Chapitre 15 - Partie 3 - Sans espoirs ?

Kurt demeura quelques instants silencieux avant de déclarer :

— Je ne sais quasiment rien de ce qu'il s'est passé sur la fin du combat. Avant que les deux oiseaux de malheur ne reviennent bien sûr, car eux ils ont encore fait pire. Nous étions tous abattus, pour diverses raisons, mais tu étais de loin la plus souffrante. Tu semblais avoir perdu plus que quiconque n'aurait pu supporter. Je n'ai pas voulu savoir sur le coup, car je pensais bêtement que personne ne pouvait plus souffrir que moi. Mais je savais au fond de moi que j'avais tort. Que s'est-il passé pour toi ce jour-là, Sinistra ?

***

Mon cœur s'était retrouvé broyé au fur et à mesure de ce discours et ma gorge était trop serrée pour que je puisse parler. Jamais, au grand jamais, je ne me serais attendue que Kurt me tienne de telles paroles. Et je n'aurais assurément jamais pensé qu'il serait celui à qui j'en parlerais en premier. Je n'avais même pas voulu livrer ma peine à mes sœurs, même si elles en avaient sûrement compris les raisons. Du moins une partie... je doutais qu'elles eussent compris pour Malefik ; ce n'était déjà pas très clair dans mon esprit...

— Si tu acceptes d'en parler, Sinistra, je ne veux pas te forcer.

Cela acheva pour me convaincre. Je détournai mon regard du sien, incapable de supporter sa pitié et je lâchai simplement :

— Mydéa est morte sous mes yeux, déchiquetée par la cheffe des tarentules alors qu'elle venait de la repérer.

Je luttai pour chasser les images de ma mygale adorée que l'ennemie avait terrassée. Mon pouls s'était accéléré, mon souffle également, et je poursuivis :

— Elle m'avait menée à la cheffe des tarentules, ce que jamais je n'aurais pu faire sans elle, et moi j'avais été incapable de la protéger. Je l'ai vengée mais il était déjà trop tard. Je n'ai même pas pu lui dire adieu, la remercier une dernière fois ou que sais-je d'autre. Je n'ai même pas eu le temps de la pleurer ; il y avait Malefik qui se dirigeait avec Angie agenouillée aux côtés d'Adaline. J'ai abandonné Mydéa pour les rejoindre ; Malefik a accepté de se battre en duel contre moi. Il a demandé à Angie de me soigner pour que la lutte soit équitable. Il n'avait pas un fond méchant, il était juste le frère soumis d'une mauvaise personne. J'ai remporté le duel, il m'a demandé de le tuer.

Ma voix se brisa, je clignai des yeux pour m'empêcher de verser une larme et je finis dans un souffle :

— J'ai refusé, il m'a embrassée et il s'est suicidé. Avec ma propre dague. Je ne sais déterminer si je me déteste ou m'aime, si je le déteste ou l'aime. En tout cas, Mydéa et Malefik ne sont plus dans ce monde et c'est en partie ma faute.

J'expirai profondément et tentai en vain de rattraper une larme salée qui coula le long de ma joue. Mon cœur était lourd, mais d'un autre côté, je me sentais soulagée d'avoir pu en parler à quelqu'un. Et dire que ce quelqu'un était Kurt.

Je sursautai quand je sentis une pression s'exercer sur mon avant-bras, et je fis volte-face. Kurt s'était rapproché de moi et y avait posé sa main.

— Je ne sais pas quoi dire, Sinistra...

— Il n'y a rien à dire.

Ma voix était tremblante et je me maudis. Kurt eut la bonté de ne pas me charrier sur cette faiblesse, de toute façon ni lui ni moi n'avions la tête à la plaisanterie. Nous restâmes silencieux quelques instants jusqu'à ce que je me reprenne ; c'était du passé et il y avait plus urgent actuellement. Je devais trouver un moyen de les faire vivre, lui et son frère. Je redressai la tête et demandai :

— Tu veux qu'on s'entraîne ?

Kurt ôta sa main de mon avant-bras et approuva d'un geste franc de la tête.

— Oui ! Je vais me changer et je reviens.

— C'est sûr que la tenue de monarque bedonnant ne te sied guère pour combattre, glissai-je avec un petit sourire en coin.

— Tu vas souffrir sur le terrain d'entraînement, je te préviens. Allez, file, c'est par là.

Il me pointa une direction quelque peu aléatoire dans les jardins du château et s'éclipsa à l'intérieur du palais. Ne sachant où aller, je l'attendis et nous nous rendîmes ensemble à l'aire d'entraînement, sans manquer de nous taquiner mutuellement. Une fois arrivés sur le terrain beaucoup plus large que le jardin de Moons ce qui me plaisait bien mieux, nous commençâmes un petit duel d'échauffement qui se transforma vite en un combat acharné. Je sentais mes muscles et articulations se dérouiller, même si j'étais loin du niveau que j'avais atteint quelques mois auparavant. Kurt avait aussi perdu en force et en précision – non pas qu'il possédait beaucoup de la seconde avant. Nous fûmes rapidement essoufflés, nouveau signe que nous avions perdu tous les deux notre niveau. Bien qu'haletant difficilement, Kurt proposa :

— Tu ne voudrais pas qu'on fasse autre chose ?

Je devais avouer que je n'étais pas du tout contre. Je commençai à être trop fatiguée pour être talentueuse.

— Que proposes-tu... ? m'enquis-je dans un souffle douloureux alors que je rangeais mes dagues dans leurs fourreaux.

Kurt esquissa un semblant de sourire et il fit demi-tour, se dirigeant vers un râtelier. Suspicieuse, je dégainai l'une de mes dagues et continuai de surveiller mon adversaire. Je le vis se saisir d'un large bouclier rond et il se rapprocha à nouveau de moi, avant de lancer sa protection tel un disque vers moi. Bien que surprise, je l'attrapai au vol de ma main libre et Kurt s'écria, toujours loin de moi :

— Lors de nos entraînements avec Adaline, j'invoquais souvent la foudre et elle la repoussait avec ce bouclier. En seras-tu capable ?

Sans attendre mon approbation, il brandit son bras vers les cieux qui s'obscurcirent avant d'être traversés par un éclair étincelant suivi d'un craquement sonore. Je vis la foudre crépitante s'envelopper autour du poignet du dieu et l'instant d'après il abaissa son bras en ma direction. J'eus tout juste le temps de brandir le bouclier devant moi que l'éclair le heurta dans un fracas épouvantable. Sous l'impact, je reculai de quelques longueurs avant de gainer tous mes muscles pour lutter. Je parvins à me stabiliser malgré le rayon foudroyant qui heurtait toujours ma nouvelle protection. Je réussis à faire un pas en direction de mon adversaire, mais celui-ci leva son autre bras pour invoquer à nouveau la foudre. Combiné au précédent rayon, le nouvel impact me fit reculer encore plus mais je n'abandonnai pas. Je plaçai ma main droite tenant ma dague contre le bouclier pour me donner encore plus de force.

L'intégralité de mes muscles me brûlant de douleur, j'arrivai à faire un nouveau pas vers Kurt, puis un second. Galvanisée par ces succès, je continuai d'avancer alors que les rayons foudroyants du dieu devenaient de plus en plus faibles. Parvenue juste devant lui, je lâchai de main droite le bouclier pour placer entre mes dents le manche de ma dague. De ma main libérée, j'attrapai vivement le gantelet de Kurt et pris appui sur lui pour me propulser dans les airs tout en lâchant le bouclier. Je fis un salto en avant passant au-dessus du dieu, et récupérai de ma main gauche ma dague que je tenais encore entre mes dents. J'atterris juste derrière lui, dos contre dos et fis volte-face pour l'enserrer et poser ma dague contre sa gorge. J'avais réussi !

— Tu t'es ramolli, petite larve ! clamai-je.

J'éclatai de rire tout en défaisant mon emprise immédiatement. Je m'écroulai par terre, particulièrement satisfaite par cette prestation dont je ne me saurais pas cru capable ce matin. Qui aurait pu m'imaginer ruisselante de sueur, soufflant comme un buffle, mais trop heureuse sur le terrain de sable d'Hister ? Je n'avais qu'une seule envie : rester allongée ici et dormir à la lueur de jour. Mais je n'en eus guère le loisir car je me rendis compte en même temps que Kurt qu'une paire d'yeux nous épiait. Une jeune fille en longue robe blanche et aux yeux bleus écarquillés, postée au bord du terrain. Angie.

Son regard allait de Kurt à moi sans comprendre, la bouche grande ouverte si bien qu'elle aurait pu gober tout moustique passant. Elle finit par se reprendre et s'avancer vers nous tout en demandant :

— Mais que faites-vous ?!

— On s'entraîne... articula difficilement Kurt alors que je me remettais péniblement debout. Il faut bien se maintenir en forme...

— Waouh. Vous me réservez encore plein de surprises tous les deux, visiblement ! En tout cas, je préfère cette aire d'entraînement-ci par rapport au jardin !

Kurt et moi échangeâmes un regard complice puis Angie reprit :

— Vous en aviez fini ?

— Pour aujourd'hui, oui, approuvai-je en passant ma main dans mes cheveux humides et très certainement salés.

Kurt ne s'y opposa pas et je demandai :

— Tu voulais nous parler, Angie ?

Le sourire de ma jumelle disparut instantanément et je fronçai les sourcils face à ce revirement d'attitude. Elle se balança d'un pied sur l'autre comme toute gênée avant de bredouiller :

— Oui je voulais te parler, Sinistra...

— Tu l'as cherchée ici ? s'étonna Kurt.

— Non, j'ai fait toutes les planètes avant, excepté Laïa. Aélyia m'a dit que tu étais partie avec l'Argentus ce matin mais elle ne savait pas où. Je ne m'attendais pas à te trouver ici, Sinistra !

— Et de quoi voulais-tu me parler ?

À nouveau ce regard hésitant qui ne laissait rien présager de bon.

— Bon je vais vous laisser entre sœurs, je sens que je suis de trop, s'amusa Kurt.

Il se tourna vers moi et lâcha :

— Tu reviens demain matin, Sinistra, pour un nouveau programme d'entraînement ?

La proposition de mon beau-frère me fit plaisir et je l'approuvai avec un sourire. Il nous quitta alors, me laissant seule avec ma jumelle toute gênée. Voyant qu'elle ne semblait pas décidée à parler, je grommelai :

— Alors... quelle est la mauvaise nouvelle du jour ?

— Oh ! Non, ce n'est rien, je t'assure... Tout va bien...

Oui, c'était évident. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Toute ma bonne humeur était désormais retombée. Kyle et Kurt allaient tous les deux mourir dans moins d'un an et même un mois pour Kyle, et je n'avais toujours pas trouvé de potion miracle. Angie faisait une tête d'enterrement et, pour couronner le tout, j'étais ruisselante de sueur et meurtrie de partout !

— Je voulais juste... Enfin...

— Quoi, à la fin ? coupai-je, plus violemment que je ne l'aurais voulu.

— Euh... marmonna Angie, encore plus déstabilisée. Ce n'est pas grave, au pire... Je reviendrai demain sur Terrumbra...

— Non ! J'ai déjà assez perdu de temps aujourd'hui pour que tu m'en fasses de nouveau perdre demain.

— Eh bien... Tu pourrais venir sur Moons ?

Quoi ? Angie avait vraiment le don de me surprendre. J'expirai profondément et répondis du ton le plus calme que je réussis à trouver :

— Oui... qu'y-a-t-il ?

Angie parut rassurée et sans prendre la peine de me répondre, elle saisit ma main moite et invoqua l'Argentus. Pourquoi était-elle aussi mystérieuse ? Quelle mauvaise nouvelle allait-il encore me tomber sur le coin de la figure ?

Lorsque nous arrivâmes sur Moons, Angie ne prononça pas une parole et se contenta de se diriger vers notre ancienne maison. Je voulus l'interrompre pour lui demander ce qu'elle voulait me dire, mais j'y renonçai, car pour la première fois de la journée, je me sentais bien. L'air frais et campagnard de Moons me plaisait... c'était pourtant inhabituel. Je n'aurais pas cru que ma planète natale m'aurait autant manqué. Néanmoins, ce plaisir fut de courte durée car nous atteignîmes trop rapidement la maison. De nouveau sans parler, Angie y entra pour aller à l'étage et se stopper devant mon ancien laboratoire que je n'avais pas encore pris la peine de déménager.

— Hem... Je... Pourrais-tu... enfin... Je voudrais que tu débarrasses ton laboratoire.

Alors, là... je m'attendais à tout... sauf à ça.

— Mon laboratoire ? Mais pourquoi ? Pourquoi maintenant ?

Comme si je n'avais pas d'autres choses plus urgentes à faire en ce moment !

— Euh...

Angie parut encore plus embarrassée et elle répondit sur un ton encore plus hésitant :

— Eh bien... je souhaiterais... que la maison soit un peu plus rangée... qu'il y ait moins de dangers... surtout en enlevant l'atmosphère empoisonnée...

— Mais... ça ne t'a jamais gênée auparavant. Pourquoi maintenant ? répétai-je, ne voyant vraiment pas en quoi l'atmosphère empoisonnée était dérangeante.

De toute façon, personne ne s'y rendait dans cette pièce ! C'était la mienne et cela le resterait. Même si j'avais déménagé une partie de mon matériel de concoction.

— C'est juste que... tu as déménagé... tu ne reviendras pas ici, n'est-ce-pas ? Alors, je voulais... enfin Kurt et moi voulions une maison plus ordonnée et moins dangereuse...

— Kurt ? Alors qu'il a déjà deux palais rien qu'à lui, il voudrait une maison de campagne ? Qui plus est, ordonnée ?

— Sinistra... s'il te plaît... Je veux qu'il y ait moins de dangers...

— De dangers ? C'est si compliqué que de garder une porte fermée ?

— Ce n'est pas vraiment un danger pour moi... mais...

— Mais pour qui alors... ?

Angie ne me répondit pas, se contentant de triturer ses cheveux courts, comme elle en avait pris l'habitude lorsque quelque chose n'allait pas. Elle affichait un regard implorant... trop implorant. Et, soudain, je compris. Ce n'était pas possible !


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