Partie 2/4.
Ce fut aux alentours des quatre heures du matin que Drago tenta finalement de dormir un peu. Il s'était écroulé sur son lit, comme si l'ascension des trois escaliers menant au troisième étage avait été aussi épuisante qu'une ascension de l'Everest. La fatigue avait eu raison de lui et il ne s'était réveillé qu'en milieu de matinée, alors que le soleil baignait déjà sa chambre d'une douce lumière chaleureuse, et que les rires des deux adolescents provenaient du jardin, à travers sa fenêtre ouverte.
Quand il s'étira dans ses draps blancs et froissés, Drago Malefoy se sentit vide. Les yeux à peine ouverts, il ne put s'empêcher de penser à Albus et, surtout, à la façon dont il avait si délicatement touché la marque sur son bras. La conversation ne s'était pas attardée car, perturbé par le regard perdu que Drago posait sur lui, Albus s'en était allé vers sa chambre. Drago était resté là quelques heures de plus à ressasser la délicatesse des doigts de l'adolescent sur sa peau, et l'intensité de son regard plongé dans le sien : il en avait même rêvé, et il s'en voulait.
Drago quitta son lit à contrecoeur car son ventre gargouillait. Un coup d'œil rapide à sa montre à gousset, posée sur sa table de chevet, lui indiqua qu'il était dix heures passées et que les onze heures approchaient dangereusement. Vêtu d'un simple boxer noir acheté dans une petite boutique moldue du centre de Londres, il fouilla dans son armoire à la recherche de vêtements. Cette dernière ne renfermait que des chemises, noires ou blanches, de pantalons à pinces et de quelques rares jeans noirs. Sa garde-robe était terne et déprimante à mourir, en comparaison de celle de son fils qui regorgeait de vêtements parfois trop colorés et extravagants.
Après sa rapide et habituelle douche froide du matin d'été, Drago enfila un boxer propre, une chemise noire ample en soie et un jean skinny. Ce dernier lui avait été offert par Scorpius lors de la fête des pères : le jeune homme avait décrété que son père, bien qu'il soit un sorcier de sang-pur, devait se mettre à la mode moldue car son corps le lui permettait.
En effet, Drago Malefoy était un bel homme. Lors de ses rares escapades dans les rues de Londres, méconnu du monde des moldus, rares n'étaient pas les femmes qui se retournaient sur son passage : avec son visage fin, ses yeux bleus-gris intenses et son corps élancé et finement musclé, il ne passait rarement inaperçue. De plus, ses cheveux blonds et soyeux toujours noués en catogan, lui rajoutaient un charme supplémentaire. Inutile de dire que Drago, pour un homme de quarante-trois ans, ne faisait pas son âge et était même très bien conservé : pas l'ombre d'une ride, ou d'une imperfection. Il était d'une beauté incroyable et envoûtante.
Lorsqu'il descendit les escaliers, il ne trouva qu'une pièce à vivre déserte. Les mets du petit-déjeuner étaient éparpillés sur la table, signe que Scorpius et Albus s'y étaient déjà attablés. Un petit sourire attendri étira les lèvres fines de Drago lorsqu'il remarqua un bol, propre, qui l'attendait en bout de table : Scorpius prenait toujours soin de lui, au travers de petites attentions, et cela lui remettait toujours du baume au cœur.
Se saisissant d'une tartine à la marmelade et d'une grande tasse de thé qu'il but frais, Drago descendit les marches de la terrasse après avoir vérifié son reflet dans le miroir : il se trouvait bien, pour une fois.
- Salut 'pa !
Dans l'immense piscine en marbre noir qu'ils avaient faite installer deux ans plus tôt, Scorpius sautilla et adressa à son père un signe de main. Albus, lui, se retourna brusquement et chercha l'homme des yeux, dans l'urgence. Les battements de son cœur ne se calmèrent que lorsque ses yeux se posèrent sur Drago, qui s'installait à une petite table en fer forgé près de la piscine.
- Bonjour, les enfants.
- Papa, on n'est plus des gamins ! , s'exaspéra Scorpius.
Albus et lui rirent de bon cœur, amusés, sous le regard colère et forcé que leur lançait Drago, sourcils froncés. Il adorait la complicité et la stupidité de ces deux adolescents, même s'ils étaient parfois insupportables et qu'ils faisaient encore les pires bêtises du monde. Tout semblait bien plus joyeux au manoir des Malefoy lorsqu'Albus était là. Comme un soleil, le jeune Potter illuminait tout sur son passage. Aux yeux de Drago, sa simple présence était magique.
Tandis que les deux meilleurs amis reprenaient leur partie de water-quidditch – concept qu'ils avaient eux-mêmes inventé – Drago récupéra l'exemplaire du jour de la Gazette du Sorcier que le hibou de Scorpius venait de ramener. Il le déplia sur la table de jardin, bancale, et en survola rapidement les pages tout en sirotant son thé noir. La tartine qu'il s'était rapidement préparée termina sa route dans son estomac après quelques bouchées.
- Alors, c'en est où avec Brett ? , demanda Scorpius.
Brett ? De biais, Drago leur lança un regard. Qui était-il ? Ses doigts devinrent blancs, à trop serrer le papier du journal qu'il tenait entre ses mains. Il prêta une oreille attentive à la conversation que les jeunes garçons étaient en train d'avoir.
- Nulle part, répondit Albus d'un ton las.
- Quoi, encore ? , s'exaspéra Scorpius. Tu lui plais, fonce !
- Il ne m'intéresse pas, Scorp'. Il veut juste me b... , s'interrompit Albus.
Drago n'eut pas besoin qu'Albus prononce la fin de sa phrase pour comprendre ce dont il était question. Il serra les dents, tandis que son ventre se tordit de colère... et de jalousie : alors, comme ça, un prénommé Brett en voulait au corps d'Albus ? L'idée qu'un adolescent idiot puisse vouloir le « baiser » mettait Drago dans tous ses états : Albus méritait plus. Tellement plus.
Agacé, Drago se leva de sa chaise et s'en retourna vers le manoir. Ses pieds, grands et pâles, battaient le sol avec contrariété lorsqu'il passa près de la piscine afin de la contourner. Scorpius, naïf, demanda :
- Où tu vas ?
- Préparer le repas.
C'est ainsi que Drago se terra dans sa cuisine. S'affairer à préparer un bon poulet rôti pour le déjeuner lui permit de penser à autre chose qu'aux mains rebutantes d'un adolescent puéril sur les courbes d'Albus.
X X X
Drago avait finalement capitulé et, sous les supplications de son propre fils, était finalement venu passer un petit moment en leur compagnie. Bien qu'il ait refusé catégoriquement de se jeter à l'eau, il avait troqué son jean skinny pour un slip de bain noir et avait défait les boutons de sa chemise. Allongé sur le dos sur un bain de soleil moelleux, lunettes de soleil aviateur fixées sur le nez, Drago observait l'espace environnant : les arbres, les fleurs, le ciel, le soleil, les oiseaux et les insectes. L'air était pur et, malgré la chaleur écrasante, il trouvait l'instant agréable.
Dans la piscine, du côté le moins profond, Albus et Scorpius s'adonnaient à ce sport moldu appelé volleyball. Le ballon habituel avait été remplacé par le seul souafle de quidditch qu'ils possédaient, mais cela semblait faire l'affaire : les deux amis se renvoyaient la balle en riant, et Albus éclaboussait Scorpius à chaque fois que ce dernier râlait de ne pas marquer de points. Le score était de 2 à 14 au bout de sept minutes de jeu exactement.
- Mais laisse-moi marquer, au moins !
- En rêve ! , bougonna Albus.
Amusé par leurs chamailleries d'enfants, Drago posa ses yeux sur eux. Dans un premier temps il observa Scorpius : son cœur se remplit de fierté. Le blondinet lui ressemblait beaucoup, à l'exception de son comportement joyeux et insouciant. Il le trouvait beau garçon, intelligent et drôle, et jamais il n'aurait imaginé être capable d'élever seul son fils. Aujourd'hui, peu à peu, il devenait un homme et Drago n'aurait pas pu être plus fier qu'à cet instant précis.
Puis, ses yeux se posèrent sur Albus. Ce dernier lui tournait le dos, ce qui permettait à Drago d'avoir une vue directe sur sa chute de reins vertigineuse et son dos musclé : Albus avait changé. Lorsqu'il l'avait rencontré pour la première fois, six ans plus tôt, Drago avait découvert une presque copie-conforme du Harry Potter de ses douze ans : joufflu, pas très grand, aux yeux en amande. À cette époque-là, alors qu'Albus passait ses premières vacances d'été au manoir des Malefoy, Drago avait appris à connaître un garçon discret, intelligent mais peu confiant, empoté et très timide. Il se rappelait très bien lui avoir plusieurs fois pincé ses joues charnues, comme il le faisait aussi à son propre fils, pour le taquiner. Sauf qu'en six ans, tout comme Scorpius, Albus avait changé : il avait grandi, les tâches de rousseur sur ses joues s'étaient assombries, son corps s'était affiné et sculpté et, frappé par la puberté, il était passé de « petit gamin joufflu » à « beau garçon sexy ». Malgré tout, son innocence et sa pureté persistaient dans ses yeux verts et, peu à peu, Drago avait succombé.
Albus n'avait jamais été un garçon particulièrement loquace. Il n'exprimait pas des masses ses sentiments et ses opinions, et ne discutait jamais pour le simple plaisir de faire la conversation. Drago avait mis des années avant de lui faire dire qu'il était malheureux, trop souvent comparé à son père, et qu'il détestait vivre dans son ombre. La détresse enfouie du jeune homme avait touché Drago en plein cœur : lui aussi ressentait ça. Depuis la fin de la guerre, toutes les portes se fermaient devant lui car son nom était une honte dans le monde des sorciers : son père, Lucius, avait fait les mauvais choix.
Drago Malefoy avait honte de lui, oui. Il avait honte de ce qu'il avait pu faire dans le passé, aux côtés de Voldemort. Il avait honte de ne pas avoir eu le courage de lutter, d'aller contre les principes et les valeurs de ses parents. Mais, en y réfléchissant, il n'avait jamais eu aussi honte qu'à cet instant précis : désirer Albus Potter, un mineur, le meilleur-ami de son fils, lui donnait envie de vomir.
Il ne se souvenait pas exactement de quand est-ce que cela avait commencé. La présence d'Albus s'était insinuée en lui comme une lueur d'espoir magique, comme un sortilège qu'on lui aurait jeté. Chaque été, Albus le rendait un peu plus heureux par ses rires et son innocence. Il le faisait sourire et lui rappelait inconsciemment, au travers de gestes ou de petits commentaires soudains, que les meilleures choses de la vie sont aussi les plus simples et les plus futiles parfois. Il lui avait parlé, plusieurs fois, s'inquiétant pour lui lorsqu'il voyait que ses yeux d'adulte meurtri se remplissaient souvent de larmes aux heures tardives : bien que ses mots étaient généralement maladroits, sa façon innocente de rassurer Drago Malefoy fit fondre le cœur de ce dernier un peu plus à chaque fois.
Albus Potter, dans tout ce qu'il était et pour une raison que Drago ne parvenait pas à expliquer, lui donnait envie de vivre à nouveau.
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