Chapitre 9 - Partie 2 - Un double apprentissage

— À tout à l'heure, mon chéri, claironna Maman en m'adressant un grand sourire auquel je fus incapable de répondre. Sois sage !

Sois sage ! C'était tout ce qu'elle avait à me dire ?! Dès que Maman quitta la planète, je me sentis affreusement seul, sans protection face à un monde que je haïssais déjà de tout mon cœur. Morior me fit signe de le suivre et je ne pus m'empêcher de penser à l'Argentus. Mais, après tout, il me fallait juste survivre à cette première séance et tout irait bien ensuite... Maman comprendrait mon calvaire et arrêterait mon entraînement.

***

Après avoir marché pendant un temps qui me sembla durer une éternité dans la brume obscure, nous atteignîmes l'horrible manoir. Nous y entrâmes et je découvris un intérieur guère plus accueillant que l'extérieur : il n'y avait pas de fenêtres, juste des planches de bois noires vulgairement cloutées, le sol était poussiéreux et les piliers noirs enduis de suie étaient quasiment tous effrités. De nombreux gardes effrayants aux cuirasses colossales étaient positionnés devant chaque colonne. Ils étaient tous équipés d'un javelot et d'une lourde hache à double tranchant. Maman avait raison : il était plus qu'urgent de créer une défense digne de ce nom pour Flamea.

Morior m'entraîna dans un petit recoin du château. La pièce était si sombre que je ne pouvais discerner les meubles. Morior, conscient de ma gêne face à l'obscurité, alluma une petite bougie qu'il me tendit. Je me précipitai pour la prendre : du feu... enfin quelque chose que je connaissais ! Dès que je pus observer la pièce, j'eus l'horreur de découvrir sur l'un des murs une immense araignée avec deux crochets pointus, des longues pattes velues et un corps gonflé qui devait contenir une quantité phénoménale de venin mortel. J'eus un mouvement de recul et je n'entendis qu'à peine la voix sèche de Morior qui m'ordonnait de m'asseoir.

— Assieds-toi ! répéta brusquement Morior.

Son ton dur me fit instantanément quitter mon état de paralysie et j'obtempérai, à contrecœur, les yeux cependant toujours rivés sur la tarentule terrifiante.

— Alors, comme cela, tu es télépathe.

— Oui, murmurai-je.

— Arrête de fixer cette araignée : elle ne bougera pas. Reprenons. Que sais-tu faire en télépathie ?

— Je... je... commençai, toujours perturbé par le monstre immobile sur le mur.

Même si Morior m'avait affirmé qu'elle ne bougerait pas, j'étais toujours trop effrayé. Comment pouvait-il en être certain ? Me coupant dans ma contemplation craintive, j'entendis un claquement régulier et je mis quelques instants qu'il s'agissait de Morior tapant du pied avec insistance. Que m'avait-il déjà posé comme question ?

— Que sais-tu faire en télépathie, gamin ?!

Je sursautai en entendant sa voix sèche et je m'efforçais de me reprendre.

— Je sais étirer ma conscience et... parcourir ma planète sous forme d'esprit... J'ai réussi à lire dans les pensées d'un garde, mais je ne dois plus le refaire.

— Rien d'extraordinaire, commenta Morior.

— Vous êtes là pour m'apprendre à développer ce don, rétorquai-je, tout en jetant un bref coup d'œil à la tarentule, incapable de ne pas la regarder.

— Ces jeunes... toujours impatients... Tu vas pénétrer dans mon esprit et je pourrai juger ta force mentale. Vas-y !

Je fus légèrement intimidé par un tel ordre. Et si c'était un piège ? Devant l'impatience de mon mentor, je me résignai néanmoins à obéir. Je me focalisai sur l'esprit de Morior et y pénétrai. Il était étriqué, ne me laissant pas la moindre place pour passer. Je sentis alors une autre conscience qui se frottait à la mienne : celle de Morior. Sa présence me déconcentrait et m'oppressait. Comment voulait-il que je lui montre ma force mentale, s'il m'empêchait d'agir ?

— Parle !

La voix ténébreuse de Morior qui retentit dans son propre esprit me fit sursauter. Parler ? Mentalement ? Mais comment faire ? Je ne savais absolument pas comment communiquer... Peut-être qu'il fallait tout simplement parler.

— M'entendez-vous ?

Mes paroles firent éclater de rire Morior qui rétorqua mentalement :

— C'est ton esprit qui doit parler, pas ta bouche, triple crétin ! Je n'ai pas besoin de savoir que tu n'es pas muet !

Je pestai intérieurement face à sa remarque désagréable. Ne pouvait-il pas m'expliquer comment procéder au lieu de se moquer de mon inexpérience ? Je m'efforçai de me calmer et je réfléchis au processus à employer pour communiquer... Cela devait sûrement être simple. Peut-être suffisait-il de se concentrer fortement sur ce que l'on voulait dire et cela sortait tout seul...

— M'entendez-vous ?

— Incroyable ! Tu as réussi !

La remarque moqueuse de Morior me froissa, mais je ne pus m'attarder davantage sur mon amour-propre, car Morior me donnait déjà un deuxième exercice : je devais lire dans ses pensées. À peine me l'avait-il ordonné qu'il éjecta violemment ma conscience hors de la sienne. Ne souhaitant pas à nouveau passer pour un incompétent, je rassemblai toutes mes forces mentales dans l'espoir de franchir la puissante barrière de Morior, mais je me heurtai à un mur infranchissable. Désespéré, je me retirai.

— Pas vraiment concluant... J'ai même douté un instant sur le fait que tu sois réellement télépathe. En plus, tu n'as même pas réussi à lire dans mes pensées.

— Mais, votre esprit m'empêchait de...

— Crois-tu que tes ennemis vont te laisser tranquillement fouiller dans leurs pensées ?

Sa réponse glaciale me laissa coi. Je ne pouvais pas m'attendre à ce qu'il me laisse réussir. Mais ne pouvait-il pas se montrer un peu plus sympathique et essayer de m'aider ?

Ma réflexion fut interrompue par l'arrivée d'une présence étrangère et désagréable dans mon esprit. Lorsque je compris de quoi il retournait, je cédais à la panique : Morior essayait de lire mes pensées... et je ne pouvais rien faire pour y résister ! J'entendis sa voix autoritaire résonner dans mon esprit :

— Lutte et empêche-moi de rentrer, voyons ! Et cesse de paniquer !

Plus facile à dire qu'à faire. Je m'efforçais de respirer calmement et de reprendre des forces, puis j'essayais de bloquer sa progression. Mais, j'avais beau lutter du mieux que je pouvais, Morior était trop puissant pour moi. Sa présence me faisait terriblement souffrir, mais je ne pouvais rien faire pour y mettre fin. Je commençais à sombrer... Non ! Je ne pouvais pas mourir d'un mal de tête à cause d'un télépathe sénile. Mon calvaire prit soudainement fin lorsque Morior se retira de mon cerveau. Je retombai contre le dossier de la chaise et m'efforçai de reprendre mon souffle, haletant. Morior grommela :

— Pas résistants, les jeunes de nos jours... Même une araignée ferait une meilleure performance... Que dis-tu pour prendre ta défense, jeune homme ?

— Vous ne me dites pas comment je dois faire pour lutter !

— Il n'y a pas de technique. Il faut juste avoir de la force mentale et de la confiance en soi. Des esprits sont naturellement plus faibles que d'autres et nous ne pouvons rien y changer. Sincèrement, je crois que tu es le plus faible que je n'ai jamais rencontré.

— Forcément, vous n'avez pas connu d'autres télépathes ! rétorquai-je avec haine.

— C'est faux, démentit Morior à mon plus grand désarroi. J'en ai connu trois autres.

— Qui ?

— Chronia, Tenebrus et Oceann.

— Oceann ? Votre demi-sœur que vous avez assassinée ?

Je n'avais plus la moindre sympathie pour lui, à supposer que j'en eusse déjà eu, et je n'avais pas envie de me montrer cordial.

— Oui, c'était une talentueuse télépathe, meilleure que les deux autres, mais bien plus faible que moi.

— Pourquoi l'avoir tuée ? demandai-je, bien que je connusse déjà la réponse.

— Mon père et ton ancêtre, Fuocos, m'ordonnait de le faire. Comment une fille née d'un mariage impie pouvait-elle vivre ?

— C'est vous qui n'auriez jamais dû voir le jour !

Il était pour moi évident que seuls les mariages de Nautica avec Fuocos et de Morphéa avec Viteos étaient légitimes, tandis l'union de Morphéa et Fuocos était impie et avait causé de trop nombreux torts aux premiers dieux. Certes, d'après les dires de Maman, ce n'étaient pas ces querelles qui avaient ôté aux premiers dieux leur Immortalité, mais plutôt la naissance du premier enfant, à savoir Tempyro, mais j'étais intimement convaincu que les disputes n'avaient pas aidé à maintenir l'Immortalité. Maintenant que j'y songeais un peu plus, comment était-il possible que ce fût la naissance d'un enfant qui fût responsable de la perte de l'Immortalité ? Il aurait été plus logique que ce soit à cause de leurs stupides querelles.

Ma sombre réflexion fut rapidement interrompue par un râle guttural et je revins rapidement à la réalité : Morior se trouvait en face de moi et il venait de décrire Oceann comme la fille illégitime de Fuocos, alors qu'il était évident que ce n'était pas le cas. Morior ne semblait pas vraiment de mon avis car il finit par déclarer :

— Cela dépend du point de vue. Et si j'étais toi, mon garçon, je défendrais les intérêts de ton ancêtre Fulminus et donc, les miens. Enfin, les intérêts de Fulminus seulement pour cette affaire avec Oceann.

Je compris aisément les sous-entendus de cette remarque : bien qu'ils fussent jumeaux et qu'ils eussent lutté ensemble contre Oceann, Fulminus et Morior s'étaient livrés à de nombreux duels fratricides et avaient même provoqué plusieurs guerres entre leurs planètes respectives. Ces provocations meurtrières n'avaient pris fin qu'à la mort de Fulminus, ayant succombé à un coup fatal de son jumeau. Pourquoi Maman me faisait-elle côtoyer l'assassin de son père ? Comment pouvait-elle confier ma vie à un tel homme ? Avait-elle oublié le passé ? Ou même pire... avait-elle pardonné à Morior pour son crime ? Non... c'était impossible. On ne pouvait pardonner une telle chose... cet homme avait assassiné son père. C'était impardonnable. Les parricides et les fratricides constituaient des crimes si horribles.

Je ne pus me remémorer plus longtemps ces sombres souvenirs, car Morior continua, avec le même sourire perfide :

— Mais bon, nous ne sommes pas ici pour parler d'Oceann.

— Vous dites que je suis le pire de tous les télépathes. Alors, ne perdez pas votre temps avec moi.

— Non, ces séances m'amusent. Tu vas t'entraîner chez toi et, demain, tu reviendras à la même heure ici. Je préviendrai Maurice de ta visite. Et surtout, ne t'avise pas à manquer les séances, car tu le regretteras fortement. J'ai beau être un peu sénile, je ne suis pas infirme. Hors de ma vue maintenant !

Il me congédia après cette brutale conclusion. J'ignorais si j'étais heureux de pouvoir enfin partir ou horrifié à la perspective d'une séance le lendemain. Je quittai le palais précipitamment, mais comme si le mauvais sort s'acharnait sur moi, je me trouvai face à un jeune homme plus âgé que moi de cinq ou six ans. Malefik, de toute évidence. Il m'interpella, m'adressant une œillade déconcertante :

— Et toi ! Viens ici !

J'obéis, de nouveau à contrecœur. Contrairement à toute attente, il déclara, avec un sourire éclatant sur ses fines lèvres étonnamment blanches comme neige :

— Ne crois pas tout ce que te dit le vieux. Cela fait longtemps qu'il est fou et arrogant. Je perçois ton talent. Ne te laisse pas abattre et persévère.

— Pourquoi me dites-vous cela ?

— Je te dis la vérité simplement. Et puis, arrête de me vouvoyer : je n'aime pas ça. Je pense que tu es un peu comme moi... nous pourrions peut-être nous entendre...

Devant mes yeux horrifiés, il corrigea, toujours avec le même sourire séduisant sur son visage juvénile :

— Enfin, je me trompe peut-être... Nous pourrions ne pas être ennemis... ce qui est déjà un grand progrès. Bon, je vois que tu as envie de décamper, alors fais-toi plaisir.

Sa longue cape noire brassant l'air à son passage, il tourna les talons, me laissant ainsi seul dans l'obscurité. Je quittai avec précipitation le palais, cette fois sans croiser quelqu'un d'autre. J'empruntai l'Argentus et me retrouvai avec soulagement sur la planète que j'aimais tellement. Je restais même quelques instants immobiles sur le point d'arrivée de l'Argentus savourant la douce chaleur de l'air qui m'enveloppait et la flamboyante couleur orangée du ciel. Je m'accroupis même pour toucher du bout du doigt le chemin de terre cuite ; il était si plaisant de retrouver son chez-soi. Après ce moment de bonheur, je rejoignis Maman qui m'attendait dans la salle du trône. Elle me demanda avec impatience :

— Alors, comment cela s'est-il passé ?

— Morior est intimement convaincu que je suis le pire télépathe de l'univers, mais il me force à continuer d'assister à ses séances. Et puis, il a failli me tuer... Tu dois intervenir !

— Te tuer... répéta Maman en levant les yeux au ciel. Tu exagères !

— Non ! protestai-je, furieux que Maman ne me crût pas.

— Allons, c'est une bonne chose que Morior soit ton mentor : il te donnera sûrement plein de conseils utiles !

— Il prend surtout plaisir à me torturer.

— Quand se déroulera ta prochaine séance ?

— Il n'y aura pas de prochaine séance, rétorquai-je d'un ton abrupt, espérant que Maman changerait d'avis face à ma détermination.

Mais je me trompais car ses yeux se mirent à étinceler de rage et elle demanda d'un ton sec, qui ne laissait aucune alternative :

— Quand ?

— Demain... murmurai-je faiblement en baissant les yeux, incapable de maintenir son regard déterminé. Au même moment...

— D'accord, conclut Maman d'un ton toujours aussi ferme, bien qu'une once de douceur fût à présent perceptible. Tu as le temps de t'entraîner.

Alors que je m'apprêtais à quitter la pièce, n'ayant rien d'autre à ajouter, Maman me rappela :

— D'ailleurs... n'aurais-tu pas remarqué quelque chose de spécial ?

— De quoi ? m'enquis-je, déconcerté par sa question. Tu t'es coiffée différemment ?

— Oh non ! s'esclaffa Maman, en passant une main dans ses cheveux courts flamboyants, avant de reprendre avec sérieux : Non, je parlais sur Terrumbra.

— Comment ?

Je blêmis soudainement en comprenant la portée de cette question. Maurice avait-il eu raison en disant que Maman m'avait envoyé faire ces séances de télépathie avec Morior pour espionner Terrumbra ? Non... c'était impossible ! Jamais Maman ne m'utiliserait ainsi et me ferait courir de tels risques. Mais... alors pourquoi m'avait-elle envoyé sur Terrumbra alors qu'elle était intimement convaincue que la planète représentait une menace pour Flamea ?



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