Chapitre 18 - Partie 1 - Derniers jours
« Les derniers jours sont enfin arrivés... L'Élue et sa sœur doivent agir... elles doivent sauver les deux frères. J'ai confiance en elles... elles vont réussir. »
***
— Attrape Kurt 1.3 ! m'écriai-je, lorsque la porte de mon laboratoire s'ouvrit pour laisser passer Elena qui n'avait pas pris la peine de frapper.
Ma sœur se figea et elle s'exclama en me jetant un air ahuri alors que j'étais agenouillée par terre, tenant Kyle 1.2 et Kurt 1.1 dans mes mains.
— Kurt 1.3 ?
— Bah oui, la souris là !
Elena me jeta un regard ébahi, puis je hurlai en voyant la souris Kurt 1.3 passer entre les pieds de ma cadette pour quitter le laboratoire :
— Elle est juste à tes pieds !
Elena, toujours hébétée, regarda le sol et elle aperçut la souris. J'aurais presque cru qu'elle n'allait rien faire, du moins elle ne bougea, mais la souris rebelle s'immobilisa l'instant d'après. La télékinésie sûrement. Je m'empressai de remettre dans une cage les deux souris que je tenais dans mes mains et je me précipitai vers la dernière récalcitrante.
— Merci ! m'exclamai-je en saisissant doucement ma petite créature.
Je lui caressai doucement le dos et en profitai pour la sermonner à moitié en la dévisageant d'un air indigné :
— N'as-tu pas honte d'essayer de m'échapper, mon petit Kurt ?
Puis je relevai les yeux vers ma cadette qui me fixait toujours avec incompréhension, puis j'expliquai :
— Je leur ai donné des noms... c'était plus amusant !
— Amusant ? En quoi est-ce amusant, Sinistra ?
Son air blasé me froissa et je rétorquai sèchement :
— Je dois attendre quelques semaines, le temps qu'elles grandissent, alors, comme toutes mes autres souris, je les ai nommées. Je ne vois pas où est le problème. Tu vois, les souris Kyle et Kurt sont en très bonne forme, pleines d'entrain ! Alors, que veux-tu d'autre, Elena ? La potion marche ! Il ne reste plus qu'à l'injecter dans le sang de Kyle et Kurt. Et ils seront guéris, comme ces six petites souris adorables !
Face à l'air toujours aussi sceptique d'Elena, je m'exclamai :
— La souris et l'homme, c'est pareil !
— Angie serait contente que tu compares Kurt à une souris... se contenta de répondre ma sœur.
Je souris devant cette remarque, soulagée qu'Elena ait retrouvé un semblant de bonne humeur. Je me surpris même à imaginer ma jumelle s'indigner face à une telle remarque et je ne pus m'empêcher de pouffer en voyant l'expression de Kurt. Plus détendue, je voulus reprendre la conversation avec ma sœur :
— Que viens-tu faire ici ?
— Oh... je te gêne encore ? Désolée...
— Mais non, Elena ! m'exclamai-je, ne comprenant pas la maussaderie de ma sœur, alors que j'étais heureuse de la voir. Ce n'était pas du tout ce que je voulais dire... Au contraire, j'étais contente de recevoir ta visite...
— Toi ? Contente de recevoir de la visite ? répéta Elena d'un ton plus que sceptique. C'est bon, je m'en vais...
— Mais, Elena ! protestai-je. Je ne suis pas du tout en train de te chasser !
— Je suis contente que les souriceaux aillent bien... Le remède marche peut-être...
Sur ces paroles trop incertaines, elle quitta mon laboratoire et je soupirai. Que s'était-il passé ? Comment aurais-je pu faire pour mieux l'accueillir et qu'elle ne reparte pas de ci-tôt ? Pourquoi était-elle venue... ? Tant de questions dont je n'aurais pas la réponse. Décidément, je n'étais pas douée en communication. Mon regard se posa sur Kurt 1.3 que je tenais encore dans mes mains et son air pétillant de vie me mit du baume au cœur. Finalement, je n'étais pas si mauvaise que ça en communication... Tant que cela restait dans le domaine des petites bêtes, tout se passait bien !
***
À peine avais-je ouvert les yeux ce matin qu'une boule de stress s'était formée dans mon estomac. Maudissant cette émotion que je ne ressentais que très rarement, j'entrepris de me lever et de faire quelques étirements dans l'espoir que mon angoisse disparaisse. Mais quand mes yeux se posèrent sur mon calendrier, elle redoubla d'intensité. Nous étions le 32 Monelia... soit un jour avant... la mort de Kyle... non, sa mort prévue. Ce simple adjectif changeait tout, car il n'allait pas mourir. Ma potion était prête et j'avais demandé quelques jours auparavant qu'une réunion des Hister-Moons soit organisée aujourd'hui. Oui... Kyle allait prendre ma potion et tout se passerait bien.
Je me préparai rapidement et sortis de ma chambre pour entrer dans mon laboratoire, où Aélyia m'attendait déjà. Elle abordait un air soucieux et me salua avec un enthousiasme trop réservé. Mais que lui arrivait-il aujourd'hui, elle qui était toujours de bonne humeur, voire trop enjouée ? Elle triturait l'une de ses longues mèches noires – à croire que toutes les filles avaient ce tic stupide quand elles stressaient, à mon exception près bien entendu – et je déclarai :
— Ne t'inquiète pas... la potion va marcher.
Ces simples mots eurent un effet bénéfique sur moi également, comme si j'avais besoin d'en être convaincue également. Néanmoins, Aélyia se contenta de baisser les yeux et il ne m'en fallut pas plus pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond.
— Qu'y-a-t-il ?
— Rien.
Son visage prit soudainement une couleur rouge tomate et elle quitta brusquement le laboratoire. Je soupirai : il ne fallait pas être un génie comme moi pour comprendre que quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi ne voulait-elle pas m'en parler ? Ou plutôt, pourquoi ne me faisait-elle pas confiance ? La potion allait marcher, c'était évident, puisque c'était moi qui l'avais concoctée. Je n'avais jamais échoué dans ce domaine ; ça ne pouvait pas commencer aujourd'hui.
Je me dirigeai vers mon étagère pour prendre les trois seringues que j'avais remplies la veille. Néanmoins, en les saisissant, le doute s'empara de moi et mes doigts se mirent à trembler. Et si Aélyia, Elena et tous les autres avaient raison et qu'elles ne fonctionnaient pas ? J'émis un grognement de contrariété, avant de renforcer ma prise sur les seringues. Non, ça allait fonctionner. Forcément.
Je quittai ensuite mon palais cendré pour invoquer l'Argentus, qui pour la première fois se montra réactif. Si ce n'était pas un signe d'encouragement ! Revigorée par cette constatation, j'entrai dans le manoir de Flamea avec enthousiasme, pour arriver dans notre salle de réunion, où mes sœurs, Kyle et Kurt étaient déjà présents. Ils étaient assis à leurs places respectives et fixaient tous la table d'un air morne, dans le silence désagréable. En m'entendant entrer, Elena releva la tête vers moi et un léger sourire apparut sur son visage trop attristé. Après les avoir salués avec entrain, dans l'espoir de faire disparaître cette atmosphère trop morose, je m'écriai en posant avec enthousiasme les seringues au centre de la table :
— Et voilà le travail ! Trois magnifiques potions pour Kyle, Kurt et le futur bébé d'Angie !
À la réflexion, j'aurais peut-être dû travailler davantage mon accroche. Car celle-ci fut désastreuse. Kyle se releva vivement et s'exclama en me jetant un regard furibond :
— Comment ?! Le bébé d'Angie ?!
Kyle leva les yeux au ciel tout en soufflant :
— Dites-moi que je rêve... Vous n'êtes vraiment que des crétins sans cervelle !
— Kyle ! s'indigna Kurt, se levant à son tour pour foudroyer son frère du regard.
— Tu es... commença Kyle avant de s'arrêter, ne trouvant comment compléter sa phrase.
Le dieu semblait bouillonner de rage et il finit par achever sa phrase au bout de quelques instants :
— Irresponsable et sot !
— Comme s'il valait mieux se disputer avec son amoureuse toute la journée ! rétorqua Kurt d'un ton sec.
Inutile de préciser que la salle fut brusquement plongée dans un silence tendu. Elena était devenue rouge comme une pivoine et elle avait enfoui son visage entre ses mains. Angie regardait la table comme si c'était la chose la plus passionnante du monde. Kyle et Kurt semblaient vouloir s'entretuer du regard, et je n'aurais pas été surprise de les voir se battre. Et moi j'étais au milieu de tout ça.
Je poussai un long soupir, ne comprenant pas comme nous avions pu en arriver là. L'amour, ce n'était pas bon visiblement, heureusement que je m'en étais écartée. Ou plutôt, il t'en a écartée en se suicidant... Je fis taire cette désagréable voix en secouant la tête. Il y avait plus urgent aujourd'hui. J'inspirai profondément, avant d'intervenir au milieu de cette ambiance électrique :
— Les potions sont prêtes ! Il ne reste plus qu'à les injecter dans votre sang avec les seringues et la maladie disparaîtra !
Peut-être aurais-je pu décrire de façon plus élégante pour eux, mais la forme n'était pas importante. Enfin peut-être.
— C'est ça... marmonna Kyle avec un optimisme à faire peur. Pourquoi y a-t-il trois couleurs différentes ? Pourquoi vert, rouge avec des reflets gris et incolore ?
— Ah... fis-je avec un air gêné. Elles sont personnalisées... Le vert pour toi, le rouge-gris pour Kurt et l'incolore pour le bébé...
— Pourquoi est-ce personnalisé ? demanda Kurt avec incrédulité.
— Euh...
Elena et moi nous jetâmes un regard embarrassé. J'aurais préféré qu'ils ne posent pas la question, mais c'était bien entendu absurde de ma part que de penser qu'ils auraient pris la potion sans discuter. Tandis que je cherchais un moyen d'expliquer sans trop me les mettre à dos, Angie s'exclama, à mon plus grand désarroi :
— J'ai compris ! C'est pour ça que tu m'as demandé de te ramener des cheveux de Kurt !
— QUOI ? hurlèrent les deux frères en même temps.
Kurt se retourna alors vers son épouse et demanda d'un ton faussement amusé :
— Angie, à quoi correspondent ces cachoteries ?
— Kurt, Sinistra m'a juste demandé de lui ramener quelques-uns de tes cheveux pour la potion. Ce n'était pas vraiment compliqué et je ne voyais pas l'utilité de t'en parler.
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
— Car tu aurais refusé.
La réponse ne venait pas d'Angie mais de Kyle qui poursuivit avec davantage de haine :
— Et pour moi ? Vous les avez pris quand ? Quand tu es venue me voir, Sinistra, pour me parler de la téléportation ? Et toi, Elena, tu es rentrée dans ma chambre pour chercher des cheveux pendant ce temps, c'est ça ?!
Devant notre absence de réponse, il nous foudroya toutes les deux du regard, avant de rajouter à l'intention d'Elena :
— Trop lâches pour me le demander en face. Vous êtes pathétiques toutes les deux avec vos stratagèmes ridicules. D'un autre côté, vous avez bien fait, car j'aurais refusé. Tout comme je refuse maintenant de prendre cette potion.
— Kyle ! Mais... commençai-je à protester en vain.
— Tais-toi !
Un silence affreusement malsain s'installa entre nous, jusqu'à ce qu'Angie ne le rompît par l'une de ses questions stupides :
— Tu es sûre que c'est sans danger pour un bébé, Sinistra ?
— Angie ! protestai-je. Ce n'est pas la priorité maintenant ! Nous sommes le 32 Monelia et...
— Pas besoin de le rappeler ! coupa Kyle avec énervement. Je sais parfaitement que c'est mon dernier jour à vivre. Et, comme je viens de le dire, je ne vais pas le gâcher à m'injecter cette immondice verdâtre. Ni d'ailleurs à participer à une ultime discussion stupide des Hister-Moons. Je ne sais même pas pourquoi je suis venu ; peut-être la nostalgie de nous revoir une dernière fois.
Il se leva précipitamment mais Elena l'interpella en se levant d'un bond de sa chaise :
— Kyle ! Mais que racontes-tu, à la fin ? Cette potion est le remède pour...
— Vous croyez toujours qu'il existe un remède ?! Pour la dernière fois, cessez d'être aveugles ! Il n'en existe pas et je ne vois pas l'utilité de débattre là-dessus ! Personne ne pourra jamais trouver une solution, pas même toi, Sinistra, sans vouloir te vexer. Vous avez perdu votre temps ! Un temps que vous auriez pu passer avec nous au lieu d'essayer de le prolonger vainement ! Mais non, vous avez préféré toutes les deux vous reclure dans un laboratoire. Voilà pourquoi je pense depuis le début que vous faites comme si la maladie n'existait pas : vous nous IGNOREZ !
Le ton de Kyle affligea Elena qui recula de quelques pas, mais je refusai de me laisser démonter ainsi. Je rétorquai alors, la colère me gagnant progressivement :
— Attends ! Tu es vraiment en train de me dire que tu ne vas pas boire ma potion et que tout ce que j'ai fait depuis trois mois ne sert à rien ?! Je n'arrive pas à y croire !
— Nous t'avons déjà dit un nombre incalculable de fois que ça ne servirait à rien, mais tu as toujours été trop obsédée par prouver que les humains étaient supérieurs aux dieux, que tu n'as même pas pris conscience de la réalité !
— Prends la potion, immédiatement ! s'exclama Elena.
— Tu n'as pas à me donner d'ordre, Elena. Je fais ce que je veux.
— Kyle, interrompit son frère. Ça ne coûte rien de la prendre...
La colère du dieu de l'illusion sembla retomber et je fus très reconnaissante envers Kurt. Pour une fois qu'il faisait preuve de plus de bon sens que son cadet. Malheureusement, celui-ci ne voulut pas changer d'avis :
— Kurt, je me suis résigné à mon sort depuis déjà longtemps. Je ne vais pas changer d'avis, c'est tout.
Il nous tourna le dos et commença à se diriger vers la sortie de la pièce, mais Elena lança avec rancœur :
— Tu es égoïste.
Kyle se retourna vers elle et lui jeta un regard noir, tandis qu'elle enchaînait :
— J'admets parfaitement que tu n'aies plus aucun espoir quant à ta guérison, mais ce n'est pas notre cas. Alors, prends la potion, non pas pour toi, mais pour nous.
Son ton s'était radouci sur la fin ; sûrement avait-elle compris comme moi que la colère ne fonctionnerait pas contre Kyle. Celui-ci eut un instant d'hésitation avec de répondre, la voix légèrement vacillante :
— Il n'y a jamais eu d'espoir, Elena, et il n'y en aura pas...
Il se retourna hâtivement, trop hâtivement pour que cela ne serve pas à cacher sa souffrance, et sortit de la pièce. Elena récupéra la seringue verte pour la mettre dans sa poche de sa robe et se précipita à sa poursuite. Je l'imitai, mais elle m'arrêta :
— Non, Sinistra, s'il te plaît... Je veux lui parler, seule.
Nous échangeâmes un dernier regard et je lui obéis. Je la regardai partir, espérant de tout cœur qu'elle parviendrait à persuader Kyle de boire la potion. Cela faisait des jours qu'ils n'étaient pas en bons termes, alors pourquoi avais-je l'espoir que cette fois serait différente ? Pouvais-je vraiment me permettre cet espoir... ? Quel autre choix avais-je de toute façon ? Je devais lui faire confiance. Tout comme elle m'avait fait confiance. L'esprit plus serein, je refermai la porte, le symbole de ma décision.
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