Chapitre 12 - Partie 1 - L'esprit d'une démone

« La boule de cristal ?! »

Elena avait presque hurlé ces mots et elle semblait furieuse. Heureusement, le Sage ne sembla pas s'attarder sur ce détail car il poursuivit, d'un ton toujours aussi haché :

— Oui... grâce à Elle, je pourrai peut-être trouver la plante qu'il vous faut.

— Vous pensez que vous réussirez à vous en servir ? murmurai-je, ne me rappelant que trop bien notre discussion tous les cinq au sujet de la boule de cristal que nous n'avions pas réussi à activer.

— J'ai beaucoup étudié la voyance quand j'étais petit... c'était mon rêve... Je pense pouvoir réussir.

La lueur d'espoir que le Sage venait de nous apporter soulagea mon cœur meurtri ; j'espérais tant qu'il réussirait à activer et à utiliser cet objet mystique.

— Si j'y parviens, pourrez-vous me la laisser en contrepartie ? reprit le Sage.

— En contrepartie ? releva ma sœur le front encore plus plissé par le scepticisme.

— Bien sûr, fis-je en même temps, ce qui me valut un regard furibond de ma cadette.

Il me semblait tout à fait normal que nous lui accordions une faveur en échange de son aide. Il n'avait pas eu la vie facile, avec toutes ces années passées en solitude. D'ailleurs, ne voulait-il pas que nous l'aidions à rentrer chez lui plutôt ? Je lui proposai alors et il me répondit d'un ton triste, tout en secouant négativement la tête :

— Non... je veux rester ici... seul. Je ne veux pas... revenir... Je ne veux pas revoir... ceux que j'ai quittés. Je... je ne supporterai pas de les voir changés. De voir leur pitié perpétuelle... Je veux seulement réaliser mon rêve d'enfant. C'est mon dernier vœu pour cette longue vie qui a été la mienne.

Je parvins à comprendre sa réponse, ne ressentant que davantage de pitié pour lui, mais ce ne fut pas le cas d'Elena qui apparaissait encore moins compatissante :

— Comment pouvez-vous savoir que la boule de cristal était dans les mains d'un dieu sur Hister, alors que vous viviez à cette époque sur Marina qui était coupée du reste du monde ?

— Marina était coupée... ? murmura faiblement le Sage. Elle ne l'est donc plus... ?

— Oui, je l'ai rouverte, affirma Elena. Mais cela ne répond pas à ma question précédente.

— Je suis Sage... j'en sais plus que vous ne le pensez... des choses que le commun des mortels ignore... Des livres avaient été rédigés sur cette fameuse boule de cristal... et la bibliothèque de Marina abritait l'un d'eux...

— La boule de cristal aurait donc été créée avant la mort d'Oceann et la fermeture de Marina ? en déduisis-je.

— Oui... répondit évasivement le Sage. D'après ce livre... la boule de cristal aurait été créée... et même utilisée par l'un des premiers dieux...

— Qui ? m'enquis-je avec curiosité.

— La déesse de la Mort...

— Morphéa ?

Le Sage fut pris d'un frisson en entendant ce nom et il répondit un ton plus bas :

— Oui... Elle... C'est d'ailleurs ce qu'il Lui a permis d'élaborer un plan pour mener au déclin des premiers dieux...

— Elle aurait organisé volontairement le déclin des premiers dieux ? m'exclamai-je stupéfaite. Elle aurait donc perdu intentionnellement sa propre Immortalité ? Elle aurait également prévu sa propre mort, quand elle se ferait tuer par Fuocos ? Mais qui accepterait de mener un dessein aussi sombre et funèbre ?

— Morphéa est la déesse de la Mort... Elle voulait... d'après les récits... plonger l'univers tout entier dans la Mort... Elle y compris...

Je baissai les yeux face à cette constatation, n'éprouvant plus qu'une répulsion encore plus grande pour les premiers dieux.

— Cependant, elle a échoué, remarqua Elena. L'univers n'est pas plongé dans la mort.

— Oui... admit le Sage. Car Viteos... et les autres dieux se sont opposés aux sombres desseins de Morphéa...

— Viteos en se donnant la mort s'est opposé à ses projets ? raillai-je, oubliant même le respect que je devais à mon interlocuteur. Je ne vois pas vraiment comment un acte aussi lâche de la part du dieu de la vie aurait pu changer quelque chose pour Morphéa. Au contraire, cela faisait une mort de plus.

Le Sage soupira profondément, comme s'il semblait exaspéré par mes propos, pourtant très logiques. Il finit par déclarer, toujours faiblement :

— Vous ne percevez pas la véritable symbolique de cet acte...

— Car il y a une symbolique à se suicider ?!

— Viteos a mis fin à sa vie... pour permettre aux générations futures de survivre... et de subsister dans la paix...

— C'est réussi ! ironisai-je. Oceann a été assassinée par ses demi-frères.

— Sans compter que Morior et Fulminus se sont voués à une lutte mortelle après cet assassinat, rajouta Elena.

— Viteos ne possédait pas le don de voyance... et il n'a pas consulté la boule de cristal de son épouse... Il ignorait les tragédies qui s'en suivraient... Il pensait vraiment que son sacrifice permettrait à l'humanité de vivre paisiblement...

— Quelle naïveté ! m'écriai-je. Étant donné les circonstances du déclin des premiers dieux, jamais la situation n'aurait pu s'améliorer aussi rapidement !

— Assez, Mademoiselle, me coupa assez sèchement le Sage. Vous parlez d'un sujet donc vous ignorez tout... Vous profanez les dieux et leur mémoire... Vous devriez être châtiée pour votre impudence.

Le regard du Sage se voila et il poursuivit comme pour lui-même :

— Mais malheureusement plus aucun jugement n'est rendu contre ce genre de crimes si horripilants.

Un silence malsain s'installa et je m'efforçai, en vain, d'oublier les paroles du Sage. Avait-il raison ? Jugeais-je vraiment trop rapidement les premiers dieux et leurs actes ? Étaient-ils plus nobles que je ne le pensais ? Pourtant leurs actes me paraissaient tous aussi ignobles les uns que les autres et je ne voyais pas quelle autre symbolique il pouvait exister. Le silence pesant finit par être rompu par Elena, qui demanda, une expression toujours anxieuse sur son visage :

— Qu'est-ce qui nous garantit que vous n'êtes pas en train de nous mentir ? Que vous allez vraiment trouver la plante avec cette boule de cristal ?

Elle était sceptique depuis le début sur les bonnes intentions du Sage, je l'avais bien compris, mais je n'aurais pas pensé qu'elle l'aurait annoncé ainsi à notre interlocuteur. Celui-ci ne parut d'ailleurs pas surpris par sa franchise et il répliqua simplement :

— Je... ne peux pas vous garantir qu'elle existe... puisque moi-même je ne la connais pas. Mais si vous êtes venues jusqu'ici, c'est que vous devez croire qu'elle existe... non ?

Plutôt que nous n'avions pas d'autres pistes à explorer, mais je m'abstins de le formuler oralement.

— Je voudrais vous aider... sincèrement... Donnez-moi une chance de mettre à votre service ma Sagesse...

Je ne savais pas expliquer pourquoi mais cet homme brisé m'inspirait confiance. J'étais intimement persuadée au fond de moi qu'il trouverait la solution à notre problème. Je me tournai vers Elena qui se contenta de secouer la tête négativement pour témoigner son désaccord. Je ne cherchai même pas à comprendre ses raisons et je fis simplement confiance à mon intuition :

— Nous acceptons avec joie votre aide généreuse. Votre savoir nous est très cher, merci beaucoup.

— Non... merci à vous...

Le Sage m'adressa un léger sourire et avant même que je n'aie le temps de le lui rendre, la voix ardente d'Elena retentit dans mon esprit :

— SINISTRA !

— Hein, quoi ? Mais laisse-moi !

— Comment as-tu pu dire oui aussi vite ? Nous ne le connaissons à peine et tu es prête à lui confier la boule de cristal ! Imagines-tu seulement les dangers qu'il peut représenter en possession de cette boule ?!

— Voyons, Elena... Utiliser cette boule de cristal pour trouver notre plante mystérieuse est peut-être notre seule chance...

— Peut-être, mais je refuse que nous lui laissions la boule de cristal après, s'il réussit ! Il a peut-être de mauvaises intentions ! Nous ne pouvons confier à un inconnu un objet aussi dangereux !

Je m'apprêtai à lui répondre, cependant la voix du Sage retentit, nous coupant dans notre échange mental :

— Hum... que vous arrive-t-il... ? Vous semblez...

— Veuillez-nous excuser, coupa sèchement Elena en se relevant vivement. Nous n'allons pas abuser de votre charmante hospitalité plus longtemps. Merci, Monsieur.

Sur ces paroles tout sauf franches, elle s'éloigna vers la sortie de la grotte. Lorsqu'elle fut dans l'embrasure, elle déclara d'un ton peu aimable, tout en enfonçant son bonnet mouillé sur ses cheveux à moitié décongelés :

— Tu viens, Sinistra ?

Tandis que j'opinais de la tête, elle quitta la grotte pour disparaître dans le paysage enneigé. Je me levai alors, adressant un Sage un sourire reconnaissant :

— Nous reviendrons demain. Avec la boule de cristal.


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