Chapitre 17 - Partie 2 - Une amitié avec un ennemi

Je passai mon après-midi dans l'une des grottes en compagnie de Maman, Selina et Hector. Pas celle que nous avions eu le malheur de visiter la veille, bien entendu. Les adultes avaient insisté pour nous accompagner, afin de trouver un lieu sûr pour la réalisation du projet de l'armée. Nous avions choisi les grottes, qui, malgré le secret qu'elles contenaient, restaient un lieu parfait. Bien sûr, Maman m'avait interdit d'emmener Selina dans la plus grande d'entre elles et je ne comptais pas lui désobéir.

Nous passâmes ainsi l'après-midi à discuter des futurs robots qui composeraient l'armée de Flamea : leur forme, les matériaux nécessaires à leur construction, leurs armes, leurs armures, leur façon de communiquer entre elles, et tant d'autres choses. Sélina avait adopté le rôle de scribe et j'avais préféré ne pas interférer avec elle en faisant la même chose.

Le seul point sur lequel nous fûmes tous d'accord fut leur matériau de construction à savoir du métal. Les armes furent en revanche un grand sujet de débat.

— Ils pourraient avoir des lances, qu'ils lanceront sur l'ennemi, suggéra Maman, les yeux levés vers le plafond de la grotte comme si elle s'imaginait mentalement les robots.

— Ainsi que des épées, compléta Hector.

— Ce seraient donc des humains, marmonnai-je.

— Bien sûr. Que voudriez-vous qu'ils soient, Votre Altesse ? Nous n'allons pas créer des fourmis ! rétorqua Hector, d'un ton qui frôlait presque le manque de respect.

Le commandant de l'armée semblait assez irascible en ce jour, et je me doutais d'un lien quelconque avec la conversation que Maman avait eue avec lui sur notre excursion de la veille. De toute évidence, elle n'avait pas pu lui révéler la vérité et Hector avait dû en être contrarié. Je chassai ces pensées pour argumenter sur le sujet du moment :

— Les humains ne sont pas les êtres vivants les plus vifs et les plus combattifs. Nous tirons notre force des armes et des armures que nous créons, pas de notre constitution.

— À quoi penses-tu ? s'enquit Maman.

Un regard bienveillant, que je n'avais pas vu depuis quelques jours, s'était dessiné sur son visage et je sentis la joie m'envahir. Enfin, elle semblait redevenir normale. Je profitais de cet instant pour répondre à sa question et exposer mon petit projet :

— À un animal rapide, offensif et mortel... Qui inspire la peur à la plupart des gens le voyant.

— Comme quoi ?

— Une araignée.

— Quoi ? s'exclama Hector. Si je me puis me permettre, Votre Altesse, c'est une idée des plus stupides ! Les araignées sont toutes petites !

— Rien ne nous empêche de l'agrandir ! objectai-je. Des grandes araignées robotisées, qui fondent à toute vitesse sur les ennemis et...

— Les mordent mortellement, rajouta Selina, avec un petit sourire cruel, faisant tournoyer son crayon entre ses doigts. C'est une superbe idée ! D'autant plus que les humains ont généralement peur de ces bêtes comme tu l'as souligné Ardalis ! Alors, dix fois plus grandes... je n'ose pas imaginer leur phobie !

Je lui adressai un sourire pour la remercier de son soutien inattendu, surtout qu'elle avait oublié les événements qui nous avaient rapprochés.

— Elles pourraient effectivement avoir une armure de métal en plus ! renchérit Maman. Néanmoins, comment comptes-tu les fabriquer ? Il leur faudra des larges crocs aiguisés que l'on peut certes faire en métal, mais également une réserve de venin mortel. Or, le venin risque d'être difficile à trouver...

Je ne sus que répondre : c'était une question que je ne m'étais pas posée. J'ignorais où nous pouvions trouver des araignées mortelles. En tout cas, pas sur Flamea où la chaleur aurait rendu impossible toute vie arachnide. Je réfléchis quelques instants, ne désirant pas abandonner aussi vite mon ingénieuse idée, et soudain, un éclair de génie traversa mon esprit... la tarentule grimpant au mur de la chambre de Morior.

— Sur Terrumbra, répondis-je succinctement.

— Quelle magnifique idée ! ironisa Hector. Utilisons les ressources de notre ennemi pour fabriquer une armée ! Votre Altesse, je vous en prie, faites un effort pour vous concentrer !

— C'est trop risqué, approuva Maman.

C'en fut trop pour que je me taise, et je m'indignai :

— Quoi ?! Tu étais prête à m'envoyer sur Terrumbra pour faire des leçons de télépathie avec un vieil homme dégénéré et tu trouves trop risqué d'emprunter quelques tarentules sur leur planète !

— Tu sais comment ce sont finies tes leçons de télépathie, rappela Maman. Et je doute que Maurice accepte de te revoir sur sa planète.

— Maurice, peut-être pas... murmurai-je, un nouveau plan s'échafaudant dans mon esprit. Mais Malefik...

— Malefik ? s'étonna Maman en fronçant ses sourcils flamboyants. Quel est le rapport ?

— Depuis ma première leçon, il se montre gentil avec moi et essaye de devenir mon ami... expliquai-je, sans réellement prendre conscience des conséquences de ces paroles.

— Comment ?! s'exclama Hector. Un prince de Terrumbra ne peut pas être ami avec un prince de Flamea, Votre Altesse ! Le monde n'est pas fait pour que nous créions des liens d'amitié avec des habitants d'autres planètes. C'est inscrit depuis le commencement et la chute des premiers dieux.

Je levai les yeux devant cette explication absurde. J'aimais énormément ma sœur, bien qu'elle habitât Laïa, et rien ne pourrait briser cet amour. Cependant, je devais admettre qu'Hector avait en partie raison. J'avais moi-même trouvé étrange que Malefik veuille être mon ami. Les planètes n'étaient peut-être pas faites pas s'entendre, à l'exception de certains liens familiaux...

— Bon oublions les tarentules, fit Maman. Tu es d'accord Ardalis ?

Avais-je seulement le choix ? Je n'avais pas suffisamment réfléchi à ce projet pour pouvoir le défendre sérieusement, si bien que je me contentais de hausser les épaules :

— Très bien. Adieu le projet des tarentules.

— Sage décision, Votre Altesse, approuva Hector. Bon, reprenons.

— Non, interrompit Maman, en étouffant un bâillement. Je pense que nous avons assez réfléchi pour aujourd'hui. Nous reprendrons la conversation demain.

L'étonnement envahit le visage d'Hector, mais Maman s'était déjà relevée, signe que toute négociation était impossible. J'échangeai avec Selina un regard surpris : pourquoi Maman voulait-elle terminer aussi hâtivement cet échange qu'elle avait elle-même entamé ? Hector semblait tout aussi intrigué mais il finit par se relever à son tour. Maman lui jeta un regard impatient et il se résigna à la suivre, après nous avoir souhaité une bonne fin d'après-midi. Selina et moi les regardâmes disparaître dans le couloir obscur de la grotte et, une fois qu'ils furent suffisamment éloignés, la jeune fille me demanda :

— Que comptes-tu faire ?

— Comment cela ? m'enquis-je, malgré une petite idée qui me venait en tête.

— Vas-tu vraiment abandonner le projet des araignées ?

— Maman et Hector le veulent...

— Mais, c'est toi le futur dieu protecteur de la planète... C'est à toi de décider, pas à eux !

— M'incites-tu à aller chercher des tarentules sur Terrumbra ?

— Disons que je trouve ton projet ingénieux et je pense que nous devrions l'approfondir...

Les paroles de Selina me redonnèrent courage et renforcèrent ma conviction : je devais parler à Malefik et le prier de me ramener quelques tarentules. Ensuite, je n'aurais qu'à les mettre dans un endroit frais et attendre qu'elles se reproduisent. Mais quel endroit frais ? Il n'existait pas de tels lieux sur Flamea... Un endroit frais...

Marina !

Bien évidemment ! Et en plus, je pouvais facilement aller sur cette planète, sans me faire repérer par les habitants. C'était décidé : j'élèverais mes tarentules dans la grotte de Marina.

— Tu as trouvé une idée ? s'enquit Selina, comme si elle avait perçu mon changement d'humeur.

Je réfléchis quelques instants : pouvais-je vraiment lui faire part de mon petit projet parallèle ? Et la réponse me parvint instantanément. Non, je ne pouvais pas. Car elle ne devait pas être au courant de l'existence des grottes et de Marina. Mes épaules s'affaissèrent face à cette constatation et je répondis sans oser la regarder :

— Non. C'est trop compliqué. Ton père a raison : les humains, c'est mieux.

— Quoi ?! s'exclama Selina, visiblement déçue.

— Ne fais pas cette tête ! C'était une mauvaise idée, et tu dois l'accepter.

— Ah ! soupira-t-elle avec énervement avant de se relever. Les garçons, toujours incapables de finir leurs projets jusqu'au bout !

Selina commença à s'éloigner en marmonnant des paroles presque aussi incompréhensibles les unes que les autres. Les seuls mots que je parvins à saisir furent "C'est toujours aux filles de régler les problèmes !" et je soupirai devant ce comportement puéril. Dans la même logique qu'elle, pourquoi fallait-il toujours que les filles s'occupent toujours de nos problèmes ? Ne pouvaient-elles pas, elles, nous laisser tranquilles ? Je chassai ces pensées d'un soupir : peu importe, je ne me laisserais pas déconcentrer et je mènerais tout seul mon projet à bien.

Personne ne se préoccupant réellement de moi à cet instant précis, je profitai de cette occasion pour me rendre sur-le-champ sur Terrumbra. À peine étais-je arrivé sur la planète sombre et froide que je regrettai mon initiative. Si je ne croisais pas Malefik avant que Maurice ou Morior ne me trouve, je ne donnais pas cher de ma peau. Ou si le jeune dieu du mal refusait tout simplement de m'aider. Cependant mes doutes furent immédiatement démentis : Malefik se dirigeait, seul, vers moi d'un pas nonchalant. Il annonça d'un ton tranquille, une fois arrivé à ma hauteur :

— J'avais comme l'intuition qu'il fallait que j'aille me promener un peu en cette fin d'après-midi... et, je n'ai pas eu tort à ce que je vois... Tu as bien de la chance.

Ses paroles étaient emplies de mystères mais je ne pus l'interroger car il poursuivit d'un ton plus direct :

— Que fais-tu ici ? Je pensais que tu ne voulais plus me revoir.

Je m'étais préparé à cette question et je lui répondis sur un ton peu trop solennel :

— Je voulais m'excuser pour ma mauvaise humeur ainsi que pour l'attitude aigrie que j'ai eue envers toi ce matin : je n'aurais pas dû refuser notre amitié. Tu as raison : les planètes ne doivent pas se faire la guerre.

— D'accord...

Il n'avait pas l'air très convaincu par mes dernières paroles et il chercha à comprendre davantage :

— Cependant, je doute que tu sois venu ici, juste pour cela. Tu dois bien avoir une autre idée derrière la tête... Une idée qui t'aurait fait changer d'avis quant à notre amitié.

Autant lui avouer le motif de ma visite sans passer par de multiples détours :

— Oui, je ne peux rien te cacher. J'aurais besoin de quelques tarentules...

— Des tarentules ?! s'étonna Malefik. Mais pourquoi faire ?

Je ne pouvais bien évidemment pas lui révéler la vérité, et je déclamai le mensonge que j'avais préparé :

— Nous avons besoin de leur venin pour fabriquer des potions.

— Des potions ? Intéressant... Ne voudrais-tu pas que nous fassions ensemble les potions ? Cet art m'a toujours attiré, avec son côté énigmatique, je dirais presque démoniaque. Certes je n'ai jamais essayé, je préférais étudier les Sortilèges... Entre nous, les Sortilèges recèlent de nombreux détails fort intéressants et la complexité de la langue, les Runes Divines, offre diverses possibilités. De plus...

Était-il vraiment en train de me détailler ses activités quotidiennes qui ne m'intéressaient pas le moins du monde ? Je m'empressai de décliner sa proposition :

— Non, non, pas la peine de m'aider pour faire ces potions ! Je ne voudrais pas te déranger encore plus...

— D'accord... soupira Malefik avec une légère déception que je ne comprenais toujours pas. Je voulais juste t'aider un peu... Bon, combien t'en faut-il ?

— Une dizaine, si c'est possible...

— Eh bien, ma parole, vous aurez des potions jusqu'à la fin des temps ! s'exclama Malefik avec amusement.

— Cela ne te dérange pas ?

— Mais non ! C'est à cela que servent les amis !

Il hésita quelques instants, avant d'ajouter :

— J'aurais aussi une faveur à te demander...

Inutile de mentionner que mon sang se glaça dans mes veines quand j'entendis ces mots. Une faveur... Quel type de faveur ? Mon pouls s'accéléra, tant l'angoisse montait en moi, et je dus me faire violence pour rester calme et ne rien laisser paraître. Sentant que Malefik attendait une réponse de ma part, je me résignai à répondre d'un ton que je voulais sympathique :

— De quoi s'agit-il ? Je serai ravi de t'aider.

— J'aimerais visiter Flamea, répondit le dieu du tact au tact.

— Quoi ? ne pus-je m'empêcher de m'exclamer.

Je me maudis l'instant d'après, craignant que Malefik ne prenne mal cette remarque. Mais le dieu ne sembla pas s'offusquer de ma réaction car il poursuivit :

— Oui, je n'y suis jamais allé et mon père m'en a toujours formellement interdit. Mais j'aimerais savoir où et comment vous vivez. Et puis, comme nous sommes les futurs dieux protecteurs de nos planètes, cela ne pourrait que renforcer les relations pacifiques entre Flamea et Terrumbra. Relations pacifiques que nos ancêtres se sont d'ailleurs acharnés à détruire... à supposer bien sûr qu'elles aient existé un jour. Enfin, bref, cette visite ?

Il arrêta là son petit discours, avant d'esquisser un large sourire à mon intention. Sa bonne humeur disparut cependant l'instant d'après et Malefik déclara d'un ton presque pédagogique, voyant que j'hésitais fortement à accepter sa requête :

— Tu sais... Une amitié, c'est donnant-donnant.

— Je... je n'avais pas... l'intention de refuser... mentis-je, tout en maudissant mon léger bégaiement. Je réfléchissais juste au moment de la journée où ce serait le plus favorable...

— Cette nuit, imposa Malefik, à mon plus grand désarroi.

— D'accord, acceptai-je précipitamment, de peur qu'il rompe notre marché si je déclinais la visite.

Malefik me tendit sa main blanche, si fine qu'on aurait dit qu'elle appartenait à une fille, et je finis par la serrer après quelques instants d'hésitation. Un sourire de reconnaissance se dessina sur le visage juvénile et encore parfait de Malefik qui conclut :

— Très bien. À ce soir ici. J'aurai tes dix tarentules et nous visiterons ta planète.

Il relâcha ma main, avant de tourner les talons et de disparaître dans la brume épaisse. Ce fut qu'après avoir invoqué l'Argentus et être retourné sur Flamea que je me rendis compte des conséquences de notre accord. Si Malefik essayait de me trahir et s'il voulait visiter Flamea juste pour récolter des informations utiles en cas de guerre ? Mais il était désormais trop tard pour reculer. Je devais me tenir à notre accord, en espérant simplement qu'il ne porterait pas préjudice...

***

— Et voilà... murmura Arachtus en retirant doucement ses doigts des tempes d'Elena. Un autre passage terminé...

La jeune femme reprit ses esprits lentement, et sans parler elle commença à se diriger vers la prison d'un pas lent. Arachtus poussa un soupir et se résigna à suivre Elena, réfléchissant à ce qu'il pouvait bien lui dire pour la réconforter. Il finit par s'enquérir, sa curiosité l'emportant :

— Où en est la potion ?

Elena mit un long moment avant de répondre, si bien qu'Arachtus pensa que sa tentative d'instaurer une conversation avait échoué. Mais il se trompait car Elena finit par répondre :

— Je pense que Sinistra l'aura finie à temps... J'ai confiance en elle, mais je doute que Kyle et Kurt acceptent aussi facilement la prendre.

— Pourquoi refuseraient-ils ? s'étonna Arachtus. Ce serait stupide de leur part...

— Oui, mais ça ne me surprendrait pas.

Le ton froid et sec d'Elena incita Arachtus à se taire et le dieu se résigna à rentrer dans sa cellule. Alors qu'Elena le rattachait, il finit par déclarer :

— Tu devrais arrêter de me voir pendant quelque temps. Attends que Kyle et Kurt en soient tirés d'affaires. Cela vaudra mieux pour nous tous.

Elena se contenta d'acquiescer en silence, la même expression impassible figée sur son visage. Une expression impassible qu'Arachtus devinait aisément empreinte d'une souffrance refoulée, et qu'il ne savait pas comment soulager.

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