Chapitre 14 - Partie 2 - La Pampelune
Nous commençâmes ainsi l'exploration chacune de notre côté, guettant avec attention la moindre trace de verdure dans le sol enneigé. Il me semblait déjà avoir piétiné dans la neige depuis trop longtemps, lorsque j'aperçus un peu plus loin dans la neige un petit point violet. Violet ? Nous avions trouvé... c'était la Pampelune... forcément ! Mais avant même que je ne pus avertir Elena de ma découverte, une botte fourrée rose s'enfonça tout près de la petite plante, la recouvrant d'un petit tas de neige.
***
— Elena ! m'exclamai-je, me rendant compte que la botte n'était autre que celle de ma sœur. Regarde un peu où tu marches ! Tu as failli écraser la fleur !
Ma cadette se retourna vers moi avec stupéfaction et je me précipitai vers l'endroit où j'avais vu la fleur avant qu'elle ne fût recouverte de neige. Sous les yeux ébahis de ma sœur, je dégageai doucement le tas de neige pour découvrir une toute petite fleur duveteuse à cinq pétales violets et noirs. À l'instant où je la vis, je me sentis transportée d'une joie nouvelle... cette fleur était si magnifique, délicate et soyeuse... la Fleur de l'Harmonie, sans aucun doute. Je sentis Elena s'agenouiller à mes côtés et elle murmura avec admiration :
— Qu'elle est belle !
J'acquiesçai en silence, avant d'enlever ma moufle et de rapprocher mes doigts doucement de sa tige. Je la saisis délicatement, pour la cueillir et la déposer au creux de ma main. Elena rapprocha davantage son visage de la petite pousse, avant de déclarer :
— Tu as vraiment une bonne vue, Sinistra ! Heureusement que tu étais là !
— Comment ?
Ma cadette et moi nous échangeâmes un regard interloqué et Elena se justifia en haussant les épaules :
— Bah, elle est toute petite... d'une couleur si pâle... ne contrastant qu'à peine avec la neige.
— Pâle ? répétai-je. Elena... elle est violette foncé !
Ma sœur me dévisagea d'un air incrédule :
— Mais... Sinistra... elle est rose ! Pâle !
— Tu es sûre que tu vois bien, Elena ? raillai-je, ne comprenant pas comment Elena pouvait être atteinte d'un tel défaut de vision.
— Mais oui ! Elle est rose, voyons ! De la même couleur que ma robe !
Elle tendit sa main et releva la manche de son manteau, avant de placer son bras juste à côté de la fleur.
— Tu vois bien ! C'est la même couleur !
Je dus faire un effort phénoménal pour ne pas exploser de rire. La manche de sa robe était bien rose pâle... mais quant à la Pampelune, elle était indéniablement violette. Face à mon absence de réponse, Elena s'enquit :
— Puis-je entrer dans ton esprit, Sinistra ?
— Quoi ?
— Je souhaiterais savoir ce que tu vois.
J'acquiesçai en hochant la tête et rapidement je sentis une présence familière se glisser dans mon esprit. Quelques instants plus tard, Elena déclara, se retirant de ma tête :
— Je la vois violette...
— Ah bah voilà ! Je te l'avais bien dit !
— Mais seulement dans ton esprit, rajouta Elena. Elle est toujours rose pour moi.
Je lui jetai un regard interdit et elle s'expliqua :
— Je pense que la Pampelune est perçue d'une couleur différente, dépendamment de l'individu... d'où le surnom de Fleur de la Discorde...
— Comment est-ce possible ? Comment pouvons-nous la percevoir d'une couleur différente ? m'enquis-je, m'imaginant parfaitement les membres de l'ancienne tribu montagnarde se quereller pour décider de la couleur de la Pampelune.
— Je n'en sais rien... comme si cette plante était magique...
— Nous la percevrions donc de la couleur que nous préférons, en déduisis-je, commençant à comprendre. D'où pourquoi violet pour moi, et rose pour toi...
— Oui... c'est incroyable !
Ma sœur affichait un grand sourire et pour la première fois, je partageais ce sentiment. Cette plante était magique... sans aucun doute. Ne pourrait-elle donc pas guérir la maladie de Kyle et Kurt ?
— Nous devons en cueillir d'autres ! s'exclama Elena. Et je vais avoir besoin de ton aide, puisque je n'arrive presque pas à les différencier de la neige...
— Tu ne pourrais pas changer temporairement de couleur préférée ? demandai-je d'un ton moqueur, poursuivant cependant mon exploration.
***
Nous étions de retour sur Terrumbra, les mains chargées de petites Pampelunes : nous avions fini par trouver un grand champ de ces fleurs magiques et nous avions fait une grande cueillette, veillant cependant à en laisser pour préserver l'écosystème. Nous entrâmes dans mon laboratoire, où nous fûmes accueillies chaleureusement par Aélyia qui rangeait la pièce. Elle s'empressa de nous décharger de nos Pampelunes et elle les posa sur l'établi, tout en demandant :
— Ce sont les plantes des montagnes qu'il faut ?
— Oui ! m'exclamai-je avec joie.
— Enfin, nous n'en sommes pas totalement sûres, répondit Elena.
Je lui jetai un regard furibond : comment pouvait-elle se permettre de toujours douter alors que nous détenions notre meilleure chance ?
— Je les trouve très jolies, déclara Aélyia avec un sourire ancré sur son visage juvénile. Et si leur efficacité équivaut leur beauté, nous avons de toutes les chances de guérir la maladie !
Je souris face à cette remarque, heureuse qu'Aélyia se montre aussi optimiste, elle qui ne cessait de me répéter chaque jour qu'il n'existait pas forcément une solution.
— D'ailleurs, de quelle couleur les vois-tu ? demanda Elena.
Tandis que je réprimais un rire, Aélyia jeta un regard abasourdi à Elena avant de répondre en haussant les épaules :
— Jaunes ! C'est évident...
Jaunes ? J'ignorais qu'Aélyia aimait le jaune. La jeune femme ne s'habillait jamais de cette couleur et ne portait pas le moindre bijou doré.
— Pourquoi cette question ?
Elena et moi nous adressâmes un regard complice et ma sœur se chargea d'expliquer les propriétés de la Pampelune. Aélyia en fut impressionnée et s'exclama :
— Eh bien... Cette plante est extraordinaire !
Nous approuvâmes, puis je finis par déclarer, reprenant avec sérieux :
— Il est temps que je concocte des potions à partir de cette petite merveille, maintenant. Elena, tu veux bien nous laisser ?
— Comment ? demanda ma sœur avec surprise.
— Oui, pour qu'on puisse travailler.
Je me rendis compte un peu trop tard des conséquences de mes paroles que je n'avais pas voulues offensantes car Elena déclara d'un ton déçu :
— Oui... que suis-je sotte ! Je ne suis pas à ma place dans ton laboratoire.
Elle partit sans ajouter la moindre autre parole et je soupirai. Si je regrettais d'avoir été aussi peu sympathique avec ma sœur, je lui en voulais également de ne pas avoir pris toute seule l'initiative de me laisser. Elle savait pertinemment que je refusais que quiconque reste avec moi pendant que je préparais des potions ; j'avais besoin de calme pour me concentrer. Certes, j'avais accepté la présence d'Aélyia, mais ce n'était pas une raison pour que tout le monde s'invite chez moi !
Tandis que je ruminais sur cet échange froid, Aélyia installa devant moi sur la table l'un de mes chaudrons. Mes pensées sombres me quittèrent instantanément et je saisis une Pampelune, avant de décrocher ses pétales un à un pour les mettre dans le chaudron.
Tout en épluchant de la même manière trois autres fleurs, je demandai à Aélyia de m'apporter les ingrédients suivants. Alors que je versais dix-huit gouttes de sirop de sureau au fond du chaudron pour humidifier les pétales violets, Aélyia alluma un petit feu dans un récipient métallique. J'y plaçai alors mon chaudron et attendis quelques instants le temps que le sureau se mette à frémir. J'ajoutai ensuite deux pincées de poudre de cactus puis saupoudrai le tout de fins cristaux de péridot. Des petites bulles vertes se formèrent et je commençai à remuer à l'aide d'une fine baguette de verre. Je finis par la retirer lorsque les petites bulles cessèrent de se former et découvris que ma baguette était, comme prévu, recouverte de toutes petites particules vertes de péridot ; le reste des cristaux qui n'avaient pas fondu et qui n'étaient donc pas bénéfiques pour la potion. Aélyia me tendit ensuite une dosette avec laquelle elle avait prélevé un peu de miel d'aubépine. Je versai son contenu dans ma préparation, avant de rajouter un morceau d'écorce de tilleul. J'attendis quelques instants supplémentaires et retirai le chaudron du feu. J'insérai finalement le dernier ingrédient, à savoir deux fines coupes de xanthelle, avant de remuer le mélange. Aélyia me tendit alors quelques flacons et je les remplis à l'aide d'une pipette.
Et voilà... la première potion était prête. Et elle n'avait pas explosé, brûlé ou autre fin tragique. Il ne me restait plus qu'à l'injecter à mes graines de lentilles. Je me dirigeai vers mon étagère et m'arrêtai devant, constatant que tous mes bocaux étaient déjà occupés par des graines qui avaient reçu une potion. Une potion qui d'ailleurs ne fonctionnait pas car les plants étaient tous fanés et rachitiques. Je déversai ainsi leur contenu à moitié putréfié dans un sac. Un renouveau... C'était ce qu'il fallait.
Je préparai alors d'autres graines de lentilles. Aélyia me tendit ensuite une pipette et le troisième flacon qui contenait du sang de Kurt dilué dans de l'eau distillée. Je le prélevai ainsi pour l'injecter à mes petites graines de lentilles. Je terminai de verser son contenu dans les vingt bocaux puis je tendis le flacon vide à Aélyia qui déclara :
— C'était le dernier, Sinistra...
Oui, elle avait raison... J'avais oublié que je n'en avais demandé que trois à Angie... C'était la bonne cette fois, forcément. Puis Aélyia me présenta un flacon de la potion que nous venions tout juste de préparer et je versai son contenu sur les lentilles du troisième bocal.
— Bon... en voilà une de faite... déclarai-je. Il faut en tester d'autres...
Aélyia acquiesça silencieusement et elle se dirigea vers mon établi pour le nettoyer et le préparer pour la prochaine potion.
Alors que je jetais un regard à mon troisième bocal qui contenait à présent les lentilles infectées avec ma nouvelle potion, une sombre constatation me parvint à l'esprit. Si toutes mes graines de lentilles avaient péri jusqu'à présent, c'était peut-être ma faute. Non, c'était ma faute, assurément, si toutes les potions échouaient, car personne d'autre que moi ne s'en occupait. Et si c'était parce que je ne me montrais pas suffisamment attentive à leur évolution ? Si je suivais les graines de lentilles de plus près, je pourrais déceler le moindre changement et agir en conséquence. Oui, c'était ce que je devais faire... Je ne quitterais plus un seul instant des yeux mes nouvelles potions et graines... Je ferais tout pour qu'elles survivent.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top