38 - Ineffable


RÉSUMÉ : Plus tôt, Leander s'est séparé d'Isaiah et a avoué à Ayden qu'il ne pouvait choisir car il les aimait tous les deux. Sans compter l'entêtement d'Ayden qui lui a dit de se laisser du temps et de revenir lui dire ce qu'il voulait vraiment. Entre temps, Leander a eu le droit à une confrontation avec Sergent Blondie ; ce dernier lui reproche d'avoir évoqué son nom. Par la suite, à la fin d'une soirée pour fêter les diplômés du groupe, Ayden et Leander se sont embrassés...

Bonne lecture !



Les doigts d'Ayden reposaient toujours contre ma peau et je devinais que ses yeux me fixaient encore également. J'étais trop intimidé pour pouvoir dire ou faire la moindre chose. Puis, il y avait ces sentiments de bien-être et d'excitation que je voulais conserver un peu plus longtemps. Je n'avais jamais ressenti des émotions aussi intensément, en dehors de ma fureur et de ma douleur. Là, c'était quelque chose de positive. Je voulais m'en imprégner, convaincu de le perdre bientôt. C'était ma spécialité après tout, détruire ce qui m'était cher.

- Voilà, souffla-t-il, je t'ignorais pas. Je te fuyais.

J'extirpai mon téléphone portable de ma poche pour lui écrire : « Je croyais que t'étais plutôt du genre à foncer dans le tas ! ». J'enclenchai la lecture vocale et eus le plaisir d'entendre le rire d'Ayden emplir l'habitacle. Ses yeux gris riaient même avec lui.

- T'as bien vu ? J'ai pas tenu une soirée !

Il se tût pour devenir plus sérieux. Je préférais que l'on reste sur le ton de la plaisanterie car ses mots avaient souvent un impact incontrôlable.

- Depuis que tu m'as dit que tu pouvais pas choisir entre Isaac et moi, jeudi, j'arrête pas d'y penser. Je t'ai jamais demandé de choisir, moi...

Je fronçai les sourcils, ne comprenant pas le fond de sa pensée. Je tapai rapidement ma réponse puis lui fis écouter avant qu'il ne poursuive : « Tu veux quoi ? Qu'on soit en relation à 3 ? Et c'est Isaiah, pas Isaac. »

- Quoi ?! rétorqua-t-il. Hors de question. Déjà, il me plaît pas, lui. Y'a que toi.

Mon cœur s'affola, secoué par ces mots doux. Aydent était si direct. Il disait les choses qui lui passaient en tête ou qu'il estimait importantes. C'était tout mon contraire.

- Et, j'ai jamais dit ça. C'est ce que tu voudrais ?

Je haussai les épaules alors que l'idée fleurissait dans mon esprit. Un couple à trois supposait alors une relation entre Isaiah et Ayden – ce qui ne me plaisait pas du tout. Et si je creusais davantage, je devinais qu'il y en avait particulièrement un que je ne voulais pas « partager ». Ayden.

Je veux pas ça, non, signai-je distinctement.

- Est-ce que tu viens de considérer cette hypothèse ? se moqua-t-il. Je voulais dire que selon moi, on choisit pas quelqu'un. On choisit seulement d'assumer ou non ce qu'on ressent pour la personne. Tu crois que je t'ai choisi, moi ? Non. Mais, je fais le choix de te le dire et de te le montrer parce que j'ai cru comprendre que c'était réciproque. Mais je peux pas te forcer à le faire en retour. T'es d'accord ?

Je hochai la tête, plus que d'accord. Je ne cessais de m'étonner de sa maturité dont il venait de me fournir une énième preuve. On s'apprêtait avoir à avoir nos 17 et 18 ans mais je me sentais toujours comme un gamin face à ses réflexions.

- Comme je t'ai dit jeudi, donne-toi du temps et reviens me dire ce que tu ressens vraiment.

Ok chef, lui fis-je comprendre. Il s'arma de son éternel rictus narquois.

- Moi en attendant je ne vais pas me cacher, m'annonça-t-il solennellement, je compte bien te faire savoir ce que je ressens dès que je le pourrais.

« Et si je finis par te redire la même chose ? » demandai-je curieux. Et anxieux. Peut-être que notre simple amitié ne lui suffisait pas.

- Je te rappellerai notre baiser de ce soir, sourit-il, et le fait que tu aies préféré rester parler avec moi sans t'apercevoir que t'avais déjà cinq minutes de retard...

Je jetai un coup d'œil à mon portable me heurtant avec déception à la réalité. Notre moment prenait fin.

- Lean, si tu restes sur ta décision, je la respecterai. On continuera d'être amis et de courir comme des dératés dans les rues de Colhaw, si c'est ça qui t'inquiètes.

Je lui souris bêtement. Dans le même temps, il se pencha vers moi ou s'allongea plutôt, atteignit la portière passagère et l'ouvrit à ma place.

- Tu veux que ta tante nous défonce tous les deux ? Dépêche-toi de rentrer !

Charmant, signai-je.

- Je sais pas ce que ça veut dire mais bonne nuit à toi aussi, affirma-t-il l'air goguenard.

On gloussa à l'unisson. Je suivis ses conseils mais me permis de déposer un baiser sur sa mâchoire avant de sortir. Dans mon dos, il rit de plus belle et ferma la portière dans la foulée.

Une fois sur le perron, je m'autorisai à me retourner et fus surpris de le voir à quelques pas de moi, aux pieds des escaliers. Il s'appuya naturellement contre la colonne de mur comme s'il l'avait déjà fait un million de fois. Comme s'il se doutait que je ne voulais pas qu'il parte... Il connaissait sa place auprès de moi. Il l'acceptait.

- Quoi ? argua-t-il taquin. C'est toi qui dois rentrer, moi je fais ce que je veux.

Tu veux venir ? me risquai-je à signer.

- Tu m'invites ?

Mon haussement d'épaule le fit ricaner. La seconde d'après, il était déjà sur le perron. Il tenait son badge de voiture à l'instar d'une dernière chance à mon égard. Je pouvais encore refuser. Mais mon mutisme total lui donna la réponse qu'il attendait car il verrouilla sa voiture. Passer du temps avec lui me réjouissait mais ce n'était pas très raisonnable. Ni pour lui, ni pour moi.

« T'es pas attendu ? » écrivis-je cette fois sur mon téléphone. Quand je lui tendis, il en profita pour me caresser les doigts innocemment et recommença en me le rendant. Il m'avait aussi écrit un message : « T'as pas répondu à ma première question. Tu m'invites ? ».

Je roulai des yeux ce qui invoqua aussitôt une tape derrière ma tête de la part d'Ayden qui ne supportait pas cette réaction. Je repoussai sa main afin de garder le sérieux de notre conversation. Après de longues secondes d'hésitation, j'acquiesçai lentement. Bien sûr que je l'invitais. À ce moment, je ne voulais que ça.

- C'est gentil mais oui, je suis attendu, me sourit Ayden. Les autres ont besoin de moi pour aller à la soirée...

Je masquai mon agacement derrière un petit sourire fait de toute pièce. Parfois, son attitude me dépassait. Pourquoi avait-il autant demandé en premier lieu ? Si son seul but était de me caler un refus, c'était débile.

- Ça me fait plaisir de savoir ce que tu penses, continua-t-il. Je voulais juste le savoir. Faut que t'oses dire les choses, ce que tu ressens, ce que tu veux, ce que t'as en toi ! Même si ça t'amène à des échecs et des erreurs, faut le faire.

« Pourquoi tu me dis tout ça maintenant ? T'as un élan de psychologue ? » tapai-je sur mon écran alors que la déception gagnait de plus en plus d'ampleur. Pas lui, il n'allait pas devenir comme tous les autres à attendre et me demander des efforts que je faisais déjà. Ayden souffla, bredouilla plusieurs fois puis se lança :

- Parce que... Tout ça... Je t'ai vu hésiter à me dire que tu voulais que je vienne comme si y'avait un danger à éviter. Je sais que tu réfléchis aux raisons de ne pas nous laisser une chance en ignorant toutes celles qui te disent de le faire. Tu te retiens, tu retiens tout tout le temps.

Il marqua une petite pause.

- Je te vois recommencer à vivre mais tu le fais qu'à moitié.

« T'acceptes juste pas le refus ?! T'es habitué à tout avoir, à toujours gagner ». Mon message parût l'énerver grandement toutefois il sût très vite le cacher. J'avais juste eu le temps d'apercevoir la lueur colérique dans ses yeux puis son léger pas en arrière.

- Cherche pas des excuses pour pas entendre la vérité ou la détourner. Tu ne m'as jamais rien refusé du tout, Leander... Maintenant, si tu veux le faire, je suis là. Je t'écoute !

Je l'observai, poussé dans mes retranchements. Nous savions tous les deux que je ne souhaitais pas l'éconduire. Sinon, j'aurais été clair depuis le début. Refuser de choisir, comme je l'avais fait, ne signifiait pas le repousser lui et ses avances. Au contraire, j'étais tombé dedans quelques minutes plus tôt.

- Voilà... Bonne nuit, Lean.

Malgré son sourire, il eût l'air blessé par ma remarque quand il me tourna le dos et regagna sa voiture. Il s'en alla à peine le moteur démarré. Je rentrais enfin chez moi content et tourmenté. Ayden lisait en moi si facilement. Il avait raison. Je vivais à moitié mais au fond c'était déjà pas mal pour un mec qui avait mis sa vie sur pause depuis. Un mec qui en avait même oublié comment vivre pleinement. Je réapprenais petit à petit de la même manière que lui devait réapprendre à se servir de sa jambe. C'était sans doute cela qui nous avait rassemblés, ce parcours empli d'embûches pour retrouver notre vie d'avant. Et, en chemin, nous avions appris à en construire une nouvelle. Ensemble.

***

Le lendemain midi alors que je jouais avec Billie, la moitié de mon attention était focalisée sur ma fin de soirée... Mon baiser avec Ayden et la discussion. J'avais espéré me réveiller avec un message de sa part mais lui comme moi n'avions sauté le pas.

- Lean ?!

Joan apparût au pas du jardin, le téléphone fixe en mains. Son expression inquiète m'éveilla tout de suite. J'étais parfaitement concentré. Quelque chose n'allait pas.

- Je viens d'avoir le père de Regan, m'expliqua-t-elle.

Je retins inconsciemment mon souffle, effrayé par la fin de ses mots. Les coups de fil et informations soudaines étaient à redouter.

- Il y a des nouvelles sur Burket Rivers.

Qu'est-ce que c'est ? la coupai-je d'un signe.

- Un coordinateur aurait apparemment parlé et dévoilé davantage d'infos sur l'aile Z. Je n'en sais pas plus, chéri. Tahir m'a dit qu'ils en parleront aux news dans quelques minutes. À toi de voir si on regarde ou non...

Je hochai vivement la tête. C'était presque une obligation de regarder. Je devais impérativement en savoir plus. Une petite voix intérieure me criait que mon discours moralisateur avait eu son effet auprès de Jeff.

- D'accord, reprit ma tante. Billie, ma puce, ça ne te dérange pas de jouer un peu toute seule ? On mange bientôt.

Celle-ci plongée dans son monde de poupées miniatures ne répliqua rien. Joan se moqua d'elle pas encore habituée aux réactions amusantes de ma petite sœur.

Devant la télévision, personne ne prononça le moindre mot. Chris et Joan m'entouraient sur le canapé toutefois leur présence ne suffisait pas à me détendre. La conversation groupée de Burket était animée depuis plus d'une demi-heure. Je pianotai quelques messages pour y participer. Les mises étaient en jeu et les fausses nouvelles circulaient. Beaucoup pensaient que c'était un coordinateur de leur aile respective et ceux qui se situaient dans mon dortoir pensaient plutôt à Hunter plutôt qu'à Jeff. Ils disaient que sa gentillesse avait enfin payé. Au contraire, je pensais qu'il ne faisait pas partie des coordinateurs au courant... Justement en raison de sa sympathie.

D'autres, à côté de la plaque, évoquaient la théorie du complot avec la certitude que le directeur Perrin avait payé un coordinateur pour divulguer des informations erronées. J'eus d'ailleurs de la peine pour Isaiah qui fut interpellé plusieurs fois à ce propos comme s'il était complice des abominations de son géniteur. Je savais que son absence de réponses témoignait de sa douleur.

Mais, toutes nos théories tombèrent à l'eau quand le flash info laissa apparaître un visage que je connaissais bien. Regan & Isaiah également. Nous l'avions côtoyé tous les jours lors de nos séances groupées, il avait même été à l'origine de ma descente dans l'aile Z. McAlafy qui n'était pas un coordinateur mais le psychologue... Sa photographie sérieuse montrait son vraie visage, celui d'un traitre.


« Revenons au cas du camp de redressement Burket Rivers qui a secoué notre État, deux mois plus tôt. William McAlafy, qui a tenu à ne pas garder à son anonymat, a livré hier de lourds détails aux forces de l'ordre » démarra la voix de la journaliste avec une neutralité déconcertante. 

« Psychiatre, il animait des groupes de parole pour les jeunes du camp. Sous prétexte de les aider, William McAlafy confie avoir servi de "contrôleur d'accès à l'aile Z". En effet, il témoigne avoir dû dresser les profils psychologiques des adolescents placés dans son groupe. Selon ses dires, ces groupes de parole quotidiens n'étaient pas constitués aléatoirement. Le directeur demandait des rapports sur chaque adolescent et rassemblait les éveillés, les contestataires ou méfiants dans le groupe de William McAlafy. Ce dernier avait alors pour but de contrôler et manipuler leurs avis. "Je me devais de signaler le moindre soupçon énoncé par un jeune et de détruire ce doute en lui. Mais s'il restait convaincu, je devais le faire savoir et j'étais sûr de ne plus voir le gamin dans les jours suivants." a-t-il dit à la police. »

La journaliste marqua une pause alors que l'on voyait des images du camp défiler à l'écran. Tout me paraissait alors plus petit et inquiétant. Ce n'était plus de simples bâtiments sans importance maintenant que je connaissais leur secret.

« McAlafy certifie n'avoir été impliqué que récemment lors de l'arrivée d'un jeune qu'il aurait fait enfermer dans l'aile Z, dans le but de tout dénoncer. Écoutons ce témoignage glaçant qu'il a partagé à notre équipe : "Je savais qu'il prévoyait d'envoyer un gamin depuis longtemps. Alors j'ai mis mon groupe de jeunes dans la confidence. Ça a été progressif. Je ne voulais pas les effrayer et provoquer une mauvaise réaction de leur part sinon tout allait s'écrouler. J'ai fait entrer ce jeune dans l'aile avec ce qu'il fallait pour qu'il reste conscient et garde des traces concrètes. Ce sont les photos et vidéos que vous avez vues circuler. C'est d'ailleurs une chance et une preuve d'intelligence qu'elles soient sorties car les choses sont devenues hors de contrôle... J'ai dû moi-même casser l'appareil photo du gamin pour ne pas me discréditer auprès du directeur. Et je tenais à faire savoir aux jeunes que j'étais désolé mais que c'était nécessaire. Tant que je restais impliqué, j'en savais plus pour tout révéler par la suite...".

Il aurait également fourni des clés d'accès à de nombreux dossiers cachés au camp. La véracité de ses propos reste encore à prouver mais ses allégations ont permis de débloquer quelques portes de l'enquête. D'autant plus que, dans la soirée de samedi, l'avocat du directeur du camp a tenu à défendre son client qui "n'opérait pas seul". Il a rappelé que sur plusieurs papiers trouvés au domicile de M. Perrin et datés de plusieurs années, y sont apposés la signature et le tampon professionnel du Dr McAlafy. Il aurait aussi mis en doute son degré d'implication assurant que William McAlafy aurait joué "un grand rôle" dans ce projet. Le voile sur cette affaire complexe risque de n'être levé que dans plusieurs mois, voire années. »

La fin des infos spéciales me laissa un goût amer en bouche. Personne n'était irréprochable au camp ; j'en était dorénavant persuadé. Tous avaient, un jour ou l'autre, contribué à cette immense torture. Il était hors de question qu'on la laisse continuer. Nous devions dénoncer tout ce que nous savions, le plus vite possible...

- Donc, c'est lui... Enfin, c'était lui le psy de ton groupe ?! résuma Chris qui souhaitait bien comprendre.

J'acquiesçai. Après ma plainte à la police, j'avais plus ou moins relaté la même version à Joan et Chris. Ce n'était pas étrange de les voir si perdus à cet instant.

- C'est de pire en pire, affirma ma tante. Et, il n'a sûrement pas tout dit.

- C'est clair qu'il doit vouloir sauver sa peau. En coopérant avec la justice et en faisant son mea culpa, il s'assure sans doute une peine moins lourde.

Je secouai la tête, entièrement d'accord avec mon oncle. Là était toute la vérité : chacun allait se tirer dans les pattes afin de se dédouaner autant que possible. Leur royaume s'écroulait et ils se retournaient tous contre Perrin, un à un. Mais un « projet » de cette envergure ne dépendait pas que d'un seul homme. Le coupable, ses complices et ses témoins étaient condamnables au même degré.

Mon portable ne cessait de vibrer sous les réactions déchaînées des gars. Je traversai rapidement la conversation colérique quand une notification venant de Nora m'intéressa davantage. Son message me fit chaud au cœur : « On vient de regarder les infos avec Garrett. Je contacte le journaliste dès cet aprem, il ne faut pas traîner. Courage, xx. »

J'en informai aussitôt le groupe avec le fort sentiment de faire enfin ce qu'il fallait. Nous allions détruire cette institution de pouvoir avec nos maigres moyens. Peut-être que cela ferait réaliser que les jeunes n'étaient pas plus à redouter que les personnes qui les enfermaient... Nous n'avions commis aucun crime, seulement des erreurs et l'on voulait nous le faire payer toute notre vie. Je refusais alors que tous ces adultes responsables s'en sortent : Perrin, McAlafy, Jeff, Julien, Mme Jenson... Je n'oubliais évidemment pas le pédophile qui avait voulu m'agresser, le prénommé Christopher. Et tous ceux dont je n'avais pas pris le temps de retenir le nom. Ils allaient couler.

C'était à notre tour de se faire justice.

***

Il n'avait suffi que d'un seul message à Ayden pour m'attirer à lui. « Journée hosto, demain, ça te tente ? » m'avait-il demandé. Et, son message était apparu comme un rayon de soleil au beau milieu de mon dimanche soir brumeux. Même ma tante n'avait pas été difficile à convaincre ; elle se réjouissait de me voir passer du temps avec un ami. Surtout s'il s'agissait d'Ayden et qu'il avait besoin de mon soutien, elle savait mettre les autres priorités de côté.

J'étais donc auprès de lui. La matinée avait été surchargée de rendez-vous médicaux qui nous avaient éviter de baigner dans notre gêne. Dorénavant, j'assistais à sa séance de rééducation dans la même salle où j'étais venu lui rendre visite pour la première fois. J'étais encore à Burket et, ce n'était pas moi qui se trouvait à ses côtés mais Mia. Les choses avaient changé. En bien. La balance de ma vie s'était enfin penchée du bon côté.

Je levai les yeux de mon livre pour observer Ayden, plus loin, qui effectuait les mouvements conseillés par son kinésithérapeute. C'était des gestes simples qui lui demandaient pourtant un grand nombre d'efforts. Je le comprenais à ses expressions de visage et à la manière dont il évitait absolument mon regard. Il ne voulait pas que j'aperçoive sa vulnérabilité. Mais je me permettais quand même de regarder de temps en temps, plutôt touché par sa force. 

Ayden était fait pour se battre ; il le faisait au quotidien... Pour des raisons qui n'étaient parfois pas les siennes. Il avait cette capacité à transformer une grande guerre en une petite bataille que l'on était sûrs de remporter. S'il voyait quelqu'un dans le besoin, il l'armait et lui apprenait à se débrouiller au lieu de mener le combat à sa place. Il avait une force de vivre si extraordinaire. Avant tout, il avait un éternel espoir en la capacité de chacun d'affronter les malheurs de sa propre vie.

Le passage du livre que je venais de lire me ramenait terriblement à lui :

« Cependant, si tu as un ami qui souffre, sois un asile pour sa souffrance, mais sois en quelque sorte un lit dur, un lit de camp : c'est ainsi que tu lui seras le plus utile. Et si un ami te fait du mal, dis-lui : "Je te pardonne ce que tu m'as fait ; mais que tu te le sois fait à toi, comment saurais-je pardonner cela !" Ainsi parle tout grand amour : il surmonte même le pardon et la pitié. »

Je n'étais pas certain que Nietzsche parlait de l'amour tel que je le concevais mais ce livre philosophique du 19ème siècle faisait étonnement échos à ma vie. Il me faisait réaliser un peu plus encore le caractère exceptionnel d'Ayden. C'était difficile de réaliser qu'il puisse être lié à moi, d'une quelconque manière. En amour ou en amitié. Pourtant, c'était bien réel. Ayden et moi, ça existait. Je ne l'avais pas choisi non plus... Et là où il n'avait pas décelé la vérité, c'est qu'il ne s'agissait pas d'assumer ce que je ressentais mais avant tout de l'accepter. Accepter de le vivre et accepter de le mériter. C'était une de mes nombreuses montagnes à gravir...

Perdu dans mon fil de pensées, je mis un moment avant d'apercevoir que le regard d'Ayden s'accrochait au mien. La lueur dans ses yeux m'annonça son sourire aux lèvres ainsi que tout son visage illuminé d'ondes positives. Il se redressa de sa table d'exercice tout en saluant son médecin. Je me levai pour le rejoindre, les bras chargés de nos affaires respectives. Il tenta de masquer son boitage, accentué après chaque effort intensif, en avançant vers moi. Alors je fis semblant de ne pas le remarquer.

- On a une demi-heure à tuer, m'apprit-il. Chrono parfait pour un date !

Mon ricanement suivit le sien. Il reprit sa veste de mes mains puis m'entraîna hors de la salle de rééducation. En longeant les couloirs de l'hôpital, je me remémorai les quelques visites que j'avais rendues à Ayden et mon séjour après la mutinerie. C'était un autre lieu qui détenait un morceau de mon histoire. C'était ici que ma vie avait pris un nouveau tournant, deux mois plus tôt.

Dans l'ascenseur, le portable d'Ayden se mit à sonner – comme souvent et il s'empressa de répondre. Sa vie sociale était plus active que la mienne. Il y avait toujours un proche, un ami, une connaissance qui prenait de ses nouvelles ou l'invitait à un quelconque évènement. C'était un aspect de sa vie d'avant qu'il n'avait pas eu du mal à retrouver, ce même s'il ne l'appréciait pas autant qu'auparavant.

« Ouais mais cette fois, j'termine à 17h. Et je suis avec Leander. On peut passer ?! »

Entendre mon prénom ne tarda pas à m'intriguer. Ayden grimaça dans son coin puis râla :

« Sans commentaire. On passe ou pas ? »

Il se colla à moi sous prétexte de laisser la place à ceux qui montaient dans l'ascenseur. Mais, étant donné l'espace, ce n'était que de la comédie. Une qui marchait bien car son bras contre le mien me déclenchait quelques frissons. Il mit un terme à sa discussion téléphonique avec un sourire qui en disait long.

- J'ai l'habitude de traîner avec Zach après mes journées chiantes. Ça te dit ?

Zach aka celui du groupe qui m'appréciait le moins. Je passais mon tour. Je préférais le laisser tranquille avec son meilleur ami. C'était mieux pour chacun de nous. Je déclinai gentiment son invitation et signai « ma tante » comme argument principal.

- Ta tante ou le fait que tu redoutes le caractère de cochon de Zach ?! rigola-t-il.

Je ripostai avec un haussement d'épaules. Les personnes descendirent au fur et à mesure toutefois Ayden conserva sa place auprès de moi. Je me questionnais encore sur notre destination quand les portes s'ouvrirent sur notre destination quand les portes s'ouvrirent sur une obscurité familière. La lampe défaillante clignotait toujours au bout de la salle mais ne m'effrayait plus. Je suivis Ayden jusqu'aux portes battantes par lesquelles on accéda à un des toits de l'hôpital. C'était ici qu'il avait inscrit les lettres de mon prénom pour en barrer une et ne laisser que le mot « Leader ». Il m'avait aussi tendu sa main et inconsciemment, je l'avais saisie.

On s'assit au même endroit. Les traces de notre moment avaient évidemment été effacées avec le temps. Les souvenirs dans ma tête me suffisaient ; je n'avais pas besoin de preuves.

Le soleil crachait ses rayons sur le béton brûlant et nos peaux pâles. Ayden en profitait, lui offrant son visage. Ses cheveux retombaient légèrement en arrière, sa pomme d'Adam était plus saillante et les traits de sa mâchoire paraissaient plus marquées. Il était beau. Ça ne faisait aucun doute.

Je cessai de le contempler pour ne pas prendre le risque d'être repéré. Je m'allongeai totalement, la casquette alors posée sur le visage. En plus de me protéger des coups de soleil, ça m'éloignait de la tentation. De son corps entier qui semblait appeler mes caresses et mes baisers. Cependant, je crus bien mourir étouffé de chaleur au bout de longues minutes. Je m'imposai un petit jeu de débile qui consistait à tenir une minute de plus à chaque fois. Il y avait des instants comme celui-ci où ma timidité était mise à rude épreuve face à Ayden. C'était idiot...

Je fus soulagé lorsque la casquette s'ôta de mon visage et laissa une petite brise se glisser contre ma peau. C'était même plutôt un souffle. Toute une respiration. J'ouvris les yeux pour en avoir le cœur net et me heurtai au visage d'Ayden qui était trop proche pour que je puisse l'observer. Il s'en aperçut aussi car il prit un peu de recul de quelques centimètres, les lèvres courbées aux coins.

- Action ou vérité ?

Je levai un sourcil, étonné par le jeu qu'il lançait. Entre nous c'était délicat. Mais, ce n'était pas un secret, Ayden aimait jouer avec le feu. Et moi, j'étais du genre à le titrer pour voir jusqu'où sa flamme pouvait tenir. Alors, je dressai deux doigts en l'air ; j'optai pour la deuxième option. La plus facile.

- Deux quoi ? J'comprends pas, feignit-il encore plus emmerdeur que moi.

Je poussai un soupir d'exaspération qui l'amusa davantage. Je me résignai alors à signer « vérité » pourtant persuadé qu'il ne connaissait pas encore ce mot. Néanmoins, son sourire était toujours suspendu au-dessus de moi. Je pouvais voir la moquerie danser dans ses iris claires.

- C'est pas compliqué, Leander ! Action ou vérité ?

Je l'imitai à l'aide d'une grimace ridicule puis, à sa plus grande surprise, je mis de côté toute pointe d'humour afin de mimer du bout des lèvres : Vérité. L'ambiance devint tout à coup chargée d'une tension. Je le regardai déglutir difficilement pour ne regarder rien d'autre. Il partageait peut-être cette même sensation, celle d'avoir vécu un instant magique et intense à sa manière. Comme un trésor dont ne connaissait pas vraiment la valeur.

- J'ai pas entendu, faut parler plus fort Monsieur, murmura-t-il en se rapprochant.

Va te faire foutre, mimai-je cette fois. Ayden explosa de rire si soudainement que je fus d'abord surpris. Lui ne se retenait pas. Il riait, parlait, criait comme il le souhaitait. Il semblait parfois brut mais il était juste vrai.

- OK alors, rebondit-il, vérité.

Il posa ma casquette sur sa tête, pensif.

- Si tu merdes à nouveau, tu peux encore avoir des problèmes avec la justice, c'est ça ?!

Je secouai la tête de haut en bas.

- Mais, comment ça a commencé tout ça ? Tu ne nous as jamais dit.

J'étais peu fier de mes accès de violence et encore moins de la toute première. Celle-ci avait fait découvrir à un tout nouveau Leander à mes proches et à moi-même. J'avais découvert des envies de brutalité qui étaient très vite devenues des besoins à mes yeux. La haine avait balayé la tristesse d'un revers et avait ainsi rendu mon existence plus soutenable. Je ne subissais plus seulement, j'étais capable de faire du mal également. Capable de me faire vengeance contre foutue vie qui m'avait privé de mes parents. Je voulais faire connaître cette noirceur à tout le monde. Évidemment tout ça ne me paraissait pas aussi clairvoyant avant. J'avais juste laissé mon corps agir.

Sur mon portable, je racontai : « Après la mort de mes parents, c'était plus facile d'être en colère que triste. Je traînais avec des mecs de mon collège qui faisaient des conneries. On emmerdait surtout les vigiles de magasin, les serveurs de restaurant... Des trucs cons, beaucoup de provocation. On faisait pas vraiment de mal mais j'avais toujours ce cutter trouvé chez moi, juste au cas où. Ce « cas où » est vite arrivé. On a emmerdé les mauvais mecs, ils préféraient les mains aux mots. J'ai pas réfléchir, encore aujourd'hui c'est flou, j'étais plus moi-même. Dans la bagarre, j'en ai écorché deux... Ils ont rien eu de grave mais les délits d'avant et cette bagarre armée, ça a fait tout fait basculer. »

Comme sa mère le faisait, Ayden se pinça les lèvres – preuve inconsciente de sa déception. Je n'aurais sûrement pas dû lui confier cela, lui que j'avais aussi blessé. Même si les situations étaient différentes.

- Tu ressens toujours ça... cette rage et cette violence ? voulut-il savoir.

Moins, signai-je. Beaucoup de choses avaient changé depuis ma sortie du camp et de l'hôpital. Ça ne m'empêchait pas de redouter mes réactions. Mes émotions restaient tout de même fortes et avaient tendance à me surpasser.

« Mais j'ai peur que ça revienne » écrivis-je.

- Pourquoi ?

« Je reprends les cours lundi pro' et le lycée regorge de sacrés connards »

Il se contenta de hocher la tête, aussi impuissant que moi. Si certains m'emmerdaient avant à cause de mon mutisme, d'autres le feraient maintenant par vengeance. Ma solitude me laissait face à des jeunes qui profitaient d'être en groupe. C'était difficile de me battre contre plusieurs gars et risqué puisque le moindre de mes faux pas n'échappait pas au proviseur. Dans ces moments, on ne se souciait pas tellement pas de ce qui avait pu se passer. J'étais le parfait fautif.

- Tu sauras te battre autrement que par les poings, affirma Ayden.

« Ouais. J'ai toujours mes pieds. »

- Ah ah ah. Me déçois pas avec ton humour de merde, y'a déjà ton frère pour ça !

Ce fut plus fort que moi. Mon rire m'échappa. Ayden se laissa tomber en arrière, tout sourire. Je me redressai, lui repris la casquette précipitamment et la rehaussa sur mon crâne chaud. C'était à mon tour de poser la question. Je la lui signai et il prit un temps pour apprendre les signes avec précaution. Il put ainsi m'indiquer celui qui correspondait au « vérité », contre toute attente. Je m'attendais plutôt à l'inverse de sa part. Je ne savais pas que lui demander... Je voulais apprendre quelque chose sur lui, quelque chose qu'il n'avait peut-être même jamais confié. Ses yeux me sondaient pendant que je réfléchissais mais ça ne me dérangeait plus. Je finis par lui rendre son regard sans aucune gêne. Les bras derrière la tête, il m'observait...

- Tes yeux souvent vraiment fous, déclara-t-il de but en blanc.

Mon corps s'enflamma. Je dus me retenir de rouler des yeux ou de les baisser. À la place, j'affrontai. J'osai le regarder et affronter ses sentiments en même temps que les miens qui se manifestaient dans tout mon corps.

- Arrête de faire comme si on ne te l'avait pas répété toute ta vie, rigola-t-il.

« C'est surtout une phrase de dragueur » lui fis-je écouter. Il rit de plus belle mais ne nia pas pour autant ; Il assumait, une nouvelle fois.

- Si te dire la vérité suffit à te draguer, ça me va.

Le nuage au-dessus de nos têtes s'échappa obligeant Ayden à fermer les yeux sous le supplice du soleil. Je pris plaisir à l'examiner de haut en bas. Il y avait de nombreux détails que je voulais connaître sur ces garçons, des plus importants aux plus futiles. Toutefois, il y avait une question que je m'étais beaucoup posée.

Je la tapai puis enclenchai la lecture vocale : « Ce soir-là, est-ce que tu t'es senti partir ? Est-ce que tu as eu peur ? ». Son corps se crispa automatiquement. Il se frotta le visage, troublé. Quand il se racla la gorge, je bloquai mon souffle dans mes poumons.

- J'ai eu peur, ouais. J'avais peur mais pas pour moi au début. Je comprenais tellement rien. Je savais pas qui était blessé et pourquoi j'arrivais pas à faire quoi que ce soit. J'avais peur des cris, des pleurs, de l'appel aux secours. Et quand... Quand j'ai compris que c'était moi, buta-t-il la voix vrillante, c'est parce que je me sentais pas bien du tout. Je m'évanouissais juste mais j'avais toutes ces voix qui me disaient de tenir et je pouvais rien faire. Ni parler, ni bouger. À ce moment, j'ai eu peur pour moi, ouais. Je me sentais seul et j'avais peur de mourir comme ça...

« Je suis désolé de t'avoir fait vivre ça »

- Tu t'excuses parce que t'aurais préféré être à ma place alors ça compte, bougonna-t-il.

Sa phrase me heurta en plein cœur. Quelques mois plus tôt, je l'aurais approuvée. À présent, ce n'était plus pareil. Et, ce n'était pas la raison de mes excuses. Il interprétait mal. Je lui écrivis rapidement : « Avant, oui. Là je regrette de t'avoir causé du mal. J'veux plus que tu souffres par ma faute. Je tiens trop à toi. » et lui tendis pour ne pas entendre mon message ridicule à voix haute. Je vis son sourire revenir à son poste mais repartir aussi tôt.

- Avant, répéta-t-il. Ça veut dire que toutes ces idées noires, tu ne les as plus ?

Ce n'était pas si facile. Pour éviter la question, je choisis la moquerie. Je signai à nouveau « Action ou vérité ? » soulignant son obligation de passer par ce stupide jeu. Il souffla puis sourit la seconde d'après. Il se releva sur un coude, imitant ma position ; il arborait alors une expression singulière. Il saisit la visière de ma casquette et tira dessus afin de rapprocher mon visage du sien.

- D'accord, chuchota-t-il. Alors, action.. ou vérité ?

Je savais parfaitement ce qui allait suivre après ma réponse, une fois de plus mimée du bout des lèvres : Action. Je l'avais choisie. Ayden était tout près de moi, la tête penchée sur le côté. Elle se glissait presque sous l'ombre de ma casquette. À l'ombre des regards – bien qu'il n'en ait aucun. Dans notre intimité à nous. Sa bouche vint frôler la mienne et ce fut comme un murmure qui aurait ricoché, éphémère. C'était tendre et excitant. J'en raffolais. Je voulais à la fois que cela s'éternise et que ça prenne fin très vite.

- Action, sembla ordonner Ayden.

Dans leur élan de parole, ses lèvres m'effleurèrent de nouveau mais je craquai enfin ou déjà et les retinrent contre les miennes. Je l'embrassai. Il s'en délecta durant quelques secondes avant de m'embrasser à son tour. La douceur de ce moment me mit dans tous mes états. Mon corps entier était en alerte. Je ne sentais plus le soleil contre mes bras mais la chaleur, les frissons, les fourmillements, les palpitations, les pincements en moi... Et tout ça en même temps, digne d'un feu d'artifice. Revenait encore cette surprenante envie de pleurer tant les sensations me submergeaient. J'étais là. En vie. Je ressentais, j'existais.

Je m'agrippai au t-shirt d'Ayden comme je voulais m'accrocher au réel, chamboulé par cet océan d'émotions. Le baiser devint plus insistant, il se fit partition de notre passion. Il subissait nos mouvements plus ou moins minutieux. On se découvrait avec bienveillance pour l'autre et nous même comme par appréhension de se brusquer. Il y avait encore cette contradiction : j'en voulais plus mais ne voulais pas passer à autre chose. Tout était trop parfait. Les caresses d'Ayden me procuraient des émotions encore plus indescriptibles. Ses doigts se baladaient dans mon cou, sur mon épaule avec aisance. Ils retraçaient un chemin qu'ils empruntaient pourtant pour la première fois. Mais chacun de nos gestes avait une part d'habitude dans leur improvisation.

- Putain, gronda Ayden.

Même la vibration de sa voix grave eût un effet séduisant. Je capturai de nouveau ses lèvres avec plus d'empressement. J'avais soif de sensation, de celles qu'il était capable de me procurer.

- Extra-terrestre. Poubelle. Chewing-gum, rabâcha-t-il en boucle.

Je m'arrêtai pour le toiser, perplexe et amusé. Lui ne bougea pas. Il ricana puis se justifia tout de même :

- C'est bientôt l'heure de mon rendez-vous, je peux pas y aller comme ça !

Son regard vif en direction de son pantalon me fit encore plus rire que le reste. J'étais dans le même état que lui, je savais très bien ce qu'il insinuait. Repenser à son mantra relança mon hilarité. Je dus m'allonger pour ne pas succomber aux douleurs abdominales.

- Fous-toi de ma gueule ! Je t'assure que ça marche.

Chewing-gum ? signai-je avant de lui épeler et d'ajouter : Pourquoi chewing-gum ?

C'est sacrément dégueulasse une fois mâché, assura-t-il.

T'es bizarre.

- C'est une insulte je présume ?

Je lui expliquai et lui appris l'énième signe de la journée. Sa curiosité et sa volonté d'apprendre me faisait chaud au cœur. Il faisait tout pour que l'on communique au mieux ; je reconnaissais la même bonté que sa sœur. Ça représentait énormément pour moi.

L'alerte sur son téléphone nous ramena tous deux sur terre. Son autre séance de rééducation commençait dans cinq minutes. Je me levai en premier pour l'aider ensuite mais il ignora mon aide proposée. Au moins il ne la rejetait plus avec agressivité. Il eût malgré tout du mal à se lever et j'eus du mal à ne pas intervenir.

Alors que l'on attendait l'ascenseur dans la pièce sombre, Ayden se mit à rire.

- En tout cas, très cliché le baiser comme « action », me provoqua-t-il.

Je bouillonnai de frustration car dans le noir il ne pouvait voir le majeur que je comptais lui offrir. C'était quand même lui qui avait causé tout cela. Je répliquai sur mon téléphone : « J'ai jamais considéré que le baiser était l'action. Ravale tes rêves ». Son éclat de rire résonna autour de nous.

- Donc, tu m'as embrassé parce que tu le voulais, résuma-t-il avec sa propre interprétation. Et en plus ,tu me dois une action !

Et merde... J'avais oublié qu'Ayden était fort à ces taquineries. Face à un muet, il gagnait en pouvoir en plus. Il parvenait à me faire dire tout le contraire de ce que j'insinuais. Le pire était qu'il n'avait pas totalement tort. Il se mit à réfléchir tout fort à la nature de l'action qu'il allait m'infliger. Il continua même dans l'ascenseur et prit un malin plaisir à me les chuchoter à l'oreille quand nous ne fumes plus seuls. Il se moquait de mes réactions silencieuses parfaitement lisibles sur mon visage. Une petite part de moi les exagérait surtout pour continuer d'entendre son rire. Il n'abandonna son petit manège qu'une fois dans la salle où l'on retrouva son deuxième kiné. C'était un géant à la peau hâlée un peu intimidant avant qu'il ne nous adresse un grand sourire. Il nous broya la main en guise de bonjour.

- Ayden comment tu vas ?

- À toi de me le dire !

- Oui, le Dr. Martens m'a fait parvenir les résultats de tes examens. Il a dû appeler tes parents, tu préfères sûrement en parler avec eux ?

- Je préfère ton avis franc, assura Ayden alors stressé.

- Bon, rien de grave mais on soupçonne une paralysie partielle des nerfs qui se situent au niveau de ta hanche. C'est plutôt rare mais ça peut arriver lors des chocs soudains comme le tien sur des os relativement jeunes et lors du placement de la prothèse par la suite. C'est ce qui a dû causer l'inflammation.

- C'est pour ça que j'ai toujours mal ?

- En partie, oui. Il y a aussi tes semaines d'absence à la rééduc, lui rappela l'homme avec un ton léger.

- Ouais, je suis là maintenant... Et du coup ?

- Du coup, ça te prendra sans doute un peu plus longtemps que prévu mais ça va guérir. Pour ça, faut s'y mettre. T'as tout ce qu'il te faut ?!

Ayden hocha la tête, commença à le suivre puis s'exclama un « Oh non » appuyé. Il fit un pas en arrière et s'empara une dernière fois de ma casquette afin de la porter à l'envers. « C'est moi le boss » me dit-il en partant. En effet, c'était son tour de mener le jeu. J'appréhendai où cela allait nous mener. Mais je tombai dedans bras ouverts, j'y plongeai même.

Une fois mes affaires posées sur le côté, je le rejoignis pour l'épauler moralement pendant cette séance de rééducation debout. Je savais que c'était les pires pour lui, il en revenait toujours crevé et de mauvaise humeur le lendemain. Cette journée avec lui me donnait finalement un avant-goût de e que notre quotidien pouvait être. Ce n'était pas si mal. Avant tout, c'était comme avant mais en beaucoup mieux. Avec Isaiah, les choses n'avaient pas tellement changé entre notre amitié et notre couple. Avec Ayden, c'était comme voir avec de nouvelles lunettes. Des lunettes moins abîmées et obscurcies qui me faisaient voir la vie en couleurs. Et j'étais lassé du noir et blanc.

***

Le premier à annuler avait été Isaiah. Il nous avait offert un message d'excuse bidon : « Désolé les gars, je suis malade. On se refait ça ». J'avais su y lire entre les lignes : « Désolé, je n'ai pas envie de voir la gueule de con de Leander ». Il avait accepté la « friendzone » mais ne semblait pas tellement vouloir être mon ami. Il répondait à mes messages au bout de plusieurs heures et se montrait parfois sec dans ses mots. Je ne pouvais pas le forcer... Surtout que je m'en voulais davantage depuis mon rapprochement avec Ayden. Il se passait exactement ce que Isaiah redoutait : je l'abandonnais au détriment d'un autre. Ma certitude de les aimer autant tous les deux était bancale. Je ne m'y retrouvais plus. Je souhaitais juste conserver le lien avec Is'.

J'avais attendu ce mercredi avec impatience car nous avions prévu une après-midi avec Regan. Mais, ce dernier avait aussi annulé dans la foulée puisque le but était de se voir à trois. J'étais donc resté sur « la prochaine fois » promis par Regan dans notre conversation. Quelques heures plus tard, j'eus la joie de constater qu'ils avaient annulé le rendez-vous avec moi et non entre eux.

Regan avait eu la bonne idée de partager une vidéo sur ses réseaux. On le voyait dans un centre commercial et une épaule dépassait à ses côtés. Il avait pris soi nde ne pas filmer la tête d'Isaiah mais j'avais tout de suite reconnu l'habit bordeaux du métis. Cette découverte eût le goût d'une trahison. Je n'étais pas en colère, surtout triste. Aucun d'eux n'avait eu la franchise de me dire la vérité. Le mensonge était plus douloureux, il laissait sous-entendre qu'ils n'envisageaient même pas de solution. Ils m'évinçaient de leur plan et c'est tout.

J'avais, depuis longtemps, du mal avec les réseaux sociaux et le voyeurisme qu'ils suscitaient indépendamment de notre volonté. On cherchait à tout savoir, à tout vivre, en même temps. On était en quête de l'instantané. Mais pas du nôtre, celui des autres. C'était bien plus attrayant de vivre par procuration. Puis, un beau jour, on se confrontait à l'idée que la vie des autres étaient meilleures sans la nôtre.

***

Je me focalisai sur la main levée qui effectuait déjà des mouvements répétitifs sous mes yeux. Mon psy ne se tenait plus sur son siège attitré mais avait pris place sur la table basse devant moi. Ainsi sa voix était plus forte et me retenait mieux dans l'instant présent.

- Tu es dans cet avion et tu vois tes parents rire... contextualisa M. Beckergam.

Il faisait vraiment de son mieux pour que cela marche depuis longues semaines. D'autant plus aujourd'hui car je m'étais empressé de lui raconter le souvenir plus détaillé qui m'était parvenu le weekend. Il était persuadé que j'étais sur le point d'éclaircir ce moment mis de côté par mon cerveau.

- Tu entends les bruits autour de toi ?

J'étais dans l'avion... J'y étais.

~ Le fond sonore de l'avion était le genre de détail qui pouvait me dissuader de voyager. Cela m'énervait du début à la fin. Pour ce voyage, j'avais ainsi prévu le coup : grosses boules quies et cache-oreille, ces derniers empruntés à ma petite sœur car je n'en avais pas. Sans surprise, ce petit look amusait beaucoup (trop) ma mère. Elle s'était décidée depuis le début du vol à me dire toutes les blagues qu'elle trouvait à ce sujet. Et, elle m'obligeait à enlever ses protections pour tout écouter ! J'avais encore deux heures tenir... ~

- N'oublie pas que je suis là... Détends-toi. Pense à la raison de leurs rires ! me poussa Beckergam. Pourquoi rient-ils ? Est-ce qu'ils te disent quelque chose ?

~ Le son autour de moi fut plus fort et plus clair. Mon père venait de baisser mes cache-oreilles ; il me regardait en souriant, la main maintenant posée contre mon épaule.

- Bah alors Leander, tu vas pas te laisser faire par ta vieille mère !

- Eh, je t'en prie Barth ! riposta la concernée. Y'avait un mot de trop.

- C'est vrai, papa, rebondis-je. C'est pas très sympa de la qualifier comme ma mère. Vieille ça suffisait.

- Sale gosse !

Mon père s'esclaffa sans retenue comme si nous n'étions que tous les trois à la maison. Il faisait souvent ça, rire très fort. C'était toujours gênant en public mais en vérité, j'adorais. ~

Les battements de mon cœur marquèrent ma panique contre ma cage thoracique. Je me concentrai sur les mouvements de Beckergam. J'étais ici. Ce n'était que des souvenirs. Je forçai mes mains à s'ouvrir pour se poser à plat contre le cuir du fauteuil. Tout allait bien.

- Qu'est-ce qu'ils te disent Leander ? m'incita-t-il d'une voix douce.

~ En fait, mon père adorait rire. Mais rire de ma mère encore plus. Il se n'en laissait pas même après vingt-deux ans de mariage.

- Regarde ce que t'apprends à ton fils, le réprimanda ma mère amusée. Tes vacances avec Ashiski vont te faire du bien, tu vas revoir tes bonnes manières, Leander !

- C'est ce que tu vas faire aussi ? Apprendre à ne plus te moquer de ton pauvre fils de quatorze ans ? répliquai-je.

- Quand il cessera de me donner des raisons de le faire, oui.

Je lui tirai la langue – seul geste de rébellion qui m'était autorisé auprès d'eux. Je n'avais besoin d'aucun autre acte de toute façon. C'était rare d'entendre ça de la bouche d'un adolescent mais mes parents étaient géniaux. Comme pour le prouver, ma mère eût un élan d'affection. Elle posa sa main contre ma joue avant de se plaindre :

- Ça va quand même être la première fois que l'on se sépare de toi pour plus d'une semaine...

Ce côté mère poule avait tendance à révolter Garrett mais il ne me dérangeait pas. Je préférais m'en amuser. Ce n'était pas très grave. Notre mère nous aimait seulement trop, c'était mieux que pas assez.

- T'exagères, soulignai-je. On part plus longtemps quand on va chez Papi et & Mamie.

- Oui mais on te sait en lieu sûr, ce n'est pas pareil. Non ? chercha-t-elle le soutien de mon père.

- Si c'est vrai mais Lean a raison aussi, tu exagères. Tu vas lui faire peur, il ne voudra pas y aller et va rester avec nous... C'est ça que tu veux ?

Mon père affichait son sourire « Colgate » épuisant. Depuis tout petit, j'étais celui qui avais toujours eu du mal à les quitter. Ils me racontaient fréquemment mes crises et angoisses de bébé à la simple idée d'être loin d'eux. Je gardais aussi quelques souvenirs qui remontaient de mon enfance. C'était plus fort que moi, je conservais cette terrible peur de l'abandon. ~

- Leander, n'oublie pas...

Je repris mon souffle trop longtemps retenu. J'avais la sensation de découvrir cette situation pour la première fois tout en la connaissant par cœur. Mon cerveau tirait seulement d'anciens tiroirs que je pensais fermés à jamais.

- On arrête ? me demanda Beckergam.

Je niai. Nous étions presque au bout. J'avais le sentiment de devoir connaître ce qui allait venir après. Je touchais du bout du doigt quelque chose d'important. Il ne devait pas m'échapper.

~

- Tu vas lui faire peur, il ne voudra pas y aller et va rester avec nous... C'est ça que tu veux ?

- Passer mes vacances avec princesse Leia ?gloussa ma mère. Non merci.

Je soufflai, faussement épuisé par son humour peu évolué et remontai mes cache-oreille aux motifs colorés. Dormir était l'unique moyen d'échapper à ces sottises. Parfois, comme à présent, je comprenais tout à fait ce que mes parents trouvaient à l'un et à l'autre. Je fermai les yeux quand j'entendis la voix étouffée de ma mère.

- Une semaine, ça va quand même suffire pour que tu me manques, mon chéri.

Le rire de mon père brisa la tendre du moment.

- T'es pas croyable, Julia ! argua-t-il hilare.

- Cesse de te moquer. Je suis persuadée qu'il va te manquer également.

- Chuuuut... Ce grand gaillard n'a pas besoin de le savoir.

Ma mère rit davantage marquant une jolie fin de discussion. Je me laissai doucement porté par les légères secousses, le silence et mon bien être indestructible. Je retins juste la sensation des mains nouées de mes parents, sur mes genoux, avant de m'endormir. ~

Lorsque je fixai M.Beckergam, j'eus l'impression que leurs mains étaient toujours là. Contre moi. Je dus me forcer pour ne baisser les yeux et vérifier. C'était fini, c'était passé. Dorénavant, j'étais sur terre dans une pièce empli de livres et de cadres aux mur en train de relater des bribes de ma vie d'avant.

- Je te laisse quelques minutes, comprit mon psychiatre, et quand tu te sens prêt, tu peux me noter ce que tu veux.

J'oscillai vaguement de la tête. Mes doigts tremblaient autant que d'habitude, j'étais chamboulé par des milliers de sentiments complexes. Ils se rejoignaient et s'opposaient à la fois. Mais, je parvenais à les assimiler. Ce n'était plus insurmontable. Je décelais même quelque chose d'apaisant...

Je décrivis le maximum de détails sur mon carnet pendant que Beckergam prenait ses propres notes. Il ne le faisait pas à toutes les séances ; le reste du temps il était réellement dans la discussion. C'était rassurant. Il m'avait apporté tant d'aide depuis deux mois. J'étais certain qu'il pouvait à nouveau répondre à mes questions. Je les marquai à la fin de mon « récit » : Pourquoi c'est ce moment que j'ai oublié ? Il n'a rien de spécial.

Il s'arma de ses lunettes et démarra une lecture sérieuse de mon texte. Je le vis même relire certains passages puis les annoter sur son propre carnet. Quand il leva ses yeux verts sur moi, j'y lus une sorte d'émotion étrange. Il paraissait touché.

- Tu ne te rends pas compte mais c'est une grande avancée que tu viens de faire. Je sais que tu ne vas pas y croire mais je te le dis, tu peux être fier. C'était pas facile et t'as réussi...

Je lui adressai un petit sourire sincère et timide.

- En toute honnêteté, je ne pense pas que ce soit le seul instant que tu ais oublié. C'est celui que ton cerveau décide de ressortir là tout de suite. Et c'est significatif. Parfois, quand on subit un choc émotionnel, on se bloque pour se protéger, pour expliquer l'irrationnel, pour comprendre une situation qui nous échappe. Ce moment entre tes parents et toi est en parfaite contradiction avec ce que vous avez vécu par la suite. C'est presque inconcevable de penser à une once de bonheur au milieu de l'horreur. Tu comprends ?

J'acquiesçai, moins perdu à ce propos. J'avais toutefois des tonnes de questions.

- Si tu réussis à y repenser aujourd'hui c'est que le cerveau recompose petit à petit un puzzle qui ne lui semble plus si difficile. Il est prêt à prendre en charge ta mémoire traumatique, petit à petit... De sorte que tous tes souvenirs de l'avion avant et après l'accident deviennent à nouveau pensables. Il les replacera dans la case du passé, là où ils devraient être.

Comme s'il sentait que j'avais encore des questions, il me redonna mon carnet. Je lui demandai : « Je me débarrasserai de ces flash-backs ? ».

- C'est tout l'objectif de nos séances d'EMDR. Je ne peux pas te prédire le futur, Leander, mais je peux t'assurer que tu en es tout à fait capable. On va travailler sur ça. Comment tu te sens ?

Je dressai mon pouce en l'air. Je me sentais plutôt bien. J'étais rassuré de pouvoir enfin penser à un moment heureux avec mes parents dans ce foutu avion. C'était les dernières heures que nous avions passé ensemble et être constamment bloqué sur la fin catastrophique me détruisait à chaque fois. Peut-être que c'était bientôt terminé tout ça. Ce séjour en enfer constitué d'évènements réels et de cauchemars. Mon psychiatre m'observa longuement.

- Notre heure se termine alors je voudrais te demander de faire quelque chose, si tu le souhaites : accroche-toi à ce souvenir heureux, essaye de te focaliser sur ce que tu pouvais ressentir et commence à écrire à tes parents ou sur eux. Écris ce qu'il te passe par la tête, des mots, des listes, des odeurs ou des lieux... Tout ce qui te rattache à de belles choses partagées ensemble. 

Je fronçai les sourcils. C'était encore trop dur d'évoquer mes parents sur le papier ; ça me confrontait à la brute réalité.

- Essaye, Leander. C'est important, précisa-t-il plus que sérieux. Si c'est dur, que tu ne te sens pas prêt, tu écris ton souvenir comme tu viens de le faire pour moi. Mais, tu le fais pour toi avec tout ce dont tu veux te souvenir.

J'acceptai. Surtout pour lui faire plaisir. Je le remerciai puis rassemblai mes affaires à toute vitesse avec l'urgent besoin d'être dehors. Je devais respirer. Le simple fait d'envisager écrire cette lettre m'était insupportable.

- Tu fais de ton mieux et on voit ça, la semaine prochaine.

J'approuvai ses mots d'un geste de tête puis le saluai en me ruant vers la porte. Je traversai la salle d'attente lorsqu'une voix m'interpella dans mon dos. C'était Nora. Je le savais sans avoir besoin de me retourner. Ce n'était pas le bon timing pour une conversation amicale. Je lui fis un petit coucou de la main puis lui indiquai que je devais y aller. Je vis son expression changer avant que je ne lui tourne le dos. Heureusement, elle se fit aussi appeler, par Beckergam, sinon elle m'aurait sans doute suivi. Je ne voulais rien partager. La parole était certes libératrice mais je trouvais toujours du réconfort dans mon silence. J'avais appris à faire de ma solitude une force. Au moins, Chris eût l'air de le comprendre car il respecta le calme habituel du trajet de retour.

Dans la voiture, j'essayais de me focaliser sur la radio pour ne pas entendre la voix de mon père en répétition : « Ce grand gaillard n'a pas besoin de le savoir ». Maintenant oui, j'en avais besoin. L'ironie de cette situation était que l'on trouvait déjà dur d'être séparés pour une semaine. Comment faisait-on alors quand il s'agissait de toute une vie ?

- Ça va aller ? se soucia Chris.

J'effaçai mes larmes reprenant contenance. Mon oncle n'attendait pas réellement de réponses. Il me tapota l'épaule comme on félicite un enfant qui a rangé sa chambre. Il était aussi doué que moi pour les preuves d'affection. Ce minime effort avait son lot de réconfort.

À la maison, je cherchais des photographies de famille que je m'obligeais à regarder... Jusqu'à ce que les visages de mes parents inertes s'estompent de mon esprit. J'en voulais à mon putain de cerveau de me priver de beaux souvenirs. C'était injuste pour moi et pour eux. Ils méritaient une belle mémoire de leur existence et non de leur décès. Car, au fond, ce qui importait vraiment à notre mort, c'était bien plus l'avant que l'après. Du moins, pour ceux qui restaient...

***

- Il répond toujours pas, déplora Regan à mes côtés.

Je lui fis comprendre de laisser tomber. Isaiah ne voulait pas me voir, il n'y avait plus de doutes possibles. Si mercredi dernier avait été un jour anodin, j'avais espéré qu'il accepterait nos retrouvailles en ce jour de détente autorisé. La fin de la semaine était arrivée plus vite que je ne le voulus. Je dus passer mes journées entières à relire des cours barbants. Ce n'était pas une tâche facile après six mois de déscolarisation et des problèmes personnels en tête. J'eus des heures de répit lors de mes deux séances avec Beckergam, mardi et hier. Joan m'avait demandé de mettre le sport de côté cette semaine jusqu'à la reprise. Ce qui voulait dire m'éloigner d'Ayden avec un bon prétexte. Donc, je n'avais pas tellement protesté. Le sport dans ma chambre m'avait suffi.

Néanmoins, il y avait un autre évènement duquel je ne pouvais me défiler : mon propre anniversaire. Aujourd'hui. Et ma tante s'accordait au moins à le mettre en priorité au-dessus des révisions. Alors, ça avait été évident pour elle de m'autoriser à traîner un peu avec mes amis en ce début de samedi. Mon unique objectif étant de faire passer cette journée la plus vite possible et d'échapper à mes responsabilités. Puis, la joie et l'excitation de Joan et Bille face à cette date était démesurée. J'étais mieux loin de chez moi. D'autant plus que c'était Regan qui m'avait tendu la perche.

Résultat : nous n'étions que deux sur trois. Et j'étais à nouveau déçu.

- On y va, détermina mon ami en démarrant sa voiture. Il te faut impérativement de nouveaux habits, tu peux pas rester habillé comme un homo, le jour de ton anniversaire.

Je le regardai d'un air mauvais. Il savait être terriblement con quelques fois. Je lui fis écouter mon message à travers la Bluetooth de sa chaîne radio : « C'est quoi le rapport avec homo ? ». Il se marra d'un coup, pouffant comme un gamin avant de s'arrêter.

- T'es malentendant en plus d'être muet ? C'était dans un pack promotionnel ? railla-t-il. J'ai dit émo, pas homo.

Il replongea dans ses rires m'emportant avec lui. J'étais tant de mauvaise humeur que je cherchais presque des raisons de la laisser sortir. Toutes les émotions de la semaine se cumulaient et jouaient sur mes nerfs. Je me demandais si les choses allaient bientôt devenir plus simple pour moi. Le jour de mes 17ans, c'était peut-être pas mal.

Notre virée avec Regan fut si amusante que je la trouvais trop courte sur notre chemin du retour. Nous avions pourtant eu le temps d'arpenter les rues de Portland de long en large, de se goinfrer dans un fastfood le midi, et de reprendre notre lèche-vitrine. Durant quatre petites heures, nous avions eu le droit d'être des ados normaux. Sans rien d'autre en tête que les prochains habits que nous allions acheter. Regan avait un goût de la dépense que j'avais dû freiner toute la matinée, en plus de ses préférences vestimentaires étranges. Il avait un attrait pour les vêtements fluo et les treillis militaires qui tournaient à l'obsession. J'étais persuadé que ce mec était resté bloqué au début des années 2000 où les looks dans les clips de RnB étaient nos modèles ultimes. J'avais bien rigolé. C'était ça de gagné sur cette longue journée.

- Encore joyeux anniversaire, le prince de BR ! me sourit Regan. Et t'en fais pas pour Isaiah, il finira par revenir.

J'attrapai mes sacs de shopping et tapai dans la main que me tendait Regan. Je ne relevai pas ses mots. Isaiah n'avait pas de raison de revenir vers moi. Je lui avais fait de la peine et je continuerai de le faire. S'il s'éloignait pour se protéger, ce n'était pas juste de ma part de le retenir. Il avait assez souffert comme ça.

Je saluai une dernière fois Regan, penché sur son téléphone. En remarquant la voiture de Garrett devant la maison, je me gonflai de courage. Les festivités n'attendaient que moi. Ma famille se réjouissait plus que moi des dix-sept années d'existence et je ne pouvais les priver de ce bonheur. Seulement essayer de le partager, rien qu'un peu...

À l'entrée, je tombai sur Billie qui traversait la pièce en courant. Son visage rayonna soudainement. Elle s'arrêta pour se réjouir de la nouvelle avec moi :

- Garrett est arrivé ! Il a un cadeau tellement groooooos pour toi, faut que tu viennes voir.

Dès qu'elle me prit par la main, je sus que je n'avais pas le choix. Mon temps était sien. On ne jouait pas avec son impatience. Elle m'entraîna dans le salon dont les rideaux étaient étrangement fermés. Et je compris. Elle les tira puis... Mon cœur se serra sous l'anxiété.

- Joyeux anniversaire ! crièrent de nombreuses voix.

Par réflexe, je fermai les yeux alors qu'une paire de bras s'enroulait autour de mon cou. Regan. Il se tenait à nouveau près de moi avec un sourire flamboyant. Le sourire du mec qui avait réussi à garder un secret. À l'instar de toutes ces personnes devant moi. Joan, Chris, Simon, Garrett et son meilleur ami, Ram ; Nora, Lieth, Ayden et toute la bande ; les mecs de Burket Rivers : Jack, Clayton et... Isaiah. Je le vis à travers mes yeux embués de larmes. Je pris le temps de lui sourire plus que reconnaissant. Et, légèrement de côté, Ashiki. Un parfait tableau que je souhaitais graver dans ma mémoire pour toujours. Le tableau de la vie qui s'offrait à moi...

- On veut des larmes ! s'écria quelqu'un.

Toutes les têtes se tournèrent vers le comique de service, Nills. En me voyant rire, il garda son sourire niais même après la tape qu'il se reçut. Vêtu dans une belle tenue, que Regan m'avait convaincu de porter toute de suite, je les rejoignis sans plus aucune crainte. Avec toutes ces personnes, je ne redoutais plus l'abandon. 



____________________________

Coucouuuuuu

Les fins de chapitre semblent tous se terminer de la même manière : je vous livre des excuses sans fin pour vous justifier mon retard. Cette fois, je vais faire court et vous avouer que j'avais réellement perdu toute motivation et que cette année n'a pas été facile (et on en est à qu'à la moitié youhou). Alors que j'ai tendance à me réfugier dans l'écriture, j'ai plutôt fait l'inverse d'autant plus que l'on est à la fin d'HCW et que terminer une histoire m'angoisse toujours autant. J'ai peur de vous décevoir, de me décevoir, de ne pas être à la hauteur avec mes mots. Je veux que cette histoire se termine correctement or j'appréhende de ne pas en satisfaire certains par ma vision des choses... C'est parfois dur de se rappeler que l'on écrit toujours et avant tout pour soi quand on partage ses récits. Alors, j'ai préféré cesser d'écrire. Au moins l'histoire n'était pas sur le point de terminer.

MAIS (parce qu'il y en a toujours un), en réécrivant - corrigeant le premier tome Only That Way, j'ai réalisé que ce serait un pur bonheur de pouvoir auto-éditer les deux livres dans un temps rapproché (six mois voire un an d'écart) afin de partager cet univers et mes personnages avec vous. Alors je m'y suis remise & me voilà !

Qu'en pensez-vous ? Des théories sur l'affaire Burket ? Des avis sur le petit cours de vie de Leander ? Voulez-vous que je vous rappelle certains points que vous avez oublié ? Comme toujours, dites moi tout ! C'est vous qui m'encouragez à écrire depuis le début ❤️

Restez dans les parages car la suite est prochaine (c'est vrai de vrai cette fois) !

Bisouuuus

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