier le projet. Et puis, nous pourrions toujours vous conseiller, sans pour autant y consacrer trop de temps.
— Ce projet est-il donc inutile à vos yeux, à Hector et toi, pour que vous ne jugiez pas bon de vous investir davantage dedans ? protestai-je, refusant de me laisser envoûter par son discours presque flatteur.
— Bien sûr que non, Ardalis, corrigea Maman, toujours avec bienveillance. Mais nous avons d'autres choses à faire qui sont plus importantes.
— Qu'est-ce qui peut bien être plus important que la sécurité de notre planète ?! m'indignai-je.
— Une guerre avec Terrumbra n'est pas non plus imminente, trancha Maman, à ma plus grande surprise.
— Comment ? Mais, il y a à peine trois jours tu disais le contraire...
— Morior et Maurice t'ont accepté sur Terrumbra et ils ne t'ont pas agressé, argumenta Maman. Cela prouve bien qu'ils ne sont pas si cruels et belliqueux qu'ils ne le laissent penser.
— Ah ! m'exclamai-je, ne comprenant que trop bien les sous-entendus de ses paroles. Voilà donc pourquoi tu m'as forcé à faire ces séances de télépathie !
— Que je te force, corrigea Maman avec une certaine fermeté. Tu dois continuer d'y aller.
— Pour te servir d'espion ?! me récriai-je, sentant la fureur m'envahir. J'en ai assez de devoir...
— TAIS-TOI !
Le ton de Maman me tétanisa et j'osai à peine affronter son regard étincelant d'une fureur effrayante.
— Tu as beau être mon fils, je reste ta reine et déesse ! Et tu me dois obéissance ! clama-t-elle d'une voix dure et autoritaire qu'elle n'employait jamais avec moi.
Je baissai les yeux face à cette remarque qui m'affligea plus que je ne l'aurais voulu. Ma vie et ma sécurité étaient-elles donc si peu importantes aux yeux de Maman ? Comment pouvait-elle être aussi insensible ? J'étais son fils, tout de même ! Jamais une mère ne pouvait penser et agir ainsi...
— Ardalis...
Le ton de Maman était redevenu doux, comme à son habitude, mais j'y étais insensible.
— J'ai peut-être été un peu dure, je l'admets, Ardalis. Mais, tu dois me comprendre. Je dois tout faire pour veiller sur Flamea et aucun sentiment ne doit entraver ce devoir. Et c'en est de même pour toi : en tant que futur roi et dieu protecteur de Flamea, tu te dois d'entretenir des relations avec les dieux des autres planètes, qu'elles te plaisent ou non.
— Et pourquoi pas avec les planètes autres que Terrumbra ? Avec Moons ou Hister ? Les planètes pacifiques, en fait !
— Car ce sont justement les planètes les plus pacifiques ! Ardalis, tu dois apprendre que fraterniser avec notre ennemi de toujours est le meilleur moyen pour emporter la guerre à la fin.
— La guerre ? Mais quelle guerre, Maman ? Je croyais que...
— Il y aura une guerre, Ardalis. C'est indéniable : les conflits entre Flamea et Terrumbra ne cesseront jamais ; il en est impossible autrement. Et plus nous en savons sur l'ennemi, mieux c'est.
Maman se tut quelques instants avant de poser ses mains sur mes épaules. Je dus lutter contre ma volonté pour ne pas me dégager de son emprise, mais je parvins tout de même à esquisser un léger sourire, devant son expression qui était redevenue bienveillante et empreinte de la gentillesse que je connaissais.
— Bien, murmura Maman. Cessons de parler de Terrumbra et reprenons le projet. Selina et toi le mènerez à bien. Et Hector et moi serons là pour vous aider.
— Et pourquoi devrais-je supporter cette fille ? poursuivis-je tout en me dégageant de l'emprise de Maman, la haine reprenant le dessus sur moi. Je la déteste et c'est réciproque !
— Hector et moi sommes amis de longue date et nous trouvons dommage que nos enfants se détestent, juste à cause d'une simple courte entrevue et de préjugés stupides.
— Mais je ne veux pas faire ce projet, Maman !
— Je pensais que cela te ferait plaisir ; tu rêvais de veiller sur Flamea, et voilà que je t'offre l'occasion et tu la refuses !
— Mais, je voulais le faire avec toi !
J'étais encore plus furieux contre elle. Faisait-elle vraiment exprès de m'envoyer travailler avec des personnes que je haïssais ? D'abord Morior puis maintenant Selina.
— De toute façon, Selina va refuser de travailler avec moi, j'enchaînai, presque soulagé à cette pensée.
— Mais aucun de vous n'aura le choix, rétorqua sèchement Maman. C'est un ordre de la part de votre déesse. Va trouver Selina et ramène-la ici.
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