Chapitre 4 - Partie 1 - Visite en prison
— Arachtus.
Seul un grognement rauque répondit dans le silence pesant.
— Arachtus, persista la voix féminine.
Ses cheveux gras tombant lâchement devant son visage, le dieu releva nonchalamment la tête, bien que sa curiosité fût piquée par cette visite impromptue. En voyant la jeune femme qui se dressait dans l'embrasure de la porte de sa cellule, il écarquilla les yeux et marmonna d'un ton rauque :
— Elena. Toi... après deux mois de solitude désespérante...
Sa gorge était sèche et le dieu fronça les sourcils face à la douleur qui l'envahit à la suite de ces paroles.
— Tu méritais cette solitude.
— Tu ? Eh bien, je vois que tu as pris de l'assurance.
Le dieu des araignées s'apprêta à commencer une nouvelle phrase mais il fut pris d'une quinte de toux douloureuse. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas parlé.
— Tu... tu n'en manquais pourtant pas, reprit difficilement le prisonnier. Quelle est donc la raison de ta visite, Elena ? J'imagine que tu n'es pas venue ici, juste pour passer du temps en ma compagnie. Quoique... je serais très honoré par cette intention.
— J'ai besoin d'informations.
— Ah... très bien... répondit Arachtus sans manifester un grand intérêt.
— Sur la maladie de Célestia.
— Ah ! Je vois... fort intéressant.
— Que sais-tu dessus ?
— Crois-tu vraiment que je vais te fournir des informations sans rien en échange ?
— Que veux-tu ?
— Sortir d'ici.
— C'est impossible.
Le ton implacable d'Elena mit fin aux espoirs vains du dieu, qui décida néanmoins de persister par une approche plus subtile :
— Dommage pour toi... Tu n'auras pas tes informations. Pourtant, je ne pensais pas beaucoup demander en voulant faire un petit tour dehors...
— Un petit tour ?
— Oui, une simple promenade dans l'enceinte de la prison en ta compagnie, sans cet horrible casque qui me meurtrit nuit et jour.
— Tu n'avais qu'à pas me le mettre sur ma tête et je ne l'aurais pas mis sur la tienne.
— Voyons... Tu l'as à peine porté une demi-journée et moi, je souffre depuis des mois... Ce que tu peux être rancunière.
— Assez.
Le ton d'Elena était ferme, si bien qu'Arachtus s'abstint de se plaindre davantage, se contentant de demander :
— Alors ce petit tour ?
— Qu'est-ce qui me garantit que tu ne vas pas te sauver ?
— Dis comme ça, rien, répondit le dieu, préférant jouer la sincérité avec la jeune femme. Mais si tu veux que je te donne ma parole, c'est avec plaisir que je te l'accorde.
Un grand sourire s'esquissa sur les lèvres gercées et décharnées du dieu. Elena ne répliqua rien, tiraillée entre l'opportunité d'obtenir des informations et le risque de laisser le prisonnier s'échapper.
— Quel dilemme ! s'exclama Arachtus. Je comprends et compatis. C'est un choix si dur que de prendre le risque de me laisser filer, alors que je t'accorde pourtant ma parole, contre de précieuses informations si vitales.
— Comment sais-tu que ces informations sont vitales ?
— Tu ne serais pas venue, si elles ne l'étaient pas. Et puis, ton visage semble si inquiet, torturé par l'anxiété.
Arachtus fit passer sa langue sur ses lèvres sèches et il rajouta avec perfidie :
— Qui en est atteint, Elena ? Ton petit chéri ?
— Arrête ! cingla la jeune femme, ses poings se refermant brutalement.
— Tu es si mignonne quand tu te fâches, Elena, ricana Arachtus, un nouveau rictus se dessinant sur son visage cachectique. Tu perds tes moyens, rougis comme une pivoine et prends les mauvaises décisions.
— J'ai bien envie de te laisser moisir ici.
— C'est bien ce que je disais... Tu prends les mauvaises décisions, dans la précipitation.
— Kyle et Kurt en sont atteints. Par hérédité.
— Quel poison, cette maladie ! Tu peux dire adieu à ton désir d'avoir des enfants avec ton petit chéri...
— Tais-toi !
— Comment veux-tu que je te révèle des informations si je dois me taire ? s'offusqua faussement Arachtus.
Il était vrai que le dieu prenait un certain plaisir à exaspérer Elena ; il fallait avouer qu'elle était trop facilement irritable.
— Promets-moi d'abord que tu vas tout me dire sur la maladie et que tu ne vas pas me trahir en t'échappant de prison.
— Cela veut-il donc dire que tu acceptes de me laisser sortir ?
— Pour quelques instants oui. Mais promets-le-moi !
— Je te le promets, Elena.
Elena poussa un soupir et pénétra dans la cellule exiguë pour détacher le dieu et lui enlever son casque d'Illidium. Arachtus affichait un sourire radieux et le regard qu'il avait posée sur elle était hautement déconcertant : insistant, heureux, presque rusé. Elena s'efforça de passer outre même si le malaise s'était emparé d'elle ; mais elle ne voulait pas renoncer, elle avait besoin de ces informations comme Arachtus l'avait si bien compris. Après avoir ôté le casque, la jeune femme s'agenouilla et détacha la chaîne qui liait Arachtus au mur de la cellule. Poussant un soupir victorieux, le dieu se remit debout vivement, avant de vaciller. Émettant un faible grognement de contrariété, Arachtus se rattrapa à l'un des murs, éraflant au passage la paume de sa main qui n'avait pas vu la lumière depuis longtemps. Sentant le regard d'Elena posé sur lui, la frustration du dieu s'accentua et il s'efforça de lâcher le mur pour se diriger tant bien que mal vers la sortie de son cachot. À peine avait-il franchi la porte que la voix d'Elena retentit derrière lui :
— Reste à côté de moi.
Le ton catégorique d'Elena interrompit l'élan frénétique d'Arachtus, qui se retourna avec un certain agacement.
— Comme si c'était très compliqué de me suivre... marmonna le dieu avant d'ordonner sèchement : Dépêche-toi, Elena. Tu n'as peut-être pas le même désir que moi de revoir la lumière du jour et de sentir l'air frais sur ta figure, mais je te prierai de bien vouloir te hâter.
— Je n'ai pas le souvenir qu'il y avait de l'air frais sur ta planète, encore moins la lueur du jour.
— Peu importe ! Je veux voir autre chose que ces quatre murs poisseux !
Un rictus de colère déforma son visage et le dieu fut pris d'une nouvelle quinte de toux, sa gorge n'ayant pas supporté de telles intonations. Elena faillit rétorquer qu'il n'était pas très mignon quand il se mettait en colère, mais elle s'en abstint de peur de l'énerver davantage. Elle préféra sortir de la cellule et passa devant Arachtus en l'exhortant à la suivre. À peine avaient-ils fait quelques pas dans le long couloir qui menait à la sortie qu'une voix rauque raisonna à leur droite :
— Libérez-moi ! Je vous en conjure, ô dieu Arachtus tout puissant !
Elena et Arachtus sursautèrent et découvrirent un Halius décharné agrippé aux barreaux d'une cellule. Son visage était devenu noir, dégarni de chair et ses yeux entourés de suie étaient brillants de colère. Son corps tout entier et son attitude provoquèrent chez Elena un haut-le-cœur qui rétorquait avec un certain dédain :
— Taisez-vous !
— Ô Arachtus, répéta Halius, s'agrippant plus fortement aux barreaux. Je vous en prie, libérez-moi et ensemble, achevons cette maudite déesse.
Il cracha en direction d'Elena, tandis qu'Arachtus répliquait avec un certain calme :
— Je ne le puis, Halius. Ce serait manquer à la promesse que j'ai faite à Elena.
— Quoi ? Une promesse à cette démone ?
— Démone, le mot est fort... Relativisez, Halius. Elle n'a fait que vous emprisonnez car vous avez usurpé son pouvoir. Elle aurait pu vous tuer, mais non... à la place de cela, elle a préféré vous laisser moisir à vie en prison. Quelle bonté d'âme !
— Assez d'ironie, Arachtus, coupa Elena.
— Que serait la vie sans un peu d'ironie ?
— Tu en fais un peu trop en ce moment.
— C'est que je n'en ai pas eu l'occasion pendant deux longs mois.
Arachtus marqua un petit temps de pause, avant de reprendre, s'adressant cette fois à Halius :
— Non, Halius. Rien de ce que vous pourrez m'apporter ne m'intéresse. Et puis, si je veux qu'Elena m'accorde d'autres traitements de faveur, il vaut mieux que je me tienne à carreau lors de la première occasion.
— Non ! Je vous en prie, Monseigneur ! Je vous donnerai votre liberté... je vous en prie...
— Pour l'instant je ne vois pas en quoi vous pouvez me rendre ma liberté.
Le ton d'Arachtus était dédaigneux et il se désintéressa d'Halius, pour poursuivre sa route le long du couloir étroit. Elena lui emboîta le pas, tandis qu'Halius vociférait d'une voix puissante :
— NON ! NE M'ABANDONNEZ PAS !
Arachtus et Elena finirent par atteindre en silence la sortie de la prison après une marche interminable dans ce couloir serré. Une fois à l'extérieur, le dieu s'arrêta de marcher et leva les yeux vers le ciel dégagé pour le contempler. Elena le laissa seul quelques instants, comprenant son besoin de contact avec l'extérieur. Il avait considérablement maigri depuis leur dernier affrontement et sa silhouette était devenue efflanquée ; les traits de son visage faisaient peine à voir, les os étant presque apparents. S'étaient-ils montrés trop durs dans le traitement du dieu ? Pourtant, il en avait commis des atrocités...
Lorsqu'Arachtus se retourna vers elle, un sourire radieux sur ses fines lèvres, Elena se sentit obligée de le prévenir que cette sortie serait sûrement la seule.
— Arachtus, je suis désolée... mais cette promenade est sûrement l'unique occasion pour toi de sortir de ta cellule. Il n'y aura pas d'autres.
Contre toute attente, le dieu haussa les épaules et il répondit simplement :
— Je n'aurais jamais dû avoir celle-là, alors je ne vais pas me plaindre.
— Comment cela ?
— Je ne sais rien sur la maladie de Célestia.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top