Chapitre 20 - Partie 1 - L'Errant et l'Errante

« Une diversion à présent... c'est tout ce qu'il nous faut. Juste le temps que Mylena accomplisse sa mission... dérober la lettre de Malefik pour Sinistra, avant que cette petite Aélyia ne la découvre avec Mon Livre du Rituel... »

***

Arachtus fut réveillé par un tintement de serrure. Déjà Elena était de retour ? Si tôt... ? Encore à moitié endormi, le dieu ouvrit les yeux pour découvrir une silhouette inconnue juste devant lui, adossée à la porte de sa cellule. Sûrement pas Elena. Ne parvenant à discerner de qui il s'agissait en raison de l'obscurité, Arachtus choisit de répondre par l'ironie :

— Je ne savais pas qu'ils mettaient deux prisonniers dans la même cellule...

— Je ne suis pas emprisonné.

La voix de l'inconnu était étrangement féminine avec des intonations graves, si bien qu'Arachtus ne put discerner si la personne qui se dressait devant lui était un homme ou une femme. Le dieu demanda alors :

— Que me voulez-vous, Monsieur... Madame ?

— Te parler, répondit sèchement l'inconnu en éludant la seconde partie de la question.

— Te ? Je ne crois pas vous avoir autorisé à me tutoyer...

— Je fais comme Je veux.

— Qui êtes-vous ? s'enquit Arachtus avec une certaine anxiété face à cet étrange individu. Et de quoi voulez-vous me parler ?

— Mon identité n'a aucune importance. Je veux te parler des souvenirs que tu livres à Elena. Il faut que tu arrêtes.

— Quoi ?

L'inconnu sortit de l'ombre à cet instant pour filer vers Arachtus. Il agrippa d'une main terreuse sa gorge et le dieu découvrit l'horrible visage difforme de l'inconnu : une sphère vulgairement taillée lui servait de tête, sans oreilles, ni nez et ni lèvres, seulement un léger trou pour symboliser la bouche. Quelques fils d'un marron verdâtre, qui auraient pu s'apparenter à des cheveux avec un peu de créativité, retombaient de part et d'autre de son visage argileux. L'unique élément humain de son visage était ses yeux, vairons, l'un vert et l'autre marron, mais tous les deux dépourvus d'éclat.

— Il faut que tu arrêtes de livrer tes souvenirs à Elena, répéta l'inconnu d'un ton catégorique, sans desserrer son emprise sur la gorge du dieu.

— Et qu'est-ce qui m'en empêcherait ? rétorqua Arachtus spontanément, refusant de se laisser impressionner par cette vulgaire chose.

— Moi.

Au grand étonnement d'Arachtus, l'inconnu relâcha sa main et quelques instants s'écoulèrent avant que de la terre ne commence à ruisseler sur son visage difforme : un nez et une bouche commencèrent à se modeler, une masse de cheveux blonds apparut en même temps que des sourcils, ses yeux se recouvrirent d'une paupière et changèrent de teinte pour virer à un magnifique bleu turquoise, trop facilement reconnaissable pour Arachtus.

L'inconnue rapprocha son visage du dieu et lui murmura de la même voix à la fois aiguë et grave :

— Mylena, voilà le moyen de pression. Nous laisserons ta sœur tranquille si tu arrêtes de parler à Elena. Sinon, tu peux lui dire adieu dès maintenant.

— Nous ? s'enquit Arachtus, tentant d'ignorer le regard perçant qui appartenait à sa sœur et dont la chose s'était accaparée.

L'inconnue émit un rire rauque et la terre de son visage retomba soudainement sur le sol de la cellule, pour remodeler le même visage difforme.

— Promets-le-Moi. Tout de suite.

— Je préférerais d'abord savoir l'identité de la personne à qui je fais une promesse, rétorqua Arachtus d'un ton calme.

Il refusait de se laisser intimider. De toute façon, qu'avait-il à perdre à l'instant t ? Il n'était même pas sûr que Mylena fût réellement en danger.

— Très bien, concéda la chose, avec une certaine irascibilité. Je te donne un nom : l'Errant. Ou alors, l'Errante. Comme tu veux.

— Comme je veux ? répéta Arachtus avec incrédulité.

— Oui. Ça dépend si Je suis un homme ou une femme pour toi.

— J'aurais plutôt dit une chose difforme et argileuse.

— Assez, petit impertinent !

L'Errant leva sa main terreuse et d'un geste vif frappa la joue d'Arachtus qui émit un cri de douleur face à ce violent contact rocailleux. Il rapprocha son visage de celui du dieu et articula :

— On ne plaisante pas avec Moi. Ta promesse, maintenant.

Arachtus doutait avoir le choix. Si cette chose était parvenue jusqu'à lui, rien ne l'empêcherait de parvenir jusqu'à sa petite sœur. La patience ne semblait pas être sa qualité première.

— Maintenant.

Le dieu cessa de rêvasser et s'empressa de répondre :

— Très bien : je vous le promets. Je vais arrêter de confier mes souvenirs à Elena.

— Parfait. Et tu ne lui parleras en aucun cas de cette conversation, sinon... enfin, tu sais ce qui se passera... C'est compris ?

— Oui...

De la terre ruissela sur son visage pour former une bouche et il esquissa un sourire, avant de demander d'une voix mielleuse :

— Suis-Je à tes yeux toujours une chose difforme et argileuse ?

— Je dirais non pour ne pas vous vexer.

— Insolent !

— Vous êtes un homme, poursuivit Arachtus sans se laisser déconcerter. Et vous êtes beaucoup trop proche de moi. Je vous prie de bien vouloir sortir de ma cellule, maintenant que vous avez obtenu ce que vous vouliez de moi.

Le sourire malicieux de l'Errant s'agrandit et son corps se remodela pour laisser percevoir une silhouette féminine. Des bouclettes auburn attachées par un ruban rose pâle apparurent autour de son visage qui devenait presque humain et l'éclat de deux yeux noisette scintilla dans l'obscurité. Un visage trop aisément reconnaissable pour Arachtus. L'Errante esquissa un large sourire malicieux et murmura :

— Non, Je suis une femme pour toi.

Elle éclata d'un rire mi-rauque, mi-cristallin, avant de rapprocher davantage son visage juvénile d'Arachtus et de l'embrasser. À peine ses lèvres argileuses avaient-elles touché celles du dieu que sa tête se décomposa en un tas de terre. Arachtus émit un grognement de protestation et cracha la terre qui s'était collée à son visage en direction de l'Errante. Tout en se reconstituant sous sa forme argileuse, l'Errante émit à nouveau un rire moqueur avant de se diriger vers la porte de la cellule et de disparaître dans le trou de la serrure sous forme d'un filet de terre. Arachtus poussa un soupir, mais son soulagement ne fut que de courte durée. Une voix tonitruante retentit dans le couloir, suivie d'un bruyant claquement métallique.

— VOUS ÊTES TOUS LIBRES !

Une grande agitation se fit entendre dans le couloir, tandis que la porte de la cellule d'Arachtus restait close. Le dieu entendit alors la voix de l'Errante juste derrière sa porte :

— Enfin, presque tous. Désolée, Mon cher Arachtus : tu es bien en prison. Tu y resteras encore longtemps : la vie de ta sœur en dépend... Mais, ne t'inquiète pas : ton heure viendra, un jour.

Le dieu sentit une pointe de déception monter en lui, avant de la refouler. Il ne voulait pas être libéré par cette chose. Il voulait mériter sa liberté.

***

Je fus réveillée en sursaut par Elena qui ouvrit la porte de ma chambre d'un coup sec. Elle suffoqua avant d'articuler péniblement :

— Sinistra, viens tout de suite...

Sa voix se perdit et je lui répondis d'un ton ironique, citant mot pour mot les propos qu'elle m'avait tenus la dernière fois où j'avais perturbé son sommeil en compagnie de Kyle :

— J'ai dit non !

Elena toussa avant de murmurer dans un ultime effort :

— Viens...

Elle claqua la porte violemment et je l'entendis tousser. Je soupirai, me levai, avant d'enfiler en vitesse la première robe à ma portée. Je pris une potion antidote et sortis de ma chambre. Je tendis la potion à ma cadette qui tentait toujours de reprendre son souffle et elle l'avala d'un trait. Je déclarai, tandis qu'elle me rendait la fiole :

— Tu es vraiment stupide comme petite sœur. Qu'est-ce que tu veux, qui justifie le fait de vouloir mourir d'aussi bon matin ?

— Tous les prisonniers... se sont échappés de la prison de Moons... articula péniblement Elena, tentant de reprendre son souffle, malgré l'antidote que je lui avais administré.

— Ah... répondis-je en bâillant, sentant une soudaine lassitude s'emparer de moi.

— Kyle et Kurt sont déjà là en train d'aider Angie... et il faut que tu viennes.

— Pourquoi est-ce toujours moi qui dois sauver l'univers ?

— Sinistra !

— Mais qu'attendons-nous pour y aller ?

Je rentrai à nouveau dans ma chambre pour saisir une cape à capuche, ainsi que ma ceinture où étaient accrochées mes deux dagues. Tandis que je terminais de m'habiller, nous nous précipitâmes hors de mon palais et invoquâmes l'Argentus, qui mit sans surprise un certain temps avant d'apparaître.

Lorsque nous arrivâmes sur Moons, je faillis hurler de stupeur face à la situation. La planète s'était transformée en un vaste champ de bataille et je crus m'être retrouvée trois mois plus tôt, lors de l'invasion du Conseil. Mais non... tout ceci était bien réel... et c'étaient les prisonniers de Moons qui attaquaient leur propre planète. Comment avaient-ils pu tous s'échapper en aussi peu de temps ? Surréaliste. Et guère sympathique.

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