35 - Patchwork
RAPPEL : Leander s'apprêtait à aller à la fête des Gallagher quand il a découvert les mots d'Ayden inscrits sur son ardoise. À cette fête, les deux discutent des sentiments d'Ayd pour Lean puis décident de profiter de la soirée...
« You take my silences and make them less alone »
- As it is
***
La soirée se déroulait étrangement bien. Je retrouvais la Nora que je connaissais et toutes les personnes autour de moi se montraient moins froides que je ne l'avais imaginé. J'avais même reconnu un de ceux qui m'avaient attaqué dans la rue, un ami d'Ayden, toutefois il se contentait de regards noirs, je m'en contentai aussi. En parlant d'Ayden, il s'était particulièrement lâché sur l'alcool et nécessitait plusieurs pairs de yeux pour veiller sur lui. Nora, à mes côtés, se retenait toutes les cinq minutes d'aller l'aider ou de le réprimander. Elle ne le fit pourtant pas, gardant son inquiétude secrète.
- Hey, s'exclama une voix inconnue.
Une blonde se présenta à Nora, Harry et moi. Elle discuta un petit moment avec eux avant de remarquer ma présence, ou de faire semblant de la remarquer seulement maintenant.
- T'es nouveau ?
Je hochai la tête avec un petit sourire moqueur alors que mon amie niait déjà ma réponse.
- Il se fout de toi, il est là depuis bientôt 2 ans mais monsieur est trop timide.
- Ou il préfère se cacher parce qu'il sait qu'il ferait des ravages, me complimenta-t-elle.
Harry gloussa dans son coin aussi surpris que moi de l'honnêteté de la fille. C'était un peu ridicule, assez maladroit. Très gênant sauf pour elle puisqu'elle continuait de me sourire.
- Ok Maddie, on va vous laisser ! décida Nora.
Je relevai la tête, les yeux sans doute aussi gros qu'une soucoupe. J'attrapai le bras de Nora et la suppliai silencieusement de rester. Elle rigola en se défaisant de ma poigne. Je la haïssais. Etait-ce malpoli de partir sans rien prétexter ?
- Je t'ai remarqué depuis mon arrivée mais t'es jamais tout seul. Pas facile de t'accoster ! sourit-elle à l'aise. Surtout que c'est pas dans mes habitudes.
J'avais une terrible envie de lui dire qu'elle n'aurait pas donc dû s'éloigner de ses habitudes mais je ne voulais pas être méchant. Elle ne l'était pas après tout, elle s'était seulement trompée de proie. Je sortis mon portable afin de lui écrire : « C'est cool. Je connais aussi quelqu'un qui t'a remarquée mais il n'a pas autant de cran que toi pour te le dire. »
- Ah oui ?!
Je secouai vivement la tête, l'air convaincu. Elle partagea un long regard avec moi, persuadée que c'était une technique détournée pour parler de moi. La seconde d'après, elle avait déjà posé sa main sur la mienne me provoquant des frissons interminables et des envies de meurtre. Je retirai doucement ma main pour lui écrire : « C'est un pote qui te trouve vraiment magnifique et marrante. Il est là-bas ! ». Je désignai le concerné du doigt alors que la prénommée Madilyn, ou Maddie, se contentait d'hocher la tête, une moue pincée. Elle continua de discuter avec moi, cette fois avec plus de retenue, puis me quitta assez vite quand elle aperçut une amie. Dans le même temps, Nora et Harry me retrouvèrent à nouveau, tordus de rire. Encore plus quand je leur avouai ce que j'avais fait.
***
Je profitai d'un moment de solitude pour aller me chercher à boire et jeter un coup d'œil à mon téléphone par la même occasion. Joan me demandait si tout se passait bien alors je lui répondis malgré mon exaspération. En revanche, je ne me sentis pas capable de répondre aux sms d'Isaiah, j'avais le sentiment d'être hypocrite si je le faisais. J'étais vraiment dans une situation délicate...
Dans la cuisine, je me faufilai entre les quelques personnes présentes pour atteindre le frigo. C'était peut-être de la paranoïa mais j'avais la folle impression que l'on me fixait. J'ignorai délibérément tout ça dans le but d'éviter le moindre conflit. Je voulais croire que je m'éloignais doucement du garçon colérique que j'avais trop longtemps été.
- Tu bois quoi, mec ? m'interpella un blond, accoudé au plan de travail.
À ses côtés, je reconnus l'un des amis d'Ayden qui m'étaient tombés dessus. Je leurs montrais le contenu de mon verre puis continuai ma route jusqu'à ce qu'une main puissante m'attrape l'arrière du bras. Il dressait une bouteille de vodka, presque vide. À en juger son état, il l'avait sûrement terminée tout seul.
- Attends, tu peux pas te contenter d'un jus d'orange ! Laisse-moi t'arranger le coup.
Je secouai la tête mais il m'arracha le gobelet des mains et le remplit d'alcool avant de me le redonner. J'avais deux possibilités : le vider dans l'évier ou le vider sur lui à la place. J'optai pour la première option, seulement pour les Gallagher. Ils m'invitaient à leur fête, je me devais de me tenir à carreau. Je le vidai d'une traite dans le lavabo en fixant le con dans les yeux. Les voix s'élevèrent autour de nous. La plupart encourageait le fameux Jordan à faire quelque chose.
- Tu sais combien cette bouteille m'a coûté ?
Il me toucha à nouveau, je le repoussai sans réfléchir. Il parvint tout de même à me plaquer contre le frigo. Son bras contre mon cou me bloquait la respiration, effaçant peu à peu mon calme. Je n'allais me contenir longtemps.
- Qui t'a autorisé à être ici d'abord, taré ?!
- Après ce que t'as fait à Ayden, surenchérit quelqu'un.
- Après ce qu'il m'a fait, c'est moi qui l'ai autorisé à être là. Ça pose problème ?
Tous les regards se dirigèrent vers le concerné, à l'entrée de la cuisine. Ayden évidemment. Il s'appuyait contre un meuble et gardait un air décontracté. Depuis combien de temps me regardait-il me faire humilier ?
- Ah, donc t'es venu défendre ton petit chiot apeuré ? railla le connard.
Le petit rire d'Ayden nous prit au dépourvu.
- Tu crois qu'il a besoin de moi pour savoir comment mordre ? rétorqua-t-il. Nan, j'suis venu pour admirer le spectacle. Tu sais, lui qui te refait la tronche en un coup.
Mon sourire n'exprima que le quart de ma joie intérieure. Finalement, le fait qu'il ne prenne pas ma défense avait quelque chose de plus gratifiant. Est-ce qu'il savait que j'avais horreur de ça ? Est-ce qu'il considérait seulement que ce n'était pas son rôle ? Sa motivation n'importait pas après tout, sa réaction me faisait plaisir. Elle fit moins plaisir à mon emmerdeur car il me lâcha comme si je ne méritais plus aucune attention de sa part. Ayden, lui, n'en avait pas fini avec lui car il reprit :
- Par contre, être amis avec Lieth ou jouer dans la même équipe que moi ne font pas de vous mes amis. Alors, évitez de parler ou d'agir en mon nom.
- Sympa, mec.
Le groupe sortit alors que les autres continuèrent leur conversation. Ayden avança vers moi avec une démarche plus assurée, moins alcoolisée. Soudainement, j'eus honte car j'étais toujours cette cible facile pour les jeunes de mon âge, celui qu'on ne comprenait pas, celui qui passait son temps à être rabaissé. Je n'étais pas comme Ayden avec des amis qui le respectaient, l'adoraient ou qui avaient des tas de bons souvenirs à raconter sur lui. Moi, j'étais juste Leander dont la seule particularité était en fait son handicap.
- Tu peux l'ouvrir ?
Il était dorénavant à de ridicules centimètres de moi et cela suffit à me faire perdre tous mes moyens. L'éclat de ses yeux était cette fois camouflé par la faible luminosité de la pièce, lui donnant de la force dans le regard. J'étais paralysé, incapable d'envoyer une quelconque information à mon cerveau. La seule pensée qui tournait était l'image d'Ayden, plus tôt dans la chambre, en train de m'offrir la plus belle déclaration.
- Le frigo, pas ta bouche ! rigola-t-il.
Je ricanai puis lui tournai le dos afin de dissimuler ma gêne. Il se posta devant la panoplie de boissons avec un sérieux qui ne prêtait pas à la situation.
- Je devrais arrêter de boire mais j'en ai vraiment besoin, pour me défouler tu vois...
Je souris en l'écoutant se justifier pendant un moment.
- J'veux juste pas être un boulet, je sais que Nora me surveille depuis le début. Elle a pas vraiment profité de la soirée...
L'alcool le rendait bavard, plus ouvert sur ses pensées. Il continua de me dire qu'il ne voulait déranger personne, il souhaitait s'amuser. Et je le comprenais car j'étais dans la même situation, avec ma tante qui devait se faire un sang d'encre. On voulait avoir une vie normale, retrouver notre vie d'avant.
Le monologue d'Ayden le convint lui-même puisqu'il referma la porte sans rien prendre. Je lui tapotai l'épaule pour attirer son attention puis lui signai : « Je peux veiller sur toi ». Il plissa les yeux, l'esprit encore embrumé et il comprit certainement les moments où je me pointais puis le pointais du doigt.
- Non, j'veux que tu continues de t'amuser !
Je sortis mon portable pour lui écrire : « Tu m'as l'air plutôt amusant... ». Il releva un sourcil, avec une taquinerie que je découvrais.
- Est-ce que tu m'incites à boire ? se moqua-t-il.
J'acquiesçai vivement, tout sourire. Il s'en réjouit et s'empressa de prendre une boisson fraîche. Il attrapa ensuite une bouteille de whisky sur le comptoir mais renonça à faire un mélange, buvant plusieurs gorgées de l'alcool pur.
- Tu vas regretter de m'avoir proposé ça, Lean !
Mais, je n'en étais pas aussi sûr que lui. Si boire lui permettait d'oublier pendant quelques heures alors je voulais bien lui offrir ce répit. Pour moi, ça avait tendance à amplifier mes idées noires, il n'y avait qu'à repenser à ma tentative de suicide. Je ne voulais pas plonger aussi bas. Au moins, l'un de nous s'amusait et j'avais enfin l'occasion de l'aider.
Ayden posa sa main contre mon épaule, me décala sur le côté, et s'en alla comme il était arrivé, sans rien dire. En retournant dans le jardin peu de temps après, je l'aperçus immédiatement en plein fou rire avec des amis. Je n'allais pas le regretter.
***
Les heures s'étaient écoulées à une vitesse impressionnante, tant je m'étais amusé aux côtés des Gallagher et de leurs amis. J'avais pu constater comme certains avaient changé et j'avais rencontré d'autres personnes aussi géniales. Le soleil n'allait pas tarder à se lever ; la plupart des invités était rentré chez eux tandis que les plus courageux continuaient la soirée en petit comité. Je m'étonnais d'être resté jusqu'au bout, moi qui avais envisagé ne rester que quelques heures. Je m'étais vite pris au jeu. Je me prouvais que la vie n'était pas si dure à surmonter lorsqu'on était bien entouré. Un pas en avant entraînait peut-être un autre, le dicton de Beckergam avait sans doute sa part de vérité.
Je traversai le salon à la recherche de Nora quand la voix de son frère me retint. Sur le canapé, Ayden me fit signe de les rejoindre, malgré le regard désapprobateur de Zach. Ce dernier restait toujours sur la réserve avec moi et l'on n'avait jamais vraiment eu l'opportunité de se parler alors cette situation m'angoissait. Je regardai une dernière fois les alentours, dans l'espoir de croiser mon amie. Introuvable. J'avançai alors vers Ayden, Nills et Zach que la fatigue n'avait pas encore touchés. Heureusement, je pus compter sur la vivacité du blond pour me mettre à l'aise :
- Toi, je t'ai cherché de partout ! me lança Nills. Qu'est-ce que tu m'as envoyé ?
Je rigolai en réalisant que la rousse s'était bel et bien adressée à lui. Il n'avait pas apprécié mon petit coup de pouce empoisonné, ça me fit davantage rire. Je suivis le geste d'Ayden et m'assis en face de lui sur la table basse alors qu'il s'intéressait déjà au sujet :
- Qu'est-ce qu'il a fait ?
- Il a fait croire à une vieille paumée qu'elle me plaisait, répondit son ami. Elle m'a collé pendant deux heures, j'ai dû me cacher dans une chambre !
- Tu nous saoules tous les jours avec ton célibat pour fuir dans une chambre quand une fille t'aborde ! Tu sais que cette chance se reproduira plus ?
- Va te faire foutre !
L'hilarité de ses amis énerva autant Nills qu'elle ne l'amusa. Il bouscula Ayden mais continua de sourire. Il nous raconta les discussions sans intérêt de la fameuse Madilyn et de son manque d'humour - ce qui était, pour lui, un grand défaut. Je l'écoutai d'une oreille attentive en dépit du regard insistant d'Ayden. Il n'avait pas encore retrouvé son état de sobriété et la malice ne le lâchait pas. Je m'étais retenu de le retrouver toute la soirée pour ne pas déraper mais ça devenait de plus en plus dur. Ses yeux brillants allaient avoir raison de moi, je préférais ne pas les croiser. Mais, il en décida tout autrement car il se mit à me donner des légers coups de pied dans la jambe. Je le regardai enfin : son sourire persista à la tension et s'écrasa peu à peu. La voix de Nills nous coupa de notre contemplation avec brutalité.
- T'écoutes même pas ce que je dis ! se plaignit-il.
- Mais on s'en fout, rétorqua Ayden. Comment ça se fait qu'elle est là, d'abord ?
- Elle vient souvent aux séances du groupe de soutien, pour parler avec Nora à la fin et tu connais ta sœur...
Ils hochèrent tous la tête, s'accordant sur la même idée. Quelqu'un héla Zach et il nous quitta précipitamment pour participer à un jeu. Au même instant, Lieth se laissa tomber sur le canapé. Il était épuisé mais s'efforçait de garder bonne figure. Ses cheveux décoiffés, ses pommettes rougies, et ses yeux mi-clos en disaient long sur le genre de soirée qu'il avait vécu. D'ailleurs, son triplé n'attendit pas une seconde de plus pour lui faire la remarque.
- T'as une de ces têtes ! T'étais où ?
- La tête plongé dans la cuvette des toilettes, à perdre mes tripes ! s'exclama Lieth en se posant contre lui.
- Me touche pas, dégage ! râla Ayden aussitôt.
Il repoussa son frère sous nos rires. Si je déchiffrais bien l'expression de Lieth, il se foutait seulement de sa gueule. Il faisait partie des quelques personnes raisonnables qui n'avaient pas ou presque pas touché à une seule goutte d'alcool. Il nous apprit la vérité :
- J'étais avec mes amis, ducon. Où veux-tu que je sois ? D'ailleurs, ce serait cool que t'arrêtes de te prendre pour le roi ici et de mal parler à mes potes ! Ou pire, de te permettre de les virer d'une pièce...
Le regard de mon ami changea, il sembla ne pas aimer la remarque. C'était l'un de ses grands défauts, il refusait d'être remis en cause et que l'on critique ses choix ou ses actions. Ça ne gênait pas ses frères et sœurs de le faire, j'avais déjà pu le constater.
- Je vois qu'ils sont venus pleurnicher, dit-il indifférent. Je les ai pas virés, j'ai juste clarifié les choses. Si ça ne te plait pas, choisis mieux tes amis !
- C'est toi qui dis ça ?! ricana Lieth. Rappelle-moi qui est assis en face de nous ? Tu peux pas en vouloir aux gens de défendre ton honneur.
- Mon honneur de quoi ? Ils me connaissent même pas !
Ayden venait de hausser le ton, inquiétant alors Nills qui tenta de calmer la situation. Il demanda à Lieth de ne pas rebondir toutefois, celui-ci était aussi sur les nerfs et avait l'air de vouloir vider son sac. Il se leva pour tout déballer d'une traite :
- Tu rigolais bien avec eux, avant tout ça ! Avant que tu deviennes aussi renfermé et chiant. Tu rejettes tout et tout le monde ! Le problème vient de toi, pas d'eux.
- Crois-moi, je sais très bien où se trouve le problème, argua Ayden. Toi qui deviens ami avecles premiers cons que tu croises !
- Les mecs, souffla Nills. Vous allez pas vous embrouiller !
Malheureusement sa tentative fut vaine. Les deux étaient trop plongés dans leur rancune pour pouvoir l'entendre. Même Ayden perdait doucement sa contenance. J'avais l'impression que c'était de ma faute s'ils en venaient là parce que j'étais tout de même à l'origine du conflit avec les amis de Lieth. Il continua les reproches, ignorant délibérément la demande de Nills.
- Les choses ont changé quand t'étais pas là, ne crois pas que la vie s'est arrêtée en ton absence.
- Ouais j'ai vu ça. Vous avez monté votre petit club de faux justiciers, est-ce que je vous ai déjà demandé quoique ce soit ? Je comprends que tu sois en colère mais qu'eux viennent faire chier Leander à une fête où il est invité, ça passe pas. Alors, viens pas me saouler parce que j'ai remis tes prétendus potes en place !
La déception traversa les iris transparents de Lieth. Il en perdit même ses mots car les minutes instaurèrent un silence de plomb. Ce n'était peut-être pas tant les mots de son frère qui le décevait que son manque d'écoute. Ca ne devait pas être leur première discussion à ce sujet, ils portaient peut-être ces reproches depuis un moment. Ce qui pouvait expliquer la disparition d'Ayden, la semaine d'avant ; il avait du mal à digérer son retour à la maison et surtout à la réalité. C'était toujours difficile de constater que nos proches continuaient d'avancer sans nous, ça nous laissait rapidement croire que notre présence était sans importance. Quand les deux vies étaient de nouveau confrontées, c'était dur à digérer. En vérité, je reconnaissais ma situation dans la leur.
On reprochait apparemment à Ayden d'avoir changé alors même qu'il avait vécu un événement dont on ne pouvait ressortir indemne. Et, lui reprochait également à sa famille et ses amis d'avoir changé en ignorant que c'était certainement ce qui leur avait permis de tenir. Ca m'avait pris des années de rancoeur, de jalousie, et de culpabilité pour le comprendre. Je ne voulais pas qu'ils passent par les mêmes difficultés, eux qui étaient si soudés. Nills parût partager la même idée que moi puisqu'il incita son meilleur ami à aller prendre l'air ensemble. Lieth se laissa entraîner sur quelques pas puis se retourna, pour un dernier mot.
- Être un connard ne te rendra pas ta hanche intacte, déclara-t-il de but en blanc. Peut-être que tu t'en rendras compte un jour quand l'alcool et les médocs ne t'aideront plus.
L'instant d'après, Ayden se précipita sur son triplé mais je le tirai en arrière, à temps. Il me repoussa plusieurs fois, lancé par sa colère noire et dans mon dos, résonnait maintenant les protestations de Lieth dans le même état. Au milieu de ce brouhaha, je regrettai de ne pas avoir de voix pour calmer mon ami. Celle de Nora eût au moins le pouvoir d'attirer leur attention et les mettre sur pause :
- Qu'est-ce que vous avez ?! Pourquoi vous vous disputez ? quémanda-t-elle sévère.
- Vois ça avec lui, j'me barre, décréta Lieth.
Je le regardai partir, Nills sur ses pas pendant que Nora se tournait vers son autre frère. Elle aussi eût l'air déçue lorsqu'elle posa les yeux sur lui. J'espérais qu'Ayden soit trop bourré pour le percevoir car c'était l'une des choses les plus dures à supporter.
- Je pensais que tu ferais un effort ?! lui reprocha-t-elle.
- C'est bizarre, je pensais qu'il devait en faire aussi au lieu de venir me faire chier, pour ses potes en carton.
- Inutile de parler avec toi dans l'état que tu es.
Il se laissa tomber sur le canapé en même temps qu'un souffle d'agacement lui échappait. Le même qui sortit de la bouche de Nora. Elle n'osait même pas le regarder et s'adressa plutôt à moi qui n'avais pourtant été d'aucune aide.
- Ça ne te dérange pas de rester avec lui ?
J'eus un moment d'hésitation car Ayden était vraiment de mauvaise humeur et ne parut pas se réjouir de la demande de sa sœur. Pourtant, je m'étais engagé à veiller sur lui donc quand il quitta la pièce, je le fis aussi. Je le suivis jusque dans sa chambre et fus interpellé par Nora qui était également montée avec nous.
- Je vais préparer le couchage des autres. Tu restes dormir ? quémanda-t-elle. Demain, on se fait un brunch. Ce serait cool si t'étais là !
Je lui signai lentement : Ma tante va s'inquiéter.
- Envoie-lui un message et je le fais aussi.
Joan n'allait pas être ravie mais elle dormait à cette heure-ci donc, elle ne pouvait pas encore s'en soucier. Au moins, j'avais l'excuse du brunch alors qu'en vérité ma motivation se trouvait ailleurs. Je voulais seulement rester avec Ayden un peu plus longtemps. Malgré la culpabilité qui me rongeait déjà...
- Ayden, je compte sur toi pour lui donner tout ce dont il a besoin ?!
Elle se tourna vers moi pour combler le silence qui suivit sa question. Son frère était occupé sur son portable, incapable de scinder son attention en deux. Ça m'étonnait toujours t'entendre le ton presque maternel de Nora. Elle était très inquiète. Je ne comprenais pas tellement car Ayden n'était pas non plus au bord du coma éthylique. Au lieu de prendre la parole à voix haute, elle me signa : « Fais attention à lui, le mélange alcool – médicament est mauvais ». C'était donc ça... Elle repartit sans attendre de réponse.
Quand je relevai la tête, Ayden me regardait d'une manière singulière. Je perdis mon assurance – le peu que je possédais – en quelques secondes. Davantage lorsqu'il quitta son lit et approcha. J'étais comme immobilisé par un sentiment plus fort que ma raison.
- Moi aussi, j'aimerais bien connaître la langue des signes, affirma-t-il simplement. Mais je comprends pas, c'est trop compliqué !
Je levai les yeux au ciel ce qui le fit ricaner. Il se pencha alors vers moi et me donna une légère tape contre la pommette en proclamant :
- Pas de ça devant moi !
J'attrapai sa main afin de l'éloigner, joueur à mon tour. Le petit sourire qui plissa ses lèvres me fit frissonner. C'était idiot mais je n'avais encore jamais ressenti ça, cette plénitude. Ou peut-être que si mais ça remontait à deux ans. À mon premier amour. De la même manière qu'Ash m'avait permis de découvrir qui j'étais, Ayden me confortait dans l'image que je me construisais encore. Il la rendait même plus belle. Alors, le simple fait de le voir à mes côtés suffisait à me combler. Je me sentais chanceux. La pire décision de ma vie m'amènerait peut-être à prendre la meilleure...
Ayden était maintenant tout près de moi, la main retenue par la mienne et le regard bloqué dans le mien. Même nos souffles s'accordaient. Il réduisit encore la distance et je me surpris à fermer les yeux avant de me reprendre. Je ne pouvais faire ça... Il n'avait pas tout son esprit et j'avais un engagement envers Isaiah. Je ne voulais pas lui manquer de respect.
- Je connais pas bien les signes mais on peut se contenter de la langue, sussura-t-il.
La fin de sa phrase mourut dans son souffle. Ses lèvres frôlèrent les miennes. Mes yeux se fermèrent définitivement sous le supplice. Je devais résister... Mais, le laisser faire le premier pas me rendait-il vraiment fautif ? Sa main échappa à mon emprise pour se poser contre ma mâchoire tendue. Je me collai aussitôt à lui, avide de sensations plus fortes.
- Ayd' !
La voix dans le couloir nous projeta tous les deux loin de l'autre, à temps avant que Zach n'apparaisse au pas de sa porte. Il nous regarda tous les deux, d'ailleurs gêné de me voir là. Il se concentra sur son meilleur ami qui semblait avoir dessaoulé sous l'adrénaline.
- J'interromps quelque chose ?
- Non mec, t'inquiètes. Tu me cherchais ?
- Tu t'es embrouillé avec Lieth ?!
- C'est rien, je lui ai juste dit ce que je pensais. Mais tout est cool, j'suis cool !
- Vive l'alcool, rigola le brun. J'vous laisse alors, je suis crevé !
Ayden rigola tardivement à la blague alors qu'on regardait Zach repartir. C'était bizarre cette manie qu'ils avaient tous d'interrompre un moment important... ou décisif. Toutefois, j'en étais reconnaissant. Je devais me tenir éloigné pour ne pas craquer.
- Tu vas où ? me retint Ayden.
« Dormir » lui signai-je car c'était assez simple pour sa compréhension.
- Bah tu dors ici !
Hors de question. Ça représentait une trop grande tentation et je n'étais pas certain d'être en mesure de résister. Pas ce soir où les doutes flottaient dans ma tête, pas après sa déclaration qui avait emprisonné une part de mon cœur, depuis le début de soirée. Il se moqua à nouveau de moi mais ne dit rien de plus. Il se contenta de me tourner le dos, l'allure toujours empreinte d'hésitation, se dirigea vers son lit et tira celui qui était en dessous du sien.
- Si ça peut te rassurer, souligna-t-il. Mais tu rates ta première nuit avec moi.
J'échappai à son regard, rougissant à cause de son sous-entendu. Heureusement, Ayden ne le vit pas car il se laissait déjà tomber sur le matelas. La voix camouflée par les coussins, il prétexta être trop fatigué pour m'aider avec les draps alors je le fis le lit par moi-même. Quand j'eus fini, il s'était endormi. Je retirai mon pantalon, éteignis la lumière et me glissai dans le second lit.
Son sommeil nous préservait de toutes mauvaises décisions néanmoins, j'étais déçu de ne pas avoir eu un autre moment avec lui. Nous n'avions pas tellement passé la soirée ensemble. J'étais parti pour passer une nuit blanche à tourner mes pensées dans le moindre sens.
Du moins, jusqu'à ce que l'intervention soudaine d'Ayden me fasse sursauter :
- Comment tu fais pour dormir ?
J'entendis du mouvement de son côté avant qu'il ne poursuive d'une voix plus claire.
- Avec tout ce qui tourne dans ta tête, comment tu fais ?
Je pris mon portable pour lui répondre : « Je ne dors pas beaucoup justement... Toi non plus ? ». Je lui tendis le téléphone toutefois au lieu de me le prendre, il descendit sur mon lit. Je retins mon souffle quand ses jambes chaudes rencontrèrent les miennes et qu'il m'obligea à me décaler pour lui laisser de la place. Il tira même son propre oreiller, signant sa présence pour un long moment. Tourné vers moi, il lut enfin mon message et resta silencieux quelques secondes.
- Chaque nuit, j'ai l'impression d'être un foutu gamin qui fait face à ses angoisses. J'ressens encore la peur, j'entends encore les coups de feu, les trois distinctement, et je vois encore les visages effrayés avant que je perde connaissance. Dans ces moments, je me mets à penser à l'avenir parce que le passé me fait peur mais je ne vois rien et ce néant m'angoisse autant que les souvenirs. Chaque nuit, je suis confronté à ma vie et j'ai rien pour y échapper. Quelques fois, j'ai peur de m'endormir et d'autres fois, j'voudrais ne jamais plus me réveiller. Alors, je tranche en ne dormant pas du tout. Ou je m'aide un peu...
« Tu t'aides en buvant ? »
- C'est pas la meilleure solution mais ça me vide la tête et je dors tranquille du coup.
« Tu le fais souvent ? »
- Non, ne crois pas ce qu'a dit Lieth. On a juste eu pas mal de soirée et c'est vrai que j'en ai profité mais je suis pas alcoolique pour autant.
« T'as pas besoin de ça. Pas besoin d'alcool pour te pousser vers l'avant, c'est qu'une illusion. Et y'a rien de pire que ça, parce que tu te mens à toi-même. Ça te tirera seulement vers le fond. »
- Dit celui qui s'est réfugié dans la violence et la solitude...
J'eus du mal à déglutir, la gorge serrée par la vérité. Je le détestais autant que je l'appréciais d'être aussi franc. Mais dans le fond, j'étais à la fois mal et bien placé pour lui donner des conseils. Je n'avais pas fait les meilleurs choix et j'en payais encore les conséquences. Lui aussi d'ailleurs.
« Ouais, tu vois où ça m'a mené... »
- Près de moi ? lâcha-t-il comme une bombe.
Il se rapprocha, sa tête maintenant contre la mienne alors qu'une de ses mains se glissait contre mon torse. Ma respiration se bloqua pour la énième fois, je n'osai même pas bouger. Sans doute parce que son toucher me plaisait ou parce que j'avais peur de mes propres gestes. Ss mots s'étaient insinués jusque dans mon cœur, s'y gravant pour un long moment. J'espérais que toute cette affection n'était pas uniquement due à son taux d'alcool dans le sang. Je me devais tout de même de le refuser. Je repoussai gentiment sa main puis lui écrivis : « T'es bourré, on ferait mieux de dormir. »
- J'étais bourré ! argua-t-il. Crois-moi, si j'suis encore capable de lire c'est que je suis en bon état.
Je tournai la tête vers lui, épuisé par ses contestations. Nos visages éclairés par la lumière de mon portable, on resta un instant à se fixer. Il sourit de son air malicieux avant de me serrer un peu plus contre lui.
- Bonne nuit, Leander...
Je laissai échapper un premier éclat de rire et tentai de l'éloigner. Je le poussai de mes bras et jambes mais il resserra sa poigne.
- N'essaye même pas, tu vas perdre !
D'esprit compétitif, je luttai avec plus de force sans toutefois réussir. Je soulevai son bras et essayai de m'en extirper puis tombai piètrement sur le sol. Vaincu par l'hilarité.
- Qu'est-ce que je t'avais dit ? explosa-t-il. Allez, viens !
Je me levai, enjambai Ayden et gagnai son lit pendant qu'il soufflait d'exaspération. La seconde d'après, il me rejoignit encore.
- On devait pas dormir ?
Je hochai la tête avec conviction et me laissai innocemment reposer contre le matelas. Quand il baissa sa garde, je le pris par surprise en le poussa d'un coup de pieds. Il retomba sur le lit du dessous, accompagné d'un cri étouffé. Je l'entendis se plaindre plusieurs fois de suite ; des plaintes qui firent naître ma culpabilité. Animé par le jeu, j'avais oublié sa blessure pendant un moment. Un court moment. Il avait instinctivement posé sa main contre son aine et continuait de gesticuler comme si je lui avais à nouveau tiré dessus.
Je l'aidai à se redresser en lui tendant la main mais fus plutôt attiré vers lui. J'aperçus vaguement son visage paré de son masque comique avant de m'écraser à nouveau. Cette fois, sur lui. Toujours aussi secoué par les rires, je me poussai tout de suite sur le côté.
- Ça t'apprendra à maltraiter ton hôte ! répliqua-t-il en riant autant que moi. Alors, t'es décidé à dormir ?
J'acquiesçai, rendant les armes. J'étais destiné à perdre contre Ayden. Il tira d'ailleurs le drap sur son corps et se reposa contre son coussin, le tout sans me lâcher des yeux. Je les voyais presque briller dans la pénombre jusqu'à ce que ses paupières me privent d'observation supplémentaire. Je me résolus à m'allonger également et fermer les yeux à mon tour. Mon souffle se calmait un peu. Je ne redoutais pas de dormir à cet instant, j'espérais qu'Ayden non plus. La sensation de bien-être me berça doucement jusque dans les bras de Morphée.
- J'adore ton rire, c'est un peu comme entendre ta voix...
Ce murmure me réveilla légèrement. J'étais content que mon cœur ne se soit pas agité de colère mais de joie. Mes rires l'avaient remué sans risque de le briser ; c'était une sensation que je voulais vivre tous les jours. Une sensation que je connaissais de plus en plus depuis que je traînais avec Ayden.
Il avait remplacé les sanglots par les éclats de rire et me prouvait qu'il y avait du bon à se sentir vivant.
***
Je me réveillai en panique, à cause des vibrations contre mon bras. Mon portable... Merde, ma tante ! Je m'en emparai, remarquant qu'Ayden n'était plus à mes côtés. J'avais plusieurs appels manqués de Joan et Chris et un message de ce dernier qui annonçait venir me chercher. « Tu peux me laisser une heure ? Je viens de me réveiller » répondis-je tout de suite. Je reçus sa réponse quelques secondes après : « Ok 14h30, pas une minute de plus ». Il n'avait sans doute pas lâché son portable de la matinée et je m'en voulais de savoir que j'avais pu l'inquiéter. Je soufflai en me redressant lentement, la tête embrumée. Je n'étais pas spécialement fatigué – ce qui était rare dans ma vie. J'avais dormi sans interruption et aussi ridicule que cette idée puisse être, j'étais certain que la présence d'Ayden y était pour quelque chose.
Je fis un rapide tour à la salle de bain, arrangeant mes cheveux et mes habits froissés avant de me décider à rejoindre toute l'animation en bas. J'allais entrer dans la salle à manger quand Nills en sortit et manqua de me percuter. Son visage d'abord confus devint alors accueillant.
- C'est justement toi que je venais chercher ! Ils m'ont chargé d'aller te réveiller mais tu me sauves de cette lourde tâche !
Je secouai la tête, avec un sourire pendu aux lèvres puis le laissai m'entraîner dans la pièce bruyante. Il y avait encore quelques visages inconnus autour de la table mais je me dirigeai vers la place que m'indiquait Nora. J'étais soulagé qu'elle me kidnappe aussi vite car son frère ne répondait pas à l'appel et je ne savais pas vers qui d'autre me tourner. Au moins, elle était là et elle semblait ravie de me voir. Elle s'assura que je mange convenablement, malgré mon manque d'appétit, puis m'intégra aux quelques discussions en cours.
Un long moment après, ses triplés pointèrent le bout de leur nez avec une expression indéchiffrable. Seul Lieth parvint à la cacher. Ayden se contenta de prendre une tasse et fit aussitôt demi-tour.
- Tu restes pas ? lui demanda Nora.
- Trop de bruit, argua-t-il.
J'eus envie de le suivre mais sa soudaine froideur me cloua sur la chaise. C'était peut-être mieux de le laisser tranquille, peut-être mieux de m'accorder un peu de tranquillité à moi aussi. La soirée de la veille avait été mouvementée, j'avais peur de me précipiter trop rapidement vers ces sentiments.
J'étais malhonnête de m'amuser, de me plaire en compagnie d'un autre alors que j'avais un copain. Un copain qui attendait impatiemment mes réponses depuis des heures. Un garçon que je ne voulais pas décevoir, pas faire souffrir d'une quelconque manière.
J'étais con. Je devais rester loin d'Ayden. Pourtant, cette pensée me tordit le vendre. Je me levai subitement, laissai mes pas me guider et retrouvai le concerné dans le jardin. Quelques rayons de soleil étaient parvenus à s'infiltrer à travers les feuilles d'arbre et illuminaient le visage d'Ayden, assis sur la table en bois. Je ne pouvais nier les émotions qui montaient en moi, dès que je posais les yeux sur lui. Les révélations de la veille avaient tout changé ou elles avaient seulement changé mon honnêteté envers moi-même. Ce n'était pas la première fois que je ressentais cela, j'étais juste capable de me l'avouer.
Ses pensées le tourmentaient peut-être comme moi car il semblait ailleurs. Il m'entendit tout de même approcher et me gratifia d'un sourire vif lorsque je m'assis près de lui. Je triturai mes mains moites, maintenant gêné.
- Bien dormi ?
J'approuvai puis lui retournai la question d'un mouvement de tête.
- Ouais, plutôt bien pour un mec qui a autant bu. D'ailleurs, désolé d'avoir été aussi lourd et chiant.
Je feignis l'indifférence par un éternel haussement d'épaules. Je rêvais de pouvoir lui répondre qu'on avait bien rigolé, je rêvais de pouvoir être un peu plus connecté à lui.
- Mais, je regrette pas parce qu'on s'est bien marré ! s'exclama-t-il à ma place.
Mon sourire fut si intense qu'il surprit Ayden avant de l'obliger à me le rendre. Il me taquina rapidement et lança sa main vers ma tête pour la bousculer. Comme je parvins à éviter son geste de justesse, il me donna un coup d'épaule que je lui renvoyai automatiquement. Je repensai à notre bataille, à peine quelques heures plus tôt, et souris de plus belle.
- Qu'est-ce qui te fait sourire bêtement ?
Je haussai les épaules car ça me permettait en réalité d'esquiver la question. Ça ne passa pas avec mon ami qui ne fût pas prêt d'avaler la pilule, il me jaugea du regard dans l'espoir que je craque. Cependant, c'était bien une bataille que j'étais sûr de gagner. J'étais le maître au Roi du Silence.
- Est-ce qu'un jour, j'aurais le droit aux vraies réponses que cachent tous tes haussements d'épaules ?
Je réitérai mon geste, par pure provocation cette fois. Ce qui fonctionna car Ayden grogna et parut abandonner le sujet. Les yeux soudainement fermés, il laissa le soleil réchauffer sa peau qui regagnait de plus en plus ses couleurs d'avant. Le silence se reposa ensuite tout autour de nous mais jamais entre. Les mots ne me manquaient pas, il n'y avait rien à dire. J'aimais ce genre de calme.
Evidemment, ça ne durait jamais assez longtemps. Quand je reçus un message de mon oncle, je soufflai de frustration. Je retournai à ma vie et cette parenthèse de bien-être prenait un terme. Je tapotai l'épaule d'Ayden pour le saluer mais il n'ouvrit pas les yeux et opta pour un simple hochement de tête. D'accord... Est-ce qu'il m'en voulait de ne pas lui avoir dit le fond de ma pensée ? Est-ce qu'il s'amusait à répondre un peu comme je le faisais ? Ce n'était pourtant pas sa manière d'être.
Je me montai encore la tête sans raison. Mes doutes me poussaient toujours à des tonnes de questionnements qui n'étaient d'aucune utilité et la plupart du temps, j'en déduisais des réponses complètement fausses. Tout ça à cause d'un stupide manque de confiance. Exaspéré par moi-même, je m'éloignai à grands pas ; je m'éloignai ainsi de ma honte.
- Tu pars ?
Je me retournai afin de croiser les yeux transparents d'Ayden. J'acquiesçai, avec l'espoir fou de voir travers une once de déception sur son visage. Mais rien. Son impassibilité aurait pu me heurter si je ne connaissais pas cette éternelle neutralité qu'il plaquait sur son visage. C'était son bouclier. Même ça, je l'appréciais chez lui. Je me surpris à sourire, je commençais à avoir des pensées ridicules.
J'allais finalement adresser un geste de la main à mon ami mais il avait déjà refermé les yeux, un rictus maintenant figé aux lèvres. Depuis notre moment dans le noir, la veille, je réalisais pour la deuxième fois qu'il suffisait de priver mon interlocuteur de la vue pour me couper de toute communication. Mes signes et mes mots étaient réduits à néant. Je me sentais nul. Et pour la deuxième fois, en la présence d'Ayden, je regrettais de ne pas avoir ma voix. Pour être à la même échelle, pour pouvoir lui rendre toutes ces paroles qu'il me confiait, pour lui donner tous les mots qu'il méritait d'entendre.
- Dis à ton copain que je suis désolé.
Je le regardai une dernière fois, interloqué. Il n'avait pas l'air vraiment désolé. Il souriait davantage. Le visage désormais baigné de soleil, il rayonnait presque de bonheur. C'en était troublant. Il n'eut pas besoin de m'observer pour savoir que je m'étais arrêté et que j'attendais une explication :
- D'avoir pris sa place, lâcha-t-il.
Ma bouche s'ouvrit en même temps que mon cœur probablement. La surprise et l'attendrissement étaient deux sensations assez étranges ensemble. C'était d'une telle prétention... Ça m'amusait. Pourtant, je ne m'autorisais à sourire qu'après lui avoir tourné le dos. Il n'imaginait pas se tromper sur toute la ligne. Les choses n'étaient pas aussi simples. Il ne prenait pas la place d'Isaiah...
Alors que mon portable vibrait sous les harcèlements sans fin de mon oncle, je saluai et remerciai une dernière fois Nora au salon. La soirée et la matinée n'avaient pas été si désastreuses que je l'avais envisagé. J'étais content que ma sensation de solitude s'estompe peu à peu, depuis ma sortie du camp. Peut-être que je commençais à reposer mes marques. Cette fois, je voulais faire en sorte de ne pas les briser.
Quand j'ouvris la porte d'entrée, je tombai nez à nez avec Chris. Il était tant énervé que je crus qu'il allait m'en mettre une mais il se contenta de faire demi-tour et regagna sa voiture. Je le suivis avec beaucoup d'appréhension. J'allais devoir le laisser m'engueuler. D'abord parce que j'étais en tort et ensuite parce qu'il ne comprenait pas encore toute la langue des signes. Condamné à mon propre sort, je m'installai dans le véhicule et l'observai démarrer en trombe une fois que je fus attaché. Il ne dit étrangement rien pendant les premières minutes.
- Tu te fous de moi ? De nous ? explosa-t-il au premier feu rouge. J'ai déjà été assez sympa de te laisser une heure supplémentaire, si ça ne tenait qu'à ta tante, je serais venu te chercher à l'aube. Je t'avais dit 14h30 et non 14h45, il y a quelque chose que tu ne comprends pas dans les horaires ? Je dois peut-être t'apprendre à lire ton portable ?
Je le jaugeai, les yeux ronds. C'était bien la première fois que j'entendais sa voix se hausser ou encore que je le voyais si nerveux. D'habitude, les marques d'autorité étaient réservées à ma petite sœur et ses bêtises. S'il était simplement énervé pour quinze pauvres minutes, je trouvais sa réaction un peu exagérée. Nous étions samedi, nous n'avions rien à faire de particulier. Et j'aurais pu rentrer tout seul, je n'avais pas besoin d'un chauffeur privé. C'était encore une décision de ma tante et c'était certainement la vraie raison de sa colère, on ne serait pas rentrés à l'heure à laquelle Joan l'avait prévu.
- Ne me regarde pas comme ça. Tu sais parfaitement que je suis en droit de m'énerver alors ne fais pas l'étonné.
Ses reproches continuèrent tout le reste du trajet alors que je l'avais écouté d'une oreille, persuadé de revivre cela une deuxième fois à la maison. En effet, je le compris dès que je vis le regard sévère de Joan à l'entrée. J'étais sans doute un petit adolescent emmerdeur mais je ne pouvais m'empêcher de me réjouir de leur colère. Durant deux années, j'avais été confronté à leur incompréhension ou à leur profonde tristesse. Ils avaient souvent été à court de mots, face à mes actions qu'ils ne comprenaient pas. Maintenant, ils avaient de quoi s'énerver et c'était assez banal dans la vie d'un adolescent. Je vivais la même chose que quelqu'un de mon âge. Voilà de quoi je me réjouissais mais je me tenais bien de le cacher. Assis sur une chaise du salon, j'attendis que la colère de ma tante s'abatte sur moi. Elle se tenait de l'autre côté de la table, les mains posées dans ses cheveux éparpillés. Toute son apparence criait son angoisse, ça en devenait même contagieux. J'avais donc préféré m'asseoir et baisser les yeux.
- Pourquoi est-ce que tu me fais regretter de t'avoir accordé ma confiance ?
Désolé, signai-je. Je décidai de m'aplatir pour regagner ma chambre le plus rapidement possible.
- Non, je sais que tu ne l'es pas Leander. Regarde-moi, s'il te plaît ! Lorsque tu m'as demandé d'aller à cette soirée, on peut s'accorder sur le fait que j'avais bien toutes les raisons de refuser. Et pourtant ? Pourtant, reprit-elle quand elle n'obtint pas de réponse.
Tu m'as laissé y aller.
- Pourtant, j'ai accepté oui. Parce que j'étais persuadée que tu serais raisonnable. Ce n'est pas juste bien se comporter, éviter l'alcool, c'est aussi rentrer à l'heure indiqué. Tu es d'accord ?
Je répondis positivement et soutins ses yeux sombres. Maintenant, ça ne m'amusait plus ; ça commençait à m'énerver. Je n'aimais pas cette manie qu'elle avait de vouloir diriger tout et tout le monde, surtout moi ces derniers temps. J'espérais que cette discussion n'allait pas s'éterniser car je redoutais de céder à ma nervosité. Ils gâchaient tout en fin de compte. J'avais passé une bonne soirée, avec un bon comportement, et ils passaient au-dessus de ça. Ils s'étaient inquiétés mais ça n'expliquait pas ce cinéma démesuré.
- Tu es d'accord pourtant tu te penses assez grand pour te permettre de ne pas rentrer et de ne pas répondre à nos messages toute la matinée.
Je dormais ! protestai-je.
- C'est ici que tu étais censé dormir ! gronda-t-elle. Est-ce que tu as bu ?
Je secouai la tête même si je savais qu'elle n'allait pas me croire. Ses yeux me sondèrent un moment, elle sembla peser le pour et le contre.
- Dis-moi alors ce qui t'empêchait de rentrer ?
Tout le monde était fatigué, je l'étais aussi et je voulais rester pour le brunch.
- Tu voulais ? ricana-t-elle. Tu as peut-être tendance à l'oublier, mon chéri, mais tu n'as que 17 ans. Tu vis sous mon toit alors tu obéis à mes règles. Je ne suis peut-être que ta tante mais ne crois pas que je dois toujours tenir le bon rôle. Je peux être plus stricte et tu m'obliges apparemment à l'être.
Je t'ai quand même prévenue ! Je t'ai envoyé un message et ça changeait rien pour toi, tu dormais ! signai-je avec des gestes brusques. Elle m'énervait avec sa morale à la con. Elle n'apprécia pas ma réponse car son ton monta d'un cran, attirant Chris dans la pièce :
- Cesse de me répondre, un peu ! Tu arrêtes de prendre tes décisions par toi-même, en pensant que c'est à nous de nous adapter. C'est tout. Est-ce que tu peux d'ailleurs m'expliquer depuis quand tu reprends tes anti-dépresseurs ? Tu comptais nous cacher ça longtemps ?
Les sourcils froncés, je pris le temps d'assimiler ses propos. Pour le coup, je ne voyais pas de quoi elle parlait. Je n'en avais plus repris depuis mon retour dans cette maison, pourquoi flippait-elle ainsi ? Je réfutai alors ses accusations : C'est faux, j'en reprends pas !
- Leander, ne me prends pas pour une idiote hein. La boîte dans la salle de bain était pleine !
J'en reprends pas ! Tu l'aurais remarqué sinon, me défendis-je à présent aux bords de la crise de nerfs. Mon oncle s'en aperçut car il me fit discrètement signe de souffler.
- Justement, nous avons remarqué que tu étais plutôt calme ces dernières semaines. Alors ton petit découchage nous a permis de faire le point : tu montes, tu redescends toutes les boîtes de médicaments que tu possèdes et par la même occasion, tu me donneras ton portable. Je te le confisque, ça t'évitera de prendre toute autre décision.
Pourquoi ? J'ai rien fait ! insistai-je.
- Fais ce qu'on te demande s'il te plait, intervint Chris.
En fait, elle n'écoutait pas ce que j'avais à dire. J'étais juste le gamin au mauvais comportement. Sa colère sur la soirée n'était qu'une excuse, elle était réellement en colère à propos de ces foutus médocs. Elle s'en foutait bien de savoir que je ne les avais pas touchés ! La chaleur dans mon corps était montée d'un cran, si bien que mes doigts s'étaient mis à trembler. Je les repliai sur mes jambes. Pourquoi me confisquait-elle mon portable - mon seul lien avec le monde extérieur ? J'en avais besoin. L'étau que je connaissais bien se referma sur mon cerveau, c'était comme une pression dure à ignorer. Vint aussi la sensation d'être trop à l'étroit dans la pièce, dans mes habits et dans ma propre peau.
Je me levai et comme si toute la haine prit possession de mes faits et gestes, je balançai mon portable contre le mur devant moi. Il frôla Joan qui resta interdite et s'éparpilla en plusieurs morceaux au sol. Je le contemplai quelques secondes, éprouvant de la satisfaction, puis partis dans ma chambre à toute vitesse. Chris s'était écrié mon prénom comme s'il avait pu arrêter le portable en plein vol et maintenant, Joan m'appelait comme si elle était capable de me retenir.
Dans ma chambre, je sortis les trois boîtes d'anti-dépresseurs que j'avais en renversant plusieurs choses par mes mouvements incontrôlés. J'étais en colère parce que je n'avais rien fait pour justifier son manque de confiance. Elle me soupçonnait d'avoir été calme les précédentes semaines au lieu de m'en féliciter. Ou de s'en soucier. Je m'étais tenu correctement et j'avais été trop préoccupé par des choses futiles, j'en avais oublié mes plus grands soucis. Mis à part une grande dose d'amour réciproque, je n'avais rien pris.
À bout de souffle à cause de mon agitation, je m'assis au bord de mon lit et essayai de me calmer. C'était idiot de ma part d'avoir réagi de la sorte. J'aurais pu blesser ma tante et c'était bien la dernière chose que je voulais. En plus, j'avais détruit mon propre portable ; je n'allais pas en récupérer un de sitôt. Je m'allongeai en travers du matelas, retrouvant une respiration plus apaisée. Je passai frénétiquement mes mains contre mon visage et dans mes cheveux alors que de nouvelles questions s'imposaient à moi : si je n'étais pas celui qui avait utilisé les anti-dépresseurs alors qui était-ce ? Ma petite sœur était peut-être passée par là, son imagination la poussait parfois à faire des choses qu'elle pensait logiques. Mais ma tante ne voudrait jamais concevoir ça... J'allais trouver tout seul.
J'arrachai une page d'un carnet pour inscrire rapidement : « Si j'en reprenais, tu crois que toutes ces boîtes seraient encore pleines ? » et je la déposai en même temps que les médicaments sur la table du salon, devant laquelle Joan était restée. Elle me remercia à demi-voix puis me regarda sortir de la pièce. Je m'enfermai à nouveau dans ma chambre mais attrapai cette fois mon ardoise avant de m'allonger. Je la tournai et retournai dans mes mains, au fil de mes pensées emmêlées. Il y avait d'un côté le « Je t'aime » d'Isaiah, de l'autre le « Je t'aime aussi » d'Ayden et je devais savoir de quel côté mon cœur penchait le plus. Cependant, il s'emballait chaque fois que je lisais les deux aveux.
Quelques heures plus tard, je n'avais changé ni d'endroit, ni de position. Garrett me trouva donc ainsi quand il vint toquer à ma porte. Je fus surpris de le voir ici mais il m'expliqua qu'il profitait d'avoir fini le plus gros de ses projets pour venir passer le weekend avec nous. Il fit un petit tour de la chambre comme s'il ne l'avait jamais vue puis s'installa au bout du lit.
- Qu'est-ce que c'est ? quémanda-t-il en désignant mon ardoise.
Je la tournai pour cacher le message mais lui montrai alors l'autre surface. Rouge de gêne, je la posai sur ma table de chevet et secouai la tête pour chasser sa question. Ça ravivait ses soupçons, il n'était pas prêt de me lâcher. Il sourit bêtement en se penchant pour attraper l'ardoise mais je l'en empêchai. Il releva ses yeux pétillants sur moi avant d'avancer :
- C'est pas l'écriture de Joan ça, ni de Billie... T'étais en train de rêvasser sur ta bien aimée ?
Je le repoussai avec mes pieds ce qui le fit éclater de rire. Il leva les mains - gage d'abandon - sans pour autant se dévêtir de son regard lourd de sous-entendus. Quelques jours plus tôt, il m'avait dit ne pas réellement se soucier de la personne concernée mais en réalité il mourrait d'envie de le savoir. Je ne savais pas si c'était plus par curiosité ou par protection. Il avait tendance à prendre son rôle de grand frère trop à coeur, gagnant presque celui du père parfois. Je détestais évidemment ça d'habitude et m'en amusai à cet instant. Sans doute parce qu'il était loin de détenir la vérité.
- Sérieusement, reprit-il, qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Je croisai le regard inquiet de mon frère qu'il dégagea en poussant ses mèches rebelles en arrière. Son éternelle fatigue ne l'avait pas délivrer mais il ne paraissait plus stressé. Je le devinai en quelque sorte par la lueur dans ses yeux azurs. Son air concerné me donnait de folles envies de tout lui dire ; j'étais constamment retenu par mon appréhension.
- Ok, je te laisse tranquille.
Soudain déçu, je le retins pas de grands mouvements de mains puis attrapai le carnet le plus proche afin d'y inscrire : « Je suis perdu ».
- Par rapport à quoi ? avança-t-il en reprenant place.
« Tu penses qu'on peut aimer deux personnes en même temps ? »
Il fût pris de court par ma question et préféra y réfléchir avant de m'en proposer une réponse. Apparemment ça ne lui était jamais arrivé. J'étais le seul paumé, incapable de savoir ce qu'il ressentait réellement. J'étais tant habitué par mes mauvaises émotions que d'être confronté à un simple souci amoureux me laissait perplexe.
- Je vais pas vraiment t'aider mais ça dépend de chacun, de ses attentes et de sa conception des choses. De mon côté, je pense que c'est pas possible. Tu peux être très attaché à plusieurs personnes mais t'en aimes qu'une seule et c'est à celle que tu vas te consacrer. C'est peut-être une pensée arriérée... Mais c'est ce que toi tu ressens qui compte !
« Je sais pas justement. Je dois choisir mais j'y arrive pas »
- Tu sais ce qui te bloque ?
« J'ai déjà commencé une histoire et je la remettais pas en cause jusque là... Jusqu'à hier. »
Le sourcil levé de Garrett fut digne d'une incitation à continuer. Mais je pesai mes mots, les choisissant avec précaution : « J'ai passé une majeure partie de la soirée avec l'autre personne et j'en ai adoré chaque minute ». Je marquai une pause dans mon écriture et lui laissai ainsi le temps de lire. Je poursuivis ensuite, la main tremblante. « On a même failli s'embrasser. Si on avait pas été interrompus, je pense pas que j'aurais reculé. Et je m'en veux comme un fou ». J'eus maintenant le droit à un sourire complice qu'il masqua difficilement avec sa main.
Maintenant que je connaissais les sentiments d'Isaiah et ceux d'Ayden, il m'était impossible d'ignorer la possible déception que je pouvais infliger à l'un d'eux. Et envisager d'en perdre un pour garder l'autre était aussi difficile. Le choix s'imposait pourtant à moi...
- Tu t'en veux parce que tu sais que tu en avais envie, pas parce que tu l'aurais regretté ?
J'acquiesçai même si son ton m'indiquait qu'il n'attendait pas de réponses. Il touchait un bon point...
- Donc tu t'en veux parce que t'es engagé dans une relation et que tu voudrais ne pas lui manquer de respect, récapitula-t-il. Tu as peur de la perdre ?
Je répondis à nouveau positivement. Isaiah était la plus belle personne que j'avais rencontrée depuis des années. Il m'avait permis de tenir à Burket Rivers, il m'avait aidé à ne pas baisser les bras et c'était grâce à lui que nous étions sortis de l'enfer. Grâce à ses suspicions. Admiration, respect, reconnaissance se mêlaient pour lui. Il méritait que je le soutienne à mon tour. Je ne voulais pas le voir disparaître de ma vie, encore moins le voir souffrir. Je répondis : « Peur de la perdre à cause du mal que je pourrais lui faire. Choisir l'autre ce sera comme lui dire qu'elle ne me suffit pas, que j'ai trouvé mieux et j'veux pas ça ».
- Sans ça, si tu savais que vous pouviez rester proches, tu choisirais l'autre ? Est-ce qu'elle ne te manquerait pas, j'veux dire comme une copine te manquerait ?
« Je sais pas. Je sais pas si sa présence physique me manquerait, si c'est vraiment ça qui compte... Je sais juste que je veux pas la railler de ma vie et inversement ». Peut-être que ce n'était qu'une question de timing, Isaiah était arrivé dans ma vie à un instant où j'en avais besoin. Mais tout ce que j'avais ressenti durant nos moments, avant même notre premier baiser, ça ne sortait pas de nulle part. Je tenais à lui, ce n'était pas à mettre en doute.
- Et l'autre fille, essaya de suivre Garrett, tu voulais l'embrasser juste parce qu'elle te plaît physiquement ?
Je déclinai. Ayden, c'était une histoire plus compliquée qu'un simple attrait physique. Je ne savais pas comment la décrire. C'etait juste Ayden... Celui qui m'avait toujours impressionné mais que j'avais su découvrir en m'approchant de plus près. Je le découvrais encore, la soirée de la veille me le prouvait. Il était dans ma vie depuis presque deux ans puis en était venu au premier plan ; je ne le voyais pas s'en effacer non plus.
- T'as peur de la perdre, elle aussi ?
Je me trouvai idiot face à sa question car il m'était impossible d'imaginer perdre Ayden. Je pouvais penser à ma vie sans Isaiah et ça me rendait terriblement triste, stressé. Mais, l'image d'Ayden persistait... Comme il l'avait fait en me poussant à bout lors d'une visite à l'hôpital, en se pointant à la cérémonie en l'honneur de mes parents, en inscrivant son Je t'aime aussi au feutre indélébile. Il l'avait également fait en m'aidant, mon premier jour de cours à Colhaw quand des connards m'avaient emmerdé en plein réfectoire ou en me rejoignant pour déjeuner quand je me cachai des brutes, les jours suivants. Ce n'était pas arrivé qu'une fois, il l'avait fait à multiples reprises. Il ne m'avait parlé que la toute première fois puis avait opté pour le silence les fois d'après. Alors même qu'il ne m'appréciait pas car il pensait auparavant que j'allais tirer Nora vers le bas, il avait fait tout ça. Il avait été là, indépendamment de ma volonté. Il avait été là quand moi j'avais voulu disparaître.
Ce matin, il s'était faussement excusé d'avoir pris la place d'Isaiah. Ce n'était pas le cas. Ce n'était pas le cas car il n'avait pris la place de personne, il avait la sienne. Depuis un moment. J'avais été trop aveuglé pour le voir avant ou peut-être qu'au fond je l'avais toujours su, pour toutes ces fois où je m'étais tourné vers lui. Ayden l'avait réalisé, lui. Sa révélation tournait sans fin dans ma tête : « Je sais aussi que ces dernières années tu as fait une croix sur toi-même pour faire passer les autres avant mais que depuis peu, tu commences à te donner un peu plus de place. Et qu'aux côtés de cette place, tu m'as aussi donné la mienne». Il se l'était sans doute donnée lui-même, par ses actions. Je ne le voyais pas être ailleurs.
- De la faire souffrir ? quémanda mon frère pour combler mon silence.
« Je crois que cette fois c'est moi que j'ai peur de faire souffrir. » marquai-je avec une profonde honnêteté.
- Tu as l'air d'avoir ta réponse alors... Tu voudrais tout bien faire, avoir le bon comportement maintenant que tu fais des efforts, mais on fait souvent des erreurs. Même en amour. Et encore, c'est pas forcément des erreurs ; c'est juste que la vie avance, qu'on change avec et qu'il arrive qu'on soit plus en accord avec la personne qui nous accompagne.
Je restai interdit en constatant la sagesse de ses mots. Depuis quand mon frère avait autant grandi, lui dont je me souvenais encore comme un ado râleur ? Maintenant, j'étais l'ado et il était celui qui me conseillait sans être tout à fait un adulte.
- Si j'avais pas quitté mon ex pour Nora, je serais pas aussi heureux qu'aujourd'hui. Ça a du bon de penser à soi en priorité... termina-t-il avec conviction.
Penser à soi sans blesser les autres, ça m'avait toujours paru impossible dans ma vie. J'avais si souvent été amené à regretter mes actions. Je redoutais maintenant de la portée de mes choix et quelque part, planait encore l'idée que je ne méritais pas une once de bonheur. Alors peut-être que je devais renoncer à Ayden et Isaiah, peut-être que c'était le mieux pour nous trois. Même cette hypothèse me donnait la nausée. J'étais toujours autant perdu ; Garrett le devina quand mon absence de réaction fût trop longue :
- Je ne t'ai pas plus aidé, c'est ça ?
Je remuai la tête, restant assez vague. Il m'avait aidé à voir les choses plus claires mais la solution à ma situation restait introuvable à mes yeux. Est-ce que je m'accrochais à Isaiah parce qu'il avait été ma seule bouée au camp ? Est-ce que je tenais à Ayden parce qu'il m'avait sauvé à maintes reprises ? Ou est-ce que j'appréciais plutôt Is' pour son courage, sa confiance en moi, et sa douceur ? Est-ce qu'Ayden me semblait indispensable car je redoutais d'être confronté à moi-même ?
J'étais trop jeune pour connaître les réponses à toutes ces questions et trop jeune surtout pour me les poser en premier lieu. L'amour était censé être facile mais ce n'était pas mon cas depuis mon histoire avec Ash. Avec un peu de chance - rien qu'un tout petit peu -, le temps rendrait peut-être les choses plus évidentes.
Je regardai Garrett se relever et s'étirer de tout son long comme si nous avions eu une discussion sur plusieurs heures. Je me sentais moins jaloux à son égard mais je lui enviais tout de même la stabilité qu'il avait trouvée dans sa vie. J'aspirais à ça. Lui aussi dans ses pensées, il me considéra à nouveau quelques minutes plus tard.
- Tu sais, je pourrais te présenter quelqu'un qui, si on lui donne tout notre amour, ne nous abandonne jamais, peu importe nos changements de parcours.
Craintif, je penchai tout de même la tête sur le côté d'un air interrogateur.
- Dieu ! s'exclama-t-il.
Je grognai de frustration et lui dressai mon majeur, sous ses éclats de rire. J'attrapai les premiers coussins qui me tombèrent sous la main pour lui lancer dessus et le chassai de ma chambre. Je ne voulais pas de ses stupides sermons de prêtre ! Il m'en renvoya quelques-uns avant de sortir pour de bon. Quand il sortit, il ne me resta plus que mon sourire et mes doutes.
***
Les jours suivants furent lourds à vivre et lourds sur ma conscience car même si le rapide passage de Garrett, pour le weekend, avait apaisé les tensions, celles-ci étaient revenues dès son départ. Joan était plus en colère que je le pensais, ne m'adressant la parole qu'en cas de besoin tandis que Chris évitait un peu la situation, sous prétexte d'avoir beaucoup de travail. Je me doutais qu'elle m'en voulait davantage pour les médicaments et ma crise de colère que pour mon retour tardif ; elle devait aussi m'en vouloir de ne lui avoir présenté aucune excuse malgré les deux semaines qui s'étaient écoulées. J'en avais eu des chances mais la honte me poussait à ne rien faire. J'avais agi bêtement et rien ne justifiait mon comportement odieux. Alors, je préférais rester dans mon coin.
J'étais confronté à ma solitude. Et je haïssais cela car mes parents me manquaient terriblement dans ces instants-là. Ma mère n'était pas aussi excessive que Joan, tout aurait été différent. Rien de tout ça n'aurait eu lieu. Mes pensées futiles tournaient en boucle, m'enfermant dans mon habituel cycle infernal. En ça, j'étais aussi confronté à mon silence. Mes heures de TIG me permettaient au moins de fréquenter Regan, efficace pour me changer les idées. Plusieurs fois par semaine, j'avais également l'occasion de voir Ayden. Il venait chercher sa petite sœur chez nous quand ce n'était pas moi qui devais aller chercher Billie chez lui, ou il me retrouvait pour que l'on s'entraîne.
Comme il l'avait fait aujourd'hui. En rentrant avec Chris, je l'avais trouvé en compagnie de Joan alors que les deux piles électriques étaient canalisées par leur goûter. Même si j'étais habitué à sa présence, j'avais toujours la même petite sensation de surprise qui me traversait en l'apercevant. Ce depuis la fête. C'était digne d'une excitation enfantine un jour de Noël, vive et éphémère mais pourtant marquante. J'étais content de le retrouver car je savais que ce ne serait pas un de ces soirs où j'allais m'enfermer dans ma chambre jusqu'au réveil du lendemain. Mais, je ne savais pas non plus ce que ce moment avec Ayden me réservait.
Quelques fois, il arrivait renfrogné et on laissait le silence nous bercer. Ou il avait des tonnes d'histoires loufoques à me raconter lorsque son humeur était bonne. Parfois, il ne parlait pas beaucoup et adoptait une attitude taquine voire énervante mais qui parvenait à m'amuser à coup sûr. Quand la colère le gagnait, il demandait à mettre de la musique. Certains jours étaient composés de toutes ces émotions à la fois, nouées aux miennes, qu'aucun de nous deux ne fuyaient pourtant.
Je l'avais trouvé enjoué cet après-midi. Notre entraînement avait été sans relâche et on en revenait crevés à présent. Ayden avait appris à ignorer sa claudication et pouvait trottiner depuis quelques jours, grâce à ses efforts physiques quotidiens. Il me semblait motivé à faire de son mieux, c'était satisfaisant. Sauf quand ça lui permettait de se moquer de ma propre allure :
- Qu'est-ce qu'il y a, leader, t'as mangé trop de glaces ? Tu te laisses aller ? me provoqua-t-il en marchant à reculons devant moi.
Le surnom utilisé m'agaça. Je n'allais pas laisser un éclopé me battre ; c'était lui laisser le pouvoir de m'en parler jusqu'à la fin de ses jours. J'accélérai et le bousculai légèrement afin de grimper les quelques marches de mon perron. Où quelqu'un se trouvait. Je m'arrêtai aussitôt en croisant son regard particulier. Mon cerveau calcula très vite la scène inévitable qui m'attendait. Ayden, arrivé à mes côtés, se para d'une expression assurée presque présomptueuse en voyant Isaiah. Ce dernier était très agité, il fulminait de colère.
Ça ne présageait rien de bon... Pour changer.
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Helloooooo ! J'espere que vous avez passé de bonnes fêtes de Noël, pour celles et ceux qui le fêtaient, & que vous allez bien dans tous les cas. J'ai l'impression de toujours conclure mes chapitres avec cette même honte... Celle du retard ahah. Celle surtout de vous faire attendre alors que vous êtes sincèrement des lecteur.ices incroyables, merci énormément de continuer de me lire !
J'ai pris mon temps pour ce chapitre, après avoir eu des mois de syndrome de la page blanche et la reprise des cours avec une année très chargée. Je vous le poste enfin car en le lisant, j'ai finalement eu la sensation qu'il me convenait! Je souhaite de tout mon cœur qu'il vous plaise à vous aussi :) Vous en avez pensé quoi ? Quel est votre passage préféré ? Ou votre préférence de duos ? Est ce que vous aimez Nills autant que moi ahahah ?
Je trouvais important de me focaliser sur les émotions positives (bien que compliquées) de Leander, au moins sur un chapitre, pour souligner le changement qui s'opère dans sa vie. Changement important pour la suite & surtout décisif pour la fin ;)
Avec une fin de chap comme ça, je peux vous promettre de ne pas vous faire attendre éternellement le chapitre suivant! Je profite de mes vacances pour écrire, vous pouvez d'ailleurs suivre l'avancée de mes écritures sur mon Twitter (Nagemy_) car j'y donne souvent bien plus d'informations que sur wattpad, si certain.es meurent de curiosité.
Je finis par vous remercier une toute dernière fois pour touuuutes les réponses à mon dernier update, sur mon profil wattpad, parce que vos mots m'ont réellement donné un coup de boost ! J'en avais besoin. Ça m'a rappelé pourquoi je continuais de poster ici, au lieu de garder mes textes pour moi.. Donc mille merci !!!
Byeeee, prenez soin de vous ! 🖤
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