Chapitre 12 - Partie 2 - L'esprit d'une démone
— Tu viens, Sinistra ?
Tandis que j'opinais de la tête, elle quitta la grotte pour disparaître dans le paysage enneigé. Je me levai alors, adressant un Sage un sourire reconnaissant :
— Nous reviendrons demain. Avec la boule de cristal.
***
Il acquiesça lentement, un maigre sourire se dessinant sur son visage décrépi, et je sortis de la grotte pour rejoindre ma sœur qui s'était éloignée quelque peu de l'entrée.
— Elena ! l'interpellai-je.
Elle se retourna vers moi avant de déclarer du tact au tact :
— Il nous cache quelque chose, c'est évident ! Il nous a raconté son histoire bien trop vite et avoue qu'elle ne paraît pas très probable. De toute façon, jamais un inconnu n'aurait confié aussi rapidement ses secrets !
— Il avait peut-être envie de parler à quelqu'un, suggérai-je en haussant les épaules.
— Il ne peut pas habiter ici depuis dix ans, continua Elena, sans se soucier de ma réponse.
— Comment ?
— Il parle trop bien après dix ans d'errance dans ces montagnes. Compare avec Mylena, elle qui a été coupée du monde extérieur pendant un temps similaire. Et encore, elle, elle parlait avec son frère quelques fois.
— Il se parle peut-être tout seul...
— Pff... quel crétin ferait une telle chose à longueur de journée ?
Inutile de dire que je fus vexée par la remarque d'Elena et je choisis de répondre d'un ton accusateur :
— Comme si toi tu ne parlais jamais avec toi-même !
— Je ne l'ai jamais nié ! Nous le faisons tous, parfois ! Mais nous avons besoin de contact avec les autres pour parler correctement !
— Elena... Il bégayait quand même un peu, faisait des fautes...
— Des fautes ?! protesta Elena. Je n'en ai vue aucune ! Au contraire, son langage m'a paru assez soutenu pour quelqu'un qui n'a parlé à quiconque depuis dix ans ! Encore une fois, compare avec Mylena !
— Elle était beaucoup plus jeune quand elle a été coupée du monde... Elle n'avait pas fini son apprentissage !
— Elle avait mon âge ! s'exclama Elena avec colère. Sous-entends-tu que je ne sais pas parler correctement ?
— Elena, il est Sage. Il est normal qu'un Sage utilise un langage soutenu...
— Mais même un Sage ne peut pas aussi bien parler après dix ans d'errance ! Et de toute façon, ce n'est pas comme si sa façon de parler était sa seule incohérence. Il vit dans des conditions de froid extrêmes, et il se nourrit depuis dix ans de quelques restes de viande que d'anciennes civilisations avaient récoltée ! Honnêtement, Sinistra, tu crois vraiment à ce genre de balivernes ?!
Elena ne semblait plus faire preuve du moindre contrôle et je ne comprenais pas pourquoi c'était moi qui me prenais ses foudres. Je tentai de l'apaiser :
— Elena, tu es trop méfiante... Nous devons lui faire confiance... nous n'avons pas d'autre choix, il a peut-être un moyen de trouver la plante miracle !
— Mais je te dis que nous ne pouvons PAS lui faire confiance !
La voix d'Elena s'éteignit et je demandai avec exaspération, tout en remettant mes gants détestablement mouillés sur mes doigts à peine réchauffés :
— Alors que veux-tu que nous fassions ?
— Explorer par nous-mêmes les montagnes pour trouver cette plante ! De toute façon, on s'en rendra vite compte si elle existe ou non ! C'était notre but à l'origine !
Je soupirai face à l'entêtement de ma cadette et grommelai :
— Ces montagnes sont immenses et je n'ai pas envie de passer des journées dans un froid aussi intense ! Ça va nous prendre trop de temps et c'est la mort assurée ! Elena... Remplir notre part du marché avec le Sage, c'est notre meilleure chance.
— Mais... commença à protester vainement Elena avant que je ne la coupe brutalement.
— Tu veux sauver nos amis ?
À peine avais-je dit ces mots que je les regrettais déjà. Même si je savais qu'ils achèveraient de la convaincre, elle ne méritait pas ces paroles odieuses. Elle voulait à tout prix sauver la vie de Kyle et Kurt ; elle cherchait juste une autre alternative. Mais, « à tout prix », cela portait bien son nom. Nous n'avions pas le droit d'hésiter : le Sage réussirait à nous trouver l'ingrédient clé, j'en étais intimement convaincue, et ce peut-être dans les temps.
— Sinistra, tu sais pertinemment que je veux les sauver, entendis-je la voix cassante d'Elena. Je ferai tout pour t'aider à trouver un remède. Je veux juste m'assurer que les intentions du Sage ne sont pas mauvaises avant de lui confier l'objet potentiellement le plus dangereux du monde !
— Mais... un marché est un marché. Nous devons donner notre part. De toute façon, il a besoin de la boule pour nous fournir des informations sur la plante.
— Oui, je sais bien.
Elle n'ajouta rien pour étayer son propos si bien que je demandai :
— Que proposes-tu d'autre, Elena ?
Elle demeura silencieuse, le regard posé dans le vide. Ça me rappelait presque les fois où elle communiquait mentalement avec Kyle, sauf que là elle n'avait personne avec qui discuter. Mais en fait, elle était juste brisée, tiraillée entre deux choix non optimaux. J'aurais tellement aimé lui insuffler la confiance que j'éprouvais à l'égard du Sage.
— J'espère que tu as raison, Sinistra... finit-elle par murmurer.
J'esquissai un léger sourire et je lui pris doucement la main tout en soufflant :
— Oui, Elena, tout va bien se passer...
Elle haussa les épaules et je compris que j'avais réussi à la persuader.
— Allons sur Hister, à présent, déclarai-je alors.
—Allons-nous... allons-nous demander à Kurt de nous la donner ou allons-nous lui prendre sans lui demander son avis ?
Sa question me surprit : je n'y avais pas songé. En y réfléchissant, je compris qu'il ne fallait pas laisser le choix à Kurt, ni à Angie et Kyle d'ailleurs. Car ils refuseraient... puisqu'ils étaient persuadés qu'il n'existait aucun remède. Elena devait y avoir pensé aussi même si elle refusait de l'admettre, si bien que je répondis simplement :
— Nous devons la voler.
— Oui, je sais, me répondit ma sœur d'un air lugubre. Je déteste faire les choses sans leur accord... c'est contraire à l'association que nous avons créée. Nous sommes en train de faire les mêmes erreurs que le Conseil : nous vivons dans la cachoterie, les uns envers les autres.
— Non, Elena... Nous faisons ça pour les sauver...
— S'ils avaient raison ? poursuivit ma sœur sans tenir compte de ma remarque. S'il n'existait aucune solution et que c'était vain de chercher ?
— Elena ! m'exclamai-je. Tu ne peux pas dire ça, pas après tout ce que nous avons déjà fait... Elena, il y a une solution, j'en suis sûre ! Et nous la trouverons à temps.
Elle resta silencieuse, sans m'accorder un regard. L'attrapant par l'épaule, je l'obligeai à me regarder et je découvris que son visage était plus triste et renfermé que jamais. Ses yeux étaient rougis et je la vis se mordre la lèvre avant de murmurer :
— J'espère que tu as raison et que nous prenons les bonnes décisions...
Elle me prit alors la main et invoqua l'Argentus. Nous arrivâmes à l'observatoire d'Hister et nous dirigeâmes vers le palais royal. Je me demandai comment nous allions faire pour voler une relique sûrement bien gardée en plein jour. Et puis, après l'avoir dérobée, on s'apercevrait sûrement de sa disparition et nous serions obligées de dire la vérité. Enfin... nous nous en préoccuperions plus tard. L'important, c'était de prendre la boule et la ramener au Sage pour qu'il trouve cette fameuse plante des montagnes.
Nous finîmes par arriver à l'entrée du palais d'Hister et je me rendis compte que je ne l'avais jamais visité, tant j'étais restée claustrée dans mon château sur Terrumbra. Cependant, Elena s'engagea avec assurance dans l'un des trois couloirs qui s'offraient à nous, tout en déclarant :
— La salle du trésor est par ici... Nous trouverons sûrement la boule de cristal dans cette pièce.
Je la suivis, n'ayant d'autres alternatives, et nous arrivâmes devant une grande porte en or massif gardée par trois soldats.
— Halte ! Que voulez-vous ?
— Nous sommes Elena et Sinistra, les sœurs de Dame Angela.
Ce titre me surprit, encore plus venant de la bouche d'Elena, mais je me rappelai vite qu'Angie était considérée comme la reine d'Hister. Ce fut en tout cas suffisant pour convaincre les gardes qui déclarèrent :
— Vous pouvez entrer, Mesdemoiselles.
— Nous voudrions prendre un certain objet. Pourrions-nous avoir les clés ?
La question d'Elena me surprit : je croyais qu'elle voulait voler la boule. Et demander les clés avant de prendre un objet ne retournait pas vraiment du vol. Comme je m'y attendais, les gardes parurent étonnés et demandèrent :
— Quel objet, Mademoiselle ? Nous ne sommes pas autorisés à confier les clés sans l'autorisation explicite de Sa Majesté. Et même si vous êtes son amie et belle-sœur, nous ne pouvons pas faire d'exception.
— Je comprends très bien.
Son regard se plongea dans le vide puis elle rajouta :
— Je suis désolée, vous ne me laissez pas le choix.
Les trois soldats la dévisagèrent d'un regard ahuri ; et je devais avouer que je ne comprenais pas davantage où voulait en venir ma sœur. Surtout que l'un d'eux dégaina son épée et la pointa vers elle. Je posai mes mains sur mes dagues, prête à intervenir mais Elena m'en dissuada d'un geste de la main, son regard toujours posé dans le vide.
Sous mes yeux ébahis, le soldat rangea son épée, avant de tendre à Elena les clés. Les deux autres ouvrirent la porte et s'écartèrent pour nous laisser entrer. Ma sœur pénétra dans la salle et, stupéfaite par ce revirement de situation, j'hésitai quelques instants avant de la suivre.
— Qu'as-tu fait ?
— Je les ai convaincus par télépathie.
Je soupirai devant les ressorts de ce pouvoir ; décidément, il ne cesserait jamais de me surprendre. Je n'étais pas cependant au bout de mes surprises car Elena décréta :
— Je vais trouver la boule comme ça aussi.
Je laissai alors faire ma sœur et j'entrepris d'observer la pièce. Les murs et le plafond étaient recouverts d'une tapisserie dorée, tandis que le sol était fait de marbre blanc remarquablement brillant. De nombreux coffres or et blanc étaient disposés dans la vaste pièce : il ne faisait aucun doute qu'Hister regorgeait d'une richesse immense. Elena me coupa dans ma contemplation de la salle, que je trouvais pourtant trop garnie pour être réelle :
— J'ai trouvé. Dans ce coffre-là.
Elle en désigna un au fond de la salle et se dirigea dans cette direction. Je l'imitai et elle ouvrit le coffre. Elle enleva les quelques pièces d'or qui recouvraient la boule de cristal avant de la saisir avec le voile argenté qui l'entourait. Il fallait croire que Kurt était incapable d'ordonner quelque chose : ranger les pièces d'or avec les pièces d'or, par exemple !
Nous quittâmes sans un mot la salle et passâmes devant les soldats dociles. Elena s'arrêta quelques instants à côté d'eux puis elle leur remit les clés. Lorsque nous fûmes sorties du palais, j'interrogeai Elena du regard et elle me répondit simplement :
— Ils ne nous trahiront pas : ils n'ont plus aucun souvenir de ce qu'il vient de se passer.
— Tu as vraiment perfectionné ton pouvoir, déclarai-je avec admiration. Tu ne savais pas faire tout ça avant...
— Oui, peut-être... Je me suis juste renseignée...
Sa réponse vague m'incita à poursuivre sur le sujet, même si je n'étais pas sûre de vouloir entendre la suite :
— Kyle t'a donné des conseils pour t'améliorer ?
Je guettai sa réaction face à la mention de Kyle mais elle rétorqua simplement :
— Non, Arachtus m'a appris d'autres fonctionnalités de la télépathie.
— Comment ?! m'exclamai-je, m'attendant à tout sauf à cette réponse.
Je n'aurais jamais pensé regretter la proximité de ma sœur avec Kyle, pourtant c'était le cas à présent. Je ne pouvais pas supporter qu'elle passât autant de temps avec l'homme qui m'avait torturé le cerveau et forcée à trahir les personnes que j'aimais.
— Il a eu Morior, un très puissant télépathe, comme mentor, poursuivit ma cadette sans se soucier de ma réaction. Comme Arachtus me transmet ses souvenirs, j'en apprends davantage sur le pouvoir de télépathie.
Je ne répliquai rien. Ma tentative pour en comprendre davantage sur sa relation avec Kyle avait de nouveau échoué et, comme si je n'étais pas suffisamment affligée par cet échec, voilà qu'elle me disait que c'étaient ses visites avec Arachtus qui l'aidaient à se perfectionner. Je ne pus m'empêcher d'être inquiète pour elle, mais je choisis de me taire, sachant pertinemment qu'elle ne voudrait rien me révéler.
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