« Que devons-nous faire, Mon cher ami ? Oh... mais rien... juste attendre ! Moins d'un mois seulement... et non, ce n'est pas beaucoup. Il ne leur reste que très peu de temps... »

***

— Bonjour Kyle...

Le dieu leva à peine les yeux de son livre pour regarder Elena qui se tenait dans l'embrasure de sa chambre et il lui répondit simplement :

— Bonjour... Que veux-tu ?

La jeune femme hésita, triturant nerveusement l'une de ses mèches bouclées : devait-elle commencer par s'excuser ou alors simplement engager la conversation, comme si de rien n'était ? Elle opta pour la seconde solution, ne sachant comment aborder la première, et elle déclara d'un ton qu'elle essaya de montrer enthousiaste :

— Je me suis rendu compte que je ne savais pas très bien utiliser mon pouvoir de télépathie, et je me suis dit que tu pourrais me donner quelques conseils.

Kyle sembla surpris par cette requête mais il finit par déclarer froidement :

— Tu n'as qu'à prendre ces livres.

Le dieu désigna la bibliothèque d'un geste désinvolte de la main et Elena y jeta un coup d'œil avant de reprendre d'un ton embarrassé :

— J'aurais pensé que nous pouvions nous entraîner ensemble...

Devant l'air sceptique de Kyle, Elena rajouta :

— Comme avant...

— Sauf que ce n'est plus comme avant.

Cette remarque sèche provoqua un grand vide dans le cœur déjà fragilisé d'Elena. Elle se mordit vivement les lèvres pour s'empêcher de pleurer en face du dieu et elle refoula malgré elle ses sentiments. Elle déglutit péniblement avant de répondre sur le même ton que Kyle avait employé : froid et sec car il ne méritait pas mieux.

— Très bien, comme tu veux. Merci pour les livres. Je ne vais pas te déranger plus longtemps.

Elle hésita un instant avant de lâcher d'une voix emplie de reproches :

— Et sache au passage que j'essayais simplement de mettre un terme à notre relation froide. Mais visiblement, tu ne partages mon avis.

— Je ne partage pas ton avis ?! répéta Kyle avec indignation, levant les yeux de son livre pour la première fois depuis qu'Elena était arrivée.

Il n'avait fait que lui adresser quelques coups d'œil furtifs et cela n'avait guère échappé à la télépathe.

— Rappelle-moi qui se montre sans cesse désagréable envers moi ! poursuivit Kyle alors que leurs regards étincelants de fureur s'accrochaient.

— C'est que tu ne t'es pas écouté ! Au cas où tu ne l'aurais pas remarqué, j'ai essayé de faire des efforts aujourd'hui !

Brisant leur regard, Elena prit un livre sur l'étagère sans même regarder le titre et elle se dirigea vers la porte.

— Des efforts ? Tu appelles ça des efforts ? Tu sollicites mon aide, comme si j'avais le temps et l'envie de faire de la télépathie avec toi. Tu ne t'es même pas excusée et...

— M'excuser pour quoi ? s'exclama Elena en se retournant violemment. J'essaye de me montrer gentille envers toi, et la seule chose que je récolte, ce sont des remarques aigries !

— Eh bien, tu devrais revoir ta définition de gentille. Mais bon, arrêtons cette discussion stupide et inutile. Va-t'en et laisse-moi.

Elena le foudroya du regard, mais Kyle s'était déjà replongé dans la lecture de son ouvrage. Encore plus révoltée par son attitude désinvolte, elle sortit de la pièce en claquant la porte de toutes ses forces. À nouveau, les larmes se firent sentir mais elle les refoula. Elle ne pouvait pas pleurer : Kyle avait choisi de se montrer détestable avec elle. Il ne méritait pas qu'elle pleure pour lui. Elle quitta hâtivement le siège administratif, mais à peine était-elle sortie qu'elle se heurta à Sinistra qui y entrait.

— Que fais-tu ici ?!

Les deux sœurs avaient posé la question toutes les deux en même temps et se dévisageaient à présent dans le blanc des yeux.

***

Je m'étais réveillée avec un mal de tête horrible ce matin, pour changer. Je n'avais même pas voulu prendre une potion pour le soulager. J'avais comme l'impression que cette souffrance pouvait me faire oublier l'annonce d'Angie de la veille. D'ailleurs, mes muscles étaient bien douloureux aussi, en raison de l'entraînement de la veille avec Kurt. Mais cette pensée ne m'apportait qu'encore plus de mauvaise humeur. Je ne voulais pas penser à ces idiots d'Angie et Kurt qui avaient oublié de faire fonctionner leur cerveau une nuit.

C'était bien pour cette raison que, même si j'avais promis à Kurt que je reviendrais m'entraîner avec lui ce matin, je ne m'étais pas rendue sur Hister. C'était lui qui était venu me chercher sur Terrumbra et je lui avais réservé un accueil charmant. Ironique bien sûr. Il était reparti la queue entre les pattes et j'avais eu un mal fou à me calmer. En plus, il n'avait même pas été capable de me fournir des arguments convaincants, simplement des « Je veux fonder une famille et Angie aussi ».

— FONDER UNE FAMILLE BRISÉE, OUI ! m'écriai-je encore trop haineuse alors que je me rappelais les propos de Kurt.

Je me laissai tomber par terre durement, les yeux en pleurs. J'en avais assez de toute cette pression. Tellement marre. Je voulais retrouver ma précieuse vie d'antan. Là où nous étions toutes les trois sur Moons, sans garçon pour perturber nos belles petites vies. Même si nous étions enfermées chez nous à cause d'un sortilège du Conseil.

Pourtant, j'avais de quoi me réjouir aujourd'hui. Avant que Kurt n'arrive chez moi, j'avais pu observer l'avancement de mes tests et j'avais découvert un plant de lentilles qui se portait mieux que les autres ! Il s'était redressé par rapport à la veille, chose qu'aucun autre n'était parvenu à faire. J'avais été si heureuse en le découvrant ce matin et je tentai de me raccrocher à cette lueur d'espoir. J'expirai péniblement et je finis par me redresser. Il fallait que je parle de cette avancée à Elena. Elle serait capable de me remonter le moral ! Et j'avais hâte de voir sa tête réjouie quand je lui annoncerais cette bonne nouvelle !

Prise d'un élan de motivation, j'essuyai rapidement mes larmes et quittai mon palais pour me rendre sur Marina. Néanmoins ma sœur ne se trouvait pas dans ses appartements et je grommelai en rentrant sur Terrumbra, contrariée d'avoir effectué une virée inutile sur cette planète trop lumineuse. Où pouvait-elle donc bien se trouver ? Sur Moons en visite avec Arachtus ? Cette simple pensée me provoqua un hoquet de dégoût et je la refoulai. Peut-être était-elle allée rendre visite à Kyle pour se réconcilier avec lui ! C'était beau l'espoir, mais je devais certainement y croire car je venais d'invoquer l'Argentus pour Flamea.

Je me précipitai alors vers le siège administratif et à peine avais-je ouvert les portes que je me pris de plein fouet une touffe rose bonbon qui sortait du palais. Elena.

— Que fais-tu ici ?!

Nous avions posé toutes les deux la question en même temps. Voyant qu'elle ne semblait pas disposée à parler en première, je répondis :

— Je te cherchais.

— Pourquoi ?

— Pour te montrer les résultats des premiers essais de potion... déclarai-je, d'un ton que je voulais enjoué, malgré mon état de fatigue trop intense qui m'empêchait d'être aussi active que d'habitude.

— Déjà ? s'étonna Elena. Ça donne quoi ?

— C'est génial, tu vas voir !

— Vraiment ?!

Le visage de ma cadette s'éclaircit, et je me sentis presque coupable en lui demandant :

— Mais bon, tout ceci ne me dit pas pourquoi, toi, tu étais sur Flamea...

Elle perdit immédiatement tout soupçon de bonne humeur et s'abstint de répondre. Elle était bel et bien allée voir Kyle comme je l'avais pressenti. Mais ça ne s'était pas bien passé. Je choisis d'aborder le sujet différemment et déclarai :

— C'est quoi ce livre dans tes mains ?

— Oh ! Ça, c'est un livre sur la télépathie...

— Et pourquoi, c'est écrit « Tout savoir sur la téléportation » ? m'enquis-je, me retenant de sourire.

— Euh... commença Elena avec étonnement en regardant la couverture du livre avant de répondre d'un ton sec : Mais pourquoi tu poses des questions à lesquelles tu as déjà la réponse ?!

— Elena.

Je lui agrippai les épaules et la forçai à me regarder :

— Tu es allée voir Kyle, ça se voit à ton expression de fureur et de déception. Pour la dernière fois, je te repose la question : que se passe-t-il entre vous deux ?

— Pour la dernière fois ? Cela veut-il donc dire que je vais enfin être débarrassée de ces interrogatoires ?

— Réponds ! ordonnai-je.

Je plantai mes yeux dans les siens et elle finit par flancher :

— Nous ne nous entendons pas très bien, c'est tout...

— C'est un euphémisme, Elena, coupai-je. Pourquoi vous disputez-vous sans cesse ? Depuis quand ?

Je vis une lueur d'hésitation passer dans son regard avant d'être remplacée par de la tristesse. Elle ferma quelques instants les yeux avant de les rouvrir et répondre :

— Depuis ce maudit dîner sur Moons...

— Quel dîner sur Moons ? m'étonnai-je.

Je tentai de me rappeler d'un dîner où Kyle et Elena se seraient disputés, mais je ne trouvais rien. Au contraire, ils étaient toujours en train de faire des cachotteries tous les deux. C'était l'heure du bon vieux temps...

— Là où nous nous sommes embrassés pour la première et unique fois... poursuivit Elena.

— Vous vous êtes embrassés ?! m'exclamai-je avec surprise.

Mon esprit tenta d'imaginer la scène mais je refoulai cela immédiatement.

— Oui... me répondit faiblement Elena.

— Mais alors pourquoi vous vous êtes disputés ?

— Nous en sommes venus à parler de leur maladie, je ne sais même plus comment... C'est là que tout a dégénéré...

— Et... ? l'incitai-je à poursuivre, voyant qu'elle hésitait.

— Kyle a dit qu'il n'existait aucune autre issue... et j'ai rétorqué qu'il existait sûrement un remède et qu'il ne fallait pas désespérer. Il s'est levé avec colère disant qu'il fallait que j'arrête de croire à ces absurdités. Je ne savais pas quoi faire face à ce retournement de situation... Je ne pensais pas qu'il allait devenir furieux et j'ai tenté d'améliorer la discussion en dérivant vers autre chose, mais il ne m'écoutait pas... Et il est parti...

Sa voix se brisa et elle baissa les yeux. Maintenant que je savais la vérité, j'ignorais comment faire pour la réconforter. Ça m'apprendra à me mêler des affaires des autres...

— Ce n'est pas ta faute, Elena... finis-je par murmurer avec maladresse.

— Ce n'est pas la sienne non plus ! se récria ma sœur. Je ne peux pas lui vouloir, pour cette fois du moins... je comprends ses choix : il ne veut pas espérer, il veut accepter son sort pour ne pas être surpris lorsqu'il sévira...

— Donc le fait que je cherche une potion le rend d'humeur encore plus exécrable, compris-je avant de poursuivre sans laisser le temps à ma sœur de répliquer : Donc, c'est ma faute si vous vous disputez sans cesse.

— Mais non ! Tu n'y es pour rien : moi aussi je crois, ou du moins, je veux croire qu'il existe un remède... même si ce n'est sûrement pas le cas...

— Elena... Il existe un remède, je le sais. Nous devons poursuivre, Elena... Nous avons l'ingrédient spécial, maintenant ! Rien ne peut nous arrêter ! Viens, Elena. Allons voir ma nouvelle potion.