Chapitre 16 - Partie 2 - Six souriceaux
— Donc le fait que je cherche une potion le rend d'humeur encore plus exécrable, compris-je avant de poursuivre sans laisser le temps à ma sœur de répliquer : Donc, c'est ma faute si vous vous disputez sans cesse.
— Mais non ! Tu n'y es pour rien : moi aussi je crois, ou du moins, je veux croire qu'il existe un remède... même si ce n'est sûrement pas le cas...
— Elena... Il existe un remède, je le sais. Nous devons poursuivre, Elena... Nous avons l'ingrédient spécial, maintenant ! Rien ne peut nous arrêter ! Viens, Elena. Allons voir ma nouvelle potion.
***
Je lui pris la main et nous sortîmes silencieusement du palais de Kyle, pour emprunter l'Argentus et rejoindre ma planète cendrée. Nous arrivâmes quelques instants plus tard dans mon laboratoire et je m'empressai de montrer à Elena les bocaux où grandissaient mes graines de lentilles. Et surtout celles du troisième bocal qui se portaient à merveille et rivalisaient presque avec celles du témoin.
— Elena... Regarde ce bocal de graines... Celui où j'ai injecté une potion faite avec la Pampelune, de la poudre de cactus, un copeau d'écorce de merisier, six zestes de pamplemousse, des racines de topinambour...
— Stop ! coupa Elena face à mon énumération qui ne semblait pas du tout l'intéresser à tort.
— Mais il y a encore de la peau de serpent moulue, deux pincées de poudre d'onyx...
— Mais oui, la poudre d'onyx ! N'oublions surtout pas la poudre d'onyx, enfin !
Face à la remarque sarcastique d'Elena, j'interrompis mon explication et déclarai avec enthousiasme :
— Regarde ! Les graines... elles sont toutes en pleine forme, comme celles du bocal témoin... Cette potion marche !
Je jetai un regard ravi à ma sœur, qui à ma plus grande surprise semblait toujours aussi maussade.
— Elena ? Tu n'es pas contente ?
Ma cadette mit un moment qui me sembla interminable à me répondre :
— La potion marche sur ces graines de lentilles, d'accord... mais sur un être humain ? Qu'est-ce qui te prouve que ça aura les mêmes effets bénéfiques ? Les plantes et les êtres humains doivent sans aucun doute être très différents, aussi bien du point de vue génétique qu'immunologique...
J'étais stupéfaite par la remarque de ma sœur. Je n'aurais jamais pensé qu'elle soit aussi renseignée dans ces domaines. Qu'Angie me tienne un tel discours, soit, mais Elena !
— Mais c'est déjà un bon début, contrai-je, refusant de me montrer aussi pessimiste qu'elle, même si je devais admettre qu'elle n'avait pas tout à fait tort. Et puis, c'était le seul moyen que j'avais pour tester rapidement mes potions. Celle-ci se démarque vraiment de toutes les autres...
— Nous devons faire d'autres tests alors, avant de la donner à Kyle et Kurt.
— Comment ?
— Nous ne pouvons pas nous permettre de leur donner un remède qui ne fonctionne pas, ou qui, pire, ne fera qu'aggraver leur état. Nous devons tester cette potion sur d'autres organismes...
— Mais nous manquons de temps pour faire davantage de tests... soupirai-je.
— Je sais. Il nous reste tout juste plus de cinq semaines, mais nous devons faire d'autres tests sur un organisme plus proche de nous...
— Les souris ! m'exclamai-je alors, prise d'un élan de génie – en toute modestie.
— Les souris ?
— Oui, dans un des livres qu'Angie m'a prêtés, il est écrit que les souris et l'homme sont assez proches immunologiquement parlant. Et puis, les souris, ça grandit vite, je suis bien placée pour le savoir !
— D'accord, si tu le dis... marmonna Elena, pourtant non convaincue.
— Qu'as-tu, Elena ?
— Je... je... ne suis pas sûre qu'il existe un remède...
— COMMENT ?! m'insurgeai-je.
Comment pouvait-elle me dire ceci, après toutes les étapes que nous avions franchies ensemble ? Après avoir vu les miracles que faisait cette potion sur les graines de lentilles ? Comment pouvait-elle avoir abandonné tout espoir ? Pourquoi maintenant ?!
Elena semblait toute confuse, perdue, et je devais avouer que je n'en menais pas large. C'était la meilleure nouvelle depuis des mois et seule la maussaderie était de la partie.
— Sinistra... je suis désolée... de montrer aussi pessimiste... mais... J'ai parlé avec Aélyia... et je me suis dit qu'elle avait peut-être raison... peut-être n'existe-t-il pas de remède, peut-être cherchons-nous en vain...
— Elena... commençai-je, tentant de choisir mes mots avec soin pour mieux la convaincre.
J'avais besoin de quelqu'un pour m'accompagner dans cette quête. J'avais besoin que quelqu'un crût à ce projet.
— Aélyia n'a pas vu les effets de cette potion. Elle ne sait pas à quel point ça s'est amélioré depuis la dernière fois où elle les a vues. Et puis, elle cherche toujours à me protéger, à m'épargner la souffrance de l'échec, tu l'as bien vu...
— Elle m'a dit que tu avais pris ces derniers jours des potions énergisantes, me coupa Elena d'un ton strict.
— Comment ? m'exclamai-je, stupéfaite qu'Aélyia eût autant parlé à ma sœur. Qu'est-ce qu'elle t'a dit d'autre sur moi ? Enfin... non, je ne veux pas le savoir finalement. Ce n'est pas ce qui importe : tout cela n'est que du passé. Nous avons devant nous le présent et l'avenir. Cette potion ! Elle constitue toutes nos chances ! Tu dois continuer à y croire, Elena. Car, de toute façon, je ne renoncerai pas : je n'ai jamais échoué dans le domaine des potions. Ce n'est pas aujourd'hui ou demain que ça commencera !
Je crus voir une lueur d'espoir passer dans les prunelles noisette de ma sœur et je me réjouis de l'effet bénéfique de mon petit discours. Si j'avais su plus tôt que j'étais une excellente oratrice !
— Très bien, Sinistra... Je vais continuer de t'aider, si tu acceptes...
Je lui adressai un grand sourire, tandis qu'elle continuait :
— Nous allons donc tester les potions sur les souris... ?
— Oui... répondis-je vaguement, réfléchissant la manière dont nous allions procéder : Nous devons injecter la potion mélangée au sang contaminé à ces six souriceaux.
Je désignai d'un geste de la main un coin de mon laboratoire où était installée la cage de mes adorables souriceaux qui avaient déménagé avec moi de mon laboratoire de Moons. Mon cœur se serra en pensant qu'ils allaient peut-être mourir à cause de ces expériences, mais cette pensée fut vite remplacée par la vision de Kurt et Kyle agonisants.
— Aux six ? s'enquit Elena.
— Oui... Nous serons ainsi sûres des résultats, déclarai-je, alors qu'une idée supplémentaire germait dans mon esprit face à la remarque d'Elena. Nous pouvons injecter à trois d'entre eux le sang de Kurt et aux trois autres celui de Kyle. Comme cela, nous serons sûres que les deux frères présentent bien les mêmes symptômes.
— Et si ce n'est pas le cas ?
— C'est fort peu probable, rétorquai-je, me refusant d'imaginer pour l'instant ce cas de figure. Ils sont atteints tous les deux de la maladie mais deux vérifications en valent mieux qu'une. Et puis, si ce n'est pas le cas, rajoutai-je en voyant l'expression toujours aussi anxieuse d'Elena, nous trouverons une autre solution, ne t'inquiète pas.
Elena poussa un soupir non convaincu mais elle finit par se résigner, enchaînant alors sur un autre sujet :
— Comment comptes-tu récupérer le sang de Kyle ? Je doute qu'il se montre très coopératif...
Mais déjà je ne l'écoutais plus. Je venais de me rappeler que mes trois flacons contenant le sang de Kurt étaient vides ; j'avais déjà utilisé tout leur contenu pour les expériences précédentes sur les graines de lentilles. Et vu le mal que j'avais eu à le récupérer la première fois – Kurt s'était en effet montré très peu enthousiaste à l'idée de ce prélèvement sanguin –, je n'avais pas très envie de devoir lui en demander à nouveau. Surtout que je venais de le rabrouer sèchement ce matin. Et aussi j'aurais été obligée de lui faire part de l'avancement de la potion et qu'il n'aurait pas manqué de rabâcher bêtement qu'il n'existait pas de remède.
Une idée illumina alors mon esprit, répondant à la fois à mon interrogation et à celle d'Elena. Des cheveux ! C'était tout de même plus simple à demander qu'un prélèvement de sang. D'autant plus qu'Angie pourrait très facilement me donner ceux de Kurt ; il suffisait juste que je mette un peu mon ego de côté pour oser formuler une telle requête à ma jumelle que je n'avais plus très envie de voir. Je fis part de ma brillante idée à Elena qui abordait toujours un air maussade :
— Tu as raison, le sang, c'est trop compliqué à obtenir. Nous n'avons qu'à prendre des cheveux.
— Des cheveux ?
— Oui, c'est simple à récupérer, n'est-ce-pas ?
— Je doute quand même qu'il accepte...
— Mais ce sont des cheveux ! m'exclamai-je.
— Ne cherche pas, Sinistra... marmonna Elena. Il refusera... peu importe la manière dont tu lui présenteras le problème. Si tu veux vraiment récupérer quelques-uns de ses cheveux pour tester la potion sur les souriceaux, tu devras le faire en secret.
— En secret ? répétai-je. Mais Elena... voyons... je ne vais pas récupérer ses cheveux en secret ! C'est absurde !
— Sinistra, m'interpella Elena d'un ton ferme, Kyle ne croît pas qu'il existe un remède à la maladie. Et il ne supporte pas nous voir chercher une potion miracle ! Il refusera de nous aider.
Elle poussa un soupir affligé avant de déposer son livre sur la téléportation sur mon établi :
— Ça ne vaut pas la peine que je le garde. Tu pourras lui rendre ?
Sans attendre une réponse de ma part, elle quitta précipitamment mon laboratoire, son visage plus sombre que jamais.
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