34 - Savvy
***
- Alors, c'était bien hier sans moi ? me quémanda Regan tout sourire.
La journée de TIG venait enfin de se finir alors qu'elle m'avait semblé interminable. C'était peut-être dû au soleil ou à mon impatience. Celle de mon ami avait tenu et venait d'exploser dans les vestiaires. Il me fixait avec des étincelles malicieuses dans les pupilles, ce qui me désespérait et me faisait rire en même temps. Il accordait un grand intérêt à mon couple ou plutôt, il cherchait la moindre occasion pour se foutre de moi. Face à l'absence de réponse, il surenchérit :
- Question bête, je sais que vous en avez profité. Il paraît même que t'en as retrouvé ta voix !
Je le repoussai pour ouvrir mon casier tandis qu'il se pliait de rire. Je sortis mon carnet afin de lui écrire rapidement : « Quoi, on te fait fantasmer ? C'est flippant». Ce fût à lui de réagir au quart de tour, il prit son faux air indifférent et pesta.
- Respecte-moi un peu, j'ai besoin de plus que deux maigrichons pour fantasmer. Il vous manque beaucoup trop de choses, précisa-t-il en jouant des sourcils.
Je grimaçai en rédigeant mon message « T'es vraiment le cliché du mec lourd, comment ta copine te supporte ?». Il frappa mon épaule mais s'éloigna tout de même en ricanant. S'il ne répondait pas en retour, c'est parce qu'il savait que j'avais raison ? Je souris dans mon coin en me dépêchant de changer de t-shirt et prendre mes affaires. Je saluai le beauf qui me servait d'ami puis sortit du centre. Je repérai tout de suite mon oncle, en pleine discussion avec le père de Regan sur le parking.
Chaque fois que je passai les portes de ce lieu, je me sentais un peu plus libre. Je me rapprochai de ma liberté définitive, il ne me manquait plus qu'un mois de travaux d'intérêts généraux environ. Ensuite, mon avenir était tout à moi. Même si je ne savais pas du tout ce que j'allais en faire, la simple perspective me plaisait déjà. J'envisageais pour l'instant de ne le pas bousiller, c'était certainement le challenge le plus dur pour moi.
Chris posa une main apaisante sur mon épaule quand j'arrivai près de lui et que je serrai la main de M. Costellas. Depuis ce matin, mon oncle se montrait encore plus attentionné qu'il ne l'avait été et il le faisait d'une manière si naturelle que ça ne me gênait pas. Comme s'il voyait que je me sentais un peu fragile, mis à nu, en ayant dévoilé mon secret. Je ne regrettais pas de leur avoir fait mon coming-out, je pouvais être moi-même en toute sécurité avec eux. Et j'attendais la même chose de mon psychiatre, quand j'allais lui dire dans une demi-heure.
- On va devoir y aller, précisa Chris. Bon weekend et merci de l'invitation, Tahir !
Tahir ? Ils étaient réellement devenus amis ?! Puis, de quelle invitation parlait-il... Je gardai ma question pour plus tard et montai en voiture. Je m'empressai de récupérer mon portable que j'avais laissé là. Chris, déjà au volant, poursuivit la conversation :
- Le père de Regan nous a invité à dîner un de ces quatre.
À moitié attentif, je ne réagis pas et gardai les yeux vissés sur mon écran. Les vibrations de mon portable firent monter mon espoir au plus haut point toutefois il redégringola assez vite quand je vis les noms de Garrett et Isaiah apparaître. J'étais évidemment content d'avoir de leurs nouvelles mais surtout déçu de ne toujours pas avoir de réponse d'Ayden. Après des jours d'hésitation, des dizaines de brouillons supprimés, je m'étais enfin lancé à lui envoyer un message ce matin. Juste un « tout va bien ? » qui témoignait de mon inquiétude mais qui le laissait apparemment indifférent. Il m'ignorait réellement, ce n'était pas mon imagination. Ou bien, il n'allait vraiment pas bien du tout et ça n'avait rien de rassurant non plus.
Quand je pris place sur le satané fauteuil, dans le bureau de Beckergam, je ne me sentis pas oppressé comme toutes les précédentes fois. Ça ne me faisait rien de particulier, j'y trouvais même un certain confort. Aujourd'hui, je voulais qu'on parle de mon petit pas en avant qui me semblait géant. Je ne voulais pas évoquer ma lettre à moi-même, je ne voulais pas qu'on se concentre sur ces mauvaises émotions par peur de les faire ressortir.
- Ça s'annonce bien, sourit M. Beckergam. Je ne t'ai jamais vu t'asseoir avec tant d'enthousiasme !
Je jouai l'indifférent avec mon habituel haussement d'épaule et lui, garda son habituel sens de la déduction car il ne me crut pas un seul instant. C'était toujours dur de lui cacher ce que je ressentais. Il était attentif aux comportements puis les interprétais facilement. Mon mutisme n'était plus une carapace face à lui.
- Il s'est passé quelque chose ? Tu as bien dormi ?!
Je hochai vivement la tête. J'avais dormi une nuit complète comme je ne l'avais pas fait depuis des semaines. Je la devais bien à Joan qui m'avait apaisé, voire bercé avec ses mots. Je m'étais senti en sécurité, j'avais laissé Morphée m'emporter. Je pris les feuilles préparées pour moi aujourd'hui. J'optai alors de ne pas passer par quatre chemins : « J'ai fait mon coming-out gay à ma petite sœur, mon oncle et ma tante hier soir ». Ses yeux s'écarquillèrent. J'avais bien réussi à lui cacher quelque chose finalement !
- Wahou, comment te sens-tu ?
« Un peu soulagé... » avouai-je. Il approuva silencieusement mes mots, me comprenant toujours. C'était à ça que je m'attendais avec lui, pas de réaction décevante ou énervante. Il me proposait juste de m'écouter et de mettre à plat ce que je ne comprenais pas.
- Ça faisait partie de ce qui te tourmentait ?
Je ne savais pas quoi répondre. Le décès de mes parents, mon mal être, ma tentative et puis le camp de redressement étaient passés au premier plan. Je n'avais pas tellement eu à penser à ça, j'avais rejeté tout le monde. Ça ne m'avait pas causé de tort puisque je n'y avais plus été confronté après le crash. J'essayai de résumer cela : « Depuis peu, oui. Mais avant c'était le moindre de mes soucis, j'avais pire à gérer ».
- Mais tu dois encore gérer ce que tu appelles ce « pire » alors qu'est-ce qui a changé ?
« J'ai rencontré quelqu'un. Quelqu'un qui m'a montré que je ne devais me cacher de personne. »
- Et ça t'a fait du bien de ne pas tout garder en toi pour une fois, développa-t-il. Tu as pu être sincère avec ta famille, t'exprimer et t'affirmer. Je ne sais pas si tu réalises mais tu peux être très fier de toi, Leander. J'ai été étonné par ta démarche. Faire son coming-out, c'est avoir envie de faire entendre sa voix, faire savoir qui l'on est, avoir une place qui nous convienne dans le monde. Tu as conscience que tes actions passées étaient à l'opposé de ça ? Je suis vraiment content pour toi, que ça se soit bien passé et que ta famille te soutienne.
Son affection presque protectrice me toucha plus qu'il ne l'imaginait. Il se souciait, ça faisait toute la différence avec les adultes qui avaient prétendu vouloir m'aider. J'étais suffisamment confiant pour lui en dire plus. Je marquai « Pas toute ma famille. Mon frère ne sait pas encore ». Il y avait aussi mon cousin qui n'était pas au courant mais je comptais bien lui dire dès qu'il revenait de son voyage. J'étais persuadé qu'il n'y aurait aucun problème. Pour le reste de ma famille, je n'étais pas assez proche avec eux ; j'estimai ne pas avoir besoin de leur dire.
- Pour quelle raison ? s'intéressa Beckergam.
Je notai uniquement trois petits mots : « J'ai peur » sans parvenir à redresser la feuille pour la montrer à mon psychiatre. Au contraire, je la roulai en boule. C'était complètement con d'avoir peur de la réaction de son propre frère. Je le connaissais parfaitement, pourquoi ne pouvais-je me résoudre à lui faire confiance ?
- Il a déjà eu un comportement qui te fait penser qu'il ne l'accepterait pas ?
Non, Garrett était bienveillant. Je me demandais juste où étaient ses limites.
- Ou tu appréhendes parce que tu as beaucoup d'estime pour lui. Le regard qu'il te porte a énormément de valeur et tu ne voudrais pas que ça change. Pourtant de tout ce que j'ai entendu de ton frère – et j'en ai beaucoup entendu, il ne me paraît pas être le genre de personne qui te laissera tomber.
Je souris en entendant la référence implicite à Nora. Je ne lui parlais pas beaucoup de Garrett alors ça ne pouvait être qu'elle la responsable. Cela dit, il oubliait un détail à propos de mon frère que je lui transmis : « Il est du genre super croyant... »
- Détrompe-toi. La religion détient sa foi, pas son cerveau ni son cœur ! Personne ne peut parler à sa place, de même que tu ne peux envisager ce qu'il te dira, tu le sauras quand tu lui parleras.
« Pourquoi vous avez toujours la bonne réponse à tout ? » quémandai-je après avoir soufflé avec exagération. Son rire rauque bouleversa la quiétude de la pièce et toute l'atmosphère solennelle qui s'était instaurée.
- Parce que j'étais prêtre avant de devenir psy' ! C'est la clé du métier, ironisa-t-il.
Je roulai des yeux mais ris tout de même à sa mauvaise blague. Il mit rapidement fin à la dérision afin de me poster d'autres questions. Je répondis de la meilleure manière possible avec l'espoir de classer ce sujet une fois pour toute. Comment j'avais pris le soutien de Chris & Joan ? Comment je vivais le fait de ne pas avoir mes parents à cette période ? Comment ma mère l'avait su ? Comment je pensais que mon père aurait réagi ? etc. Puis il me transmit quelques noms d'associations aptes à m'aider en cas de besoin, même s'il se doutait que je n'allais en contacter aucune. Quand la séance se termina, Beckergam parut autant satisfait de son efficacité que moi.
C'était cool mais je ne voulais toujours pas m'attarder dans ce lieu. Je descendis précipitamment, j'étais l'idiot qui montait les escaliers en trainant des pieds et qui les dévalait trois par trois tous les Mardi et Vendredi. Mon oncle m'attendait cette fois en bas du bâtiment. Il me proposa de traîner un peu en ville car nous ne l'avions pas fait depuis longtemps. J'acceptai volontiers et espérai oublier ma colère envers Ayden. Je savais pas ce qu'il foutait mais il ne m'avait toujours pas répondu.
***
Je savais que le soleil tapant n'était en rien coupable des frissons le long de ma peur mais je préférais mettre ma bonne humeur sur le compte de cette belle journée – plutôt que d'avouer que c'était en fait ma discussion avec Isaiah. On se parlait depuis plus d'une heure par messages, comme à peu près tous les jours dès qu'il n'était pas occupé. Il avait son portable mais le centre en contrôlait encore l'accès, pour notre plus grand malheur. Chaque jour j'attendais impatiemment de recevoir un sms de sa part souvent une connerie qui lui était propre. Aujourd'hui, j'avais eu le droit à un simple « Tu me manques » qui avait annoncé sa morosité. Finalement, j'avais tiré un trait sur mes pensées négatives dans l'espoir d'effacer les siennes. Et ça avait marché, pour tous les deux.
Ça ne faisait qu'une semaine depuis qu'il était venu chez moi mais ça me semblait plus long. Une semaine que j'avais fait mon coming-out à Billie, Joan et Chris. Une semaine depuis son « Je t'aime » sans avoir osé lui retourner. Une semaine passée dans l'ennui et l'impatience. La présence de ma famille et de Regan ne permettait de combler le manque. Garrett était plongé dans ses études, Isaiah avait encore ses obligations de santé, Nora était en voyage chez une amie...
Il y en avait bien une qui ne s'ennuyait pas, c'était Billie ! Elle arrivait tout juste dans le jardin avec la plus petite des Gallagher, Juliet. Après avoir dormi chez elle, les rôles s'inversaient ce soir et ma tante s'apprêtait à s'occuper de deux enfants énergiques pendant vingt-quatre heures. Je lui souhaitais bien du courage mais ne voulait surtout pas en faire partie. Je me relevai alors qu'elles accourraient vers moi.
- Je t'avais bien dit qu'il se cachait là ! se vanta ma sœur. Il parle à son amoureux.
Alors que je serrais mini-Nora dans mes bras, je lançai un regard ahuri à Billie. C'était ce qu'elle appelait garder un secret ? Elle posa sa main sur sa bouche, réalisant ce qu'elle venait de dire.
- Aie aie aie... Désolée ?!
Je levai les yeux au ciel.
- Les secrets ça se partage avec sa meilleure amie, se défendit-elle.
A ses côtés, Juliet hochait la tête toute aussi convaincue que sa copine. Les enfants... Je leur souris puis m'éclipsai avant d'être entraîné dans une activité loufoque. Je croisai ma tante qui sortait à son tour dans le jardin et lui signai « Sois forte » qui la fit rire.
- Ayden te cherche, m'apprit-elle.
J'acquiesçai avec neutralité alors que c'était déjà la pagaille dans ma tête. Avant ça, une autre inquiétude me tourmentait. J'avais une chose à demander à Joan : « Tu pourrais parler aux filles, à Billie surtout à propos de moi ? Leur rappeler qu'elles ne doivent pas le dire, c'est important ». Elle fronça les sourcils mais accepta tout de même.
- Fallait quand même s'y attendre en te confiant à la reine des curieuses, rigola-t-elle avant de partir.
Je souris dans mon coin mais cessai aussitôt quand j'arrivais en haut. Ayden attendait devant ma chambre, appuyé contre le mur comme s'il savait que j'allais l'y rejoindre. J'aurais dû rester en bas, juste pour le faire patienter comme il l'avait fait avec moi. Répondre au sms c'était trop dur, se pointer comme une fleur il savait le faire. En fait, il décidait de tout et ça m'énervait. Il avait peut-être un certain contrôle sur sa famille et ses amis mais pas sur moi. Je n'allais pas me réjouir de sa présence.
Je fonçai dans ma chambre et continuai de fixer mon téléphone, priant pour qu'Isaiah se dépêche de me répondre. Ayden, lui, entra et s'installa sur ma chaise de bureau. La seconde d'après, il jouait avec sa béquille comme un idiot. Il leva subitement le regard et surprit le mien.
- T'es en colère ? essaya-t-il de deviner, un sourcil relevé.
Je secouai la tête puis baissai à nouveau les yeux sur montable. Putain, réponds ! Pourquoi je restais ici au fait ? Prêt à faire demi-tour, je me rappelai que c'était chez moi et que ce n'était pas à moi de partir. Je m'assis sur mon matelas sans donner de l'attention à Ayden.
- Qui te fait chier cette fois ? Ta tante, ta sœur, ton couple bat de l'aile ?
Irrité, je me dépêchai de lui envoyer par message «Ferme-là un peu ». Il ricana en entendant la notification mais sortit tout de même son téléphone.
- Ah donc tu m'ignores délibérément, tu n'es pas sourd !
« Et toi, tu sais lire tes messages. Je commençais à douter.»
- Oh, c'est moi le problème ?! T'es énervé pour ça, plaisanta-t-il.
« J'suis pas énervé, je m'en fous maintenant. Je trouve juste pas cool de m'avoir ignoré alors que je te demandais comment t'allais ». Je le vis approuver mes propos à l'aide d'un mouvement de tête puis il perdit son air amusé.
- C'est vrai, concéda-t-il. Mais, je pense que tu sais mieux que moi ce que c'est d'avoir tout un tas de trucs à gérer et de même plus savoir ce qu'on ressent au milieu de tout ça. T'es juste pris dans les vagues, t'attends que ça passe...
Ok, je me sentais con à présent. Con de tout ramener à moi, persuadé qu'il m'ignorait alors qu'en réalité il avait d'autres préoccupations plus importantes. Puis, je me surprenais moi-même à être aussi égoïste, voire gamin. Je soufflai et lui répondis « Et c'est passé ? ». Il eût l'air de ne pas savoir comment répondre à ma question ou peut-être de ne pas vouloir.
- Pas tout, mais ça va un peu mieux. Y'avait mes parents, la rééducation, la reprise de la vie normale et... Mia.
« Tu lui as dit alors ? »
- Je lui ai dit tout ce que je ressentais, ouais. J'ai essayé d'être le plus honnête possible. Et c'est sympa de demander mais j'veux pas m'attarder sur le sujet.
J'acceptai sa décision sans autres choix possibles, ravalant ma curiosité. Je souhaitais savoir comment elle avait géré cela, ce qu'ils avaient conclu... Est-ce qu'il la perdait définitivement ? Est-ce qu'elle l'aimait bien trop pour le couper de sa vie ? Est-ce qu'il se sentait vide à présent, sans elle à ses côtés ?
- Et aujourd'hui, j'ai aussi avoué mes sentiments à la personne concernée.
Je ne saurais expliquer la sensation mais son annonce me compressa l'estomac. Et je ne sus moi-même si c'était plus de l'excitation ou de la déception... Je voulais savoir, je devais savoir. Je lui envoyai sans attendre « Tu peux enfin me dire qui c'est alors ! »
- Dans tes rêves ! On n'est pas dans Gossip Girl.
Je secouai la tête, amusé et concentré à la fois. Je répondis : « C'est Zach n'est-ce pas ? ». Il éclata d'un rire franc en lisant mon message ce qui en plus de me faire rire me soulagea légèrement. Il se tourna vers moi, sérieux :
- Leander, ce n'est pas parce que tu es homo que tout le monde l'est autour de toi ! Puis sérieusement, Zach ?! C'est mon frère, ce mec !
Il rigolait encore quand je lui envoyai : « Pourquoi tu ne me le dis pas alors ? ». Il planta ses yeux dans les miens puis resta ainsi quelques secondes. Un sourire tira la commissure de ses lèvres quand il abandonna ce battle de regard.
- Ça ne servirait à rien, tu ne la connais pas. Je l'ai rencontrée à l'hôpital. Fin de l'interrogatoire ?
Je ne rajoutai rien et affirmai alors sa supposition, l'interrogatoire prenait malheureusement fin. Je fixai encore mon téléphone cette fois pour cacher mon trouble. Cette sensation étrange, c'était bien de la déception. Je réalisais que d'une certaine manière, j'avais espéré que cette personne, ce soit moi. Je l'avais cru, peut-être bien imaginé dans ses mots ou ses gestes. J'étais juste un stupide adolescent en manque d'attention... L'amour d'Isaiah me paraissait jusqu'alors suffisant mais je m'étais peut-être trompé. Est-ce que je voulais être aimé par Isaiah ou simplement être aimé ? Est-ce que je n'étais pas en train de faire le con pour gâcher inconsciemment mon propre bonheur ?
Une fois de plus, j'étais con. J'aimais Is' et il m'aimait aussi. C'était évidemment suffisant puisqu'on partageait un même bonheur que l'on pensait perdu.
- T'es toujours en colère ? sourit Ayden, mesquin.
Je lui dressai mon majeur auquel il répondit par un autre sourire exagéré. Mon portable vibra à ce moment, comme un rappel à l'ordre. Isaiah me prévenait qu'il devait aller à une thérapie de groupe et qu'il me reparlerait ce soir ou demain. Je savais déjà que j'allais compter les minutes jusque-là. Je répondis le plus vite possible puis me laissai tomber en arrière sur mon lit.
- Reste en forme, on ira courir plus tard.
Je grognai poussé par la flemme. Je ne ressentais ni l'envie, ni le besoin d'aller courir. Pourtant, je pouvais bien accorder ça à Ayden. C'était vraiment utile pour lui. Même si je ne voulais pas l'avouer, c'était sans doute bien pour moi aussi car je n'avais rien fait depuis deux semaines.
- Vers 19h, chez moi ?
Je levai mon pouce en l'air et je crus qu'il allait partir aussitôt mais il resta là, sur ma chaise. S'ennuyait-il autant que moi ? Je tournai la tête, surprenant ses yeux sur moi mais complètement absent. En fait, il ne s'ennuyait pas, il n'allait pas bien. Et il avait bien du mal à le cacher aujourd'hui. J'agitai ma main afin d'attirer son attention et me redressai, concerné.
- Désolé, je pensais à autre chose. On se voit tout à l'heure !
Soudainement, il montra des signes d'impatience. Quelques secondes plus tard, il sortait de ma chambre à toute vitesse. J'eus envie de le rattraper pour connaître ses pensées mais je me doutais qu'il les gardait trop précieusement. Pour toutes les fois où il avait été là pour moi, je me demandais s'il me laisserait l'être en retour.
***
Etrangement, j'avais retrouvé un Ayden plus apaisé quatre heures plus tard. Les rues presque vides de cette fin de journée nous permettaient de déambuler calmement dans Colhaw. Il se débrouillait un peu mieux, tenant dorénavant un rythme plus soutenu. Ça ressemblait à de la marche rapide dont il ne se satisfaisait évidemment pas mais que je trouvais prometteur. Un jour, il pourrait courir à nouveau sans difficulté.
De mon côté, j'étais au plus bas de ma forme. Essoufflé après quinze minutes de course, j'avais décidé de ralentir la cadence pour éviter de me torturer. Ça devait être un problème mental et non physique. J'avais ce poids sur le cœur qui ne me quittait pas et cette fois, même la course ne m'en soulageait pas. Je voulais pas faire d'efforts, je ne voulais pas me défouler ou me débarrasser de ces sentiments néfastes. C'était un de ces jours où je voulais juste être là, subir, à bout de force. C'était comme être dans un corps sans énergie et ne rien pouvoir y changer.
Une plainte dans mon dos, suivi d'un bruit sourd, m'interpellèrent. Je me retournai et fis aussitôt le chemin inverse lorsque je vis Ayden à terre, le visage tordu de douleur. Un « Ça va ? » voulut traverser mes lèvres sans toutefois y parvenir. Je me contentai de me pencher pour l'aider à se relever mais me heurtai à sa colère noire.
- C'est bon, j'ai pas besoin d'aide ! cracha-t-il en dégageant ma main.
Je n'insistai pas mais ne m'éloignai pas non plus pendant qu'il prenait appui sur une voiture. Ses cheveux cachaient ses yeux peinés. Je devinais bien sa honte à la manière dont il gardait la tête vers le bas. Je la devinais car je l'avais vécu un tas de fois. Et j'étais bien la cause de la sienne. J'étais la cause de toutes ses heures de rééducation, ses journées à l'hosto, ses cicatrices, ses pas ratés, ses chutes... Alors, j'étais bien le plus honteux des deux.
- Je sais même pas pourquoi je fais tout ça, je vais rester un putain d'éclopé pour le restant de ma vie ! explosa-t-il tout à coup. À quoi ça sert ? Je reprendrai jamais le sport, j'aurai toujours un mal de chien pour monter de simples marches d'escalier ! J'en ai marre de tout ça, j'veux plus avoir la force qu'on me demande de garder. C'est fini.
Je secouai la tête, comprenant à la fois ses sentiments et les réfutant. Ce n'était pas fini, il était juste fatigué. Et surtout il portait une masse de ressentiment dont il ne s'était pas encore débarrassé.
- Me dis pas non quand tu sais très bien ce que c'est !
J'aurais voulu lui dire le fond de ma pensée pour le remotiver comme je le pouvais mais privé de moyen de communication, j'étais inutile. Alors par habitude je me suffis de ridicules hochements de tête.
- Oublie tout ça, souffla-t-il. On ferait mieux de rentrer.
Encore une fois, j'acceptai. Sa jambe manqua de lâcher aux premiers pas mais il se tint fermement à la voiture. Au regard qu'il me lança, je compris que je devais oublier toute volonté de le soutenir physiquement. Il ne voulait pas d'aide même si ça signifiait prendre des heures à rentrer. Il était plus têtu que moi, je ne pouvais gagner contre lui. Le trajet jusque chez lui fut long et pesant mais je l'avais enduré pour lui. Il n'avait pas à être le Ayden moqueur, distant, à la limite de l'inatteignable et j'acceptai cela.
Nous n'étions vraiment pas différents, traînant tous les deux des boulets à nos pieds. Aujourd'hui, leur poids nous avait empêché de courir, de fuir.
Cette nuit-là, l'insomnie m'habita sans surprise. Je n'arrêtai pas de repenser aux mots d'Ayden et m'inquiétai de plus en plus de lui avoir donné du silence en guise de réponse. Lui, il avait tant de fois trouvé les mots justes... Puis, si je comprenais la nature de ses émotions, j'avais du mal à savoir la cause. Il avait réglé son problème vis-à-vis de Mia, il s'était confié à la fille qui l'intéressait, ne devait-il pas se sentir un peu mieux ? Peut-être que ça ne s'était pas si bien déroulé que je ne le pensais ?
Je me tournai pour attraper mon portable sur ma table de chevet. Il était plus de trois heures du matin mais je tentai tout de même et lui demandai s'il dormait. Et j'attendis... Au bout d'une demi-heure, je lui envoyai les mots que je gardais depuis des heures : « Désolé d'avoir été d'aucune aide, pourtant je te comprends entièrement. Ce que tu ressens avec ta jambe, je le ressens avec tout mon être... Ce sentiment constant d'être un raté. En fait, j'ai toujours préféré les blessures physiques aux mentales, au moins elles peuvent être soignées. C'est ta hanche que j'ai foutu en l'air, j'en suis encore désolé, mais pas toi. T'es fatigué, t'en as marre et c'est normal ; ça veut pas dire que c'est fini. Tu te souviens m'avoir dit que j'aurais plus à tout porter tout seul ?! On partage le poids. On est deux maintenant jusqu'à ce qu'il ne nous reste plus rien ».
Je m'apprêtai à reposer mon portable quand il répondit : « Le raté et l'éclopé, on ira pas loin ». Sa vision pessimiste et défaitiste ne me plomba pas mon discours car je rétorquai : « Du moment qu'on cesse pas d'avancer, peu importe où on va. ». J'espérais que derrière son écran, il souriait comme moi.
***
La semaine suivante fût plus agréable que la précédente. Avant tout parce que j'avais fini mon premier mois de TIG et qu'il ne me restait plus qu'un autre mois à compléter pour en finir avec ma peine. J'avais eu rendez-vous avec M. Travis, mon agent de probation ; il avait tenu à faire le point et s'était montré plutôt satisfait de mon comportement. Le seul détail qui m'avait embêté était sa volonté de me voir réintégrer le lycée l'année prochaine, la même volonté de Joan que je ne partageais toujours pas.
Elle au moins avait pris soin de m'en parler, lui avait déjà contacté le directeur et le proviseur afin de trouver une date d'entrevue car il comptait bien être présent. « Pour défendre ta cause » m'avait-il dit, confiant. Je ne voulais pas qu'on me défende pour m'obliger à retourner dans la cage aux lions. Si on me faisait chier dans la rue, qu'est-ce que ça allait être là-bas ? Toutefois je réalisais bien que mes pauvres seize années, bientôt dix-sept, ne me permettaient pas de choisir. J'allais juste suivre le choix des adultes.
En dehors de ça, la vie suivait son cours et je posai mes bases au fur et à mesure. Je savais que je devais les rétablir une fois mon travail d'intérêt général effectué mais ça me semblait plus si difficile. J'avais passé mes moments libres avec Ayden qui avait repris un peu de moral, parfois son triplé s'était joint à nous et j'avais même retrouvé le plaisir d'un bon fou rire grâce à eux. J'avais aussi aidé Billie pour son exposé puisqu'elle avait décidé d'être plus maligne que la maîtresse en le présentant à voix haute et en langue des signes. J'étais allé la chercher à la sortie de l'école, avec Joan, juste pour voir son sourire triomphant puisqu'elle avait évidemment conquis toute sa classe. Une vraie boss. Tous ces petits détails me donnaient l'impression de reprendre une vie d'adolescent, ça faisait un grand bien.
***
Qu'est-ce qu'on était censé mettre à une soirée où la chaleur allait probablement ruiner le moindre effort ? Puis, ce n'était que chez les Gallagher alors on s'en foutait non ? Ce n'était peut-être pas une bonne idée d'y aller, je soulagerai sans doute un bon nombre de personnes. Je ne voulais pas provoquer de la gêne ou de la colère. Bon, j'étais juste en train de me dégonfler. Ce n'était qu'une soirée, j'allais survivre. Avec un polo et un jean.
Quelques légers coups contre la porte attirèrent mon regard loin de mon armoire. Joan entra dans la chambre, avec ce petit sourire qui la suivait partout. Elle s'avança vers moi comme si elle avait tout son temps à m'accorder. C'était ce que j'appréciais en particulier chez elle, le fait qu'elle fasse de son mieux pour accorder à chacun une attention suffisante.
- Tu voulais me parler ? commença-t-elle.
Je me levai pour lui tendre le message tout prêt sur un carnet, lui demandant la permission d'aller à la soirée organisée par Nora. Elle fêtait le début des vacances d'été et le retour de leur amie pendant quelques jours. Elle m'avait invité ce midi et une heure après, c'était son triplé qui m'invitait. Ça me laissait penser que j'étais un minimum désiré à cette fête. Bien que je sois loin d'être le plus marrant de tous. Je n'étais pas de bonne compagnie, je me fondais juste dans la masse.
- Pas de parents, j'imagine ?
Non.
- De l'alcool ? Même si tu vas me jurer qu'il y en aura pas parce que Nora et ses frères ne sont pas de ce genre.
Je sais pas, tranchai-je. J'étais au moins honnête sur ce point. Je savais qu'ils n'avaient pas besoin d'alcool pour s'amuser mais qu'ils aimaient tout de même en consommer en soirée, alors je ne pouvais pas prévoir. Mais je comprenais la réticence de Joan. La dernière fois que j'avais bu, ça c'était mal terminé. Je n'avais plus recommencé depuis car j'avais réellement peur de ce que je risquais de faire.
- Tu me promets que si je te laisse y aller, je n'aurai pas de souci à me faire et je ne le regretterai pas ? Tu seras raisonnable : pas d'alcool, cigarettes, bagarres ou tout autres trucs que tu ne ferais pas devant moi. Tu me le promets ? s'assura—t-elle.
Juré, merci ! signai-je en lui offrant un sourire sincère. Elle me le rendit, les yeux brillants tandis que je me dirigeai déjà vers mon armoire. Je fouillai un long moment pour trouver des habits convenables mais le rire de ma tante me coupa. Je jetai un coup d'œil dans mon dos et l'aperçus avec mon ardoise à la main. Celle que j'avais gardé posé contre mon bureau depuis que Isaiah y avait inscrit son « Je t'aime ».
- C'est très adorable !
Je m'approchai dans le but de mettre fin à ce moment de gêne totale quand mes yeux se posèrent sur une écriture qui n'était pas celle que je connaissais. « Je t'aime aussi » était inscrit d'une manière désintéressée. Je fronçai les sourcils en retournant l'autre face de l'ardoise, où le message d'Isaiah était bel et bien là. Qui avait... J'obtins la réponse avant même de finir la question dans ma tête. Ce n'était pas possible. Confus, je passai la manche de mon gilet sur ce nouveau message mais il ne s'effaça pas. Les paroles d'Ayden me revinrent en tête.
« Et aujourd'hui j'ai aussi avoué mes sentiments à la personne que j'aime »
C'était donc ça. C'était moi.
- Allez, ne rougis pas ! se moqua Joan. J'arrête de t'embêter. N'oublie pas de me prévenir avant de partir !
Je hochai vaguement la tête, troublé par la découverte. Je sentais les battements de mon cœur presque déchirer ma poitrine et j'étais incapable de détacher mes yeux de cette déclaration. Je ne m'étais fait pas des idées, Ayden était bien intéressé par moi et ce qui me faisait peur, c'était le bonheur qui se répandait en moi. La terrible envie d'exprimer mon excitation par une danse bizarre. Seul mon sourire stupide criait silencieusement ma joie. Je n'étais pas censé être content... Mais je ne pouvais nier ce sentiment qui s'accaparait de mon corps et de ma tête. C'était différent de ce que j'avais ressenti, une semaine plus tôt, en découvrant les mots d'Isaiah. Ça avait été de l'émotion, ça m'avait touché, rendu heureux. Mais lire les mots d'Ayden me donnait une toute autre impression qui était presque exagérée. C'était comme recevoir quelque chose que l'on avait attendu depuis longtemps, retrouver un petit bout de soi... Le vide que je ressentais ne me semblait plus tellement creux.
Putain. Il avait tenu une semaine sans rien me dire, à attendre que je le découvre ? Je n'étais plus capable d'aller à la soirée maintenant. Comment je devais me comporter ? Est-ce que je devais lui parler tout de suite ou continuer de prétendre que je ne savais pas ? Qui d'autre était au courant ? Ça allait être difficile et plus j'y pensais, plus l'envie de rester au lit me gagnait.
Accompagné d'un soupir, je me jetai sur mon lit. Comment pouvait-on passer du mec seul au mec convoité par deux personnes ? Était-il possible d'aimer deux personnes en même temps et cela faisait-il de moi un gros con indécis ? Mon cœur penchait tout de même plus d'un côté que de l'autre, me rongeant de culpabilité.
***
Quand j'arrivai chez les Gallagher, la fête venait tout juste de commencer et tous les invités n'étaient heureusement pas encore là. J'étais entré sans prévenir comme indiqué pour me diriger immédiatement dans le jardin où ils profitaient des derniers rayons de soleil. Je me sentais anxieux premièrement de venir à une fête et ensuite d'être seul face à tous qui se connaissaient pour la plupart. Une chance, personne ne remarqua mon arrivée car ils étaient occupés à discuter les uns avec les autres.
J'avançai vers Nora, jamais seule. Elle était avec Nills et son amie Elliane pour qui elle organisait en partie la fête. Celle-ci habitait avant à Colhaw mais était partie vivre chez sa grand-mère car elle ne s'entendait plus avec ses parents. Elle avait traversé avec Nora des choses qui les avaient rendus plus fortes et soudées. Je savais que sous sa timidité, son manque de confiance, elle était toute aussi cool que le reste du groupe.
- Lean ! s'écria mon amie.
Ses yeux s'illuminèrent littéralement, ce qui me prit de court mais me fit plaisir. Elle se dirigea vers moi et m'offrit un câlin sans une once d'hésitation. Quand elle s'éloigna, je remarquai qu'elle rayonnait de joie. Ses deux semaines loin de la ville lui avait apparemment fait le plus grand bien.
- Eh voilà, on me vole la vedette, râla Nills. Mec, t'as intérêt à te tenir éloigné de toutes les filles célibs de la fête.
- Oh mon Dieu, Nills t'es tellement désespéré ! Ça devient lourd, rétorqua Nora.
Je ne pus retenir mon rire en voyant l'expression outré de son visage. Nora, elle, rigolait aussi en même temps qu'Elliane. Je saluai celle-ci d'une accolade puis cherchai une échappatoire quand j'aperçus la jeune fille brune qui s'avançait vers nous. L'ex-copine d'Ayden. A quel point lui avait-il parlé ? M'avait-il mentionné ? Et qui était au courant ? La plupart du temps, il partageait tout avec ses triplés alors je me doutais que Lieth et Nora étaient déjà mis au courant. Ceci expliquait peut-être l'accueil chaleureux qu'elle m'avait réservé. Ou je me montais encore la tête... Mon esprit bouillonnait interminablement, c'était dingue.
- Alors ? demanda Nills à Mia.
Elle avait encore l'esprit ailleurs car elle n'entendit pas la première question. Il dût la répéter avant qu'elle ne le relève le regard sur lui. Elle n'avait plus rien à voir avec la fille que j'avais croisée à l'hôpital, elle n'avait plus cette fatigue qui pendait au visage. Je revoyais Mia comme je l'avais connue même si elle paraissait soucieuse à cet instant.
- T'en as mis du temps, souligna-t-il.
- Il est un peu assommé à cause des médocs, il galérait avec son pansement alors je l'ai aidé. Rien de plus. On a rompu alors si tu pouvais respecter ça et arrêter tes sous-entendus, ce serait sympa.
- Mia, désolé j'existe pour créer des problèmes.
Elle essaya de le taper mais il esquiva de justesse sans voir venir le coup de Nora, derrière sa tête. Son cri fut démesuré et provoqua nos moqueries. Il s'empressa de passer un bras autour d'elle pour la dissuader de rire mais elle continuait au contraire. Elle se mit à crier à l'aide seulement lorsqu'il s'en prit à son maquillage, barbouillant ses lèvres de sa main. Il n'y avait pas une minute où il ne faisait pas le con ; c'était peut-être la raison pour laquelle il n'arrivait pas à « pécho » si je reprenais ses termes. Amusé, je me promis de prendre un moment pour lui dire.
Me sentant observé, je tournai la tête et rencontrai en effet les yeux de Mia. Mon cœur flancha. Je me dépêchai de regarder ailleurs cependant ça ne changeait rien au fait qu'elle avait capté mon attention. J'arrêtai alors de faire le gamin, rééchangeai un regard avec elle et même un sourire.
- Tu devrais aller le voir, me conseilla-t-elle. Il se repose dans sa chambre.
Puis, elle s'adressa à Nills pour le menacer. C'était quoi ce truc ? Est-ce que chaque personne de ce groupe était doté d'une bienveillance extraordinaire ? Je ne voulais pas croire que Mia était au courant pour moi et qu'elle se montrait aussi gentille. Elle devait avoir du ressentiment, j'avais blessé son copain et maintenant il ne l'aimait plus. Elle n'était pas au courant, c'était la seule conclusion possible. Ayden avait dû lui éviter ça par pur respect.
Je devais aller le voir, je voulais aller le voir mais étais-je vraiment prêt ? Je réalisais à peine, je n'étais pas tout à fait capable de mettre des mots sur ça. Qu'est-ce que j'étais censé dire ? Mais c'était une discussion que je ne pouvais éviter. Si elle se passait mal, je pouvais rentrer chez moi ; si elle se passait bien, je profitais de cette soirée qui commençait dans la joie.
De retour à l'intérieur, je montai l'escalier avec appréhension. Devant la chambre, j'essuyai mes mains moites sur mon jean puis toquai. La voix d'Ayden m'autorisa à entrer si faiblement que je crus l'avoir imaginé. J'entrai tout de même fermant la porte derrière moi, avec la terrible sensation d'écraser mon cœur avec ce geste. Il était assis au sol, contre son lit et faisait face à la fenêtre.
- C'est Mia qui t'envoie ?
Je répondis positivement. Son sourire trancha son visage.
- Elle a dit que si je descendais pas vite, elle m'envoyait mon pire ennemi. Honnêtement, j'hésitai à te voir toi ou Lieth !
Je ricanai puis obéit à sa demande silencieuse, celle de m'asseoir à côté de lui. Il avait juste tapoté la moquette à sa gauche, voilà que je rappliquai comme un chien bien éduqué. Pour un mec qui ne voulait pas suivre ses ordres, ça commençait mal.
Je sortis mon petit carnet avant de m'installer à une distance convenable. J'étais tout à coup gêné en sa présence alors que j'avais passé des heures avec lui sans problème. J'avais peur qu'il s'en aperçoive alors j'essayai de rester naturel.
- T'étais pas obligé de monter, j'allais bientôt vous rejoindre.
« Ça me dérange pas. T'es sûr que ça va ? »
- Mis à part la honte de devoir être aidé pour un stupide pansement, parce que je tiens même pas debout ? Tout va bien.
« Comme dit Beckergam : C'est pas une honte d'être aidé, c'est même plutôt bien qu'on puisse compter sur quelqu'un » écrivis-je en souriant à cause de ma citation. Ayden partagea également la plaisanterie puisqu'il se mit à rire.
- Je crois pas que Beckergam se soit déjà fait changer un pansement au niveau de l'aine, par son ex. Le pire, c'était la position ! continua-t-il de rire de lui-même. J'ai perdu toute crédibilité, allongé là sur mon lit.
Je m'autorisai à rire car il le faisait aussi. J'avouais avoir du mal à imaginer la scène mais c'était sans doute mieux ainsi. Je répondis « Une chance que ce soit plus ta copine alors... » ce qui redoubla son hilarité alors que je ne plaisantais pas entièrement. Je devais débuter le sujet sinon nous allions dire des bêtises et des bêtises sans aborder ce qui nous intéressait réellement. Comment pouvait-il rester si neutre après avoir laissé une bombe dans ma chambre ? Je me décidai à lui demander : « Vous êtes en bons termes ? Elle n'a pas pris mal le fait que tu aimes quelqu'un d'autre ? ».
- Elle était surtout triste, vraiment triste. Elle m'a dit des choses un peu méchantes mais c'est pas grave, je lui en veux pas. Et on veut toujours être là l'un pour l'autre.
« J'peux pas croire que vous ayez seulement 17 ans ! Tu lui as dit qui était la personne ? ». Son rire résonna encore dans la pièce quelques secondes avant qu'il retrouve son sérieux.
- Elle ne veut pas savoir, enfin pas tout de suite. Ça tombe bien puisque je comptais pas lui dire, me fit remarquer Ayden.
Je hochai la tête, ayant de minimes réponses à mes multiples questions. Je ne m'arrêtai pas là et enchaînai sur une autre : « Tu ne m'as jamais dit, comment la fille a réagi ? ». Il eût un discret rictus étrange puis je le vis se pencher doucement, tout doucement vers moi jusqu'à ce que nos épaules se touchent. Ma respiration s'arrêta littéralement, j'étais pendu au moindre de ses gestes. Il me piqua mon crayon pour venir barrer le mot fille.
Je tombai ensuite dans son regard gris, à de ridicules centimètres du mien. Je sentais son souffle sur mon menton tandis que je retenais toujours le mien. Quand il m'adressa un sourire, j'eus l'impression de respirer à nouveau. Mais c'était la panique à l'intérieur de mon corps. Tous ces picotements me dérangeaient et me plaisaient paradoxalement. Ayden parût le comprendre car il m'accorda un peu de répit en s'écartant, sans arrêter de me regarder.
- J'ai dit que j'avais avoué mes sentiments à la personne concernée, pas qu'elle le savait.
J'ignorai les tremblements de mes doigts pour rédiger de la manière la plus lisible possible : « Peut-être qu'elle est au courant maintenant... ». Je vis littéralement sa pomme d'Adam descendre et remonter lentement et j'étais content de ne pas être le seul à perdre contenance.
- Alors j'aimerais savoir ce qu'elle en pense, dit-il à voix basse.
Je savais que ses yeux me sondaient avec précaution, c'est pourquoi je me refusais à lever les miens. Qu'est-ce que j'en pensais ? Ça me faisait plaisir mais je n'étais pas certain de vouloir lui dire. En vérité, ça me faisait bien plus que plaisir. Je ne pouvais jouer au con, je ne pouvais plus mettre mes émotions sur de la simple attirance, de la forte amitié, ou la volonté de plaire. Si je ressentais ça, c'était pour une seule et unique raison.
C'était difficile de savoir ce qu'était l'amour, à mon âge où toutes les émotions étaient confuses car décuplées. Mais je savais profondément qu'à ses côtés, je baignais dans une entière plénitude. C'était une évidence, aussi cliché que ça pouvait être. Il m'offrait une zone de confort que je voulais garder pour le reste de ma vie. C'était vers lui que je m'étais tourné pour sortir de Burket Rivers, pour confier mes peurs, mes douleurs. Il avait recueilli mes pleurs, écouté mes silences, provoqué mes rires. Depuis qu'il m'avait sauvé la vie et qu'il s'acharnait à la sauver, chaque jour, depuis des mois comme si j'étais la chose la plus précieuse à ses yeux, je revoyais de la valeur dans la vie. Je voyais que la bonté, l'amitié, l'amour triomphaient sur tout. Les malheurs n'importaient pas si l'on se focalisait sur ce qu'il y avait autour, sur tout ce qu'il en sortait de plus fort.
Je n'avais pas tellement de raisons qui justifiaient mon attachement pour lui, je l'aimais sans doute parce qu'il était la plus belle personne que j'avais rencontrée. Il ne comblait pas seulement les vides, il me rendait un plus moi. Bien meilleur. Je voyais le restant de mes jours dans ses yeux et c'était une vision que j'avais égaré depuis deux ans. Si Isaiah était le calme après la tempête, j'avais l'impression qu'Ayden, lui, pouvait carrément l'arrêter cette tempête. Et tout ce qu'il me faisait ressentir, même sans être physiquement là, n'était pas descriptible avec de simples mots. Voilà ce que je pensais.
L'épaule d'Ayden vint bousculer la mienne avec tendresse. Je pris une bonne dose de courage pour l'observer dans le blanc des yeux. Mon souffle était court, coupé par mon tourbillon d'émotions. J'étais partagé entre l'envie de partir en courant et celle de rester ici le plus longtemps possible. La deuxième gagna le combat puisque je ne bougeai pas d'un pouce. Ayden relança implicitement sa question en penchant la tête sur le côté, curieux. J'étais incapable de m'exprimer, j'étais retenu par la peur de tout gâcher. Plus les secondes passaient, plus la tension augmentait.
Il se pencha de nouveau vers moi, me tétanisant davantage. Ses doigts se glissèrent entre mes deux mains collées et éloignèrent le crayon que je plantais dans mes paumes. Je le faisais souvent de manière automatique pour décompresser, pour extérioriser. Tout à coup, la musique explosa dans le jardin et nous secouèrent tous les deux. Ayden pesta en reprenant sa place initiale, à une distance qui ne me troublait plus.
Je pensai maintenant à ses mots une semaine plus tôt et eus du mal à comprendre pourquoi il ne me l'avait pas dit en face. Il m'avait surtout poussé à croire que ce n'était pas moi, la personne qui lui plaisait. Je griffonnai : « Pourquoi tu m'as menti en disant que tu l'avais rencontré à l'hôpital ? » pendant qu'il passait une main dans ses cheveux puis posai son bras sur le matelas, derrière moi. Digne d'un grand dragueur des années 50, dans une salle de cinéma. Je l'observai avec insistance, l'air de dire « T'es sérieux ? ».
- Mec, c'est ma chambre je fais ce que je veux ! rigola-t-il. Et je ne t'ai pas menti, sauf quand j'ai voulu te faire croire que c'était une fille parce que je voulais pas que tu comprennes tout quand j'étais là. Mais sinon, c'est toi que j'ai rencontré à l'hôpital.
Il était pour la troisième fois tourné dans ma direction, à une telle proximité que je sentais l'odeur de son parfum. Je me sentais impressionné et du coup embarrassé ; c'était bien la première fois que ça m'arrivait. Il se frotta le visage comme il le faisait tout le temps quand il réfléchissait avant de poursuivre.
- J'ai eu l'impression de te découvrir chaque fois que tu venais me voir, j'ai vu un garçon génial que tu n'as même pas conscience d'être. Alors je ne t'ai pas menti. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi authentique que toi. Tu ressens tout, pour le bien comme pour le mauvais. T'es fidèle et tu tiens énormément à tes proches malgré ce qu'on a pu te reprocher, moi y compris. Tu donnerais tout pour eux, ajouta-t-il d'une voix ferme. T'as un courage que j'admire. Je sais que si tu as cessé de parler c'était pas pour te protéger toi mais pour protéger ton entourage, parce que t'as toujours peur de pas dire ou faire ce qu'il faut et de causer leur malheur. Je sais aussi que ces dernières années tu as fait une croix sur toi-même pour faire passer les autres avant mais que depuis peu, tu commences à te donner un peu plus de place. Et qu'aux côtés de cette place, tu m'as aussi donné la mienne.
Sa déclaration me laissa bouché-bée et surtout larmoyant. L'émotion était amplifiée par le fait que je partageais tout cela. Je ressentais comme lui et j'aurais aimé être capable de lui faire savoir avec la même sincérité. Ouvrir mon cœur à voix haute. Encore fallait-il que je sache ce que je voulais lui dire... Je me contentai d'écrire : « Tu dis ça avec tellement de facilité ». Il haussa les épaules.
- Je sais ce que c'est d'aimer et être aimé en retour, c'est une des meilleures choses dans la vie. Alors, j'ai rien qui me retient de dire tout ça, avança-t-il.
« Même à un garçon ? », cette réponse fit naître son sourire. Derrière ce dernier, je voyais bien que je venais de toucher un point important.
- Tu n'es pas le premier.
Il se moqua de ma réaction choquée. Je me redressai éveillé par ma plus grande curiosité. En fait, ça n'avait rien d'étonnant puisqu'il était évident que je ne connaissais pas toute sa vie. J'avais seulement été idiot de présumer qu'il était hétéro comme je l'avais fait avec tout le reste du groupe. Je n'étais pas bien différent des autres adolescents, à me baser sur mes préjugés. Je ne m'étais même jamais posé la question parce qu'une part, je m'en fichais et de l'autre, il sortait avec Mia quand je l'avais rencontré et je n'avais jamais pensé qu'il y aurait pu avoir quelqu'un d'autre qu'elle. Je m'étais bien trompé. Ironie du sort, cette autre personne c'était moi.
- Ce n'est pas juste pour faire les cons que Nills et mon frère ont commencé à jouer au faux couple au collège, commença-t-il à m'expliquer en cherchant ses mots. Ils l'ont fait pour moi. Nills me plaisait, je sais pas trop comment ça s'est su mais ça a commencé à se répandre. Et j'étais un con qui pensait beaucoup à sa réputation, j'ai commencé à mal le prendre. Lieth a toujours été celui qui s'en fout, il vit comme il le sent, alors sans me le dire il a fait savoir qu'on nous avait confondu, que la rumeur était sur lui et pas sur moi. On connaissait Nills depuis la maternelle mais nous n'étions pas encore si proches et pourtant il a décidé de jouer le jeu pour fermer la gueule des cons. Les gens ont compris que le couple était bidon au bout de quelques semaines, ils ont vite laissé tomber. Pas eux deux !
Il commença à rire en évoquant le petit jeu entre Nills et Lieth tandis que je restais surtout attendri par l'histoire. Le comportement de l'un et de l'autre était admirable. Ayden était réellement entouré de bonnes personnes, aussi bien ses triplés que ses amis et amies. « C'est cool de leur part. Comment ont réagi les autres ? » le questionnai-je.
- Bien, on n'en a jamais vraiment parlé. C'est resté entre nous six puisque Nora, Harry et Zach étaient aussi au courant. Ils savent que je suis bi et s'en foutent, c'est le principal.
J'approuvai, c'était le plus important. Il pouvait compter sur eux, il pouvait être lui-même sans réticence.
- Et Nills est devenu moche alors plus de risque, argua Ayden.
J'éclatai de rire en même temps que lui. Il avait une vraie passion pour taquiner n'importe qui mais surtout ses amis. Aussi, je sentais bien qu'il disait cela pour me rassurer alors que je ne m'inquiétais pas du tout. Je faisais partie de ceux qui pensaient que l'amitié entre sexes opposées ou même sexe existait en dépit de notre orientation sexuelle, même si la tournure que prenait l'amitié entre Ayden et moi prouvait l'inverse.
- Mais à ce propos... reprit-il. Même si mes amis sont au courant, je ne me sens pas encore prêt de le dire aux autres. Je pense pas que mes parents comprendraient que je puisse aimer filles et garçons ; je ne saurais pas comment leur expliquer. Ils ne le prendraient pas aussi bien que ton oncle ou ta tante et j'ai peur de ça. J'ai pas envie d'avoir à justifier qui je suis, tu comprends ? C'est assez paradoxal puisque j'ai été celui qui t'a encouragé à faire ton coming-out...
Je secouai la tête, ce n'était pas paradoxal. Il me regarda écrire : « C'est normal, on n'a pas la même famille. Tu fais ce que tu sens être bon pour toi. »
- J'ai déjà pensé à le faire plusieurs fois mais j'entendais déjà la voix de ma mère me dire : Tu peux pas aimer les deux sexes, y'en a forcément un qui t'attire plus ou : Tu refoules juste ton homosexualité. Elle peut être tellement fermée d'esprit parfois...
Il me regarda avec compassion après lu mon message : « Je vois le genre. Tu le sais déjà, mais je te le répète : tu le diras quand tu seras prêt. Moi, j'imagine que je l'ai fait parce que je n'ai plus grand-chose à perdre... ». Sa main vint se poser à l'arrière de ma tête ; il laissa ses doigts parcourir mes cheveux. Je luttai pour ne pas succomber à la douceur de ses gestes. Il le faisait avec une sorte de retenue qui me donnait la sensation d'être en porcelaine et qu'il n'osait pas me toucher par peur de m'abîmer. Malheureusement les hurlements par-dessus la musique brisaient notre calme, nous rappelant que nous n'étions pas dans notre petit monde.
- Je crois que j'ai eu mon quota de confession pour la semaine, ou pour le mois. On descend ?
Je me levai et désignai sa béquille près de la fenêtre mais il déclina. Il prétendit faire sans ce soir, pour profiter à fond. Puis il se hissa d'abord sur son lit avant de finalement se remettre sur pieds. Je remarquai maintenant qu'il portait un t-shirt aussi gris que ses yeux et dans lequel il avait bonne mine. C'était une remarque complètement idiote mais qui faisait sens pour moi. Il retrouvait de plus en plus son allure d'avant depuis qu'il était de retour chez lui, c'était bon à voir.
- Eh Leander, m'interpella-t-il quand j'allais ouvrir la porte.
Je tombai nez à nez avec lui en me retournant. À ma plus grande surprise, il me tendit les bras et plus surprenant encore je partis m'y loger sans réfléchir à deux fois. C'était ce que je me retenais de faire depuis qu'il m'avait ouvert son cœur. Sentir sa tête contre mon épaule était réconfortant. Et touchant quand je me rappelai qu'Ayden distribuait ses câlins au compte-goutte. Ses mains s'agrippèrent à mon t-shirt, ses bras me serrèrent un peu plus, sa tête se nicha dans mon cou. Je ne savais pas depuis combien de temps il ne s'était pas reposé sur quelqu'un, sa peine me semblait lourde. Notre câlin dura assez pour que j'en profite. Quand il s'éloigna, on se fixa pendant de longues secondes avant d'échanger un dernier sourire complice.
Le mien perdit peu à peu de sa sincérité car je réalisais que je m'étais mis dans une sacrée situation. J'étais habitué à être celui à qui on brise le cœur, dès lors j'allais devenir celui qui allait en briser un.
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YAaAhUhahua (yodeling nocturne) ! Il est bientôt 4h du matin et après 34 chapitres postés sur cette histoire, je commence à être à courts de mots. Donc je vais juste vous laisser la parole : que les Isander shippeuses me tuent & que les Layden shippeuses me remercient ! Les personnes qui n'en ont rien à faire, dîtes moi ce que vous voulez :p
Je tenais juste à clarifier quelque chose : j'ai pu voir des lecteur•ices ne pas concevoir une possible relation entre Ayd & Lean parce que ça paraissait sorti de nulle part. Quand je crée mes personnages, j'ai leur personnalité en tête, mais je ne me dis jamais « lui est hétéro, elle est lesbienne etc. » parce que je m'en fiche & que je préfère voir là où me ménera l'histoire (oui oui c'est elle qui me mène vraiment, pas l'inverse ahah) ! Donc j'écris ce qui me plait avec l'espoir fou que ça plaise aussi ou au moins que les lecteur•ices le comprennent.
Puis ce n'est pas le fond de cette histoire, vous le réaliserez à la fin. Bref, faites donc pleuvoir vos avis ! & j'ai hâte de vous poster le prochain chapitre sur la soirée et pas que...
Love wins (sauf pour Nills) ,
Bye byeee
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