Chapitre 13 - Partie 2 - Les ressorts de la télépathie

— Je croyais que tu voulais savoir la suite avec l'incendie.

— Oui bien sûr, mais ma question d'origine portait sur un souvenir lors de la nuit de mon enlèvement.

— Ce sera justement le dernier souvenir que je te transmettrai, Elena.

La jeune femme soupira, s'attendant pourtant à cette réponse de la part du dieu, et Arachtus posa ses mains sur ses tempes.

***

Hector s'élança à travers les flammes étincelantes sans réfléchir davantage. Ils allaient mourir, Selina et lui. D'autant plus qu'Hector n'avait pas son habituelle armure métallique, il était en simple tenue de nuit. Je devais intervenir ou Flamea allait perdre le commandant en chef de son armée.

Mais, que pouvais-je faire ? Je n'étais que télépathe et c'était bien le don le plus inutile dans cette situation. Aller sur Laïa, trouver Maman et lui demander de revenir ? Non, ce serait trop long : Hector et Selina auraient déjà succombé. Mais quelle alternative avais-je ?

Ce fut lorsque je me rappelai les cris de détresse mentaux de Selina que j'avais perçus involontairement qu'une idée me traversa l'esprit. La jeune fille semblait tétanisée par l'incendie, comme si elle revivait un souvenir qui hantait sa mémoire. Alors, peut-être que si je parvenais à apaiser Selina, elle retrouverait son calme et réussirait à traverser l'incendie d'elle-même. De toute façon, ça ne pouvait pas être pire que maintenant et ce fut ce qui acheva de me convaincre.

Je me concentrai alors sur l'esprit de Selina et y pénétrai. Contrairement à celui de Morior, il était chaleureux, accueillant, bien que la panique commençât à l'envahir. Enfin, comment pouvais-je me préoccuper de ce genre de détails alors sa vie était en danger ? Je mis alors fin à ces pensées et transmis à la jeune fille tétanisée :

— Selina ? Tu m'entends ?

— MAMAN ! Ne me laisse pas !

— Selina... Je t'en prie... Ta mère n'est pas là... elle n'est pas en danger. Tu dois reprendre conscience du présent !

— Comment... ? Qui es-tu ?

— Ardalis...

— Quoi ? Que fais-tu ici ? DÉGAGE !

— Eh ! protestai-je face à la violente transmission de la jeune fille.

Visiblement je ne m'étais pas suffisamment préparé à l'échec ; je détestais cette fille et c'était réciproque. Comment avais-je pu penser un seul instant que j'arriverais à la calmer ?! Mais l'enjeu était grand, plus grand que nos querelles d'enfants. Je poursuivis avec ferveur :

Je veux juste t'aider et empêcher ta mort et celle de ton père !

— Lire dans mes pensées ne t'aidera pas à éteindre l'incendie !

— Il faut que tu te calmes, que tu envisages toutes les issues possibles et...

— Il n'y en a pas !

— Arrête de paniquer ! Immédiatement ! Écoute-moi plutôt. N'y aurait-il pas du métal à côté de toi que tu pourrais utiliser comme bouclier face aux flammes ?

— Je ne vois rien ! Sors de mon esprit ; tu ne m'aides pas du tout !

Au moins elle ne pensait plus à sa mère et c'était bien la seule chose positive que je voyais. Comprenant qu'elle ne ferait rien par elle-même je me mis à observer à travers ses propres yeux son environnement, lorsque je vis une plaque de métal encore éloignée des flammes.

— Si ! Il y a du métal derrière toi, je le vois dans tes pensées. Saisis cette plaque et...

— Arrête !

Malgré ses paroles, elle saisit le morceau de métal et poussa un cri de douleur face à la chaleur du matériau.

— Crétin, tu es débile ou quoi, ça brûle le métal ?!

Ignorant ses insultes, je lui ordonnai :

— Pousse-le vers l'endroit où il y a le moins de flammes pour que tu puisses passer au-dessus.

— Mais il y a trop de flammes !

Il fallait définitivement que je fasse tout le travail pour elle mais je ne perdis pas espoir.

— Non, pas ici ! À ta gauche, l'incendie est moins important.

— Là ?

Elle désigna du doigt l'endroit dont je parlais et je m'empressai d'approuver :

— Oui, vas-y.

Elle m'obéit et poussa du pied son bouclier improvisé sur les flammes que je désignais. Le feu s'estompa brièvement et elle franchit vivement l'obstacle en deux bonds. Elle tira vivement la plaque vers elle en l'attrapant du bout des doigts, et j'eus presque le sentiment que nous allions réussir. Surtout qu'elle demanda :

— Ensuite ? Je vais où ?

Mais mon élan d'espoir retomba l'instant d'après. Une projection de feu jaillit d'un cratère juste à côté de Selina pour atterrir sur son bras droit. Elle poussa un cri de douleur alors que les flammes s'attisaient de plus en plus autour d'elle. Comme si la situation n'était pas assez complexe, un craquement sourd retentit dans le calme crépitant du brasier. Il ne me fallut pas longtemps pour identifier la source de ce bruit : l'une des tours du petit palais incendié. Qui était en train de s'effondrer... droit sur Selina... Je ne réfléchis pas plus longtemps : entre les brûlures et l'écrasement, le choix était vite fait.

— Cours !

Instinctivement, je projetai dans son esprit un chemin à parcourir. Le premier chemin auquel j'avais pensé, qui n'était sûrement pas le plus judicieux. Mais je n'avais pas le loisir d'y réfléchir davantage. Comme si elle aussi avait perçu l'urgence de la situation, Selina suivit aveuglément le chemin que je lui avais désigné, courant désespérément à travers l'immense brasier.

Je sentais ma propre tension augmenter en même temps que celle de Selina, et je me crispai encore plus lorsque je vis la tour s'effondrer dans sa direction. Sans réfléchir, je lui ordonnai de sauter par-dessus les flammes jaillissantes situées à sa droite. Elle commença à protester, refusant de m'obéir, mais cette voix contestatrice se tut d'un coup et elle sauta. Pile au moment où la tour s'effondrait à l'endroit où elle se trouvait à l'instant précédent. La jeune fille effectua une roulade désespérée dans les flammes revigorées par le flux d'air provoqué par la chute. Elle eut à peine le temps de se relever qu'une tige en métal de la tour détruite la frappa au dos, la faisant tomber à plat ventre. Elle poussa un cri de douleur à glacer le sang et je sentis un pic de souffrance m'envahir dans le dos à ce même moment.

Relève-toi ! lui ordonnai-je.

— Mais aide-moi ! s'écria-t-elle comme seule réponse.

Je me rendis alors compte que j'avais entendu sa voix dans la réalité et non dans son esprit. Je revins à moi, découvrant la jeune fille à quelques pas de moi, avachie dans le sol brûlant. Je parcourus la faible distance qui me séparait d'elle en un clin d'œil, avant de la saisir par les épaules et de l'aider à se relever. Elle était brûlante et elle s'effondra à moitié sur moi comme si son corps refusait de la porter. Elle poussa un nouveau gémissement de douleur alors que je la tirais assez sèchement pour l'éloigner du brasier et nous nous élançâmes tant bien que mal vers le Refuge. Jusqu'à ce que Selina s'arrête net et s'exclame d'une voix stridente :

— Papa !

Je me retournai alors brusquement : j'avais totalement oublié Hector ! Lorsque je le repérai enfin, je constatai qu'il se débattait désespérément au beau milieu d'un champ de flammes. Panique et désespoir se mêlèrent en moi, me coupant toute capacité de réflexion. Ce fut à cet instant qu'un reflet argenté scintilla non loin de nous, pour en surgir la personne que nous attendions le plus :

— Maman !

Immédiatement le soulagement m'envahit et je poussai un immense soupir. Tout allait revenir dans l'ordre. Maman sembla d'abord déconcertée par la situation et elle mit quelques instants avant de réagir. Mais elle finit par fermer les yeux, avant de lever les bras au ciel. Je vis alors l'intégralité des flammes se soulever hors du sol avant de se mouvoir telles une immense vague vers Maman. J'étais époustouflé par ce spectacle extraordinaire et je sentis une grande admiration monter en moi. Maman était si majestueuse, bien qu'effrayante il fallait l'admettre, ainsi entourée de toutes ces flammes qui s'infiltraient progressivement en elle. Les veines de ses bras et de son visage ressortaient bien plus que d'habitude, de couleur vermeille, comme si elles étaient prêtes à imploser. Nul mot ne pouvait décrire le spectacle qui se déroulait sous nos yeux.

Lorsqu'il ne resta plus que de la fumée et quelques braises encore chaudes, Maman tomba à genoux, épuisée par un tel effort. Selina et moi nous précipitâmes vers elle, alors qu'Hector émergeait de la fumée à ce moment précis. Le général de l'armée et sa fille coururent à la rencontre l'un de l'autre, tous les deux recouverts de suie et de graves brûlures, mais vivants.

— Selina... ma chérie ! Tu es saine et sauve ! s'exclama le général en attrapant sa fille dans ses bras et la soulevant du sol.

Puis, reposant sa fille sur les cendres, il se tourna vers Maman qui se relevait lentement, pour lancer d'une voix accusatrice, frôlant l'irrespect :

— Majesté, où étiez-vous ?

— Je... j'étais sur Laïa pour parler à Viven du projet de l'armée de Flamea et de l'implication de nos enfants.

Le visage d'Hector se contracta à cette mention et je ne sus comment l'interpréter : était-il contre notre implication dans le projet ? À moins qu'il soit contrarié que Maman en ait parlé à Papa ? D'ailleurs pourquoi en avait-elle parlé à Papa, étant donné la dernière discussion que nous avions eue avec lui ? Hector marmonna, avec davantage de frustration que de conviction :

— C'est une étrange coïncidence...

— Quoi ?

Maman sembla mettre un long moment avant de comprendre les sous-entendus des paroles d'Hector, pourtant évidents pour moi. Elle s'exclama alors avec ferveur :

— Comment peux-tu insinuer mon implication dans un tel acte ?! Ce genre de propos est intolérable, Hector ! Surtout de la part du commandant de l'armée envers la reine à laquelle il a juré allégeance !

Hector baissa les yeux, mais ne parut pas convaincu par la réponse de Maman. Y était-elle vraiment pour quelque chose ? Pourtant son air surpris et innocent me poussait à croire qu'elle disait la vérité, surtout qu'elle venait de nous sauver la vie. De toute façon, Maman aurait été incapable de commettre un tel acte... non ?

— D'où provenait l'incendie ? s'enquit Maman.

— De la cour de mon palais, répondit Hector en relevant les yeux vers elle.

— Ton palais ? répéta Maman avec suspicion.

Et voilà Hector et Maman se soupçonnaient mutuellement d'avoir déclaré l'incendie au moment où Maman n'était pas là ! Je n'arrivais pas à y croire ! Il était évident pour moi qu'ils étaient tous les deux innocents dans cette affaire, puisque Maman nous avait sauvés et qu'Hector avait été prêt à mourir pour sauver sa fille ! Je décidai alors d'intervenir, sentant que l'atmosphère devenait bien trop tendue pour des futilités :

— Arrêtez ! Ce n'est qu'un simple accident : il n'y a pas de coupable...

Maman et Hector me jetèrent un regard suspicieux, mais Selina ne leur laissa pas le temps de répondre, renchérissant sur mes paroles :

— Ardalis a raison. Nous pouvons nous estimer heureux, personne ne semble y avoir laissé la vie !

— Mais les dégâts matériels sont considérables... commença à protester Hector.

— Peu importe, tout le monde est en vie, coupa Selina brutalement. Une vie humaine vaut bien plus qu'un peu de brique !

Voyant que ni Maman ni Hector ne semblaient convaincus par ces paroles, je déclarai avec un sourire espiègle :

— Ce serait vraiment dommage que vous disputiez pour une chose même pas fondée... Selina et moi ne pourrions même plus réaliser en toute harmonie le projet que vous nous avez confié...

— D'autant plus que nous commencions tout juste à faire des efforts pour essayer de nous entendre... ajouta Selina.

Je lui jetai brièvement un coup d'œil et j'eus l'impression de redécouvrir la jeune fille ; ses yeux émeraude pétillants de vie rencontrèrent les miens, et un léger sourire se forma sur son visage calciné. Nous nous détournâmes l'un de l'autre l'instant d'après, mais cela avait suffi pour me faire gagner en confiance :

— Nous devons avant tout nous occuper de notre population et soigner les blessures de nos habitants.

Maman soupira devant ces paroles et elle déclara :

— Oui, vous avez raison : ce n'était qu'un accident et il est inutile de se soupçonner mutuellement. Pardonne-moi, Hector de t'avoir accusé à tort. Cela dit, ton comportement était...

— Maman ! m'offusquai-je, contrarié qu'elle voulût toujours avoir le dernier mot.

— Non, Majesté, vous avez raison, intervint alors Hector. Mon comportement était inapproprié et je vous prie de bien vouloir m'excuser.

Il y eut un petit silence gêné, jusqu'à ce que Maman reprenne ses esprits et annonce avec sérieux :

— Il est temps de faire sortir la population du Refuge et d'organiser les reconstructions.

Nous nous mîmes alors tous les quatre en action. Les dégâts matériels étaient plus importants que nous ne l'avions imaginé. Le palais d'Hector avait entièrement été brûlé malgré les murs de brique et il fallait tout reconstruire. Toutes les personnes résidant normalement ici, c'est-à-dire une majeure partie de notre armée, habiteraient dans notre palais royal provisoirement le temps des travaux. Maman et Hector refusèrent que Selina et moi les aidions dans la reconstruction, prétextant que l'armée robotisée était bien plus importante. De toute façon, Selina avait besoin de soins avec ses multiples brûlures et Hector la traîna de force jusqu'à l'infirmerie du palais royal. Elle y resta alitée toute la journée mais me promit de me rejoindre le lendemain pour commencer la réalisation du projet de l'armée ensemble.


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