Chapitre 15 - Partie 2 - Sans espoirs ?
Je la vis esquisser un ravissant sourire, avant de s'éloigner en chantonnant gaiement. Je poussai un soupir face à cette attitude enfantine. Était-ce vraiment amusant de me faire remarquer que j'avais eu tort ?
***
Lorsque je me réveillai ce matin, un mal de tête lancinant me meurtrissait. La journée promet d'être géniale.
Je m'efforçai de me lever, malgré mon envie grandissante de rester allongée dans mon lit douillet – et dépourvu de matelas à eau – et de dormir toute la journée. Mais non... je ne pouvais pas me permettre de perdre une journée entière à paresser. En me mettant debout, je pris conscience que tous mes muscles étaient endoloris et cela me fit grimacer encore plus. J'avais l'impression de m'être transformée en un légume ambulant. Après d'atroces efforts, je parvins à enfiler l'une de mes robes et je me traînai jusqu'à mon bureau mal rangé. J'attrapai l'un des nombreux flacons qui reposaient dessus et constatai avec déception qu'il était vide. Je pris alors le deuxième, m'apercevant qu'il était tout aussi dépourvu de liquide. De même pour tous autres. Décidément, j'avais trop de maux de tête en ce moment.
Je tentai alors de me diriger vers mon étagère à potions dans l'espoir de trouver un remède contre ces fichus maux. Je fus soudainement prise d'une sensation de vertige et je heurtai l'un des murs pour me rattraper. Je grimaçai face à la douleur qui envahit le coin de mon coude qui venait de percuter la paroi et je soupirai. Je repris ma marche vers l'étagère où je trouvai heureusement la potion que je cherchais. Je l'avalai d'un trait et, tout en maugréant, je reposai le flacon vide sur l'étagère.
Je m'affalai sur mon lit, ne voulant risquer une nouvelle chute, et quelques instants plus tard, je me sentais déjà en meilleure forme. J'avais même envie de me battre ! Je retrouvai le sourire en pensant à mes dagues que je n'avais pas utilisées depuis longtemps et je m'empressai d'enfiler ma ceinture à laquelle mes précieuses armes étaient attachées. Je les dégainai avec joie, fis quelques mouvements, et me rendis très vite compte que j'avais beaucoup perdu. Je ne les maniais plus avec la même fluidité et je ne parvenais plus à tournoyer aussi vite avec elles. Que m'avait-il pris de délaisser mon entraînement quotidien ? J'avais l'impression d'être devenue un éléphant qui découvrait un couteau pour la première fois.
Je devais y remédier. Un élan de bonne humeur me gagna mais s'estompa trop vite quand je me rendis compte que j'avais envie de m'entraîner avec quelqu'un. La première personne qui me vint à l'esprit fut Malefik et mon cœur se serra. Quel idiot ! S'il ne s'était suicidé, nous aurions pu nous entraîner ensemble tous les matins. Je me surpris à imaginer ces moments ; j'aurais tant progressé, il aurait pu tant m'apporter... Et j'étais sûre qu'il m'aurait aidée pour les potions... Il me manquait. Ou plutôt, je regrettais le temps que nous aurions pu passer ensemble.
Le regret fut néanmoins vite remplacé par la haine. C'était lui qui avait décidé de mourir comme un abruti. Il ne méritait pas que je le pleure. Ma motivation avait chuté et je reposai avec dépit mes dagues sur mon lit. Je les contemplai d'un air perdu, sentant le vide qui s'accroissait dans mon cœur. Il fallait que je reprenne malgré tout mon entraînement. Je ne pouvais pas me contenter d'être une larve concoctant des potions à longueur de journée.
Kurt. Je n'avais qu'à lui demander de s'entraîner avec moi. Il avait été mon premier adversaire et si son style de combat était bien différent du mien, il n'en demeurait pas moins un opposant intéressant. Sans réfléchir davantage, j'attrapai mes deux dagues, les fis tournoyer pour les remettre dans leurs fourreaux ; geste que je ne réussis qu'à moitié ce qui me frustra encore plus. Je me précipitai hors de ma chambre, dévalai l'escalier pour quitter le palais et invoquai l'Argentus. Je fus bientôt sur Hister et je me dirigeai hâtivement vers le palais royal.
Me rappelant les explications d'Elena de l'avant-veille quant aux trois couloirs principaux du château, j'empruntai le central qui me conduisit à la majestueuse double porte de la salle du trône. Je m'apprêtais à pénétrer dans la pièce quand je fus prise par un doute trop dérangeant. Et si Kurt refusait de s'entraîner avec moi ? Après tout, nous ne nous étions jamais très bien entendus et si Angie n'était pas là pour nous réunir, nous ne nous serions sûrement jamais revus. Pire que tout, il n'aimait pas que je m'acharne à trouver une potion pour contrer la maladie. De façon moins extrême que Kyle, certes.
En fait, je voulais juste retrouver le bon vieux temps où nous étions tous les cinq dans notre maison sur Moons. Et dire qu'à l'époque je voulais qu'il se raccourcisse le plus possible... Je voulais retrouver cette vie sans stress, sans échéance fatale, où je voyais mes sœurs heureuses, où je pouvais embêter le reste de la maisonnée à la longueur de journée. Une époque où Mydéa était encore vivante. Une époque où je concoctais des potions seulement pour le plaisir. Une époque où je m'entraînais à me battre juste pour m'amuser à effectuer les plus belles figures.
Le cœur lourd, je chassai ces pensées en secouant la tête. Je voulus faire demi-tour, mais je m'en empêchai. Je n'avais pas fait tout ce trajet jusqu'à Hister pour finalement abandonner au dernier moment. Prise d'un élan de détermination, je poussai la double porte et pénétrai dans la salle du trône, retrouvant alors mon beau-frère assis sur son trône, entouré de deux gardes. Je vis ses yeux gris s'écarquiller en me voyant entrer et je déclamai :
— Tu viens t'entraîner au combat avec moi ?
Kurt me dévisagea avec stupeur encore plus longtemps et je glissai avec un sourire en coin :
— Tu vas t'épaissir à force de rester assis sur ce trône à longueur de journée. Et crois-moi, ce ne sera pas en muscles.
Il n'en fallut pas plus pour que Kurt jaillisse de son trône.
— Mais tu te prends pour qui, Sinistra ?!
— Ta belle-sœur, ricanai-je, trop heureuse de le mettre mal à l'aise en face des gardes. Allez, conduis-moi à l'aire d'entraînement, petite larve !
Les deux sentinelles étaient vraisemblablement stupéfaites que quelqu'un s'adresse ainsi à leur roi. Quant au dit roi, il était furibond et il se précipita vers moi. Je lui adressai un sourire étincelant et je détalai hors de la salle du trône. Kurt ne manqua pas de m'emboîter le pas et je lâchai un petit rire, amusée par cette course-poursuite improvisée. Lorsque je parvins à sortir du château, non sans avoir croisé de nombreuses personnes aux nobles habits qui nous dévisageaient avec la plus grande surprise, je me rendis compte que je n'avais pas la moindre idée d'où aller. Je m'arrêtai et bifurquai vers Kurt qui venait de me rattraper. Malgré ses habits de roi qui ne lui seyaient pas aussi bien que son armure d'entraînement, il brandit sa hache en ma direction et je me défilai aisément devant l'attaque.
— Eh bien, pas très en forme, monsieur le roi ! À croire que tu ne t'entraînes pas beaucoup entre les copieux repas d'Angie ! Et pourtant, je suis loin d'être en pleine forme.
Kurt s'arrêta soudainement de combattre, releva un sourcil et répéta :
— Tu es loin d'être en pleine forme ?
Je haussai les épaules et fis simplement :
— Je m'entraîne moins qu'avant. Toujours plus que toi cela dit !
Ma dernière pique ne fit pas mouche car il resta statique et demanda :
— Tu es vraiment venue ici pour t'entraîner au combat avec moi ? Car tu ne t'entraînes pas assez toute seule ?
Enfin je ne m'entraînais plus du tout, mais je choisis de passer cela sous silence. J'approuvai simplement :
— Oui. Je me suis dit que ça nous ferait du bien, à toi comme à moi. Tu es partant ?
Une lueur de mélancolie passa dans les yeux de mon beau-frère qui mit quelques instants à me répondre :
— Oui ça me ferait plaisir. Je n'ai plus brandi ma hache depuis la guerre sur Moons... Je n'ai même plus invoqué la foudre...
Il y avait tant de sous-entendus dans ces phrases et sa souffrance me percuta de plein de fouet. D'autant plus qu'il rajouta :
— Elle me manque... J'aurais voulu poursuivre les entraînements avec elle. L'ancien temps était si bon. Et maintenant j'ai peur. Peur que ma foudre ravage tout si je venais à l'invoquer à nouveau.
Lui aussi avait perdu un être cher à son cœur. Même si je n'avais jamais apprécié Adaline, bien au contraire, je comprenais parfaitement sa souffrance.
— Ne pense pas que je ne suis pas heureux avec Angie, hein ? reprit Kurt avec une certaine forme d'inquiétude, comme s'il regrettait de s'être confié. Et ne pense pas que j'aurais voulu la remplacer par Adaline.
— Non, ne t'inquiète pas, Kurt. J'avais compris ce que tu voulais dire. Je te comprends.
— Merci.
Kurt voulut rajouter quelque chose mais se ravisa au dernier moment. Cela piqua ma curiosité mais j'hésitai à le relancer. Je ne savais pas si je serais capable d'entendre ses paroles ; il y avait trop de souffrance dans l'air. Mais j'osai malgré tout :
— Que voulais-tu rajouter ?
Kurt demeura quelques instants silencieux avant de déclarer :
— Je ne sais quasiment rien de ce qu'il s'est passé sur la fin du combat. Avant que les deux oiseaux de malheur ne reviennent bien sûr, car eux ils ont encore fait pire. Nous étions tous abattus, pour diverses raisons, mais tu étais de loin la plus souffrante. Tu semblais avoir perdu plus que quiconque n'aurait pu supporter. Je n'ai pas voulu savoir sur le coup, car je pensais bêtement que personne ne pouvait plus souffrir que moi. Mais je savais au fond de moi que j'avais tort. Que s'est-il passé pour toi ce jour-là, Sinistra ?
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