Partie 3/4.

Comme tous les jours en fin d'après-midi, Drago Malefoy s'enfermait dans la cave afin d'y travailler. En tant que Guérisseur « auto-entrepreneur », il ne travaillait pas à l'hôpital Sainte-Mangouste mais chez lui. Son rôle, bien avant celui où l'on administrait les soins aux patients, consistait à mettre au point les médicaments nécessaires pour mettre fin à toutes maladies, accidents ou mauvais sorts.

C'est avec aisance et passion que Drago s'affairait donc dans sa cave. Un chaudron bouillonnait sur une grande et longue table en bois massif. Tout autour, des étagères et des vitrines regorgeaient de bocaux et de fioles en verre. Une petite serre, nécessaire à la culture de certaines plantes aux vertus guérissantes, était disposée dans un coin isolé de la cave.

Tandis qu'il lisait ses propres indications notées à la plume sur un morceau de parchemin, Drago ne put s'empêcher de rouler des yeux en entendant les deux adolescents qui se chamaillaient à l'étage. Il les avait chargés de préparer le repas pendant qu'il serait occupé ici, à travailler. Drago jugea qu'ils étaient certainement en train de se disputer pour savoir s'il fallait placer le plat au milieu ou tout en bas du four, comme toujours.

Alors qu'il ajoutait à sa préparation quelques pétales de roses – plus pour l'odeur que par réelle nécessité médicale – Drago sursauta en entendant quelques coups frappés à la porte en bois de la cave. Etant donné qu'il avait plusieurs fois explicité son souhait de ne pas être dérangé en plein travail, il l'ignora simplement. Sauf que, derrière la porte, il entendit sa voix :

- Drago, c'est Albus. Tu... tu peux m'aider, s'il-te-plaît ? Je me suis brûlé. Enfin... ton idiot de fils m'a brûlé. Pas volontairement bien sûr mais...

Drago ouvrit brutalement la porte, ce qui fit sursauter Albus. Ce dernier ne portait que son short de bain, bien calé sur ses hanches. Si Drago n'avait pas eu une once de bon sens, il aurait pu reluquer son torse baraqué et légèrement musclé à loisir. Or, il détourna les yeux.

- Où ça ?

- Heu... là, dit Albus en montrant son poignet. Et là, aussi.

Drago se crispa. Des cloques étaient en train de faire leur apparition sur les reins d'Albus qui, même s'il s'efforçait de cacher sa douleur, serrait les dents comme pas possible.

- Comment c'est arrivé ? , demanda Drago.

Tout en s'appuyant contre la table, Albus expliqua :

- Il voulait égoutter les pommes de terre mais je lui ai dit d'attendre. On s'est disputés la gamelle et... on l'a renversée. L'eau était bouillonnante.

- Vous n'êtes que des petits cons, railla Drago.

- Oui, c'est vrai.

Drago s'efforça de retenir un petit rire tandis qu'il revenait vers Albus, un pot rempli d'une crème visqueuse entre les mains.

- Je te préviens, ça ne va pas être agréable.

- Pourquoi ? Ça brûle ? , demanda Albus.

- Non, pire.

Sans un mot de plus, Drago prit une bonne dose de crème sur ses doigts et fit signe à Albus de se retourner. Ce dernier s'exécuta, mal à l'aise d'être ainsi exposé aux yeux de Drago. Il passait ses journées torse-nu, dans la piscine ou à bronzer dans le parc, mais là tout était différent : il était seul avec lui, dans un endroit silencieux, et il avait conscience de la chair de poule qui commençait à naître sur ses bras. Quand les doigts de Drago se posèrent sur sa peau, sur ses reins, et qu'il massa cette dernière afin de faire pénétrer la crème, Albus ferma les yeux et son souffle se coupa : les mains de Drago. Il fantasmait sur elles depuis des années.

Jusqu'à ses seize ans, alors que les adolescents de son âge en parlaient déjà depuis longtemps, Albus n'avait jamais pensé au sexe. Il était l'un des rares garçons de son âge à fantasmer sur le grand amour, le vrai, plutôt que sur le caractère sexuel de la relation. Il avait lu trop de romances et, d'après son grand frère James, cela lui avait conditionné le cerveau. Son innocence et ses rêveries demeuraient toujours à l'heure actuelle, mais quelque chose avait changé : il était tombé amoureux. Il en avait honte, bien sûr, mais ses sentiments pour Drago Malefoy, le père de son meilleur-ami, lui tiraillaient le ventre depuis déjà plusieurs années. Il avait aimé et s'était attaché à cet homme qui prenait soin de lui et qui s'intéressait à ce qu'il ressentait. Il s'était cassé la gueule dans les yeux gris de Drago qui, quant venait le soir, devenaient sombres et tristes, remplis de peur et de honte. Il avait senti son cœur se briser un peu plus tous ces soirs où, tapi dans l'ombre, il l'observait alors que Drago regardait simplement à travers la fenêtre, incapable de dormir parce que ses souvenirs le hantaient : l'envie, le besoin, de le voir heureux avait alors commencé à lui tirailler le cœur : c'est ainsi qu'il comprit qu'il en tombait amoureux. Drago Malefoy était un bel homme, gentil et mystérieux, brisé et magnifique, et Albus était tombé dans le panneau tel l'adolescent innocent qu'il était.

- Al'...

Drago ferma les yeux, tandis qu'un frisson puissant le tétanisait de la tête aux pieds. À travers sa chemise, il pouvait sentir la peau chaude d'Albus qui plaquait inconsciemment son dos contre son torse d'homme mature. Au niveau de son visage, Drago pouvait distinguer son pouls, sous la peau laiteuse de son cou. L'odeur du jeune homme, masculine mais délicate, lui emplissait les narines : le paradis. Jamais son corps n'avait été aussi proche de celui de l'être tant désiré, et cela lui donnait l'impression de brûler.

Ne supportant plus leur proximité, conscient de l'illégalité de ce qu'il ressentait et désirait, Drago fit pression avec ses doigts sur les brûlures d'Albus afin de le faire réagir. Il regretta aussitôt son geste lorsqu'il l'entendit gémir de douleur :

- Aïe, mais quoi encore ?!

- Rien, tourne-toi.

Albus s'exécuta et Drago, en bon guérisseur, s'appliqua à sa tâche. Il fit en sorte de ne croiser le regard du brun sous aucun prétexte, bien que l'envie de plonger ses yeux dans ceux si verts d'Albus lui faisait mal au ventre, tellement elle était forte.

Quand il eut terminé de le soigner, il s'en alla ranger le pot en verre dans une armoire prévue à cet effet. Albus lui dit simplement :

- Je ne ressens rien, c'est normal ? Tu m'avais dit que ça allait être douloureux.

- Pas douloureux, juste désagréable. Je peux travailler, maintenant ? , grogna Drago.

- Heu... oui. Merci.

Albus quitta la cave en refermant délicatement la porte derrière lui. Drago attendit de ne plus entendre ses pas dans l'escalier de pierres pour se remettre au travail.

À son grand désespoir, il constata qu'une érection naissante déformait son pantalon.

X X X

L'ambiance à table lors du dîner était glaciale, contrairement à d'habitude, bien que la température extérieure fût encore étouffante. Drago mangeait en silence, installé à sa place en bout de table, Scorpius dégustait son repas tout en parlant de la rentrée de septembre et Albus, lui, triturait ses pommes de terre dans son assiette sans grand appétit : l'effet secondaire de la pommade de Drago, dont le goût remontait dans sa gorge, lui avait provoqué une nausée qui lui bloquait désormais l'appétit. Albus s'efforçait de boire de l'eau, espérant effacer le goût amer et pâteux qu'il sentait dans son œsophage.

Scorpius, trop occupé à s'empiffrer, ne remarqua pas ce qu'il se passait : les regards furtifs de Drago sur Albus, ni la façon dont se dernier passait son repas les yeux rivés sur les mains de Drago. Parfois, il levait même un regard sur lui et le dévorait des yeux, le temps de quelques secondes, avant de se souvenir que ce qu'il faisait était malsain.

Quelques minutes plus tard, ce fut Scorpius qui prit la parole. Tous les trois avaient terminé leur repas depuis un petit moment déjà.

- Bon ! Je vais prendre une douche. On fait une partie d'échecs, ensuite ? , demanda-t-il à Albus.

- Ouais, si tu veux.

- Je t'attends dans ma chambre !

Scorpius quitta la table après avoir envoyé d'un coup de baguette ses couverts dans l'immense évier de la cuisine. Une brosse ensorcelée nettoyait depuis près d'une heure toute la vaisselle qu'ils avaient accumulée depuis le début de la journée. Le blondinet monta les escaliers.

Etant donné qu'il ne connaissait par cœur, Albus réalisa qu'il allait devoir attendre au moins trente minutes avant que Scorpius ne sorte de la salle d'eau : il passait toujours trop de temps sous l'eau, à chantonner ou bien à s'imaginer une vie. Il le soupçonnait même parfois de fantasmer sur Lily, sa sœur cadette, mais il n'osait tout simplement pas lui poser la question : cette idée lui donnait la nausée.

- Tout va bien, Albus ? , s'enquit Drago en voyant son teint blafard.

- Non... c'est ta crème, là. J'ai envie de vomir, c'est horrible.

- Tu as bu de l'eau, avec du citron ?

- Non... ?

- Attends.

Drago se leva. Comme l'avait fait son fils, il envoya ses couverts dans l'évier d'un coup de baguette. Albus fit de même et il le rejoignit dans la cuisine, près de la gazinière. Il fixa de ses beaux yeux verts les mains de Drago qui pressaient un citron au-dessus d'un verre en cristal. Il y ajouta un peu d'eau, qui provenait d'un pichet en terre cuite.

- Tiens, bois-ça. Normalement, ça devrait te soulager un peu.

Albus se saisit du verre et le but d'une traite tout en s'asseyant sur l'îlot central. Drago, lui, rangeait soigneusement dans le réfrigérateur les restes du repas du soir. Quand il se retourna, ses yeux croisèrent aussitôt ceux brillants et purs d'Albus. Si purs. Son cœur loupa un battement.

- Je peux te poser une question ... ? , hésita Albus.

- Oui.

- Est-ce que... tu peux me montrer le quatrième étage ?

- Hors de question.

Drago répondit du tac-au-tac, sans la moindre hésitation. Son ventre se tordit et ses muscles s'engourdirent : il détestait qu'on lui rappelle l'existence de cette pièce. À l'époque, il avait voulu brûler tout ce qu'elle contenait. Après réflexion, il en fut incapable : aussi noirs les souvenirs étaient-ils, cela faisait partie de l'histoire. De son histoire.

- Pourquoi ?

- Parce que.

- S'il-te-plaît, Drago.

Il aurait dû dire non. Ce n'était pas pertinent, ni même intéressant. Le quatrième étage du manoir Malefoy avait été condamné par ses parents après la guerre et, depuis, personne n'y avait jamais mis les pieds. Or, quand Albus le supplia en murmurant son prénom, il ne put que marmonner :

- Suis-moi.

En silence, Albus lui emboita le pas. Ils montèrent les escaliers jusqu'au quatrième étage, faisant halte sur le palier du second pour rire de Scorpius qui chantait une chanson française avec un accent horrible sous la douche.

Le quatrième étage avait été condamné par une porte, placée sur le palier et maintenue fermé par un énorme cadenas. À voix haute, Drago annonça le mot de passe et, quelques instants plus tard, le cadenas s'ouvrit. Quand il poussa la porte, cette dernière grinça lentement avant de s'écraser contre un mur. Il faisait sombre à cet étage là et Drago dut sortir sa baguette. Albus fit de même et, en chœur, ils prononcèrent un « Lumos » qui illumina leurs baguettes. Ainsi, ils s'enfoncèrent dans les couloirs du quatrième étage.

Une odeur de renfermé et de poussière régnait dans l'air, rendant leurs respirations difficiles. Albus n'avait plus la nausée, mais ressentait désormais une horrible sensation d'étouffement. Devant Albus qui fermait la marche, il s'arrêta devant une pièce dont il poussa la porte : une chambre. Cette dernière était pourvue d'un lit à baldaquins, massif, et d'une cheminé condamnée. Un fauteuil à l'allure morbide était installé près de celle-ci.

- C'est... quoi ?

- La chambre de Bellatrix.

Albus entrouvrit les lèvres pour parler, mais les mots ne vinrent pas. À la place, il tourna les talons afin de se diriger vers une autre pièce : il y découvrir alors une salle d'eau aux vasques anciennes, où les restes d'un bidet brisé reposaient sur le sol poussiéreux, crasseux.

Albus abaissa finalement la poignée de la troisième porte qu'il découvrir, au centre du couloir. Elle s'ouvrit en un grincement angoissant, et un frisson lui remonta l'échine. Même s'il faisait encore jour à l'extérieur, les fenêtres anciennes et condamnées de cet étage abandonné ne laissaient apercevoir que de minuscules rayons de lumière. Le jeune Potter brandit sa baguette devant lui et, repérant un candélabre posé sur le rebord d'une cheminée, lui jeta un sort afin de l'enflammer d'une lumière vive et blanche. La pièce semblait encore plus froide ainsi.

Il n'y avait pas grand-chose de particulier. Une énorme cheminée dont les montants étaient faits de bois noir, condamnée elle aussi. Le plancher était défoncé, troué ou bien parce que le bois avait été bouffé par les mites ces dernières années. Les planches craquaient sous ses pieds, tandis qu'il s'avançait dans la pièce. Drago, lui, resta dans l'encadrement de la porte.

Albus posa ses doigts sur la longue table en bois qui trônait au centre de la pièce. Les chaises, du nombre de 16, y étaient parfaitement rangées. Quand il se pencha au centre de la table, afin d'en observer le bois, il ne put que remarquer les taches de sang coagulé qui s'y étaient incrustées. Le pas léger, guidé malgré lui par cette fascination malsaine qu'il éprouvait pour cette histoire, Albus se positionna derrière une chaise, en bout de table. Son instinct lui disait qu'il avait trouvé.

- C'était ici ? , demanda-t-il tout bas.

- Quoi ?

- C'était ici qu'il s'asseyait ?

Drago ferma les yeux et, en quelques secondes, les images de cette réunion lui repassèrent devant les yeux : Voldemort installé en bout de table, lui assis entre ses parents, Bellatrix Lestrange et son sourire hideux et Miss Charity Burbage étendue morte sur la table. L'horrible impression que Naguini lui passait entre les pieds le fit sursauter.

- Oui.

Sous les yeux surpris de Drago, Albus tira la chaise et s'y installa. Il posa ses mains sur la table, devant lui, et se redressa. Il tourna ensuite la tête pour poser ses yeux sur Drago. Calmement, il lui demanda :

- Et toi, où étais-tu assis ... ?

D'un pas posé, bien que l'angoisse affluât sans ses veines, Drago s'approcha de la chaise où il avait été autrefois assis. Il ne s'y installa pas, se contentant de rester debout et de poser ses mains sur le dossier en bois.

- Ici.

Albus le regarda : il se tenait sur sa droite, aux environs du centre de la table. Le jeune homme ne sut quoi dire de plus : c'était bizarre. Se retrouver là où le plus grand Mage Noir de tous les temps avait été autrefois assis, à diriger ses sbires, le terrifiait mais le fascinait à la fois. Les pieds de la chaise raclèrent bruyamment le sol lorsqu'il se recula, afin de se lever, et qu'il la repoussa sous la table. Finalement, tel l'adolescent nonchalant qu'il était la plupart du temps, il s'assit sur la table et laissa ses jambes pendre dans le vide. Drago frissonna au souvenir d'un moment particulier.

- Comment... ça s'est passé ? Quand Voldemort t'a confié la mission, tu sais... celle-ci.

- C'était ici, exactement là où tu es assis.

- Tu avais peur ?

- J'étais terrorisé.

Drago fit quelques pas autour de la table, afin de s'approcher d'Albus. Il se planta devant lui, les bras croisés sur son torse. Sous ses yeux, l'adolescent balançait ses jambes d'avant en arrière sous la table comme un enfant pendant une fête d'anniversaire. Il ne comprenait pas à quel point il pouvait être aussi calme et posé dans un endroit comme celui-ci. Sa fascination pour cette histoire mettait Drago terriblement mal à l'aise.

- J'aurais aimé te connaître, à cet époque-là.

- Pourquoi ?

- Parce que... je... peut-être que j'aurais pu te sauver.

Dans un premier temps, Drago n'en crut pas ses oreilles. Il lui fallut un bon moment pour comprendre la portée des mots que venait de prononcer Albus. Malgré tout, perdu, il demanda :

- Comment ça ?

- Tu es brisé, Drago. Comment je pourrais réparer ça... ?

Une larme solitaire roula sur la joue d'Albus. Il s'empressa de l'essuyer, frottant son menton sur son épaule, mais c'était trop tard : Drago la remarqua. Il s'approcha de l'adolescent et posa une main réconfortante sur sa joue.

- Hé... Albus. Ne pleure pas.

- Je...

- Ce n'est pas à toi de me réparer, enfin, à quoi penses-tu ?

Albus enroula ses doigts autour du poignet pâle et fin de Drago. Il remarqua encore une fois que, à cause de la chaleur, sa manche droite était relevée jusqu'au coude tandis que la gauche était abaissée sur son avant-bras. D'une voix penaude, chamboulé par toutes les émotions qu'il ressentait en ce lieu, chamboulé par le comportement angoissé de Drago, il répondit en un murmure :

- Je sais... mais ça me tue de te voir comme ça.

C'est quand Albus leva ses yeux sur Drago, qui le fixait, que ce dernier comprit : Albus l'aimait. Lui aussi était amoureux de lui. Jamais il n'aurait osé imaginer qu'un gamin – à ses yeux – puisse s'éprendre de lui, et pourtant ! Les yeux vert émeraude d'Albus ne mentaient pas. Il le voyait dans leur pureté, cette intensité du regard amoureux et passionné, intense comme un brasier.

Albus l'aimait. Et Drago Malefoy, aussi malsain cela pouvait être, l'aimait aussi depuis bien longtemps déjà. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top