Chapitre 17 - Partie 1 - Une amitié avec un ennemi

« Un peu de patience, voyons, Mon cher ami... Le mois n'est toujours pas écoulé... Il reste encore quelques jours... »

***

— Alors, princesse ? Heureuse de me revoir ? Je t'ai manqué ?

Devant l'absence de réponse d'Elena, Arachtus devina :

— J'imagine que tu as parlé à ton petit chéri et que cela ne s'est passé comme tu voulais...

Elena se retourna vers lui, ses prunelles luisant d'irascibilité, et s'exclama :

— Kyle n'est pas mon petit chéri ! Il me déteste et c'est réciproque. Alors, arrête. Et cesse aussi de m'appeler princesse, c'est insupportable !

Elle enleva la chaîne d'Arachtus puis son casque d'Illidium. Le dieu resta silencieux quelques instants avant de poser ses mains sur les épaules d'Elena et de commencer d'un ton sérieux :

— Tu ne le penses pas, Elena... Tu devrais...

— Tais-toi ! Tes conseils sur ma vie sentimentale, je m'en passe ! se récria Elena en se dégageant de l'emprise d'Arachtus.

— Tu es injuste envers moi, soupira Arachtus en se levant péniblement. Ce n'est pas ma faute si...

— Je sais ! Arrêtons d'en parler, ce sera mieux pour nous deux.

Elena quitta la cellule et Arachtus entreprit de la suivre dans un silence pesant. Une fois arrivés dehors, Arachtus déclara :

— Je suis désolé de m'être mêlé à ta vie personnelle... je voulais juste t'aider car je sais que tu en souffres.

— Je ne veux pas en parler, Arachtus, alors arrêtons... s'il te plaît, rajouta Elena d'un ton plus doux.

Arachtus se résigna et s'apprêta à transmettre ses souvenirs, lorsqu'Elena l'interrompit :

— D'ailleurs, merci pour la bague de téléportation. Je l'ai remise dans tes affaires... nous n'en avons plus besoin.

Arachtus acquiesça silencieusement et s'abstint de poser la moindre question sur l'avancement de la potion, malgré sa propre curiosité. Il se contenta de poser ses doigts sur les tempes d'Elena avant de lui transmettre ses souvenirs.

***

— Décidemment les horaires, ce n'est vraiment pas ton fort, me sermonna Morior qui était en train de caresser délicatement, presque avec idolâtrie, une petite boule blanchâtre. Troisième fois sur trois que tu arrives en retard... Il est grand temps que je songe à une punition.

— J'ai été retardé par Maman...

— Bien sûr, il faut toujours rejeter la faute sur le dos des autres. Mais, bon, passons pour cette fois : je suis de bonne humeur.

Comme si un vieux grincheux tel que lui pouvait être de bonne humeur !

— Allez, je te laisse entrer librement dans mon esprit, déclara Morior avec un grand sourire déformé, tout en posant sur la table un tissu argenté qui s'apparentait à un mouchoir.

Je fus étonné par cet exercice : pourquoi Morior me laissait-il entrer en toute liberté dans son esprit ? Il y avait forcément un piège, surtout qu'il semblait beaucoup trop content. À contrecœur, je finis par me résoudre à obéir, ne sachant que faire d'autre. Mais dès que je sortis mon esprit, je me heurtai à une présence horriblement douloureuse... j'avais l'impression que ma conscience venait soudainement de s'enflammer sans que je n'en comprenne la raison. Je la retirai alors avec précipitation en hurlant :

— Mais que se passe-t-il ?!

M'insupportant plus que tout, Morior ricana avant de déclarer :

— De l'Illidium, mon garçon... C'est un métal rare, très dangereux, voire mortel, pour les télépathes.

— MORTEL ? m'écriai-je, hors de moi. Mais pourquoi dois-je risquer ma vie à chaque fois que je viens sur cette fichue planète ?

— Doucement... L'Illidium n'est mortel que si on lutte très longtemps contre lui.

— Mais même ! Ce n'est pas une raison pour me laisser faire face seul aux dangers mortels !

— Il arrivera un jour, mon garçon, où tu devras lutter contre des dangers seul, répliqua simplement Morior.

— Vous êtes censé m'apprendre à devenir télépathe ! Vous devez m'aider, au lieu de me laisser me débrouiller tout seul et vous moquer de moi à chaque fois où je commets une erreur !

— Il faut avouer que tes erreurs sont plutôt distrayantes, rétorqua avec amusement Morior avant de reprendre d'un ton sec : Assez, maintenant. Ce n'est pas non plus en te plaignant que tu apprendras.

Mes poings se contractèrent et je dus me faire violence pour ne pas renverser ce dieu sénile de sa chaise. Après avoir profondément expiré, je finis par demander :

— Comment pouvons-nous nous protéger de l'Illidium ?

— Il suffit de laisser notre esprit à l'intérieur de notre enveloppe crânienne.

— Et vous m'avez bien sûr demandé de faire le contraire, marmonnai-je, sentant la rancœur m'envahir à nouveau.

— Nous pouvons également recouvrir l'Illidium par l'un de ces six magnifiques voiles argentés constitués de minuscules particules de l'Argentus, compléta Morior, en me montrant le fin tissu grisâtre qu'il tenait dans sa main.

— Constitués de minuscules particules de l'Argentus ? répétai-je, sans comprendre ce que Morior voulait dire.

Ma curiosité était tout d'un coup beaucoup plus attisée par ces paroles, et je repris :

— Je croyais que l'Argentus était un rayon...

— Tout rayon est composé d'infimes particules...

— Et comment avez-vous fait pour les isoler ?

— Oh, ce n'est pas moi qui ai créé ces voiles, mais les six premiers dieux, fondateurs de l'Argentus. Il y avait six voiles, mais trois ont été détruits et un porté disparu.

— Détruit ? Qui aurait voulu les détruire ?

— Nous étions quatre télépathes, avec chacun un voile : Oceann, Chronia, Tenebrus et moi. Nous les avons chacun hérité de nos parents : Oceann de sa mère, et Chronia, Tenebrus et moi de nos pères. Ma mère avait conservé le cinquième exemplaire, mais, à sa mort, il a été perdu. Cette petite peste d'Oceann a détruit le sien et a exhorté Chronia et Tenebrus à en faire de même.

— Quoi ? Pourquoi Oceann aurait-elle détruit des objets si précieux ?

— Je n'arrive pas à comprendre pourquoi tu t'obstines encore à penser qu'Oceann est une merveilleuse et gentille déesse, victime de l'agression de ses méchants demi-frères, et qu'elle est absolument incapable de faire du mal, notamment en détruisant trois des six voiles. Sache qu'il n'en est rien !

La réponse de Morior ne semblait être qu'une revanche envers sa demi-sœur et je la trouvais stupide : il ne m'avait pas du tout expliqué pourquoi Oceann avait détruit les voiles. Je décidai de ne pas m'attarder davantage sur ce sujet et demandai :

— Où est le dernier voile : celui de Natura ?

— Ah, tu percutes vite aujourd'hui, c'est étonnamment agréable.

Je m'efforçai d'oublier cette dernière réplique et lui laissai le temps de m'expliquer. Il semblait presque déçu de mon absence de répartie mais se résigna tout de même à répondre :

— Après qu'Oceann a détruit le sien, j'ai décidé de voler celui de Natura pour empêcher la déesse de le lui donner en vue d'être détruit.

— Donc vous en avez deux ?

— Oui et je les conserve très précieusement.

Morior afficha un étrange sourire, comme s'il semblait ravi et fier de posséder deux de ces voiles. Je ne voyais pas l'utilité de posséder deux de ces reliques.

— Où pouvons-nous trouver l'Illidium ? poursuivis-je.

— Il n'y en a qu'un seul petit gisement sur Terrumbra.

— Ne pouvons-nous pas le détruire ?

— Mais pourquoi ?

— C'est dangereux pour les télépathes... alors, autant le détruire et nous n'aurons plus de limites.

Morior émit un court ricanement et rétorqua :

— L'Illidium n'est pas une limite ; c'est une arme lorsqu'on sait bien s'en servir. De toute façon, nous ne pouvons pas le détruire.

Je fus surpris par cette réponse mais ne répliquai rien. Il était pour moi évident qu'il fallait à tout prix détruire l'Illidium, mais toute discussion avec Morior était vaine. Devant mon absence de réaction, il enchaîna, tout en recouvrant la boule blanchâtre d'un voile argenté :

— Bon, passons à l'exercice suivant. Nous allons étudier les illusions : torturer l'esprit de quelqu'un au plus haut point... Quel bonheur !

Non... je ne voulais en aucun cas refaire ce que j'avais réalisé involontairement la veille dans l'esprit du Roi. D'un autre côté, torturer Morior était plutôt tentant... Je m'efforçai alors de bien écouter ce qu'il me disait pour en tirer profit.

— L'illusion consiste à diffuser dans l'esprit de sa victime des images ou des souvenirs douloureux pour elle. Elle doit les prendre pour réalité ; cela la fera donc souffrir atrocement et le télépathe pourra sans problème contrôler tous les gestes de la personne. Utile, n'est-ce-pas ?

— Oui... marmonnai-je. Allons-nous vraiment essayer sur nous ?

— Bien sûr ! Quelle question absurde ! Comment veux-tu progresser si tu ne t'entraînes pas et que tu ne subis pas une illusion ?

— Je n'ai pas vraiment confiance en vous... Qui me confirme que vous n'allez pas me... ?

— Arrête avec tes suppositions ! Si j'avais voulu te supprimer de l'univers, je l'aurais déjà fait depuis longtemps ! Bien, commençons.

Je sentis l'esprit détestable de Morior s'infiltrer dans le mien. Le calvaire était de retour... Trois maigres jours pendant lesquels j'avais été tranquille. Je m'efforçai alors de bloquer la progression de Morior, mais sans y parvenir. Il était toujours trop fort pour moi... Je vis alors Maman qui était transpercée par des pics de glace ; elle se débattait avec désespoir contre un ennemi invisible. Une intense tristesse monta en moi et je me refusai à croire ce qu'il était en train de se passer. Pourquoi ?! Pourquoi était-elle en train de mourir ? Où était-elle ? Je devais aller la sauver... je devais intervenir... je ne pouvais pas rester sans rien faire ! Je voulus me lever, mais je me rendis compte qu'il m'en était impossible. Toute sensibilité semblait m'avoir délaissée et seules ces images de Maman souffrant le martyre me parvenaient à l'esprit... NON ! Comment pouvait-elle mourir d'une telle façon ? Non, je ne pouvais pas y croire... Ce n'était pas la réalité ! La réalité... Où était la réalité ?

Et soudain, je compris. Tout n'était qu'une illusion. Mon instinct prit le dessus sur ma conscience. Fou de douleur et de colère, je perçai les défenses mentales de Morior et entrai dans son esprit. Je répétai exactement le même processus que la veille en diffusant dans l'esprit de Morior des images tout aussi cruelles les unes que les autres, représentant toutes sa propre mort de diverses façons atroces. Mais je fus interrompu avant d'avoir pu l'achever. Je me sentis soudainement expulsé de l'esprit de Morior, rompant ainsi toute communication, et le dieu sénile s'exclama, les mains pressées sur ses tempes comme s'il souffrait à son tour le martyre :

— Mais qu'as-tu fait ?!

— Je ne sais pas... répondis-je avec haine. Vous n'aviez pas le droit de montrer ma mère morte ! Elle ne mourra pas !

— La mort est un phénomène naturel !

— Alors, vous ne devriez pas être effrayé par la vôtre !

— Tu allais me tuer avec une illusion lors d'un exercice !

— Je ne contrôlais pas ma défense légitime !

— Assez ! Je ne veux plus faire cours avec un tel monstre. Sors immédiatement de la pièce et ne t'avise plus à revenir ici !

Vraiment ? Il me congédiait ? C'était trop beau pour être vrai... Je mis quelques instants à prendre conscience de cette réalité, puis je rétorquai avec un mélange de mépris et de joie :

— Comme si j'aimais ces séances ! J'ai rêvé de ce moment depuis si longtemps, alors vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis heureux de vous quitter à jamais !

Je me levai précipitamment et quittai la pièce sombre sans me retourner. Un intense sentiment de liberté et de puissance m'envahit et je dus me retenir pour ne pas crier de joie. J'avais réussi à vaincre Morior ! Enfin, j'étais libre ! Cependant, comment avais-je réussi à le battre ? Tous ces actes, comme ceux avec le Roi, demeuraient toujours un mystère pour moi... Mais, après tout, si mon esprit était capable de se défendre tout seul, pourquoi chercher à en comprendre davantage ?

Ma joie fut cependant coupée lorsque Maurice se téléporta en compagnie de son fils juste devant moi. Mes muscles se raidirent brusquement et des gouttes de sueur se mirent à perler sur mon front lorsque le dieu me demanda d'un ton accusateur :

— Je viens d'apprendre ce qu'il s'est passé avec Morior ! Comment un enfant comme toi peut-il insulter autant un vétéran ?

Ma crainte disparut aussitôt, l'assurance reprenant le dessus, et je rétorquai du tact au tact :

— C'est sa faute. Il n'avait qu'à ne pas me montrer ma mère en train d'agoniser.

— Tu es bien sûr de toi pour ton jeune âge... articula Maurice avec un dédain ostentatoire. Ne t'avise plus à revenir sur Terrumbra. Pars !

Maurice se téléporta, mais Malefik resta devant moi, avec un sourire amical.

— Ne t'en fais pas. Ils ont juste un peu peur de toi, et ils ont raison. Tu es vraiment talentueux pour un adolescent. Un grand destin t'est promis, Ardalis.

— Qu'en sais-tu ?

— Mon frère est voyant.

Voyant ? Son frère prédisait donc l'avenir ? Étonnant comme pouvoir... Je remarquai alors que Malefik ne s'apprêtait toujours pas à partir et qu'il semblait hésiter à en ajouter davantage. Je finis par demander :

— Mais que veux-tu au final ?

— Juste te féliciter pour ta victoire sur Morior. Personne n'a jamais réussi à le vaincre. Et puis... commença-t-il avec une certaine hésitation avant de poursuivre d'un ton plus assuré : Je pensais que nous pourrions toujours être amis...

— Pourquoi t'obstines-tu à vouloir être gentil avec moi ? m'étonnai-je.

— Nous ne sommes pas tous pareils sur Terrumbra. Tu trouves mon père et mon grand-père cruels et je te l'accorde. Mais, je ne suis pas comme eux. L'entente est possible entre les planètes, j'y crois du moins.

Cette déclaration me surprit encore une fois et je répliquai assez sèchement face à l'impossibilité de la situation :

— De toute façon, je ne peux pas revenir sur Terrumbra et je doute que ma mère t'accepte sur Flamea.

— C'est vrai... C'était juste pour que tu te rappelles où tu pouvais trouver quelqu'un de confiance.

À ces mots, il m'adressa un timide sourire, avant de se détourner et s'éloigner. J'étais sidéré par son comportement que je ne parvenais toujours pas à comprendre. Pourquoi voulait-il être mon ami, alors qu'une guerre semblait se profiler entre nos deux planètes ? Supposant qu'il avait subi trop d'illusions de la part de Morior et qu'il était devenu totalement fou, je m'éloignai en direction de la sortie du palais.

Lorsque je parvins enfin à l'air libre. Enfin, si on pouvait appeler ainsi l'atmosphère obscure et étouffante de Terrumbra. La magnifique lueur de l'Argentus m'enveloppa, je sentis un poids s'ôter à l'intérieur de moi-même. J'étais enfin dispensé de ces horribles séances de télépathie avec Morior... J'étais libre.



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