Chapitre 16 - Partie 4 - Six souriceaux
— Nous avons terminé, Aélyia... soupirai-je, en me relevant. Il ne nous reste plus qu'attendre...
Je la vis acquiescer lentement de la tête, son air étant devenu cependant anxieux et ayant perdu toute trace de gaieté, comme préoccupé par quelque chose que j'ignorais. Décidément... je ne comprendrais jamais les humains – ou les dieux – et leurs réactions paradoxales... Heureusement que les petites bêtes comme les souris et les araignées, c'était plus simple !
***
Il faisait nuit lorsque la porte du laboratoire de Sinistra s'ouvrit silencieusement. Une silhouette élancée y pénétra, tenant dans une main une bougie. À peine aperçurent-ils la faible lueur de la chandelle illuminant les prunelles noires de la silhouette, que les six petits souriceaux pointèrent le bout du nez hors de leurs cages. En voyant l'ombre se rapprocher d'eux, l'un des souriceaux, le plus gros d'entre eux, s'agita davantage, commençant à tourner en rond, comme s'il tentait d'attraper sa queue. La silhouette émit un léger rire enfantin face à cet élan frénétique, avant d'ouvrir sa cage pour libérer le petit animal. Le souriceau s'extirpa alors vivement de sa couchette et se précipita en direction de l'étagère. La forme se mut rapidement jusqu'à lui avant de l'emprisonner sous ces fins doigts blancs.
— Doucement, mon petit... murmura la voix cristalline, en se mettant à genoux à côté de lui. Je ne te veux aucun mal.
Elle souleva lentement ses doigts et tendit sa main au souriceau qui n'hésita pas un instant avant de grimper dessus. Tandis que le souriceau s'amusait avec l'une de ses longues mèches noires qui retombait tout près de lui, elle posa la bougie sur le sol poussiéreux. Elle fouilla dans sa poche pour sortir quelques graines, qu'elle présenta au petit animal.
— Des graines de pavot, petit... Manges-en...
Le souriceau renifla les petites graines avant d'en avaler deux puis trois et quatre. Elle se releva alors, pour déposer le souriceau dans sa cage à côté de celles de ses frères. Puis elle tendit aux cinq autres à travers les barreaux de leur clapier les graines de pavot qu'ils s'empressèrent d'avaler. Le premier émit alors un petit couinement, avant de frotter sa paillasse avec frénésie. La jeune femme rouvrit la cage, incapable de résister davantage au charme du petit souriceau, et celui-ci se précipita pour grimper de nouveau sur sa main. Elle esquissa un sourire face au geste adorable de la petite souris, et murmura :
— Vous grandissez tellement vite !
Elle caressa pour une dernière fois son dos duveteux et, à contrecœur, elle le reposa dans sa couchette pour le renfermer. Elle devait à présent moudre les graines restantes... pour introduire la poudre ainsi obtenue dans les flacons de la potion. Elle reprit alors sa bougie pour la poser sur la table. Elle alla chercher le mortier et le pilon rangés dans l'un des placards et entreprit de moudre les graines. Elle se dirigea ensuite vers l'étagère pour récupérer les six flacons où se trouvait la potion. Deux d'entre eux contenaient un breuvage de couleur verdâtre, deux autres étaient rouges aux reflets gris tandis que les deux derniers étaient incolores. Elle ôta le bouchon des six potions avant de verser une pincée de la poudre de pavot dans chaque. Les six breuvages frémirent légèrement face à cet ajout et la jeune femme les reboucha. Elle les agita légèrement pour homogénéiser le mélange, avant de les reposer à la même place sur l'étagère. Elle nettoya ensuite soigneusement le mortier et le pilon pour les ranger dans le placard. Après avoir vérifié une dernière fois que tout était bien en place comme avant, elle quitta le laboratoire.
Elle avait fait ce qu'il lui avait demandé. Quand elle l'avait revu ce matin... ce matin du 1er Monelia*. Donne aux souriceaux des graines de pavot... Et rajoute dans la potion, celle que ta maîtresse a injectée aux souris, de la poudre de pavot. Elle a oublié cet ingrédient. La potion ne fonctionnera pas sans. Je ne veux que leur bonheur, à Kurt et Kyle... Crois-Moi. Et elle avait obéi... car elle était intimement convaincue qu'il ne lui mentait pas.
***
J'étais tranquillement assise sur mon fauteuil, observant mes petits souriceaux qui pour la plupart s'amusaient dans leurs cages, constatant avec joie que la potion semblait avoir des effets particulièrement bénéfiques sur eux. Ils paraissaient même plus dynamiques que les jours précédents où j'avais trouvé qu'ils manquaient un peu d'énergie. Sûrement le temps que la potion fasse son effet. Ma contemplation de ces adorables petites souris fut rapidement interrompue par l'arrivée d'Elena dans mon laboratoire. Après m'avoir adressé un bonjour plutôt timide – ce qui ne manqua pas de me rappeler notre dernier échange particulièrement froid –, elle se dirigea vers les cages de mes souris pour déclarer avec un certain enthousiasme devenu trop rare chez elle :
— Elles ont l'air de bien se porter !
— Oui ! approuvai-je, en quittant mon fauteuil pour m'accroupir à ses côtés. Elles se portent à merveille et sont de plus en plus dynamiques. La potion fonctionne bien.
— Oui. Mais attendons quand même qu'elles grandissent davantage... Ces deux-là sont encore petites.
J'approuvai d'un signe de tête. Kyle 1.3 et Kurt 1.1 avaient toujours été les deux plus petits souriceaux et ne grandissaient que très lentement. Au contraire de Kurt 1.3 qui regorgeait de vitalité et d'énergie, et de Kyle 1.2 qui était de loin la souris la plus empâtée. Je souris à l'idée de présenter cette dernière à Kyle qui serait sûrement indigné de se voir avec autant d'embonpoint.
Elena finit par se relever et je l'imitai, tentant désespérément de trouver un sujet de conversation où nous ne disputerions pas. Elle se contenta de se déplacer tranquillement dans mon laboratoire, comme si c'était la première fois qu'elle le voyait et je la suivis du regard. Elle s'appuya contre mon établi et déclara avec un semblant de bonne humeur :
— Ton laboratoire est vraiment très propre...
— Merci... enfin, c'est Aélyia qui fait le ménage...
Le regard d'Elena se détourna et je me maudis. J'avais encore anéanti la conversation que nous avions commencée... Enfin, la propreté de mon laboratoire n'était pas vraiment un sujet. Je remarquai alors, à ma plus grande surprise, qu'Elena s'était accroupie à côté de ma table et semblait être en train de ramasser quelque chose qui traînait par terre. Je me dirigeai vers elle, curieuse de savoir ce qu'elle avait trouvé, lorsqu'Aélyia entra dans la pièce, apportant un plateau-repas. Elena se désintéressa de ce qu'elle avait ramassé pour saluer la jeune femme et lui adresser ses compliments quant à la propreté du laboratoire. Aélyia parut surprise par la remarque et après avoir remercié Elena, elle déposa le déjeuner sur mon établi. Je reportai mon attention sur Elena et demandai :
— Qu'as-tu trouvé par terre tout à l'heure, Elena ?
Tandis qu'Aélyia se dirigeait vers le coin de la pièce où était rangé le balai pour commencer son habituel ménage de début d'après-midi, ma sœur ouvrit sa main et je découvris alors qu'il s'agissait de graines de pavot.
— Ah... Ce ne sont que des graines de pavot...
J'entendis à ce moment Aélyia pousser un cri et je me retournai vivement vers elle :
— Qu'y-a-t-il ?
Son visage rougit instantanément et elle finit par bafouiller :
— Euh... rien... Je me suis juste cogné le coude contre l'étagère...
— Tu veux une potion contre les hématomes ? demandai-je.
— Non, non... s'empressa de décliner Aélyia, de plus en plus mal à l'aise. Tout va bien... Pouvez-vous partir ? Il faut que je passe le balai...
J'acquiesçai tandis qu'Elena mettait à la poubelle les quelques graines de pavot. C'étaient sûrement celles que j'avais utilisées pour concocter mes potions énergisantes quelques jours plus tôt. Je me gardai bien sûr d'en faire part à Elena car elle aurait sûrement réagi de manière démesurée en soulignant les effets négatifs de cette plante sur la santé. Enfin, c'était quand même étrange qu'elles traînent toujours par terre après tant de temps, d'autant plus qu'Aélyia avait fait plusieurs fois le ménage depuis... Je haussai les épaules, me disant qu'il s'agissait seulement d'une légère négligence dans le travail d'Aélyia. Rien de bien important.
***
1er Monelia : 1er octobre.
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