Chapitre 20 - Partie 2 - L'Errant et l'Errante

Lorsque nous arrivâmes sur Moons, je faillis hurler de stupeur face à la situation. La planète s'était transformée en un vaste champ de bataille et je crus m'être retrouvée trois mois plus tôt, lors de l'invasion du Conseil. Mais non... tout ceci était bien réel... et c'étaient les prisonniers de Moons qui attaquaient leur propre planète. Comment avaient-ils pu tous s'échapper en aussi peu de temps ? Surréaliste. Et guère sympathique.

***

Sans attendre un instant supplémentaire, je m'élançais vers le plus proche ennemi, qui regretta très vite de s'être échappé. Il tomba sur le sol, le torse perforé, et, ne m'attardant pas davantage sur son corps inerte, je me dirigeai vers un autre ennemi. Elena eut la bonté de ne pas critiquer mes méthodes peut-être trop brutales.

En compagnie d'Elena qui neutralisait tout autant de prisonniers que moi – enfin, peut-être un peu moins, car je restais tout de même la meilleure en combat –, nous rejoignîmes Angie, Kurt et Kyle, au cœur de la mêlée. Tout en tranchant la gorge d'un prisonnier qui avait commis la fatale imprudence de se ruer vers moi, je demandai à ma jumelle :

— Comment tout ceci est-il arrivé, Angie ?

Ma sœur se retourna vers moi et une lueur de soulagement passa sur son visage. Puis elle me répondit :

— Je n'en sais rien... Ils semblent tous animés par une puissante force vengeresse ! Je ne comprends pas comment ils peuvent avoir autant d'énergie... Et ils n'ont même pas voulu parler avec nous !

Je haussai les épaules, avant d'envoyer ma dague en plein cœur d'un ennemi qui se ruait vers nous. Je commentai :

— Ils ne semblent cependant pas avoir gagné en intelligence et s'efforcent toujours vainement de nous atteindre... Comme s'ils avaient la moindre chance contre...

Ma phrase fut soudainement interrompue par une voix tonitruante qui retentit juste derrière nous :

— Vous allez périr, vermines !

Je n'eus même pas besoin de me retourner pour comprendre de qui il s'agissait. Halius. Je ne l'avais pas oublié, lui.

— Nous aurions vraiment dû vous supprimer quand nous en avions l'opportunité... soupirai-je me retournant vers lui.

— Mais vous ne l'avez pas fait, me répondit-il d'une voix forte et assurée. Et la chance a tourné de mon côté. Plus rien ne se mettra en travers de mon pouvoir... Et je te tuerai, Elena, comme je te l'ai promis.

Je me tournai brièvement vers Elena pour voir comment elle réagissait mais son expression était de marbre. Elle se contentait de fixer Halius avec le même mépris qu'il lui accordait et je décidai de ne m'interroger pas davantage sur la raison qui animait le vieux dirigeant à en vouloir autant à Elena. Sûrement s'était-il passé quelque chose au cours de ses visites en prison avec Arachtus... Mais bien sûr, il aurait été vain de demander toute précision.

Je me retournai alors vers Halius et sortis mon autre dague de son fourreau, avant de regretter d'avoir lancé la précédente sur le dernier soldat qui m'avait attaquée. J'eus à cet instant une impression de déjà-vu, car quelques mois plus tôt, quand j'avais affronté Halius, j'avais exactement effectué cette même erreur. Enfin, il me restait encore une dague et nous étions tous réunis en face de lui.

Halius dégaina son épée argentée, qu'il avait sans doute récupérée avant de s'échapper de la prison, et se posta fièrement devant nous, un regard meurtrier luisant dans ses prunelles brunâtres. Comment pouvait-il avoir autant d'assurance alors que nous étions tous les cinq ? Cependant, avant même qu'il n'eût eu le temps de nous attaquer, il poussa un cri de douleur perçant avant de s'effondrer brutalement sur le sol. Je laissai échapper un cri de stupeur face à ce retournement inattendu de situation. Comment Halius osait-il s'effondrer avant même que je n'eusse eu le plaisir de l'attaquer ?

Je découvris alors, derrière le corps inerte de l'ancien dirigeant de Moons, un individu argileux qui se dressait fièrement devant sa proie. Il avait en guise de bras gauche une lance pointue faite de bois, dont l'extrémité était recouverte d'un sang écarlate. Celui d'Halius vraisemblablement... l'inconnu avait transpercé Halius de cette lance. Je jetai à Elena un regard déconcerté et celle-ci s'exclama en se précipitant vers l'inconnu de terre :

— Qui êtes-vous ?

Il recula d'un pas, avant de se dissiper en filet de terre.

— NON !

La voix d'Elena me glaça le sang et elle tendit ses bras en avant, comme pour l'entraver l'individu par télékinésie. Elle se précipita vers un tas de terre qu'elle avait immobilisé et je la rejoignis, perplexe. Avant même que je n'eusse le temps de l'interroger davantage, une voix étrangement féminine aux intonations graves retentit dans le vent :

— Je les ai peut-être tous libérés... Mais lui... il ne méritait pas de vivre. Et c'est tout ce que vous saurez de Moi.

Elena releva la tête, comme pour trouver la source de ces paroles, mais le ciel était vide. Elle se retourna vers moi, un regard interrogateur ancré dans ses prunelles noisette auquel je ne pouvais fournir aucune réponse. Cet individu de terre me stupéfiait et je ne parvenais à comprendre pourquoi il agissait ainsi. Il nous avait aidés à trouver le remède de la maladie et voilà qu'il libérait tous les prisonniers de Moons, provoquant une petite guerre civile sur la paisible planète. Quelle pouvait bien être l'utilité de tous ces actes ? Œuvrait-il vraiment en notre faveur ? J'avais envie de répondre à la fois oui et non à cette question, ce qui ne fit qu'accroître davantage ma curiosité et ma frustration. Je n'aurais visiblement pas la réponse tout de suite à mes interrogations car l'inconnu s'était déjà volatilisé, ne laissant pour trace qu'un petit tas de terre sur le sol déjà argileux de Moons...

***

— Arachtus ?

Elena entra dans sa cellule à la porte encore intacte, et interpella à nouveau le dieu. Celui-ci finit par relever lentement la tête :

— Oui ? Que veux-tu ?

— As-tu vu ce qu'il s'est passé ici ? Qui est cette personne qui a délivré tous les prisonniers ? Pourquoi ne t'a-t-elle pas délivré aussi ? Et...

— Arrête, Elena, murmura Arachtus, d'un ton las. Trop de questions... Je ne peux pas te répondre.

— Comment ? s'étonna Elena. Mais tu étais là ; tu as sûrement tout vu...

— Je ne peux pas te le dire... Je l'ai promis.

— À qui ?

— À cette Errante... Va-t'en, Elena... Avant que je n'en dise trop...

— L'Errante ? Cette chose de terre est une femme ? J'aurais pensé qu'il s'agissait d'un homme...

— À chacun son interprétation, Elena... Je ne peux pas t'en dire davantage. Va-t'en, par pitié. Et ne reviens plus...

— Arachtus... Je...

— VA-T'EN !

Le ton brusque et violent du dieu fit sursauter Elena qui recula d'un pas. Arachtus lui jeta un regard empli de colère et Elena comprit qu'elle ne devait pas s'attarder davantage. Mais, pourtant... avant de se laisser envahir par la colère, le dieu avait semblé souffrant, comme accablé par quelque chose dont il ne pouvait parler à personne. Elena voulait l'aider, comme il l'avait fait pour elle. Elle se surprit elle-même lorsqu'elle sortit de la poche de sa robe les clés des chaînes. Elle s'agenouilla auprès du dieu prisonnier avant de défaire ses liens. À peine l'avait-elle fait qu'Arachtus releva la tête vers elle, ses yeux gris-vert flamboyants de rage. Elena sentit la peur l'envahir, mais se refusa de rattacher Arachtus : le dieu méritait de sortir, comme elle l'avait annoncé la semaine dernière. Il avait changé depuis son emprisonnement : il n'était plus le même. Il n'était plus celui qui méritait la prison...

Elena soutint alors le regard furibond d'Arachtus. Les mains du dieu se crispèrent, avant d'empoigner brutalement les épaules d'Elena :

— VA-T'EN ! PARS ET NE REVIENS JAMAIS !

— Pourquoi... ? murmura Elena d'une voix étouffée, sans pour autant tenter de se dégager de l'emprise d'Arachtus.

Le manque de réaction d'Elena sembla davantage excéder le dieu qui poursuivit d'un ton toujours aussi dur :

— Je ne veux pas de cette liberté. Je ne l'ai jamais méritée et je ne la mériterai jamais ! Je ne ferai que répandre le mal : il vaut mieux pour vous tous que je reste ici et tu le sais parfaitement. Alors cesse d'être odieuse et blessante en me faisant croire à un espoir fou. Va-t'en.

— Arachtus, c'est faux... Tu as changé depuis que nous t'avons emprisonné... Tu ne mérites pas la prison à vie... Tu...

— Tais-toi. Je n'ai jamais changé et je ne changerai jamais : je resterai l'assassin de ma sœur et l'homme qui a essayé de vous tuer, tes sœurs et toi, à plusieurs reprises. Toute la gentillesse dont j'ai pu faire preuve à ton égard n'était qu'intéressée : je n'essayais que d'obtenir ton pardon pour que tu me libères.

— Mais alors pourquoi refuses-tu la liberté que je t'offre, puisque c'est ce que tu veux depuis le début ?! s'exclama Elena, de plus en plus perdue.

— Car tu me remettras dans cette fichue prison ! Et je ne supporterai pas de revenir dans un tel lieu, alors que j'en aurai été libéré.

Arachtus lâcha les épaules d'Elena et s'adossa contre le mur froid de la cellule. La jeune femme resta un long moment immobile, fixant le dieu rachitique qui se tenait devant elle.

— Je ne te comprends pas, Arachtus... Mais sache que je pense sincèrement que tu as changé et que tu ne mérites pas la prison...

— Ne reviens jamais, coupa Arachtus d'un ton impitoyable. Promets-le-moi.

Elena lui jeta un regard désemparé, mais elle finit par se résigner, devant l'expression froide d'Arachtus :

— D'accord : je ne reviendrai pas. C'est promis.

Une brève expression de soulagement passa sur le visage d'Arachtus et Elena commença à le rattacher à contrecœur. Le dieu se laissa faire, puis Elena se releva sans un mot. Elle brûlait d'envie de lui parler, de démentir ses propos, mais ne savait plus comment faire. Quelque chose avait changé depuis la dernière fois, quelque chose qu'elle ne comprenait pas. Leur lien s'était brisé si brutalement. Elle finit par se résigner.

Arachtus regarda la jeune femme s'éloigner, la mélancolie montant progressivement en lui. S'il avait accepté la liberté qu'Elena lui avait offert la semaine dernière... Il serait libre... et il n'aurait pas rencontré l'Errante dans ces conditions. Mais... Mylena aurait été menacée... Mylena... Je viens de détruire en un instant tous mes efforts et tous mes espoirs... je viens de me condamner à perpétuité... Et pire que tout.... Je viens de briser à jamais le semblant d'amitié qu'Elena avait pour moi... Et tout ceci, Mylena, pour toi, pour sauver ta vie... Serait-ce le prix à payer pour me faire pardonner ou n'est-ce que le châtiment mérité de l'assassin que je suis ? Il venait de laisser échapper son unique chance de sortir de cette oppressante cellule. Mais c'était ce que voulait l'Errante... C'était la seule chose qu'il avait à faire s'il voulait épargner Mylena... et la vie de sa sœur valait plus que sa liberté ou même son amour envers Elena.

Ton heure viendra, un jour... Les dernières paroles de l'Errante résonnèrent dans sa tête et le dieu poussa un soupir : un jour. C'était trop vague, mais Arachtus n'avait pas d'autre alternative... Il devait attendre.


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