5 - The winger

Lors de ma première venue, celui qui m'avait servi de mentor - et qui était très vite devenu mon ami - m'avait prévenu que la première semaine était toujours la pire. Mais je n'avais pas compris car j'avais été quelque peu chanceux et tout s'était bien passé pour moi. Les gens n'avaient pas été trop cons, avaient évité de me faire de stupides blagues et m'avaient plutôt laissé tranquille, sans doute par pitié, après avoir appris que je venais de perdre mes parents. Dorénavant, tout était différent. Je comprenais enfin ce dont il voulait parler. La pemière semaine était bel et bien la pire, du moins j'espérais que les prochaines semaines n'allaient pas être plus mauvaises que celle-ci... Une semaine interminable, pénible, épuisante. Jeff toujours sur mon dos. Et personne à mes côtés.

Je m'étais pourtant déjà habitué au rythme du camp : réveil à 7h du matin, cours de 8h à 14h et le reste de l'après-midi consacré aux sports - que je n'avais pas pu pratiquer jusque là à cause de mon « mauvais état d'esprit ». Sergent Blondie avait cru me priver de quelque chose en me donnant cette punition mais il m'avait en fait, sans le savoir, délivrer d'une lourde tâche. Ça m'arrangeait car contrairement aux autres garçons, je n'étais pas très sportif. Ce n'était pas que je n'avais pas les capacités, ça je n'en savais rien, j'avais pas vraiment essayé mais seulement ça ne me plaisait pas. Je trouvais le sport assez bête, il ne faisait que ressortir notre fierté bestiale. Alors, ces sept derniers jours j'avais passé les trois heures sur les gradins, à regarder sans intérêt ceux qui se tuaient au base-ball, ceux qui donnaient tout dans leur match de rugby et enfin les plus nombreux dévoués au football - américain bien sûr. Il y avait aussi un plus petit groupe qui alternait entre course et musculation mais ça ne m'intéressait pas davantage.

Alors quand ce Lundi après-midi, nous étions arrivés sur la pelouse et que l'on m'avait demandé ce que je voulais faire, je ne sus pas que choisir. Toutefois j'avais sentis le regard du gros Ben peser sur moi et dans sa fameuse équipe de base-ball, j'avais reconnu les quelques mecs qui s'en étaient pris à moi, dans la cantine une semaine auparavant. J'avais donc compris qu'ils représentaient alors les petits chefs du camp - comme il y en avait toujours eu - ceux qui se croyaient tout permis, ceux qui faisaient régner leurs propres règles. En clair, ceux qu'on affronte ou ceux qu'on rejoint. Cette situation ne m'avait pas fait peur, au contraire : je m'étais déplacé vers Ben, leur montrant que je n'allais pas les fuir. Je ne les rejoignais pas non plus, malgré ce qu'ils pourraient penser, : j'affrontais.

Une heure était passée. On avait insisté pour que je tente de taper à la batte; c'était donc ce que j'avais fait sans réussir à atteindre aucune balle. J'avais ensuite été mis de côté pour la deuxième heure avec l'ordre « d'apprendre en regardant ».

- Attention ! s'écrièrent soudainement plusieurs voix.

Automatiquement, je tournai la tête en direction des cris et d'en l'air, je vis un objet ovale arriver à toute vitesse sur moi. Ce fut presque inné, je plaçai mes mains en coupe et réceptionnai aisément le ballon de rugby quand il arriva contre mon torse. Je le renvoyai au mec, à plusieurs mètres qui courait vers moi et qui était d'ailleurs le mystérieux métisse aux faux yeux verts. Il n'avait plus tenté de venir me parler depuis, se contentant de traîner avec ses amis. Et c'était compréhensible ; je n'étais pas la meilleure compagnie qu'il pouvait trouver ici. Quand il eût réceptionné son joujou, il me fixa avec un air étonné mais je n'y fis pas plus attention, me concentrant à nouveau sur les entraînements de base-ball en face.

- Attrape ! l'entendis-je me dire.

Je tournai à nouveau la tête vers lui. Il avait déjà relancé le ballon, celui-ci me fonçait à nouveau dessus avec une précision remarquable et une force impressionnante. Je me relevai et le récupérai en l'air tandis que le mec me rejoignait déjà. Il arriva essoufflé, tout transpirant, mais avec un énorme sourire qui en disait long.

- J'ai vu que tu étais très mauvais pour taper, peut-être que tu serais meilleur avec nous. Tu veux essayer ?

Je sondai le terrain de base-ball en face de moi, la terre rouge que je détestais tant et rencontrai le regard dur de Ben. Pourquoi tenait-il autant à m'avoir dans son équipe malgré mon incompétence ? Et je devais être honnête au moins avec moi-même, j'avais une préférence pour l'action du rugby plutôt que celle du base-ball - qui justement était inexistante tant le jeu étant lent.

- Tu cours vite, t'attrapes bien, lista le métisse pour me convaincre, tu ferais un bon ailier. Allez, juste un entraînement.

Je regardai une dernière fois le chef de « mon » équipe et la manière dont il continuait de me fixer confirma ma décision. J'avais envie de lui montrer à présent que je ne dépendais pas de lui, que je faisais mes propres choix et qu'il pouvait bien aller se faire voir. J'acquiesçai vaguement et avançai vers le petit terrain de rugby, priant pour ne pas me ridiculiser. Ayant déjà fait ce sport au lycée, j'étais au moins sûr que je ne me débrouillais pas trop mal mais face aux gabarits qui se trouvaient dans l'équipe, c'était autre chose.

- Isaiah, qu'est-ce que tu foutais ? râla un garçon de petite taille quand on arriva.

Une trentaine de personnes était dispersée, sur tout le rectangle d'herbe, en petites équipes avec différents exercices entraînements. Je n'y connaissais rien et à première vue ça m'avait l'air plutôt éprouvant.

Puis... Le prénom. Il me revint en mémoire. Je me souvenais à présent avoir rencontré un jour un Isaiah mais je ne saurais dire comment et quand exactement. Je tournai la tête vers lui, les yeux écarquillés, et aperçut tout de suite son sourire en coin mais aussi son regard d'une lueur singulière.

- Ça y est, tu me remets ?

Je haussai les épaules, signe d'ambivalence totale. Il se mit à rire puis appela en quelques joueurs de l'équipe dont il était apparemment le capitaine, à en juger le bandeau rouge à son bras. Il leur demanda de se diviser en deux et me fit signe de rejoindre un des groupes, composé de mecs aux corpulences différentes. En face de nous, s'étaient reculés les neufs autres que nous allions affronter...

- Est-ce qu'il connaît au moins les règles ?! souleva quelqu'un.

- On lui apprendra, rétorqua Isaiah, s'il réussit le test d'ailier.

- S'il survit ! scanda un autre avant d'éclater de rire et d'emporter le rire de ses camarades avec lui.

Même Isaiah ne put s'empêcher d'esquisser un sourire. Une boule dans la gorge, la respiration déjà coupée, je levai la tête et observai nos adversaires bien plus costauds que nous. Il l'avait fait exprès ou quoi ?

- Ok, c'est simple Leander. Jake qui sera devant toi te fait la passe, tes coéquipiers t'aident un peu en dégageant quelques adversaires mais pas trop pour t'en laisser quand même ! Tu les évites ou tu fonces dedans, on s'en fiche : il faut que tu marques.

Simple... Rien ne me semblait simple quand je percevais dans leur regard leur désir de me réduire en morceaux et de m'humilier devant toute l'équipe mais surtout devant tout le camp, autour de nous. Les joueurs se mettaient en place, prêt à démarrer mon test d'entrée tandis que je continuais d'observer les alentours à la recherche du seul capable de m'encourager. J'avais besoin cette fois de son optimisme et de son soutien presque fraternel. Julien. Mais il n'était pas là. Il n'y avait que le regard froid, vide, que me jetait le Sergent Blondie au loin.

- Tu as juste à courir, me rassura Isaiah en me tapant l'épaule avant de sortir du « terrain ».

Juste à éviter les 9 monstres devant moi, aussi... Le fameux Jake qui détenait le ballon était posté à cinq bons mètres de moi et me désigna mon emplacement sur le terrain. J'étais tout à gauche, près des limites du terrain ; les poteaux en face me paraissaient être à des kilomètres. Je me reculai un peu, tapai le sol de mon pied sous la nervosité, soufflai franchement et fit un signe de tête à Isaiah qui m'observait avec un air inquiet depuis. Il y eût un long coup de sifflet ; tous les joueurs se mirent à courir tandis que moi je partis en retard - long à la détente. J'avais agrandi la distance entre Jack et moi... Je ne réussirais jamais à attraper ce foutu ballon !

Mais avant d'avoir le temps de me morfondre davantage, je le vis se faire rentrer dedans de plein fouet et le ballon voltiger à temps vers moi. Je réduisis mon appui sur mes cuisses, penchai mon corps en avant et courus à toute vitesse dans le but d'aller l'attraper. Je fus donc soulagé quand je le sentis se plaquer contre mon torse ; je le serrai de toutes mes forces et continuai ma course folle en ligne droite. J'entendais « mon » équipe m'encourager et cela me semblait trop beau, trop facile, quand soudainement un énorme mec se pointa face à moi. Je fermai les yeux au moment où son épaule cogna brutalement ma cage thoracique. Tout son corps me projeta parterre, me laissant sans respiration et avec une terrible douleur dans le torse. Même mon dos avait morflé lors de ma chute... ce sport était sauvage bordel !

- Le but n'est pas de le tuer ! s'affola Jake en accourant vers moi.

- Non, le but c'est de jouer... C'est ce que j'ai fait, non ? répliqua mon agresseur. S'il ne peut pas m'éviter alors, il n'est pas fait pour jouer avec nous.

Jake ne répondit rien cette fois, certainement d'accord avec cette idée. Moi, je ne l'étais pas. Alors, je m'empressai de me remettre sur pieds ; je n'allais pas abandonner aussi vite. Si Isaiah pensait que j'avais mes chances, je voulais prouver que je les avais vraiment ! Tout ce que l'on me demandait, c'était de courir et d'éviter les mammouths. J'en étais capable.

Je relançai le ballon à Jake qui me lança un sourire fier et regagnai ma place à petite foulée. Le capitaine n'avait pas bougé de sa place ; en me voyant arriver, il hocha la tête. J'étais peut-être nul mais je n'abandonnais jamais face à la difficulté. On me poussait au sol, je me redressais plus vite et luttais plus longtemps.

Ainsi, les deux tentatives qui suivirent furent légèrement mieux mais toujours aussi calamiteuses. J'arrivais à courir une bonne partie du terrain mais le problème survenait toujours quand j'arrivais face à l'un des deux piliers - qui représentaient les joueurs les plus costauds de l'équipe. Des mecs sans doute dotés de plus de graisse que de muscles qui avaient l'air d'avoir une vingtaine d'année et non une quinzaine. Ils m'avaient tant plaqué sans douceur que je commençais à avoir la tête qui tournait et mon corps qui brûlait. Mes jambes tremblaient après tant d'efforts, je n'étais pas sur de pouvoir faire une course de plus pourtant je tentai le tout pour le tout avec la quatrième et dernière chance qui m'était donnée.

- Focalise-toi sur le bout du terrain, prends bien tes appuis quand quelqu'un arrive sur toi, me répéta Isaiah venu auprès de moi, tu peux le faire.

Je secouai la tête de haut en bas, sûr de moi à présent. J'étais soulagé qu'il ne fasse pas partie de ceux qui, comme tout le reste de l'équipe, me conseillaient d'abandonner et de recommencer le lendemain. Je n'avais pas envie de recommencer plus tard, je voulais réussir maintenant. Et savoir qu'il y avait au moins quelqu'un qui était du même avis que moi me faisait persévérer car dorénavant j'avais des choses à prouver. Non seulement à moi mais à lui aussi.

- Mais quoiqu'il arrive, ne cesse jamais de courir...

Il m'avait dit cette dernière phrase en me tournant déjà le dos. Je le regardai prendre sa place d'arbitre avec empressement, juste à ma droite étant donné que j'avais été placé du côté de ce terrain. Je me focalisai sur les joueurs qui se trouvaient devant moi, à plusieurs mètres. Quoiqu'il arrive, ne cesse jamais de courir...

Le coup de sifflet me surprit cependant je partis aussitôt, presque conditionné par ce bruit strident. Quand il résonnait, il fallait courir, pas si vite d'abord pour rester derrière le joueur qui avait le ballon puis à toute vitesse, une fois qu'on le possédait.

Alors quand la balle tomba encore une fois dans mes mains, j'oubliais mes peurs, ma réticence, j'oubliais les murs auxquels j'allais me confronter dans une ou deux minutes. Je courus, comme si toute ma vie en dépendait. Je courus comme je l'avais fait le soir où l'on m'avait annoncé le décès de mes parents et celui des centaines de passagers de ce putain d'avion... Je me souvenais m'être levé de mon lit d'hôpital, complètement sonné à cause des médicaments et de la douleur peut-être, et avoir couru dans les couloirs à la recherche d'une seule personne... Celle que je n'aurais jamais dû lâcher. Et je ne m'étais pas arrêté. J'avais parcouru tous les couloirs à toute vitesse avant de m'évanouir d'épuisement. D'épuisement et de tristesse car je n'avais finalement pas réussi à la trouver. J'avais perdu ma mère.

Quoiqu'il arrive, ne cesse jamais de courir...

Je ne sentais presque plus mes pieds toucher le sol, j'aimais cette sensation. L'impression d'être au-dessus de tout, de pouvoir surpasser n'importe quel obstacle, d'être capable d'aller de l'avant. Ou presque...

- Leander ! me cria-t-on.

Je redressai immédiatement la tête, apercevant avec effroi le musclé qui se dirigeait avec moi. Sans réfléchir, je ralentis légèrement pour prendre le plus d'appui possible puis attendis le moment où nous fûmes le plus proche possible pour tourner sur moi même. Mon dos rencontra son torse avec force, l'espace de quelques secondes, alors que je me retournai déjà sur le côté afin de me remettre à courir vers les poteaux. J'avais réussi, j'étais passé ! J'entendais les cris joyeux de mes coéquipiers derrière moi ; j'accélérai de plus belle, épuisant mes dernières forces. Mes genoux me faisaient terriblement mal à chaque pas, mes cuisses me tiraient, mon dos était endolori mais la course me libérait de cette lourdeur là.

Ne cesse jamais de courir...

J'évitai les mecs suivants à l'aide de quelques feintes habiles venus naturellement puis fonçai entre les poteaux abîmés. La ligne d'en-but n'était plus qu'à quelques mètres, une dizaine ou peut-être moins. Là tout près... Mais plus je me rapprochais, plus elle me semblait paradoxalement loin. Ma vue devenait floue, le sol n'était plus stable si bien que je faillais trébucher plusieurs fois. Finalement, ce ne fut pas mes jambes qui lâchèrent mais un joueur qui vint me plaquer dans le dos. De la même manière que Jeff. Ma tête cogna la terre dure et fut tout de suite apaisée par la froideur de l'herbe fraîchement arrosée. Mon esprit partait... Les célébrations des joueurs étaient camouflés et je n'étais même plus capable d'ouvrir les yeux. Je m'évanouissais encore. Mais cette fois, j'en sortais gagnant car lorsque j'étais tombé en avant, mes mains avaient plaqué le ballon tout juste derrière la ligne blanche, signant ainsi mon entrée dans l'équipe.

***

L'avantage d'être malade, ou encore de tomber dans les pommes était que si l'on restait suffisamment longtemps à l'infirmerie, on finissait par partir aux douches après tout le monde. Car les regards insistants de certains mecs sur mon corps, je pouvais m'en abstenir ! Il y avait ceux qui te regardaient à l'instar d'un enfant devant une glace ou un bonbon, ceux empreints de moquerie puisque tu n'avais pas la chance d'avoir autant de muscles qu'eux ou encore ceux qui t'observaient méchamment comme si tu n'étais qu'un tas de merde puant. J'étais au moins soulagé que ce soit des cabines de douches individuelles. J'aurais été prêt à ne pas me laver du tout si j'avais dû leur montrer mon pénis à ces cons. Ils seraient morts de jalousie !

A cette pensée là, je me souris à moi-même en entrant dans le réfectoire où tout le monde mangeait déjà depuis quinze minutes. Je venais tout juste de me réveiller, de prendre ma douche, j'étais quelque peu à l'ouest... Je ne compris donc pas tout de suite pourquoi un coordinateur venait de me féliciter.

- Forrest Gump, ne reste pas devant l'entrée ! m'attaqua ensuite Jeff en me poussant vers le self-service.

Je lui offris mon plus beau sourire, lui faisant sans doute apercevoir la couleur de mes dents pour la première fois. Une semaine m'avait suffi pour me faire à sa méchanceté et à comprendre comment il fonctionnait. Il n'attendait qu'un faux de pas de ma part alors je faisais tous les efforts possibles pour ne pas lui donner satisfaction. Je n'entrais pas dans son jeu et continuais plutôt de me comporter en adolescent modèle, acquiesçant, souriant et obéissant à ses ordres. Et puis franchement, Forrest Gump c'était cool comme surnom !

Je partis prendre la nourriture qui ne m'attirait toujours pas avant de remonter les rangées de table blindées de crétin qui continuèrent de m'insulter et de me lancer des trucs à mon passage. L'esprit ailleurs, je ne relevais pas et n'eus même pas besoin de me calmer car la colère était inexistante. Leur attaque ne me faisait plus rien, je savais qu'aujourd'hui j'avais passé un grand cap. Je gardais en tête : « La première semaine est la pire » et me persuadais que ça irait mieux à partir d'aujourd'hui. D'autant plus quand je vis Isaiah et quelques rugbymen assis à « ma » table, habituellement déserte.

Je pris place en face de lui alors que le mec ou plutôt le gamin sur ma droite me lançait un grand sourire. C'était un petit gringalet blond, aux grands yeux bleus et à l'air innocent. Il ne devait pas avoir plus de 13 ans et je me demandais ce qui avait bien pu l'amener ici.

- On a jamais vu quelqu'un courir aussi vite dans le camp ! s'extasia-t-il.

Je levai les yeux au ciel, surtout étonné de voir qu'il se comportait comme s'il se trouvait en face d'Usain Bolt. J'avais peut-être des facilités à courir mais mes capacités n'avaient rien d'impressionnantes. Moi, j'étais juste content de faire partie d'une équipe autre que celle de Ben. Content de lui montrer aussi que j'excellais dans un domaine, sans lui ; je n'avais pas besoin de son foutu base-ball pour apprendre à courir. D'ailleurs j'avais hâte de voir sa réaction à la séance du groupe dans un quart d'heure.

- Je suppose que tu as compris, tu as réussi le test même s'il y a encore beaucoup de choses à travailler, me lança Isaiah. À toi de nous dire si on peut compter sur toi.

Je plantai mes yeux dans les siens qui, plus dotés de lentilles, laissaient percevoir leur couleur naturelle. Son regard sombre me rappelait cette fois quelque chose... Son prénom d'abord, puis la manière dont il me fixait. Je l'avais définitivement bien rencontré, mais comment ? Et pourquoi cette rencontre m'était sortie de la tête ?

- Alors ?

Je répondis à sa précédente question par un hochement de tête et mangeai les seuls aliments comestibles de mon plateau soit du pain et un fruit.

- Tu vas devoir manger plus et te muscler ! me prévint un roux, assis en diagonale de moi.

- Tu seras là cet été ? reprit le gamin à ma droite, plein d'entrain. Parce que Perrin met en place un programme sportif de Juin à Juillet et fait venir une association de recruteurs qui consiste à donner une chance aux meilleurs joueurs en leur permettant de suivre un entraînement à leur sortie et peut-être devenir un professionnel. Tu sais qu'un rugbyman a réussi à rejoindre l'équipe d'Australie comme ça !

- Colin, calme-toi un peu ! Je ne pense pas que Leander envisage d'en faire sa carrière pro, rigola Isaiah.

- Ouais mais il devrait.

Sa phrase clôtura la discussion sur moi et ils m'enseignèrent tous un peu quelques règles du rugby, surtout les plus importantes. J'allais, selon eux, apprendre les autres sur le terrain. Ils n'avaient pas l'air d'avoir conscience que je n'étais pas un sportif dans l'âme... ni dans le corps d'ailleurs ! Ils avaient au moins l'air de croire en moi et c'était ce qui me manquait en ce moment, une voix qui me dise que j'étais capable d'accomplir quelque chose car la mienne s'était éteinte.

À 18h, nous fûmes très vite chassés du réfectoire et envoyés dans nos séances de groupes respectives. Avec le Dr. Straw cette demi-heure avec tout le monde était finalement plus supportable que je ne l'avais imaginé en partie parce que la seule chose que j'avais à faire était d'écouter. Il n'y avait qu'un détail pénible là-bas, Regan. Le mec qui n'était officiellement plus mon « mentor » depuis aujourd'hui. Je pouvais déambuler dans les couloirs, aller aux activités sans l'avoir sur mon dos.

En entrant dans la salle, je subis tout de suite son regard de travers et comme d'habitude, je l'ignorais. Si ça faisait passer son temps de détester quelqu'un sans raison, je le laissais faire. Toutefois mis à part lui, il y avait aussi le gros tas plus communément dénommé Ben qui m'adressait un regard colérique. Il ne dit rien pendant que je m'installais sur une chaise et vint même s'asseoir à mes côtés.

- Alors t'as trouvé ton équipe de musclés ? Vous allez pouvoir vous enduire d'huile et vous touchez dans les vestiaires ? ricana-t-il avec une grimace de dégoût. Vous faire des câlins sur le terrain, vous touchez le cul à longueur de journée ?

- Si tu pouvais éviter d'étaler tes fantasmes ici ! râla un jeune noir, toujours sérieux.

Les rires embaumèrent la pièce et mon sourire étira mes lèvres, emplissant mon cœur d'une singulière gaieté. Notre psychologue arriva à ce moment et démarra la séance sans perdre de temps, toujours en demandant de désigner notre humeur du jour par un mot.

Accepté. Je me sentais accepté. Non par tout le monde mais par un petit groupe de personne et ça me suffisait.

***

La séance groupée et celle avec mon orthophoniste s'étaient vite déroulées, toujours aussi inutiles ceci dit. Mais je préférais encore passer du temps avec M. Straw ou encore Tatiana plutôt que d'être torturé par ma psychiatre, Mme Jenson. Je n'allais la voir qu'une fois en début de semaine contrairement à ce qui était convenu car elle ne pouvait se permettre de venir jusqu'ici tous les soirs. De plus, ma séance avec elle me bouffait une heure de temps libre, ce qui ne rendait le moment que plus désagréable.

- La star du rugby ! me salua-t-elle avec un sourire honnête.

Je répondis par le biais d'un éphémère sourire et fermai la porte de la salle derrière moi. Je la rejoignis derrière l'ordinateur que l'orthophoniste et elle utilisaient en vain pour essayer de me faire parler. Le problème avec Mme Jenson c'était qu'elle était moins niaise, elle était là pour me comprendre, savoir ce qu'il y avait dans ma tête, m'analyser... Tandis que Tatiana ne travaillait de pair avec elle que pour faire avancer ma « communication ». J'étais sûr qu'elles finiraient un jour par laisser tomber toutes les deux, comprenant enfin que je n'avais pas à parler et que je ne le ferais pas. Pourquoi Jenson ne le comprenait-elle pas d'ailleurs ? N'était-ce pas son job après tout ? Comprendre et interpréter ce que je ressentais.

Il n'y avait qu'une seule personne, ou peut-être deux si je comptais ma tante, qui s'était faite à mon silence et qui ne m'avait jamais forcé la main pour parler à voix haute. Nora. Elle m'avait dit une fois : « J'adorerais entendre ta voix, comme ton entourage, mais on ne te demande pas de parler à tout prix ! » sans savoir que ce « on » n'englobait qu'elle. Mais moi, je l'avais su. Je le savais. Or maintenant, elle n'était plus à mes côtés ; je devais me confronter à toutes ces personnes qui me poussaient à communiquer. Écrire un mot, faire un signe, émettre un son... Quoique ce soit, rien que pour les rassurer.

- Avant de commencer la séance, j'ai une bonne nouvelle à t'annoncer ! avança la dame blonde. Installe-toi.

Je m'assis en face de cette jeune femme d'une trentaine d'année ; une femme qui me supportait depuis presque un an mais à laquelle je ne m'étais jamais habitué. Je me disais que c'était passager, ça me rassurait de savoir que je n'aurais pas besoin d'un tel entourage psychologique toute ma vie. Pourquoi dès qu'une personne ne parlait pas, on en déduisait qu'elle allait mal ? Mon silence m'apaisait, j'allais plutôt bien...

Elle me sourit en coin, passa une mèche derrière son oreille et m'annonça avec joie :

- J'ai réussi à négocier quelques choses : tu as reçu un droit de visite supplémentaire. Ce serait le samedi de la deuxième semaine. J'ai pensé que ce serait bien... Tu sais, tu vas voir ton ami à l'hôpital la veille alors ça te fera du bien de passer du temps avec un proche.

La deuxième semaine... C'était celle-ci. Je me redressai, horrifié : ma visite mensuelle à Ayden, c'était ce Vendredi ! Et elle croyait qu'une stupide visite le lendemain allait me sauver ? Putain... Putain... Je retirais ce que j'avais affirmé plus tôt :

La première semaine n'était pas la pire, c'était définitivement la deuxième. Et dans mon cas, deuxième semaine de chaque mois.

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* The winger : L'ailier

Hello ! Désolée de vous avoir fait attendre, j'ai dû faire quelques modifications au chapitre. Je suis consciente que la partie "sportive" du chapitre puisse ne pas être très intéressante mais j'ai voulu mettre ce sujet dans l'histoire... Le rôle et la signification que le sport peut avoir pour certains. Ensuite l'intrigue avec Isaiah, c'est important aussi... Pourquoi Leander l'a oublié selon vous ? Et bientôt la visite à Ayden Gallagher hehe, j'ai hâte de vous poster ce prochain chapitre d'ailleurs !

Ah oui aussi, je suis un planning d'un camp de redressement qui existe vraiment alors ne vous étonnez pas de voir qu'ils mangent à 17h30 et qu'ils dorment à 21h30 ahah. Pas de ma faute !

J'espère que ça vous aura plu, byyyyye :)



  /!\ EDIT ( 09: 05.15 ) : Un compte pour Ayden & Lieth vient d'être créé @GallagherTwins ; j'ai trouvé que c'était une bonne idée de "faire vivre" les personnages ( comme certains mangakas le font avec leurs persos ). Vous pouvez jouer le jeu, en allant leur poser des questions etc. Peut-être apprendrez-vous quelques secrets, qui sait ? & pour ceux qui ne les connaissent pas encore c'est le moment de les découvrir ! :)

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