Chapitre 1 - Partie 1 - Installation sur Terrumbra

Lorsque, pour la cinquième fois de suite, la potion que j'étais en train de concocter explosa, je projetai d'un violent coup de main toutes les fioles par terre. De multiples explosions dégageant des vapeurs irisées retentirent alors, teintant le sol poussiéreux de mon laboratoire d'un désagréable patchwork de couleurs vives. Aussitôt, mon associée se précipita et commença à ramasser les bocaux qui avaient réussi à survivre à la chute – et ils n'étaient pas très nombreux.

— Laisse, Aélyia... marmonnai-je, sans trop de volonté.

— Je vais t'aider, insista la jeune femme d'une voix douce.

— À quoi bon ?

Je posai mon regard sur la table désormais vide et la fixai avec fureur. Depuis six mois, j'avais essayé un nombre incalculable de potions, dont la plupart avaient explosé, moisi ou même pris feu. Je pouvais d'ores et déjà rayer de la liste l'association de la poudre de cactus avec les feuilles d'ortie et l'huile de ricin, adjointes à un soupçon de racines de bardane et à un morceau de peau de lézard bouilli. Ce mélange n'était bon que pour exploser. Je me refusais cependant toujours d'abandonner les expériences.

Mon regard se tourna vers la double étagère au fond de mon laboratoire, sur laquelle était déposée une quarantaine de petits bocaux en verre où germaient des graines de lentilles, et je les fixai d'un air mélancolique. J'avais eu l'idée de cette modélisation quelques jours auparavant, lorsque j'avais enfin pris conscience que la maladie de Kurt et Kyle, étant héréditaire, était due non pas à un virus ou une bactérie comme je le pensais avant, mais plutôt à une anomalie dans leur patrimoine génétique. Donc si je voulais guérir cette affection, je devais absolument trouver une potion qui rendait inactif le gène responsable de la maladie. Je regrettais de ne pas avoir eu cette brillante idée plus tôt ; j'aurais pu commencer ces expériences plus réalistes avant et gagner du temps.

Je jetai un bref coup d'œil à mes deux bocaux témoins ; l'un contenant des graines normales qui jouissaient d'une parfaite croissance, l'autre empli de lentilles à lesquelles j'avais seulement transféré le sang contaminé par la maladie et qui, elles, se portaient terriblement mal. Leurs tiges étaient rapidement devenues malingres et leurs petites feuilles flétries et jaunies. J'avais injecté dans les graines des autres bocaux du sang porteur du gène responsable de la maladie, associé à une goutte de la potion à tester. Les graines de lentilles avaient l'avantage de germer en seulement quelques jours, ce qui me permettait d'observer rapidement si les potions possédaient un effet bénéfique ou non. Mais, pour l'instant, il semblait n'y avoir que des échecs ; les graines succombaient toutes à la maladie. En effet, elles se portaient toutes aussi mal que celles du bocal témoin, voire pire, ce qui n'était pas peu dire.

Je regardai de nouveau les fioles brisées sur le sol et mes épaules s'affaissèrent. Encore une potion de moins à tester sur les graines... C'est la dixième aujourd'hui... C'est dix de trop. Interrompant mes grognements mentaux, Aélyia posa sur mon bras sa fine main d'une pâleur extrême et murmura :

— Tu devrais cesser de te torturer nuit et jour l'esprit à cause de ceci. Il existe des problèmes auxquels il n'existe pas de solutions...

— Il y en a une ! Je le sais ! rétorquai-je en me retournant brusquement vers elle, si bien qu'elle s'écarta légèrement, sa frêle main toujours posée sur mon bras.

— Mais, pourtant... ils n'y croient plus...

— Ils ont tort ! Nous ne devons pas abandonner ! Cela ne peut pas se finir ainsi. Cela vient tout juste de commencer...

Mon cœur se serra en me rappelant les yeux larmoyants d'Elena alors qu'elle pensait sans aucun doute à la mort des deux frères. Je les sauverai, Elena. Je lui avais fait une promesse ce jour-là, et je comptais bien la tenir.

— Alors, laisse-moi juste t'aider un peu, souffla Aélyia, coupant mes tristes souvenirs.

— D'accord... marmonnai-je, incapable de résister plus longtemps.

— Alors, pour commencer, Sinistra, tu ferais mieux de te reposer. Et ce n'est pas là le conseil d'une assistante, mais celui d'une amie.

Après m'avoir adressé un dernier regard enchanteur, elle prit congé de moi. Elle avait raison, je devais me détendre ; évitant les bris de verre éparpillés sur le sol, je quittai à mon tour mon laboratoire. Tout en marchant à travers les sombres allées cendrées de Terrumbra, je laissai mon esprit divaguer et je repensai à mon installation sur la planète, quelques mois auparavant.

Juste après la perte de Mydéa, ma mygale adorée que j'avais chérie pendant plus de quinze ans, la seule consolation que j'avais eue avait été celle de m'occuper de cette planète : les ténèbres absolues, des cendres brûlées, un palais obscur, des ombres en guise d'habitants... Quoi de mieux pour moi ? Mydéa me manquait toujours terriblement et malgré les beautés de cette planète, j'avais fini par me sentir seule. Très seule. Trop seule. Mes sœurs vivaient sur leurs planètes à elles avec tous leurs habitants, tandis que moi, il n'y avait que des Ombrals, dépourvus de la moindre communication et relation. Je n'aurais jamais pensé possible, mais j'avais envie de parler à des gens.

Après quelques recherches sur ces Ombrals, j'avais découvert que Malefik avait instauré un Sortilège d'Automatisation des Êtres Humains, qui réduisait toutes les formes de vie à de simples automates, dénués de conscience. Malefik... Je m'abstiendrais de tout commentaire sur cet abruti et poule-mouillée de dieu, que, malgré le soupçon d'admiration que j'avais pu éprouver envers lui, je détestais à présent de tout mon être pour sa lâcheté et sa cruauté. Bref. À l'aide du livre sur les Sortilèges que ma jumelle m'avait offert l'année dernière, j'avais réussi à contrer le maléfice. Les habitants avaient donc repris leur allure normale, ils s'étaient montrés très reconnaissants envers moi et m'avaient tous accepté comme leur déesse protectrice. Comme si cette appellation signifiait quelque chose.

Si je me sentais certes moins seule, les problèmes quotidiens futiles avaient commencé à affluer, à partir de ce moment-là. J'avais sérieusement hésité à les retransformer en automates, mais au lieu de quoi, j'avais eu l'ingénieuse idée d'instaurer une loi, qui stipulait qu'on devait faire une prestigieuse offrande à la déesse – pour une fois que ce nom insensé servait à quelque chose – pour avoir la force de résoudre leurs problèmes. Cette stratégie n'avait guère bien marché au début ; on venait souvent avec des petites offrandes ridicules, telles que des vulgaires bibelots en terre brûlée ou encore des simples gâteaux, dont la saveur fade n'avait aucun rapport avec celle des pâtisseries d'Angie. Angie... j'en étais même venue à regretter ses repas que je critiquais pourtant si souvent. J'avais su me montrer exigeante quant aux offrandes, et à partir de ce moment, je recevais beaucoup moins de visites. Ce qui n'empêchait pourtant pas le peuple de vouloir me vénérer tous les jours ! Quelle obsession naïve ! J'avais, bien entendu, essayé de mettre fin à ce ridicule rituel, mais les habitants s'obstinaient tellement que j'avais fini par conclure un accord, stipulant que tous les 15 Vitilia* – le jour de ma naissance – une fête serait organisée en mon honneur. Malheureusement nous étions le 3 Vitilia : je n'avais donc plus que quelques maigres jours pour me préparer mentalement à cette affreuse fête.

Après les premières formalités d'accueil établies, je m'étais consacrée à la confection d'une ingénieuse potion qui permettrait de guérir la maladie de Kyle et Kurt, que cette maudite Célestia avait trouvé amusant de leur léguer pour héritage infortuné. Ces deux mois de recherches n'avaient cependant quasiment rien donné. J'avais seulement découvert que la poudre de cactus, ingrédient par ailleurs fort rare que je cultivais dans une mini serre dans mon laboratoire, possédait de très bonnes vertus thérapeutiques et qu'il me serait sûrement essentiel à la fabrication de mon remède. En revanche, toutes les associations que j'avais faites pour l'instant avec cet ingrédient n'étaient bonnes que pour exploser.

Quant à Aélyia, j'avais fait sa connaissance le mois dernier. Elle était venue solliciter mon aide : son jeune frère Silas, seulement âgé de treize ans, était tombé gravement malade et s'affaiblissait de plus en plus. Aélyia redoutait fortement les conséquences de cette maladie et m'avait supplié de lui venir en aide. Elle avait ajouté qu'elle donnerait et ferait tout pour lui. J'avais finalement cédé à toutes ces lamentations émouvantes et j'avais réussi à guérir son frère. C'était justement cette expérience qui m'avait fait découvrir la puissante vertu de thérapeutique de la poudre de cactus.

Aélyia m'avait chaleureusement remerciée et m'avait, à nouveau, proposé son aide. Je voyais à travers cette jeune femme d'à peine vingt ans un potentiel qui me serait sans aucun doute très utile pour m'aider dans la fabrication de ma potion. Et puis, je me sentais toujours seule dans mon immense palais cendré. J'avais besoin d'une personne à qui je pourrais parler librement. C'était elle, j'en étais sûre. Tout d'abord, ce nom, Aélyia, qui me rappelait en quelque sorte celui de ma chère mygale défunte. Et puis, cette jeunesse et insouciance qui se confondraient presque avec celles d'Elena ; heureusement qu'elle ne m'entendait pas dire cela. Et elle avait un côté organisé, bien que parfois trop maniaque, qui m'aiderait à mettre de l'ordre dans mes pensées. Aélyia avait accepté de devenir mon assistante, et son frère et elle habitaient désormais dans le palais royal. Si pour l'instant elle ne m'avait pas été d'une grande aide en matière de potions, son calme et sa douceur m'avaient apaisée à plusieurs reprises.

***

15 Vitilia : 15 août.
3 Vitilia : 3 août.

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