Partie 1/4.
Drago Malfoy était un homme brisé. Brisé par son adolescence, par la guerre, et par le décès de sa femme. Brisé par toutes ces choses qu'il n'avait pas eues, bien qu'il les eues désirées si fort, comme avoir de vrais amis ou bien être libre de ses choix.
Chaque soirée était pour Drago semblable à un calvaire, une torture : dès que la nuit tombait, dès que son immense manoir se perdait dans l'obscurité et le silence, ses pensées resurgissaient. Ces dernières faisaient toujours naître sur sa peau une horrible chair de poule, des sueurs froides dans son dos et, pire encore, un douloureux pincement au cœur et au creux du ventre.
Il ressassait toujours les moments de sa vie qui, même avec une prise de recul suffisante, lui semblaient toujours aussi douloureux et malsains. Il se repassait en boucle la mort d'Astoria, sa femme qu'il avait tant aimée, et la naissance miraculée de Scorpius, son fils qui avait hérité de ses fins cheveux blonds et de ses intenses yeux bleus-gris. Dès qu'il fermait les yeux, un sentiment d'oppression lui donnait l'impression de s'étouffer, tandis que le visage et les mains sinueuses de Lord Voldemort apparaissaient dans son esprit : il ne s'en remettrait jamais.
Comment Drago pourrait-il oublier toutes ces années vécues sous pression de ses parents, de Tom Jedusor, et la peur qu'il avait ressentie tout ce temps-là ? Jamais il ne le pourrait, et il en était convaincu. La Marque des Ténèbres, encrée et éternelle sur son avant-bras gauche, lui rappelait sans cesse cette période de sa vie : l'idée de s'amputer le bras d'un tour de magie lui avait plusieurs fois effleuré l'esprit, dans l'espoir que ne plus voir cet abominable tatouage lui permettrait de tourner la page. Or, sa main lui était bien trop précieuse : il devrait faire avec, jusqu'à la fin de ses jours.
Ce soir-là, comme tous les autres, ne fit pas exception à la règle. Bien que le manoir ait été baigné durant toute la journée par la lumière intense du soleil d'été et des rires de Scorpius et Albus, il était désormais sombre et silencieux. Un silence lourd et assourdissant qui n'aidait en rien Drago à se sentir un peu plus léger.
Dans la pièce à vivre immense, faite de bois et de marbre, Drago était installé sur un immense sofa de velours noir. Ce dernier était installé près d'une imposante fenêtre qui, pendant la journée, permettait une vue imprenable sur le parc environnant. Un orage d'été éclatait dehors : les éclairs illuminaient le ciel, les coups de tonnerres faisaient trembler les murs du manoir et la pluie, elle, tombait légèrement et silencieusement sur les vitraux transparents des fenêtres. Pour n'importe qui l'ambiance qui régnait aurait pu être apaisante, mais elle ne l'était pas pour Drago. Au contraire, un frisson d'angoisse lui picota la nuque : dehors, un éclair illumina le parc et, au milieu des arbres, il eut l'horrible impression de distinguer la silhouette de Voldemort.
Le glaçon, contenu dans son verre de whisky, tinta contre le cristal lorsqu'il le remua dans sa main. Dans l'obscurité, simplement éclairé par la lumière de la pleine lune qui perçait à travers la fenêtre, Drago observa le liquide ambré tourbillonner dans le verre. Quelques secondes plus tard, il le termina en cul-sec et la boisson lui brûla la gorge, le temps de quelques instants. Ses doigts fins et délicats, comme à l'époque de son adolescence, se cramponnèrent au verre alors qu'un coup de tonnerre gronda dans le ciel.
Une mèche de ses cheveux blonds, mi-longs et nouées en catogan, tomba devant ses yeux lorsqu'il reposa sa tête sur le dossier du sofa. Ses yeux gris comme la lune se posèrent sur l'un des nombreux tableaux qui ornaient les murs du manoir Malefoy : photo de famille. Cette même photo qui, des années plus tôt, avait été prise avec ses parents le jour de sa première rentrée à Poudlard. Son cœur se serra et son ventre se noua, le tout douloureusement.
Un mouvement près de l'escalier attira son attention. Il découvrit Albus Potter qui, armé de sa baguette magique, éclairait les lieux en direction de la cuisine. Quelques instants plus tard, Drago l'entendit farfouiller dans son énorme réfrigérateur moldu. Un petit rictus amusé et attendri étira le coin de ses lèvres et, conscient que le jeune homme ne le remarquerait certainement pas, assis là dans l'obscurité du salon, Drago ne dit pas un mot : il se contenta de regarder le ciel, la lune, en pensant à la journée qui venait de s'écouler.
Drago Malefoy adorait l'été. Non pas parce qu'il appréciait la chaleur parfois étouffante du Wiltshire, ni le chant des oiseaux ou encore les senteurs florales, mais parce que cela signifiait que l'ambiance entre ses murs redeviendrait, le temps de quelques semaines de vacances d'été, joyeuse et légère. Le reste de l'année, elle n'était que pesante et morose. La présence d'un adolescent aux cheveux bruns y était pour quelque chose.
- Drago... ?
Ce dernier sursauta, étonné par la voix grave qu'il entendit dans son dos. Contrairement à ce qu'il avait espéré, Albus Potter l'avait remarqué. Ce dernier s'approcha du sofa et s'y installa, un immense verre d'eau dans sa main gauche tandis qu'il tenait une part de gâteau aux carottes dans la main droite : Scorpius et Drago en raffolaient.
-... tout va bien ?
- Oui, Albus.
Drago s'efforça de ne pas le regarder. Ses yeux gris continuaient de fixer l'extérieur – les arbres, désormais – et de penser aux peu de choses positives dans sa vie : son fils et son métier.
- Tu... tu ne vas pas te coucher ? , demanda Albus d'une voix penaude.
- Je ne suis pas fatigué.
En réalité, Drago était épuisé : il dormait très mal, secoué chaque nuit par des cauchemars qui lui semblaient toujours un peu plus réels que les précédents. Il ne dormait que quelques heures par nuits, au maximum cinq, et son corps ressentait sans l'ombre d'un doute la fatigue qu'il accumulait. Or, c'était bien plus simple de donner cette réponse-là plutôt qu'avouer qu'il ne parvenait pas à trouver le sommeil.
- Tu n'arrives pas à dormir, n'est-ce-pas ?
Drago soupira, lassé. L'insistance d'Albus, sur bien des sujets, lui était parfois insupportable. Il détestait cette curiosité qui le poussait à fourrer son nez partout, tout le temps, peu importe le sujet. Il détestait qu'il soit là, près de lui sur le sofa, au beau milieu de la nuit. Un frisson remonta sa nuque pâle et fine.
- Non.
À quoi bon mentir ? Quelque chose dans la voix d'Albus, qu'il connaissait presque aussi bien que son propre fils, lui disait qu'il connaissait déjà la réponse à sa question. Le jeune Potter était très observateur, bien qu'il soit particulièrement discret. Du haut de leurs dix-huit ans, Albus et Scorpius n'avaient plus de secrets l'un pour l'autre : ce dernier lui avait certainement fait par de ses inquiétudes concernant son père.
Après quelques minutes passées dans un silence toujours aussi pesant, ce fut Albus qui prit la parole, timide et à voix basse :
- Comment était-il ?
- De qui me parles-tu ?
- De... Voldemort.
Drago ferma les yeux et inspira profondément : entendre ce nom le mettait toujours dans un état d'angoisse incontrôlable. Il serra ses mains autour du cristal froid de son verre à whisky en s'efforçant de ne pas paniquer. « Il est mort, il ne fera plus de mal à personne » ne cessait-il de penser. Sentant l'impatience malsaine d'Albus, assis à l'autre bout du sofa, Drago déclara :
- Terrifiant.
Il l'était. Au souvenir des moments passés en la compagnie du plus grand Mage Noir de tous les temps, Drago posa sa main droite sur son avant-bras gauche. Dissimulée sous la manche d'une chemise noire, alors que celle de son bras droit était relevée jusqu'au coude, il ressentit le picotement – totalement psychosomatique – caractéristique de la Marque des Ténèbres en éveil sous sa paume.
Alors qu'il regardait la pleine lune d'un regard perdu, Drago sentit ses muscles se crisper et son cœur s'emballer de surprise lorsqu'Albus posa ses doigts sur son poignet gauche. Il y posa ses yeux gris tandis que l'adolescent tirait sa main pâle vers lui. Dans un geste maladroit mais délicat, Albus s'affaira à remonter sa manche. Terrifié et honteux, Drago protesta :
- Albus ne...
- Pourquoi t'efforces-tu de la cacher ?
Drago déglutit : la manche gauche de sa jolie chemise noire en satin était désormais remontée jusqu'au creux de son coude. La main gauche d'Albus tenait délicatement mais fermement son poignet, tandis que son pouce droit traçait légèrement les courbes du serpent encré dans sa peau. Les battements du cœur de Drago s'emballèrent, avant qu'il ne réponde tout bas d'une voix étranglée :
- Parce que... c'est une abomination.
Albus Potter était loin d'être stupide : il avait lui des livres – beaucoup de livres – concernant l'époque qui opposait son père, le grand Harry Potter à Lord Voldemort. Il avait entendu, à l'école, un bon nombre d'histoires concernant cette période. Son père aussi lui en avait raconté des choses ! Tout comme Scorpius, d'ailleurs. D'une voix assurée, convaincu, il annonça discrètement :
- Ce qui compte ce n'est pas ce que tu as fait, mais ce que tu n'as pas fait.
Drago cessa de lutter et releva ses yeux vers le visage d'Albus. À cet instant précis ou leurs iris si différents mais si complémentaires, aux couleurs de Serpentard, se croisèrent, son cœur se mit à faire des siennes dans sa poitrine et une bouffée de chaleur l'envahit. Du haut de ses quarante-trois ans, il aurait juré sentir ses joues s'empourprer.
Les yeux d'Albus, en amande et d'une couleur vert émeraude intense, brillaient d'une magnifique lueur de pureté. Cette même lueur qui, un an plus tôt, avait fait définitivement chavirer le cœur de Drago Malefoy.
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