Chapitre 19 - Partie 2 - La fin d'un projet

Ce fut le tour de Selina de baisser honteusement les yeux. Je me dirigeai vers le plan de la tarentule abandonné sur le sol, le ramassai et le tendis à Selina :

— Nous allons finir ce projet. Ensemble.

Son regard s'illumina de joie, sa main se posa de l'autre côté du rouleau, et elle murmura, plongeant ses yeux émeraude dans les miens :

— Ensemble.

***

— Ardalis, prince de Flamea, fils de la reine Flora, elle-même descendante de Son Altesse Fuocos, je vous sacre, par le suprême pouvoir divin qui m'est conféré en cet instant, dieu protecteur de notre planète bien-aimée. À partir de ce jour, votre existence ne sera vouée qu'au service de Flamea et de ses habitants, comme l'ont été les vies de vos prédécesseurs. Vous pouvez vous relever, Votre Majesté.

Maman acheva ainsi son discours et j'obéis, me redressant lentement, de la façon la plus majestueuse possible. À peine m'étais-je relevé que l'intégralité des habitants de Flamea présents devant moi, Maman y comprise, s'inclinèrent et se mirent à genoux. Impressionné par toute cette mise en scène que je jugeais parfaitement inutile, je mis quelques instants avant d'ordonner d'une voix un peu trop chevrotante :

— Levez-vous.

Maman fut la première à m'obéir et les habitants l'imitèrent ensuite, faisant tous preuve d'un immense respect envers moi. Puis, elle déclara de son habituel ton majestueux :

— Voilà qui conclut la cérémonie du couronnement. Que les festivités commencent !

À cet instant, une musique douce se mit à envahir la salle du trône et les habitants se mirent à danser. J'esquissai un léger sourire avant de me reculer de la piste, pour ne gêner personne. Je contemplai alors le grand trône de rubis, désormais le mien. Je ne me rappelais que trop bien, lorsque trois ans auparavant, Selina et moi étions venus ici présenter notre projet à Maman et Hector. Nous leur avions présenté trois tarentules robotisées, la chef et deux soldats classiques que nous avions fabriqués par nos propres moyens. Ils avaient tous les deux été impressionnés par l'allure menaçante et les nombreuses capacités de nos robots. Et lorsque je leur avais annoncé que je pouvais transmettre mes ordres à la chef aussi bien oralement que par télépathie, ils avaient été plus que stupéfaits. Selina avait rajouté que nous avions créé un langage propre à nos robots, grâce auquel la chef pouvait communiquer avec ses soldats. Maman avait conclu notre présentation en nous félicitant, avec une chaleur que je n'avais pas vue chez elle depuis longtemps. La production d'autres robots identiques à nos deux tarentules soldats avait alors été lancée, et à présent plusieurs centaines d'araignées composaient notre armée. Cependant, aucune guerre n'avait encore éclaté entre Terrumbra et Flamea, comme si les mauvais pressentiments de Maman se révélaient infondés.

— Je suis fière de toi, mon fils, déclara Maman sur un ton solennel, coupant dans ma réflexion.

— Maman... murmurai-je, encore sous le coup de l'émotion.

— Oh... Ardalis, ne m'appelle plus ainsi... Tu es dieu et roi maintenant...

— Mais... tu...

— Ma carrière de reine est finie, Ardalis. Tu es le nouveau roi. Ce qui arrive parfaitement au bon moment : je vais pouvoir m'occuper de ma future petite fille, comme je l'ai fait pour toi !

Elle posa doucement ses mains sur son ventre légèrement rebondi et un mauvais pressentiment m'envahit. Je demandai alors, appréhendant la réponse :

— Tu vas donc aller vivre avec Papa sur Laïa, maintenant ? Et y élever mes petites sœurs ?

— Non, Ardalis. Je vais rester sur Flamea, tout comme ta future petite sœur. Tu as encore besoin de quelques conseils... et puis...

Elle se retourna vers la foule derrière nous et murmura :

— Je les aime tous trop pour les quitter...

Je la vis sourire et je ne pus l'interroger davantage, car Hector arrivait. Après s'être incliné devant moi et m'avoir salué avec un immense respect, il s'adressa à Maman d'un ton plus familier :

— M'accorderiez-vous cette danse, ma très chère ancienne reine ?

— Ancienne ? s'offusqua Maman en laissant échapper un petit rire. Je reste toujours plus jeune que toi, Hector !

— Peut-être, mais, si je puis me permettre Flora, vous avez pris un coup de vieux aujourd'hui.

Maman leva les yeux au ciel en étouffant un rire et elle tendit sa main à Hector avant de s'éloigner avec lui sur la piste de danse. Je me retrouvai ainsi seul et je soupirai. J'avais attendu le jour du mon couronnement avec impatience depuis ma petite enfance. Et à peine se présentait-il que je regrettais de ne pas avoir profité davantage des joies de mon enfance. Être un adulte responsable ; cet objectif me semblait inatteignable. Surtout quand Maman se comportait désormais comme une enfant. Heureusement, qu'elle allait rester sur Flamea avec moi et ma future petite sœur. Une autre petite sœur... quel bonheur ! Elle, au moins, je pourrais la voir tous les jours. Contrairement à Mylena, que je voyais de plus en plus rarement avec toutes mes activités...

Me coupant dans ces sinistres pensées, une voix cristalline retentit juste derrière moi :

— M'inviteriez-vous à danser, mon cher prince ?

Je me retournai et découvris sans surprise une Selina enjouée qui me tendait la main. Je la saisis sans hésiter, déclarant avec un certain amusement :

— Tu n'es pas obligée de me vouvoyer sous prétexte que je suis à présent dieu protecteur de Flamea...

— Eh bien, puisque Son Altesse insiste !

J'esquissai un sourire face à sa remarque et sans même que j'eusse le temps de lui répondre, elle m'entraîna sur la piste de danse.

***

Arachtus enleva ses doigts et recula d'un pas, tandis qu'Elena revenait à la réalité.

— Déjà ?! protesta Elena. Non... Arachtus...

— Tu devras t'en contenter, princesse...

— Mais je veux savoir ce qu'il arrive entre Selina et toi !

Arachtus poussa un soupir d'exaspération en levant les yeux au ciel. Pourtant amusé par la situation, le dieu poursuivit :

— Tu vis déjà dans un océan d'amour, princesse.

— Mais il n'y en a jamais assez ! s'exclama Elena avec un sourire ravi.

— Tu es tout comme que Selina à son âge... soupira Arachtus. Pétillante et rêveuse... trop rêveuse...

Le visage d'Elena se voila face à ces derniers mots... elle ne comprenait que trop bien ce qu'Arachtus sous-entendait. Cependant, le dieu chassa sa peine pour reprendre avec un sourire en coin :

— Si tu insistes vraiment... Je veux bien faire une exception cette fois-ci...

Le dieu reposa ses doigts sur les tempes d'Elena avant de transmettre un dernier souvenir.

***

— Selina...

Je me trouvais devant la porte de sa chambre et, par bonheur, son horrible valet était absent en ce jour. Je tenais dans mes mains une petite boîte enveloppée dans du papier cadeau rose – sa couleur préférée – avec un ruban émeraude.

Je poussai un soupir et frappai à nouveau à sa porte, cette fois un peu plus fort.

— Entrez ! retentit la voix enjouée de Selina.

Avec hésitation, j'ouvris la porte et pénétrai doucement, presque à contrecœur, dans la pièce. Selina était en train de bander son arc et elle décocha une flèche qui arriva dans le mille, suscitant chez moi une grande admiration. Elle se retourna vers moi, esquissant un large sourire déconcertant, et déposa son arc sur une table, tandis que je refermais la porte.

— Ardalis, que veux-tu ?

Je rougis bêtement devant son grand sourire flamboyant et je me sentis stupide face à mon initiative. Très stupide. J'hésitai à bredouiller une excuse minable, mais je compris à son regard curieux qu'elle avait déjà repéré le cadeau. Je lui tendis alors le petit paquet et bafouillai :

— Tiens... c'est pour toi...

— Oh... Merci !

Elle prit la petite boîte en me gratifiant d'un magnifique sourire qui me fit rougir davantage. Elle s'assit sur son lit et commença à défaire le nœud, tandis que je restais debout au milieu de sa chambre, de plus en plus mal à l'aise. Mais pourquoi étais-je allé chez elle pour lui offrir ce stupide cadeau ? Bien entendu, je ne savais que trop bien pourquoi, mais je ne pouvais m'empêcher de regretter mon geste.

J'osai alors relever le regard vers Selina et découvris qu'elle avait déjà enlevé le papier cadeau, laissant apparaître une jolie boîte en velours. Je la vis l'ouvrir et je baissai les yeux, incapable d'affronter sa réaction et même encore pire, son regard. Quelques instants s'écoulèrent, jusqu'à que j'entendisse Selina m'appeler. Je relevai alors la tête vers elle, brûlant de honte, et la découvris devant moi avec un grand sourire et des pommettes rougies.

— Ardalis, elle est magnifique : je l'adore. Merci beaucoup.

Elle entrelaça ses deux mains en-dessous de son visage et je remarquai avec une certaine joie qu'elle avait mis la bague à sa main gauche. Le joyau du bijou taillé en forme de tarentule brillait d'un magnifique éclat émeraude.

— Elle permet de se téléporter... commençai-je, tentant en vain d'aborder un sujet moins gênant.

— C'est vrai ?! s'exclama Selina. J'ai hâte d'essayer !

Elle se rapprocha de moi et posa ses mains sur mes épaules. Je sentis mon pouls s'accélérer et, après un bref instant d'hésitation, je l'enlaçai en retour. Elle releva son visage rougissant vers moi et je vis passer dans ses prunelles émeraude une lueur de bonheur, tandis que je me penchais vers elle. Je m'arrêtai tout proche de son visage, si bien que nos souffles se confondaient. Frôlant son visage, je passai doucement ma main dans ses cheveux flamboyants pour remettre une mèche derrière son oreille et murmurai :

— Je t'aime...

— Tu en as mis du temps, Ardalis...

Son visage s'illumina davantage et elle posa ses lèvres sur les miennes.

***

Elena sourit lorsqu'Arachtus stoppa la transmission et murmura :

— Vous étiez tellement adorables...

Arachtus se détourna précipitamment, le visage rougissant. Elena préféra alors dévier la conversation, ne désirant pas mettre le dieu davantage mal à l'aise – pourtant elle aurait pu étant donné ses propres taquineries avec Kyle :

— Je remarque qu'il n'y a pas de fin à suspense...

— Oui, approuva Arachtus, en se retournant vers elle. Je me suis dit que tu n'avais plus besoin de ça pour revenir me voir.

— Je t'en remercie ! À quand la suite ?

— Je propose la semaine prochaine.

— C'est d'accord !

Elena raccompagna le dieu dans sa cellule, mais à peine eut-elle franchi l'embrasure de la porte qu'elle s'arrêta pour se retourner vers Arachtus.

— Princesse ?

La jeune femme poussa un soupir avant de secouer la tête de gauche à droite.

— Non... Tu ne vas pas y retourner.

— Comment ? s'étonna Arachtus.

— Tu ne le mérites pas...

— Fais bien attention à ce que tu dis, Elena, l'avertit Arachtus, en reprenant un air sérieux.

— Tu ne veux pas quitter cette prison ?

L'incompréhension brillait désormais dans les prunelles noisette d'Elena. Pourquoi ne voulait-il plus maintenant ?

— Je n'ai jamais dit ça. Bien sûr que je veux la quitter à jamais... et c'est bien pour cette raison que j'ai insisté pour te transmettre mes souvenirs de jeunesse. Dans l'espoir que tu t'apitoies sur mon sort et que tu changes d'avis.

— Mais alors, pourquoi... ?

— Car tu n'as pas réfléchi à cette décision. Tu l'as prise sous le coup de la joie et l'euphorie.

— Mais qu'est-ce que ça change pour toi ?

— Je veux mériter cette liberté. Je veux que ce soit une décision réfléchie.

— Tu es incompréhensible... soupira Elena, avant de tout de même entrer dans la cellule. Très bien, je te libèrerai la prochaine fois, quand j'aurai bien réfléchi à cette décision. Mais sache que tu n'es plus un ennemi pour moi, au contraire... Et un ami ne mérite pas de rester en prison.

Le temps sembla se figer et un léger sourire apparut sur le visage du dieu. Un ami... s'il avait su qu'un jour Elena l'appellerait ainsi, il ne l'aurait cru... Mais il en était heureux désormais. Il secoua la tête et reprit :

— Très bien, à la semaine prochaine, princesse. Je t'attendrai avec impatience.

Elena leva les yeux au plafond avant de rattacher le dieu. Lorsqu'elle eut remis le casque d'Illidium sur sa tête, Arachtus lui murmura :

— Profite bien de ta vie avec Kyle... Vous avez de la chance : vous êtes en vie tous les deux...

— Selina, elle... ? commença à demander Elena d'un ton compatissant.

— Tu verras plus tard. J'ai déjà fait suffisamment d'exceptions pour aujourd'hui... Va-t'en, maintenant.

Il lui adressa un sourire triste avant de fixer le sol de sa prison. Elena sentit la mélancolie monter en elle : Arachtus avait raison : elle avait de la chance... mais lui... il n'en avait pas eue.

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