Chapitre 45
Julien
J’étais complètement désarçonné quand j’ai vu Lisa réveillée dans sa chambre d’hôpital. Depuis qu’elle avait sombré dans le coma, j’allais la voir plusieurs fois par semaine. Je m’en voulait de ne pas aller la voir autant que Camille mais avec mon travail, c’était compliqué. D’autant que la saison estivale était bien entamée, ma quantité de boulot a triplé. J’avoue que je ne croyais plus à son réveil. J’ai très mal vécu son coma comme beaucoup de monde, j’ai même faillis baisser les bras. Quand Sophia m’a prévenu qu’elle s'était réveillée, j’était heureux et terrifié à la fois. Mais quand on m’a annoncé que sa mémoire s’était envolée, j’ai vu le sol s’effondrer sous mes pieds.
Tout était fini. Il ne restait rien de notre histoire, elle ne se souvenait même plus de moi. Son inconscience avait décidé de supprimer nos discutions, nos échanges, nos baisers, nos caresses …elle a oublié qu’elle m’a choisi moi et personne d’autre, et surtout pas Camille. La peur a envahit mon esprit et je redoute qu’elle le choisisse lui à terme. Et ça je ne le supporterai pas.
Je me serre un café bien serré, ajoute un morceau de sucre et le bois lentement pendant que je regarde une photo de mon cousin et moi prise après une après-midi VTT. Elle a été prise il y a deux ans, pendant l’été indien. On était si proche à l’époque, si complice. Je regrette cette période. Aujourd’hui, je vis toujours avec Cam mais on est comme des étrangers. On ne se parle que si besoin. Mais aujourd’hui il est temps qu’on ait une vraie discussion à propos de nous et de Lisa.
Il passe la porte tout apprêté. Jean brut et pull bleu qui font ressortir ses yeux. Il a omis de mettre ses baskets pour laisser place à des chaussures plus habillées et à même mis du gel dans ses cheveux. La seule chose qu’il n’a pas changé depuis un mois, c’est sa barbe de quatre jours. Aucun doute, il va voir Lisa.
- Il faut qu’on parle.
J’essaie de prendre un air pas trop sec mais c’est plus fort que moi.
- On a rien à se dire, me répond-il.
- Il faut qu’on parle d’elle.
- Elle, a un prénom. L’aurais-tu oublié à force de ne pas aller la voir ?
Son ton est mesquin et je comprends qu’il m’en veut de ne m’être déplacé quelques fois seulement. C’est assez paradoxal quand on sait qu’il ne voulait plus que je l’approche avant son accident.
- Tu sais très bien que j’avais du travail.
- Dans la vie, il faut choisir ses priorités.
- Comment elle a réagit quand elle t’a vu ?
Je lui demande sans oser le regarder dans les yeux, de peur qu’il m’annonce une bonne nouvelle pour lui.
- Elle ne m’a pas reconnue, si c’est ta question. Elle m’a juste sourit et je lui ai remis une photo de nous deux. Je lui ai dis que je viendrais la voir aujourd’hui.
- Tu as l’intention de lui dire la vérité ?
- Le médecin a dis de la laisser tranquille pour l’instant avec son passé.
- Ça t’arrange, dis-je plein d’amertume.
- Contrairement à toi !
Un silence lourd s’installe entre nous. Chacun regarde dans une direction opposée. Je veux l’éloigner d’elle et la conquérir à nouveau. Je l’aime… c’est indéniable et je n’ai jamais eu le courage de le lui dire. Il est tôt pour que je dises que je veux faire ma vie avec elle mais j’avais pensé mettre mon bar en gérance le temps de passer l’hiver avec elle à Bordeaux. Cela aurait pu être le début d’une nouvelle vie pour moi en attendant qu’elle commence ses études.
Camille étant majeur, la tutelle est maintenant caduque. Son compte en banque est plein et qu’est ce qu’il me reste à moi après m’être occupé de lui pendant tout ce temps ? De l’amertume parce qu’on est tombé amoureux de la même fille. C’est pitoyable.
J’ai pris un nouveau départ pour lui il y a six ans et je suis bon pour recommencer. Mais cette fois-ci, c’est avec elle que je veux être. Mais comment l’éloigner ? Je sais que s'il reste près de nous, il finira par me la prendre.
- Comment tu vois l’avenir vis-à-vis de Lisa ?
- Je la veux avec moi.
- Je ne te laisserai pas faire.
- Si tu crois que je vais te laisser le champ libre, tu te trompes !
- Cam cela fait maintenant six ans que je t’élève. Je ne veux pas perdre notre complicité, dis-je tout bas.
J’entends Cam prendre une grande inspiration avant de répondre. Lui aussi est déchiré intérieurement. Bien que ce ne soit plus tout rose entre nous, cela me rassure car moi aussi je l’aime. Après six ans de vie commune, on s’attache et Cam est ma seule famille maintenant.
- Julien tu sais que tu es comme un frère pour moi… mais Lisa est comme mon oxygène, je ne peux pas vivre sans elle. Ne me demande pas de choisir entre elle et toi.
Il me vient alors une idée. J’ai Lisa dans la peau mais Camille aussi. Alors si je ne peux l’avoir, il ne l’aura pas non plus.
- J’ai quelque chose à te proposer. Puisque ni toi, ni moi, ne sommes prêts à laisser Lisa, je te propose un pacte.
- Un quoi ?
- Un pacte. On laisse Lisa tranquille pour le moment. Disons pendant deux mois. Et ensuite elle en choisira un entre nous deux ou personne.
- À quoi servirai ce pacte ?
- Elle pourra choisir celui qu’elle veut sans pression et sans influence.
- Deux mois c’est trop long, je serais déjà parti à Bordeaux.
- Alors disons jusqu’au 15 août.
- Je ne veux pas que tu l’approches, soufflât-il.
- Idem pour toi.
- Pas de téléphone non plus. Aucun contact.
- Comment je peux être sûr que tu vas respecter ta parole ?
- Et toi la tienne ?
On se toise comme deux coqs dans une même basse-cour. Il ne reste rien du petit garçon que j’ai secouru, si ce n’est ses yeux. Il a tout d’un homme maintenant. Grand, fort, viril et très mature pour son âge. On ne croirait pas qu’il a dix-huit ans mais plus vingt-deux ou vingt-trois ans. Je ne dois pas le sous-estimer. Si j’ai bien appris quelque chose de Camille c’est la détermination. Il est prêt à tout pour avoir ce qu’il veut et je compte bien prendre exemple sur lui. Alors qu’un nouveau silence s’est installé, il m’annonce une nouvelle qui va tout changer.
- Je vais partir pendant quelques temps…
- Quoi ?
- Le coach m’a proposé de l’aider à entraîner les cadets d’une colonie près de Toulouse.
- Tu ne m’en a pas parlé, dis-je surpris.
- Je n’avais pas l’intention d’y aller jusqu’à maintenant. Je n’aurais jamais laissé Lisa seule. Mais ce pacte est peut être une bonne idée finalement. Et puis entraîner ces jeunes va être génial pour eux comme pour moi. J’ai cruellement besoin de Lisa mais si lui laisser de l’espace peut faire en sorte qu’elle me revienne, je le ferais. En plus rester près d’elle sans lui parler, la toucher ou pire qu’elle m’ignore à nouveau, serait un supplice.
Je vois sa souffrance dans ces yeux. Il l’aime c’est indéniable.
- Et si elle ne veut plus de toi, si c’est moi qu’elle choisi, que feras-tu ?
- Vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Je ne supporterais pas de la voir dans d’autres bras que les miens et encore moins les tiens.
Le reste de la semaine file sans accro. Je croise Camille tous les matins quand je descends prendre mon café. Nous nous parlons à peine, formule de politesse, le menu du soir, il me prévient quand il ne rentre pas diner. Plus question de mettre Lisa sur le tapis, nous nous sommes mis d’accord sur les règles concernant notre pacte évoqué quelques jours plus tôt. Aucun de nous ne doit contacter Lisa, jusqu’à la fin du séjour de Camille pour commencer.
Ce samedi je me réveille difficilement. La nuit a été courte étant donné que des petits malins m’ont donné du fil à retordre avant la fermeture du bar. D’habitude je dors un peu plus tard le samedi matin mais aujourd’hui j’ai quelques entretiens pour trouver une nouvelle serveuse qui nous soulagerai pendant les heures de happy houres tôt dans la matinée avant que les gars viennent me livrer ma commande quotidienne.
Je me lève et enfile un bas de survêtement avant de me rendre dans la cuisine. Je descends la dernière de l’escalier quand je me rend compte du calme qui règne dans la maison. La télévision qui, habituellement, diffuse des clips vidéo à cette heure est éteinte. Je me tourne et marche en direction de la cuisine et aperçois que le café n’est pas préparé. C’est étrange car Camille est le plus souvent celui qui se réveille le premier même le samedi. Je regarde à la fenêtre et ne vois que ma voiture. La il ne m’en faut pas plus pour que je me pose des questions. Mon cellulaire sonne un énième réveil que j’ai oublié de désactiver sur le plan de travail et je vois près de ce dernier deux enveloppes. Une au nom de Lisa et l’autre qui m’est adressée. Mille questions me traversent l’esprit. Où est il ? Pourquoi ces lettres ? Pourquoi maintenant ? Je secoue la tête doucement, m’assois sur un des tabourets qui entourent l’ilot central et prends les deux enveloppes dans les mains.
En les regardant plus attentivement, je reconnais l’écriture de mon petit cousin, elles viennent de Camille, c’est certain. Je mets de côté la lettre de Lisa et m’attarde plus longtemps sur l’enveloppe où mon prénom est inscrit en lettre majuscule. Le café coule lentement dans le récipients et je décide de ne pas attendre plus longtemps pour ouvrir cette lettre. Je passe mon petit doigt sous le rabat et le déchire. A l’intérieur je trouve une photo de Camille et moi datant de plusieurs années. Je l’approche de mon visage et sens l’émotion me gagner.
Nous étions partis faire une randonnée en VTT quelques mois après le début de notre nouvelle vie ensemble. Sur cette photo, il parait tout petit à coté de moi qui pose, un bras protecteur sur son épaule. Lisa était avec nous ce jour là sauf qu’elle se tenait derrière l’objectif. Ses parents recevaient une partie de leurs nouveaux meubles, la voyant jouer avec Cam dans leur jardin pendant que je préparais nos VTT, je me suis dit que Lisa pouvait nous accompagner. J’en ai parlé aussitôt à ses parents qui ont accepté, le regard pleins de reconnaissance.
Je me remémore les rires et les cris de joie pendant cette randonnée et je me rends compte que le lien que nous avons tissé Cam et moi me manque.
Je retourne la photographie et lis une phrase écrite à la main.
« Je me suis dit que le bonheur on ne le sait qu’après ; on ne sait jamais qu’on est en train de le vivre, contrairement à la douleur. »
*Grégoire Delacourt : On ne voyait que le bonheur.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top