33 - Pride




- Je... Je crois que je suis amoureux de quelqu'un d'autre.

Lui, qui n'avait aucune honte à me fixer droit dans les yeux, gardait dorénavant son regard rivé vers le sol. Il avait l'air préoccupé. Alors que ce n'était pas si grave, au fond. Il se devait seulement d'être honnête avec Mia pour mettre définitivement un terme à leur relation. C'était sans doute ça qui le peinait. Il était resté assez longtemps avec elle, elle était peut-être devenue son habitude. Il venait de me le dire, il n'avait pas envisagé son avenir sans elle. Toutefois, ce n'était plus elle qu'il voyait à ses côtés.

C'était quelqu'un d'autre.

Quand ses yeux se posèrent même furtivement dans les miens, ils arrachèrent mon cœur sur leur passage. Je me redressai à mon tour, m'éloignant involontairement de lui. Ce n'était pas... Je me faisais des idées. Il cacha à nouveau sa gêne sous sa main qui frottait doucement sa mâchoire et je mourrais d'envie de faire pareil. Je ne savais plus quoi faire, comment me comportement normalement. Les frissons continuaient de gagner la moindre partie de mon corps tandis que je me persuadais de mal interpréter cet aveu.

- Ayden, s'il-te-plaît ! s'écria quelqu'un, nous faisant sursauter tous les deux.

Je tournai la tête en même temps que lui vers sa mère, à l'entrée du jardin. De loin, j'eus l'impression de la voir froncer les sourcils en m'apercevant aux côtés de son fils. C'était peut-être ma culpabilité qui se transformait en paranoïa. Son fils répondit à son appel d'un ton blasé, presque agacé. 

- Est-ce que tu as pris tes médicaments ?

Mon ami râla mais le fait qu'il se lève répondait à la question. Je crus entendre de basses excuses avant qu'il ne parte en direction de la maison. J'avais encore raté l'occasion d'en savoir plus. Nous ne pouvions jamais passer de longs moments ensemble sans que quelqu'un ne vienne nous interrompre. Mais dans un sens, je ne pouvais m'en vouloir qu'à moi-même ; j'avais juste eu un grand bug face à lui. Je n'avais été d'aucune utilité. Comment aurais-je pu l'être de toute façon ?

J'hésitai à rester ici, pour attendre son retour mais je trouvai l'idée un peu étrange.  Je me joignis à nouveau aux autres, très vite happé par leur discussion loufoque. Cette fois c'était un débat enflammé sur les conquêtes que Lieth semblait enchaîner depuis quelques mois et je ne cherchais pas à savoir ce qu'il y avait de si problématique. Je n'avais jamais réellement compris pourquoi les relations amoureuses étaient si souvent traitées en public alors même que ça n'appartenait qu'au privé. Ça laissait à penser que les autres avaient un mot à dire sur la personne que l'on aimait, fréquentait ou sur notre façon de le faire. Alors qu'au fond ça n'avait aucune importance. Pas pour moi en tout cas.

Et comme j'étais un aimant à poisse, j'attirai évidemment la conversation sur moi. Nora, qui avait un peu abusé sur la boisson alcoolisée, était plus détendue et moqueuse. J'en avais rigolé jusque-là mais je la maudis à présent quand elle se lança :

- Et toi, Leander c'est qui ta conquête ?

Ils se tournèrent tous vers moi, intéressés. Encore une fois, la perche m'était tendue. Il me suffisait d'un bout de papier ou même d'un signe pour lâcher la bombe. Sans réfléchir davantage. Mais, je n'étais pas certain que Garrett survive aux impacts. Soudain, le souffle exagéré de Nills à ma droite brisa le silence.

- Attendez... Leander est muet et il arrive à pécho. C'est quoi mon problème ? se plaignit-il.

- Ton problème, c'est eux ! lui dit mon frère, en désignant tout le groupe.

- Qu'est-ce qu'on a encore fait ?! réagit Lieth, exaspéré.

- Il est trop collé à vous, ça doit faire fuir la moindre fille. Elle le voit constamment entouré de cinglés bruyants, elle sait qu'elle ne passera jamais avant vous.

- Ça t'a pas fait fuir toi, remarqua le blond sérieux.

- Parce que je voulais faire partie de ces cinglés.

La plaisanterie de Garrett eut l'effet escompté, provoquant les rires de tous. Puis la discussion reprit sur des conseils plus débiles les uns que les autres adressés à Nills. S'il en appliquait ne serait-ce qu'un seul, il était certain de rester célibataire pour le restant de sa vie. Eux-mêmes n'y croyaient pas, ils le disaient uniquement avec une ironie moqueuse. Je devais avouer que ça faisait un bien fou de suivre, même à moitié, une conversation qui échappait au sérieux. Ça devait ressembler à ça la vie à notre âge.

Quelques minutes après, des voix – dont celle d'Ayden – s'élevèrent de la maison et quand le concerné revint du jardin, il n'était plus aussi tranquille qu'avant. Il expliqua vaguement que sa mère lui prenait la tête, ce qui me fit inconsciemment partager un regard avec mon frère. C'était ce genre de choses que nous rêvions de toujours pouvoir dire, c'était ces petits détails qui rendaient leur absence difficile. Heureusement le sourire de Garrett me rasséréna.

Au-delà de sa colère contre sa mère ou sa rancune contre Mia, je compris qu'il y avait bien plus chez Ayden. Tout le long de la soirée, il ne me parla plus du tout. Il ne me faisait pas non plus la gueule mais il ne saisit plus aucune occasion pour me provoquer, me poser des questions ou m'inclure dans les conversations. Encore une fois, c'était possible que je m'imagine cette distance. En tout cas, il passa la soirée à plaisanter avec ses amis et Zach surtout. Et si c'était lui ce « quelqu'un d'autre » ? Etrangement, cette pensée me pinça le cœur alors je préférais arrêter d'y penser. Garrett, fatigué, avait abandonné l'idée de conduire jusqu'à Seattle alors nous étions en train de rentrer dans notre deuxième « chez nous ».

- Allez bonne nuit, me lança-t-il alors qu'il se dirigeait vers les escaliers et moi vers la cuisine. J'espère que tu t'es bien amusé.

Je hochai la tête et je me retournai déjà lorsque sa voix me retint.

- Et tu sais que je t'emmerde seulement avec cette histoire de copine ? Désolé si ça te met mal à l'aise, c'est pas le but.

Je sortis immédiatement mon portable afin de lui poser une question qui me tournait en tête depuis plusieurs heures : Ok mais, pourquoi tu l'as dit à Nora ? Il souffla et réfléchit un petit moment pour me répondre convenablement. Ses pas le rapprochèrent de moi comme s'il envisageait de me partager de précieuses paroles.

- Tu trouves pas que c'est cool d'enfin pouvoir parler de toi, sur des choses légères ?! Parce que moi, oui, j'étais juste content de pouvoir partage ça à Nora. Je te vois changer de jour en jour, t'as l'air plus détendu et je me réjouis de te voir vivre des choses d'ado.

J'acquiesçai parce que je m'en réjouissais aussi. Il me donna un léger coup à l'épaule, de nouveau souriant.

- En vérité, je m'en fiche de savoir qui ça peut bien être. Profites-en juste, ne gâche pas tout et fais tout pour qu'elle se sente bien autant qu'elle te fait sentir bien, ok ?

Nouveau hochement de tête en même temps que je rédigeai, avec un sourire moqueur : Tu parles comme papa. Référence que je n'aurais pas faite quelques mois auparavant car la seule évocation d'un de nos parents me mettaient dans un état d'angoisse incroyable. Mais à cet instant, je n'en eus plus peur ; j'en ressentis même l'envie.

- Et toi, tu rougis comme maman, rigola-t-il.

***

Avachi dans le fauteuil que je torturais à chacune de mes visites, je luttai contre mes paupières tombantes. La soirée de samedi avait été cool mais la nuit et celle de dimanche avaient paru vouloir me rappeler à l'ordre. L'air de dire « Mec, redescend, tu seras jamais heureux, tout ça c'est pas pour toi ». L'insomnie me gardait éveillé pour me faire subir mes souffrances passées. Les souvenirs avaient été tellement forts que je m'étais tordue de douleur durant des heures. Mais j'avais vécu la journée auprès de ma famille sans rien oser dire, et aujourd'hui j'avais fait le minimum d'efforts à ma journée de travail d'intérêt général. Je ne tenais plus, je ne rêvais que de m'endormir malgré le regard sondeur de M. Beckergam. Mais la peur de tout revivre une fois de plus était plus forte que la fatigue, je me forçai à rester éveillé.

- Tu veux qu'on annule pour aujourd'hui ? me proposa soudainement mon psychologue.

Je relevai la tête, alerté par cette proposition qui n'allait qu'attirer l'attention sur moi. Ma tante s'inquiéterait et redoublerait d'efforts pour tenter de guérir quelque chose auquel elle ne pouvait rien. Je déclinai rapidement, me redressai et essayai de reprendre contenance.

- C'était une de ces nuits ?

Comme à son habitude, il avait une longueur d'avance. Je n'avais pas besoin de lui dire. Je n'arrivais d'ailleurs pas à croire qu'il soit au courant pour... l'accident ; il ne l'avait pas mentionné, il ne m'avait pas mis devant le fait accompli. Etait-ce une sorte de bouquet final qu'il réservait pour la fin ?

- Leander ?

Je répondis enfin positivement à sa question pourtant rhétorique. Il en fût satisfait car je le vis arrêter de tourbillonner dans la pièce pour venir s'asseoir en face de moi. Un petit geste pour balayer ses boucles en arrière et voilà que son regard me transperçait encore. Je me sentais petit face à lui, terriblement vulnérable. Toute la force que je pensais avoir acquise au camp, je la perdais lors de nos séances. Mais quelque part, c'était apaisant de pouvoir enlever toute mon armure de temps en temps.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

J'attrapai le carnet à mes côtés afin d'écrire « Tout » en très grandes majuscules, en prenant soin de souligner le mot plusieurs fois. J'étais fatigué physiquement, j'étais fatigué mentalement. J'atteignais le stade où toute mon énergie redescendait à zéro et même si c'était pour mieux repartir ensuite, je n'aimais pas cette période. On me demandait ce qui n'allait pas et je n'étais pas capable de l'expliquer, sans doute parce que je n'étais pas vraiment sûr de le savoir.

- Dis-moi une petite chose de ce « tout », renchérit aussitôt Beckergam. Est-ce que c'était encore des flashbacks ?

« Ils ne s'arrêteront jamais, c'est ça ? » gribouillai-je la main tremblante. Il m'adressa un sourire étrange après l'avoir lu.

- Ils s'arrêteront. Qu'est-ce que tu fais pour reprendre tes esprits après ?

« J'écris » confiai-je puis rajoutai « J'écris à mes proches, à mes parents surtout » en voyant son air intéressé. Aujourd'hui, je n'avais pas envie de résister. Je voulais me décharger du poids que je portais depuis des années, ne serait-ce qu'un tout petit peu. Il n'eût pas l'air étonné, du moins il le cacha bien si c'était le cas. Il montra seulement toute l'attention qu'il me portait en s'avançant sur le bord de son canapé.

- Qu'est-ce que tu leur dis ?

C'était une question que je me posai aussi. Je griffonnai sur le papier : « Je sais pas vraiment, je les déchire toujours et je ne m'en souviens pas vraiment » puis baissai les yeux, accablé par le fort sentiment d'être nul. Dans ces moments de crise, je n'étais plus en totale contrôle de mon corps ; je me coupai de tout et j'essayai de surmonter la peine. Et en vérité, je me souvenais un peu de ce qu'il y avait dans ces mots ; c'était bien une des raisons pour laquelle je m'en débarrassai. Je ne voulais pas m'attacher à ces sentiments négatifs.

- Et écrire t'empêche d'être submergé par un autre flashback ? tenta-t-il de comprendre.

Je secouai la tête, ce qui le laissa perplexe.

- Pourquoi tu écris, alors ?

Je baissai de nouveau les yeux, préférant les balayer sur le sol. Mes tremblements étaient en train d'augmenter, je glissai mes mains entre mes genoux dans l'espoir fou de camoufler ce détail. Mais je sentais bien mon corps se crisper de plus en plus. Je fermai soudainement les yeux, visualisait la pièce dans ma tête comme me l'avait conseillé Isaiah, puis les réouvrit et repérait les objets que j'avais oubliés. Ma concentration chassa momentanément la vague de stress mais celle-ci était plus tenace.

- Tu me le diras quand tu seras prêt, ça ne fait rien. Nous en reparlerons !

Non, c'était maintenant ou jamais. Dans un élan brusque, je pris le carnet et y inscrivis : « J'écris pour échapper ». Il ouvrit la bouche mais je levai mon stylo pour l'empêcher de continuer. Je continuai « À moi-même, à mes idées noires. J'écris pour me vider la tête, j'écris pour me la remplir ». J'écrivais quand l'envie de me tirer une balle était plus forte que tout, plus forte que le bruit et plus forte que le silence mais je n'allais pas encore lui dire ouvertement. De toute manière, il s'en doutait déjà. Il décida de ne pas approfondir le sujet contrairement à ses habitudes.

- Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de t'écrire à toi-même ?

Les sourcils froncés, je répondis : « Pourquoi je le ferais ? ». Il eût l'air désespéré de mon manque de compréhension et se leva soudainement pour chercher quelque chose dans sa bibliothèque, au fond de la pièce. J'y avais posé les yeux tant de fois que je savais qu'elle n'était composée que de livres barbants, je remarquai même quand une nouveauté s'ajoutait. Il vint déposer un carnet épais sur la table qui nous séparait.

- Parce que si tu te soucies autant de ce que tu ressens à propos des autres, c'est sûrement pour oublier ce que tu ressens à propos de toi-même. Or, c'est exactement ce qui m'intéresse, ce qui nous intéresse, se reprit-il. Alors, on va s'arrêter là pour aujourd'hui et je veux que tu envisages ça lors de tes nuits d'insomnie ou quand tu en ressens l'envie.

Un sourire ironique s'accrocha à mes lèvres pendant que je lui écrivais : « Je m'écris à moi-même et vous le lirez, je vois encore moins l'intérêt ».

- Je le lirai seulement si tu le veux, Leander. Mais rappelle-toi que je suis là pour t'aider à avancer, et tu dois y donner du tien aussi. Allez à vendredi, prends soin de toi.

J'acquiesçai et attrapai mon sac à dos, impatient de retrouver mon lit. Beckergam me rappela car j'avais oublié le carnet et me laissa partir après avoir précisé que nous rattraperions cette demi-heure perdue. Il éclata d'un rire franc face à mon expression mécontente, ce qui eut au moins le pouvoir de me détendre un peu. Cet homme était vraiment cool. Il se souciait réellement, c'était peut-être ce qui lui permettait d'être un si bon psychologue. Même si son boulot consistait à « guérir » les gens, il ne se focalisait pas sur ça, il souhaitait que l'on fasse de notre mieux. Il ne nous remettait pas sur pieds, il nous montrait comment le faire par soi-même. Souvent, je me surprenais à espérer que tous ses efforts marchent avec moi.

En sortant du centre hospitalier, j'envoyai un message à mon oncle pour le prévenir que je le rejoignais. Il tenait toujours à venir me chercher après ma journée de TIG, et pour m'accompagner à mes séances, durant lesquels il se posait dans un café et travaillait. Quand il ne pouvait pas, je prenais le bus ou le père de Regan me déposait. C'était une grande organisation pour moi et bien que ça m'embête, ça me faisait plaisir de retrouver la présence de Chris après une journée dure comme celle-ci. Mon attention fut attirée par une notification dans mes mails, mon cœur paniqua immédiatement. Isaiah me vint tout de suite à l'esprit mais s'effaça lorsque le nom d'une pub apparût. C'était aujourd'hui qu'il passait son bilan de santé ; il allait en savoir un peu plus sur ce qui l'attendait et j'avais hâte de l'apprendre également.

Plus concentré sur mon écran que sur mon chemin, je bousculai involontairement quelqu'un et laissai tomber mon portable. Il atterrit aux pieds de l'un d'eux. Quand je croisai les trois paires de yeux, je regrettai de ne pas avoir été assez attentif. La ville était si petite, ça avait été étonnant que je ne les ai pas croisés plus tôt depuis mon retour : mes anciens emmerdeurs du lycée. Ceux qui avaient rendu ma vie un peu plus insupportable encore. Je me souvenais parfaitement du sentiment qu'ils avaient provoqué en moi chaque fois qu'ils avaient usé de la force de leur nombre sur moi. La honte. A présent, il ne restait plus que la haine. Le chef du groupe, un blond au nez tordu, se pencha pour ramasser mon portable et contre toute attente, me le tendit. Pressé de fuir la situation, je fis un léger pas en avant mais je n'eus pas le temps de reprendre mon téléphone car il le lança plus loin, derrière moi.

- Va chercher toutou, me nargua-t-il en croisant ses bras sur son torse.

Je fis un deuxième pas vers lui, les poings serrés. Il suffisait de quelques secondes pour lui en foutre un en pleine gueule. Mais je repensai à déception de Garrett, Chris, Joan ou Billie ; je devais bien leur prouver qu'ils n'avaient pas tort de croire en moi. Ça ne servait à rien de se battre pour ça, j'avais des choses bien plus importantes dans lesquelles mettre toute mon énergie. Et il leur fallait bien plus qu'un coup dans la tête pour que ces mecs cessent d'être cons.

Je leur tournai alors le dos et partit récupérer mon portable malgré les rires énervants, malgré ma fierté qui en prenait un coup. Je traversai à toute vitesse puis rejoignis au plus vite mon oncle qui ne me vit par arriver. Surpris, il releva la tête vers moi alors que je me laissai tomber sur la chaise face à lui.

- Je viens tout juste de voir ton... Tout va bien ?

Je jetai un rapide regard à mon portable dont l'écran était à présent brisé, hésitait à le cacher puis optai pour l'honnêteté car Joan ou lui finiraient bien par le découvrir. Surtout mon frère qui l'avait payé de sa poche. Je le montrai à Chris qui se calme alors.

- Ce n'est que ça. Ça n'a rien à voir avec le fait que tu quittes la séance plus tôt, rassure-moi ? Tu n'es pas énervé ?!

Je niai ses suppositions sans toutefois vouloir me justifier. Je ne voulais pas m'épancher sur mes humiliations, surtout que j'étais parvenu à y échapper cette fois. C'était passé. Chris se contenta de me jauger d'un long regard sérieux puis déclara que l'on rentrait. Je l'aidai à ranger ses dossiers éparpillés sur les deux tables et son ordinateur pendant qu'il me racontait son retard sur sa préparation de réunion du lendemain. Je comprenais la moitié des termes spécifiques qu'il employait mais ça ne me dérangeait pas de l'écouter. Ce n'était plus si dur de rester éveillé.

***

Deux jours étaient passés et je fus content que personne n'ait essayé de me solliciter car je n'étais pas en mesure de supporter la présence de quelqu'un. C'était tout de même bizarre de ne pas avoir de nouvelles d'Isaiah qui m'avait promis de me tenir au courant. Ni des nouvelles d'Ayden avec qui je devais m'entraîner. Ils avaient sûrement mieux à faire, je n'étais pas la priorité dans leur vie. Je me le répétai mais n'arrivai pas à me calmer.

Je me tournai et retournai dans mon lit sans parvenir à trouver une position agréable. L'air était trop chaud, la maison trop calme, j'entendais toutes mes idées tourner. J'étais bloqué avec moi-même. Je partis soudainement ouvrir la fenêtre, persuadé que la brise nocturne m'apaiserait. Je restai un moment appuyé à la rambarde, observant le ciel sombre qui laissait briller ses plus belles étoiles.

Il n'était que trois heures du matin, il me restait encore quatre heures à tuer. Peut-être que je pouvais bien essayer d'appliquer les conseils de Beckergam. Je me levai à nouveau pour récupérer le carnet posé sur mon bureau et vint m'appuyer contre le mur, près de la fenêtre pour pouvoir y lever les yeux de temps en temps. Anxieux, je fixai un moment la première page blanche ; je n'allais jamais pouvoir y écrire quoique ce soit. Ça revenait à me confronter moi-même et c'était la chose la plus dure à faire.

Je devais essayer.

Serrant le crayon plus que nécessaire, je commençai à écrire ce qui me venait. Je me foutais du sens, de la composition des phrases, je ne m'imposai aucun filtre puisque c'était bien ça le but, être honnête avec soi-même. Alors je marquai tout.

***

Le lendemain, mes propres mots me tourmentaient encore. Ce qui en était ressorti était bien plus brutal que ce que j'avais imaginé. J'avais été cru, direct, je n'avais pas mesuré mes mots. Ils se suivaient sans logique, déversant le fil de mes pensées. Je n'aurais jamais pensé être aussi dur envers ma propre personne, je réalisai que mon estime était restée au plus bas. Au lieu de me faire sentir mieux, la lettre avait empiré mon état d'esprit. Comment pouvais-je me traiter de la sorte ?

Le coup de sifflet marqua la fin de cette énième longue journée de TIG. Je ramenai les outils au chef puis signai la feuille de sortie avant d'aller au vestiaire. Regan m'y rejoignit, avec cet air moqueur qui lui collait constamment au visage. Voyant que ça n'agissait pas sur ma mauvaise humeur, il m'avait laissé tranquille aujourd'hui ; je lui en étais reconnaissant toutefois je me privais de lui faire savoir sinon il me le rappellerait jusqu'à la fin de ses jours. En tout cas, j'étais content de pouvoir compter sur lui et content de voir que tout notre vécu au camp avait eu du bon sur son comportement. Il était plus posé, moins arrogant ou malpoli, il faisait ce qu'il fallait non parce qu'on l'y obligeait mais parce qu'il semblait le vouloir. Si ça pouvait le tenir loin des ennuis, c'était une bonne chose. C'était en partie pour cela que je n'osai pas lui parler de notre discussion entre Isaiah, Sergent Blondie et moi ; je ne voulais pas le replonger dedans car c'était certain qu'il foncerait sans hésiter.

- Ça va mieux, Schtroumpf Râleur ? demanda-t-il.

Je me contentai de répondre positivement puis le suivit en dehors du bâtiment, rallumant déjà mon portable. Toujours rien dans mes mails. En dépit du dicton qui affirmait que « pas de nouvelles, bonnes nouvelles », je commençais à croire que ce silence ne présageait rien de bon pour Isaiah.

- Isaiah ? devina Regan.

Je hochai la tête sans prendre la peine de regarder mon ami, je devinais parfaitement son air moqueur au ton de sa voix.

- Non mec, je veux dire que y'a Isaiah là-bas !

Je le regardai, le cœur serré par peur que ce soit une stupide blague mais il fixait bien un endroit. Je fis de même et aperçus en effet une silhouette qui correspondait à mon... copain ? Le visage légèrement dissimulé sous une capuche, il paraissait également nous observer. De loin, j'avais du mal à le reconnaître avec exactitude mais ce gilet ne pouvait être qu'à lui. C'était celui qu'il avait gardé de moi.

- Qu'est-ce qu'il fout là ? On dirait un mec en cavale, ricana Regan qui partait déjà à grands pas vers lui.

Je le suivis alors qu'une voix m'interpella. C'était Chris qui sortait de sa voiture et qui s'étonnait de me voir partir dans une direction opposée. Je lui signai de m'accorder cinq minutes puis accélérai le pas, me forçant à ne pas courir comme un dératé, pour rattraper mon ami. Il arrivait à présent près d'Isaiah, échangea quelques mots avec lui et ensuite une accolade. Quand j'arrivai près d'eux, Regan sautait sur l'occasion pour répéter sa moquerie. Elle fit au moins rire le métis qui laissa tout de même trainer son regard sur les alentours. Il avait l'air un peu plus en forme que vendredi dernier mais gardait un peu cette allure malade.

- Je suis pas en cavale, non, sourit-il faiblement, j'ai eu une autorisation de sortie au plus grand bonheur des journalistes.

Regan réagissait alors que je partageai un long regard avec Isaiah. Mourrait-il d'envie de m'embrasser ? Parce que moi oui. Mais devant notre acolyte, et devant tous les autres possibles regards indiscrets, on se contenta d'un câlin. Il prit plaisir à laisser traîner sa main dans mon dos un peu plus longtemps lorsqu'il s'éloigna puis termina par me serrer furtivement la main.

- Vous allez me tuer avec cette tension palpable, râla Regan. Embrassez-vous, plus rien ne me choque !

- Est-ce que c'est un ordre ? rigola Isaiah.

- Si ça peut rendre moins grincheux ton copain, alors ouais !

- Grincheux... Qu'est-ce qu'il y a ?

Il s'adressait à moi, préoccupé. Je lui fis comprendre comme je le pouvais que ce n'était rien puis lui sourit franchement. J'étais soulagé de l'avoir à mes côtés, en dehors de toute cloison. La dernière fois que nous étions tous les trois, nous essayions de trouver une solution pour mettre fin à l'aile Z. Maintenant nous en étions sortis et nous faisions de notre mieux pour reprendre nos vies en cours de route. Je voulais que ça dure un petit moment, je voulais en profiter au maximum.

Je sortis mon portable pour leur demander : « Ça vous dirait de venir chez moi ? Je pense que mon oncle serait OK ». Ils furent étonnés de ma proposition mais d'une manière positive puisqu'ils acceptèrent, sous condition qu'ils y soient autorisés. Regan partit demander à son père, je laissai mon portable à Isaiah pour qu'il joigne sa grand-mère pendant que je retournai auprès de Chris. Lorsque je lui posai la question il me la répéta, incrédule, puis réfléchit.

- Isaiah, c'est celui que tu vas voir au centre ? s'informa-t-il.

Je lui expliquai son autorisation de sortie qu'il avait longtemps espérée et notre besoin de passer ne serait-ce qu'une petite heure ensemble. Il se plaignit que c'était un peu précipité, que je le prenais au dépourvu et que la maison n'était pas prête à recevoir mais je lui assurai que nous n'en avions rien à faire de l'état ou de la décoration. Une supplication plus tard, il accepta enfin. Il prit soin de me prévenir qu'il me tuerait s'il y avait quelque chose de « pas réglo » derrière tout ça. J'éclatai de rire, on envisageait seulement de passer du temps ensemble, pas de fonder un réseau de drogues. C'était comme si notre prétendue délinquance nous décrédibilisait de notre jeunesse.

- Elle est d'accord, annonça Isaiah qui se pointait à nos côtés. Bonjour Monsieur !

- Le monsieur préfère qu'on l'appelle Chris.

Je les regardai se présenter à l'un et l'autre avec une sorte d'appréhension, comme si Chris pouvait tout comprendre en un regard. Comme si notre relation était inscrite sur une pancarte fluo et qu'elle ne pouvait échapper à personne. En fait, elle échappait justement à tout le monde. Mais je souhaitais seulement que mon oncle apprécie Isaiah à sa juste valeur, qu'il n'ait pas de mauvaises impressions ou de préjugés non fondés. Ça se passait plutôt bien jusque-là. Je m'étais inquiété pour rien. Isaiah avait un enthousiasme qui plaisait immédiatement et Chris était de bonne compagnie.

Regan revint et nous apprit qu'il n'était autorisé à rester qu'une petite heure et demi. C'était suffisant. J'espérais même secrètement que Isaiah puisse rester plus longtemps pour qu'on l'on puisse passer du temps à deux. Ça, c'était sans doute trop demandé, je voulais tout de même espérer.

Un quart d'heure plus tard, nous étions en train de nous gaver de gâteaux dans ma chambre. Regan s'extasiait sur la taille de la maison depuis son arrivée tandis qu'Isaiah restait un peu plus silencieux, observant ma chambre sans vie. Il n'y avait que le tas de feuilles et d'objets sur mon bureau qui reflétaient le désordre dans mon cerveau. Sinon, pas de décorations aux murs mise à part une photographie de ma famille que je gardais à portée de vue. Collée près de la porte, de sorte que je l'aperçoive avant de quitter la pièce et que je me rappelle une bonne raison d'affronter la journée.

- Alors, comment ça se passe la désintoxe ? lança soudainement Regan.

- C'est l'éclate, si tu savais !

Je souris en entendant le sarcasme d'Is' qui contrastait avec le sérieux de son visage.

- Tu sais ce que je veux dire... C'est pas trop difficile ?

- Si t'étais venu me rendre visite, tu l'aurais su.

Regan craignit un moment que Isaiah ne plaisante pas puis ils se mirent à rire ensemble. Qu'est-ce que je ratais ? Ils paraissaient partager quelque chose que je ne captais pas. Aucun d'eux n'osa répondre à ma question muette alors je la posais sur mon ardoise : Qu'est-ce qu'il y a ? C'était plus fort que moi, la jalousie s'éveillait en moi.

- Leander, on a un truc à t'avouer, commença l'un.

- Il m'a rendu visite, digne d'un grand espion, termina l'autre. Au camp, on a eu un délire avec le film Coach Carter ; je m'étais foutu de sa gueule en disant qu'il ressemblait au perso Kenyon Stone et c'est le nom qu'il a utilisé pour demander le droit de visite.

Amusé, j'étais quand même interpellé par le fait de le découvrir dorénavant. « Pourquoi vous ne me l'avez pas dit ? » m'empressai-je de demander. Isaiah baissa la tête par volonté d'éviter la question mais Regan, lui, continua de rire avant de lâcher :

- Parce qu'on a parlé de toi.

Je roulai des yeux quand la gêne du métis me fit comprendre que ce n'était pas des conneries. Ce fut à mon tour d'être embarrassé alors je me contentai d'un simple mouvement de tête. Notre ami se foutait toujours de notre gueule et heureusement Isaiah lança un autre sujet. Un amusant mais qui ne concernait aucun de nous.

Je m'étais souvent demandé comment on serait en dehors du camp et si les liens qui nous unissaient à l'intérieur seraient les mêmes une fois sortis. La situation m'avait donné une réponse plus claire : nous étions bien plus amis encore après ce que nous avions vécu. Et nous existions au-delà de tout ça. Je découvris que Regan avait réussi à se remettre avec sa copine et qu'il nourrissait une nouvelle passion pour la peinture. J'appris que Isaiah comptait rester dans les parages avec sa grand-mère, à sa sortie et que celle-ci était plus ou moins proche. Il avait fait de grands progrès, il ne lui restait qu'un petit bout de chemin à parcourir. Le seul fait de nous l'annoncer l'avait rendu encore plus souriant, j'avais senti mon cœur flancher. Son bonheur influençait le mien que je l'accepte ou non. Sa présence suffisait à me rendre bien alors je luttai pour cacher ma joie quand ma tante l'invita à diner alors qu'il hésitait à rentrer, puisque Regan venait de partir. Il ne voulait pas déranger mais Joan partageait la même idée que moi : il ne dérangeait pas. Elle avait été si contente de découvrir les mecs à la maison qu'elle semblait vouloir prolonger ce moment. Elle ressemblait à une mère désespérée que son fils n'ait pas d'amis, c'était à la fois amusant et gênant.

Dès qu'il s'isola pour téléphoner, elle se pencha vers moi pour me caresser la joue. Son sourire ému me toucha plus qu'attendu. J'eus la folle impression de revoir ma mère l'instant de rares secondes car la même émotion la traversait quand elle avait deviné que j'étais amoureux de Ash. Est-ce que Joan avait deviné pour Isaiah ? Ou était-ce seulement mon envie qu'elle le découvre d'elle-même pour ne pas avoir à lui avouer ? En tout cas, elle ne dit rien de plus et resta silencieuse jusqu'au retour d'Is' qui avait encore une fois l'autorisation de sa grand-mère. Le couvre-feu du centre était posé à 21h30 donc trois bonnes heures s'offraient à nous.

- Parfait, déclara Joan. Hé, Leander prends un petit moment pour aller voir ta sœur, je crois que sa maîtresse lui a encore fait une remarque mais elle n'a rien voulu me dire.

J'acceptai puis fis signe à Isaiah que l'on remontait dans ma chambre. J'essayai de ne pas montrer mon impatience, repoussai mon envie de grimper les marches deux par deux et regagnai la pièce avec un calme surprenant. J'entendis la porte fermer dans mon dos alors qu'il m'attirait aussitôt dans ses bras. Je pus finalement succomber au plaisir de ses lèvres qui m'avait hanté ces deux dernières heures. Il m'embrassa avec une douceur toute nouvelle, une qui ne me convenait pas. Je resserrai mes bras autour de son cou en même temps que mon cœur se compressait de joie. Ma bouche s'accrochait désespérément à la sienne et je laissai rapidement ma langue traîner sur sa lèvre, lui arrachant un souffle court.

- Wahou... haleta-t-il en s'éloignant pour me regarder. Tu ne peux plus faire ça sinon je ne suis pas sûr de pouvoir me tenir.

Poussé par un élan d'audace, je levai un sourcil comme pour lui lancer un défi. Je fis descendre ma main le long de son torse alors tout son corps se crispait puis je tournai le verrou de ma porte. Le plus doucement possible pour que personne ne l'entende. Isaiah ricana avant d'entrelacer nos doigts et de me tirer vers le centre de ma chambre.

- Tu vas me prendre pour un fou mais pas grave. Ça fait longtemps que je n'ai pas écouté de musique. Je voudrais seulement la mettre à fond et me lâcher, m'amuser, danser comme je l'ai pas fait depuis des années. Tu voudrais bien être fou avec moi pendant quelques minutes ?

Sans lui donner de réponses, je me dirigeai vers mon enceinte et y démarrai une musique rythmée en gardant un son raisonnable. Autrement on risquait d'alerter ma tante car ce n'était pas dans mes habitudes d'écouter la musique à grand volume, j'étais plutôt du genre à être le plus discret possible dans ma chambre. Le sourire d'Isaiah fut le plus heureux que je vis sur son visage. Il ferma même les yeux pour se laisser emporter et je pris le temps de l'admirer avant de le rejoindre. Il sautait au rythme des basses de la musique électro, secouait sa tête et ressemblait effectivement à un taré.

Mais j'en étais un aussi. J'avais du mal à me détendre, à baisser la garde devant les autres ou simplement à m'amuser. Je dus me surpasser, c'était tout nouveau pour moi. Je me coupai de tout, fermai les yeux à mon tour et bougeai dans tous les sens. Je le fis avec beaucoup d'efforts d'abord puis j'y pris petit à petit goût. Essoufflé, je ne m'arrêtais pourtant pas car ça avait quelque chose de libérateur. Je me défoulais. C'était les mêmes effets que me procurait la course sans toutefois aller nulle part cette fois. Je ne voulais aller nulle part, j'étais bien aux côtés d'Is'. J'y avais ma place.

Quand la musique se termina, j'étais épuisé. Je me laissai tomber à la renverse sur mon lit en entendant les rires de mon copain dans mon dos. Quand il s'allongea à son tour, à bout de souffle, ce fut à mon tour de me moquer. Le sourire constant pendu à ses lèvres le rendait irrésistible. Je me redressai et lui volai un baiser à toute vitesse.

- Me touche pas, gloussa-t-il.

Pourtant, je ne rêvais que de faire ça. Je le tirai par l'avant-bras sans parvenir à le rapprocher. Ce fût lui qui se redressa et me poussa sur le matelas pour me surplomber. Ma respiration se coupa quand le poids de son corps reposa contre le mien, c'était de loin la plus belle sensation. Lui qui avait voulu faire le malin était dans le même état que moi maintenant. Il resta suspendu au-dessus de moi pendant un long moment par peur de faire le moindre mouvement. Moi, je voulais uniquement graver les sensations qui me traversaient. Je m'en délectai sans retenue puis craquai. Avec un sourire mesquin, je fis flancher le coude d'Isaiah qui s'écroula entièrement sur moi. J'enroulai son torse autour de mes bras et glissai mes lèvres dans sa nuque. Ses plaintes de bonheur m'encouragèrent à continuer mais il me coupa en m'embrassant de nouveau.

Mon cœur allait exploser. Les frissons le long de ma peau ne s'arrêtaient jamais. Le nœud dans mon estomac n'était plus douloureux. Toutes ces émotions doublèrent d'intensité quand Isaiah ondula contre moi. Chaque seconde montait le cran du plaisir un peu plus haut. Alors pour être honnête, je crus mourir quand il posa sa main sur mon entrejambe. Mais j'étais trop jeune pour mourir dans ces conditions ! Je voulais qu'il dépasse la barrière des vêtements mais plus cette idée s'ancrait dans ma tête, plus je me sentais gêné. Je n'étais pas encore prêt à dépasser ce stade d'intimité alors j'éloignai gentiment sa main. Il s'arrêta immédiatement, prit du recul pour baisser les yeux sur moi.

- Désolé, chuchota-t-il.

Je le rassurai par un sourire. Je ne voulais pas qu'il cesse complètement ; il le comprit très vite quand je tirai sur son t-shirt pour combler le vide entre nous. Je gardais encore des palpitations et elles n'étaient pas prêtes de se calmer par la suite. La friction de nos corps nous initia aux joies du plaisir. On découvrit quelque chose dont on ne pourrait probablement plus se passer, une once de bonheur.




Notre confiance commune offerte à l'un et l'autre disparût à la fin, on redevint deux ados débiles. Surtout honteux quand la réalité nous rattrapa. Je sortais tout juste de la salle de bain et retrouvai Isaiah qui ne savait plus où se mettre. Je lui pris le caleçon des mains et le balançai dans mon panier de linge sale. Il fut soudainement hilare et je me laissai également vaincre par l'amusement.

- Je crois que pour la discrétion c'est mort, articula-t-il dans son fou rire, ta tante va se poser des questions.

J'éclatai de rire en pensant à la tête qu'aurait pu faire ma tante. Heureusement, je gérai ma lessive moi-même depuis mon arrivée ici. C'était une des règles de la maison contre laquelle j'avais longtemps pestée mais pour laquelle j'étais bien reconnaissant à présent. J'allais lui expliquer ça quand une voix me surprit dans le couloir.

- Leander, tu rigoles ?!

Je tournai la tête afin de découvrir une Billie bouche-bée à la porte de sa chambre. De son côté, elle remarqua Isaiah et s'arma de son masque de timidité qui la fit reculer. Elle regrettait d'être intervenue, je le voyais. Je ne le regrettais pas, j'allais enfin pouvoir présenter mon copain à ma sœur. Cette idée ne me paniquait plus, elle avait même quelque chose de naturel.

- Tu dois être Billie, lança Isaiah attendri.

Il ne savait pas dans quoi il se lançait si ma sœur l'adorait, elle se débarrasserait de sa timidité et deviendrait la petite fille la plus collante du continent. Elle hocha la tête en continuant de le regarder avec attention.

- T'es Regan ou Isaac?

- Isaiah, la corrigea-t-il. Alors, ton frère ne rigole pas beaucoup ? Même avec toi ?

- Na, il est toujours silencieux et fait sa tête de cochon ! Comme ça, dit-elle en m'imitant grossièrement.

- Oh je connais bien cette tête !

Je ne les dérangeais pas trop ? Ils se marraient tous deux sur ma poire comme de vieux amis. Billie sortit même de sa cachette pour s'avancer vers nous, très doucement. Elle voulait en savoir plus, cette fouine.

- Il la gardait tout le temps quand il est arrivé au camp, continua Isaiah.

- Et après ?

- Après, ça allait mieux. 

- Parce qu'il t'a rencontré ? devina-t-elle à présent devant nous.

Je croisai les pupilles brillantes d'Isaiah, conquis par les propos de ma petite sœur. Elle touchait une vérité du doigt sans en voir toute l'ampleur. Il haussa les épaules puis précisa :

- Ou parce qu'il t'avait toi et que grâce à tes lettres, il n'était jamais seul...

- Il nous avait nous, tous les deux ! se réjouit Billie avec un immense sourire.

- Et il nous a encore, alors je compte sur toi pour l'empêcher de faire sa tête de cochon quand je ne suis pas là.

Je lui donnai un coup dans le bras auquel il répondit par une grimace à mon égard. Billie en fit la promesse, elle prenait plaisir à plonger à cœur ouvert dans tout ce qui consistait à rendre ses proches heureux. Je l'admirais pour cela, c'était honnêtement la plus belle personne de ma vie.

Les plaisanteries passées, je me souvins des propos de Joan. Je poussai doucement Billie dans sa chambre, entraînant Isaiah avec moi, puis posai ma question sur un des carnets de brouillon qui traînait : « Il paraît que c'est toi qui n'étais pas contente en revenant de l'école, qu'est-ce qu'il s'est passé ? ». Elle souffla tout en s'asseyant sur son lit ; elle n'avait pas l'air triste mais en colère.

- La maîtresse a dit qu'il n'y aura plus le temps de faire tous les exposés alors elle nous a rassemblés par deux et elle veut que je laisse tomber mon sujet pour prendre celui de Naomi.

Cette putain de maîtresse semblait motivée à bloquer l'exposé de ma sœur. Son excuse était assez valable pour ne pas s'attirer nos foudres, on ne pouvait rien faire contre cela. Je me doutais que ce qui lui posait du souci ce n'était pas la langue des signes mais bien l'intervenant que Billie avait prévu : moi. Ma réputation était déjà toute faite dans cette petite ville de Colhaw alors je ne m'étonnais pas d'une telle réaction. Mais ma sœur, elle, le vivait mal et ça commençait à m'énerver. Je tentai néanmoins de trouver un compromis : « Peut-être que l'exposé de Naomi est bien ?! ». Le regard noir qu'elle me lança répondit à ma supposition.

- Ça ne peut pas être si grave, intervint Isaiah.

- Les dauphins ! Y'a déjà eu 10 500 exposés dessus, râla-t-elle.

Je pris place à ses côtés pour écrire « Tu pourras faire le tien l'année prochaine avec une maîtresse ou un maître intéressé(e) » et je n'avais pas opté pour la meilleure des réponses à en juger les larmes qui se logèrent aux bords de ses yeux. La main dans la sienne, je l'incitai à me dire le fond de sa pensée. Tout ça c'était bien plus qu'un simple exposé, il y avait une valeur plus importante pour elle. Elle tenta de parler mais ne trouva pas les mots adéquats.

- Je voulais faire un truc avec toi pendant que tu es là, balbutia-t-elle. Tu pars toujours alors je voulais le faire maintenant et pas l'année prochaine parce que peut-être que tu seras plus là.

Ses mots eurent l'effet d'une gifle. Je m'étais fait absent depuis le décès de nos parents entre mes deux séjours au camp, mes passages à l'hôpital ou les moments où j'étais là sans vraiment l'être. Je savais qu'elle en avait souffert mais je n'avais pas pensé qu'elle en avait développé une véritable peur de me voir partir à nouveau. Et le pire était que je ne pouvais pas lui promettre d'être là car j'avais peur de la briser.

Je la serrai contre moi un long moment puis lui donnai la réponse qui me parut la plus juste : « Y'a des choses qui ne dépendent pas de moi Billie mais je t'assure que je vais tout faire pour essayer d'être à tes côtés l'année prochaine et toutes celles qui suivront. Je vais faire de mon mieux, OK ? ». Elle l'accepta et me fit un câlin de plus. Quelque fois, dans sa gaminerie il y avait des lueurs de maturité surprenants qui surgissaient comme maintenant.

- Alors qu'est-ce qu'on fait ? relança Isaiah avec gaité.

- Tu ne fais même pas partie de l'exposé ! asséna ma sœur en rigolant.

- Peut-être pas mais tout ce qui te concerne, concerne Leander et tout ce qui le concerne me concerne aussi.

- Ça me va. Moi j'ai quand même une idée !

On fût très intéressés et l'on écouta attentivement le plan qu'elle avait envisagé. C'était du Hollington tout craché, j'en étais vraiment fier. Isaiah, lui, prit plaisir à discuter avec Billie. Je voyais qu'il avait besoin de ce genre de liens affectifs auxquels il n'avait jamais eu le droit. En dehors de sa grand-mère, l'image de la famille lui était faussée. Ça me procurait un bien fou de les voir si bien s'entendre. Tout à coup, ça me vint, l'envie d'être sincère. Le besoin de faire savoir cette vérité. Ça contrastait avec toutes les fois où j'avais hésité, ça signifiait que ça n'avait pas été les bonnes. J'allais me confier à Billie, j'étais sûr qu'elle m'apporterait le réconfort et la force nécessaires de le dire aux autres.

Elle était en train de sortir de son bureau les histoires loufoques qu'elle écrivait. Je montrai mon message à Isaiah qui écarquilla les yeux, m'interrogea du regard puis opina de la tête. Il vint s'asseoir à mes côtés, le bras appuyé derrière moi si bien que je sentais un peu sa présence. Je n'étais pas seul.

- Billie, tu veux bien venir ? Ton frère aimerait te parler de quelque chose.

- Tu veux pas lire mes histoires ?

Quand il promit de les lire après, elle fut soulagée et se précipita sur son lit contre ses trentaines de peluche qui lui servaient de coussins. Elle me fixait avec ses yeux ronds, inquiète et de plus en plus mal à l'aise. Comment j'étais censé dire ça ? Est-ce qu'elle en avait déjà parlé à l'école ou avec Joan ? Est-ce qu'elle s'était déjà posée des questions en voyant des couples homos dehors ou alors à la télévision ? Est-ce qu'elle comprendrait alors même qu'elle traversait un âge où l'amour était « dégueulasse », selon ses propres mots ?

Je croisai les prunelles sombres d'Isaiah qui m'encouragea d'un mouvement de tête. Je n'avais pas tellement besoin de courage, j'avais besoin de mots. Et j'étais malheureusement le seul à pouvoir trouver les mots adéquats. Je finis tourner le stylo entre mes doigts puis décidai de me lancer, c'était certainement moins compliqué que la pression que je me mettais. « Qu'est-ce que c'est l'amour pour toi ? ». C'était con mais c'était la seule idée qui me vint sur le moment, amorcer la discussion avec une question.

- C'est quand on rigole beaucoup avec quelqu'un, qu'il nous fait sourire et rire, et qu'on peut faire des trucs amusants avec ! Et on l'aime tellement fort qu'on veut tout faire avec lui, on veut pas le quitter. Comme Papa et Maman, Joan et Chris ou...Garrett et Nora. C'est ça ? Moi j'ai jamais eu d'amoureux mais y'en a beaucoup dans les livres. T'es amoureux, hein ? se réjouit-elle.

« C'est exactement ça. Et t'as raison, je suis amoureux mais pas d'une fille ». Elle porta une main à sa bouche ouverte. Je lui donnai le temps d'assimiler ce qu'elle ressentait et de me le dire.

- T'es amoureux d'un garçon comme toi ?

Sa réponse me fit rire alors je me dépêchai de lui dire : « Pas vraiment comme moi, sinon je n'en vois pas l'intérêt ! » et son cri me perça le tympan. Elle était plus excitée de savoir de qui j'étais amoureux plutôt que choquée de la nouvelle.

- Je sais : c'est Isaiah ! Vous êtes amoureux, concéda-t-elle avec un sourire satisfait. C'est mignon !

Isaiah se mit à rire et tapa dans la main que ma sœur lui tendait. J'avais stressé pour ça ? Je sous-estimais réellement ma sœur. Cependant, ce n'était pas tout. Je ne voulais pas la laisser ainsi et j'avais un service à lui demander. « Ça ne fait pas bizarre ? » m'assurai-je.

- Bah non, c'est comme dans Et avec Tango, nous voilà trois ! On l'avait lu avec maman et elle m'avait expliqué qu'un garçon pouvait aimer un garçon et une fille aimer une fille mais que c'était pas important. Faut jamais se moquer, faut toujours souhaiter le bonheur à tout le monde.

Tu es la meilleure, signai-je et elle le comprit car je le lui disais souvent. Tous les jours. Aujourd'hui, je lui disais le cœur léger. Je vis son sourire avant qu'elle ne plonge dans mes bras. Ma mère était aussi la meilleure, c'était comme si elle avait préparé le terrain.

- Je comprends maintenant pourquoi il rigolait avec toi ! argua Billie auprès d'Isaiah. Est-ce que vous vous faites des bisous, vous aussi ?

- Jamais devant les petites filles qui n'aiment pas ça.

Elle souffla de soulagement alors qu'elle s'éloignait de moi. Je lui fis signe de se rasseoir, j'avais encore une dernière chose à lui dire. « Parfois les adultes ne comprennent pas comme les enfants alors il faut leur expliquer d'une autre manière alors tu ne dois rien dire à personne. Je vais le dire moi-même à Joan et Chris. Tu pourras m'aider ? ». Elle accepta évidemment sans une once d'hésitation.

- Et Gary il sait ?

« Non. Tu es la seule à le savoir et ce n'est pas ton rôle de le dire aux autres, d'accord ? »

- D'accord mais pourquoi c'est un secret ?

- Comme Leander l'a dit, reprit Isaiah à ma place, il arrive que des adultes ne comprennent pas et se mettent en colère ou deviennent triste. Alors on fait toujours attention à qui on le dit parce qu'on ne veut pas faire du mal ou on veut pas qu'ils nous fassent du mal.

Elle considéra cette idée pendant de longues secondes qui me parurent des minutes puis demanda si elle pouvait enfin lui faire lire ses histoires. Je l'y autorisai et me tournai vers Isaiah dès qu'elle eût le dos tourné. Ça s'était bien passé, très bien même. Je me sentais à peu près bien car ce n'était pas la personne que je redoutais le plus d'affronter. Que diraient les autres ? J'espérais ne pas les décevoir.

- Respire, plaisanta Is'.

J'expirai le souffle que j'avais bloqué dans mes poumons et forçai un sourire. Lui m'en offrit un véritable qui eût le don de me calmer. Le bisou contre ma mâchoire aussi.

- Tu te débrouilles super bien.

***

Je m'en étais persuadé jusqu'à ce que je me retrouve devant mon oncle et ma tante après le dîner. Je venais de raccompagner Isaiah à la porte où sa grand-mère l'attendait et j'étais prêt à leur parler. Je devais le faire ce soir car je risquais de me dégonfler si j'attendais trop. Puis leur rencontre du deuxième concerné me permettait d'amorcer le sujet. Je n'étais pas qu'homosexuel, j'étais amoureux et c'était ce qui comptait dans le fond.

- Billie, tu devrais déjà être dans ta chambre ou en train de te brosser les dents ! avertit mon oncle.

- Non, je veux rester encore un peu avec Leander.

Elle sourit innocemment digne d'une grande comédienne et vint s'asseoir sur mes genoux quand j'eus pris place devant Joan et Chris. Leur dire c'était pouvoir vivre pleinement, c'était me sentir moi-même au sein de cette maison. Leur dire c'était leur prouver ma confiance, c'était véritablement briser le secret que je ne partageais qu'avec ma mère. Même si je l'avais déjà fait savoir à Ayden et Billie, j'avais encore le sentiment de le porter comme un poids lourd dans mon cœur. Les deux adultes devant moi étaient en quelque sorte mes parents de substitution, ceux sur lesquels je devrais compter tant qu'ils seraient là pour moi. Alors leur dire, c'était comme un rappel douloureux. C'était un coming-out que je n'aurais jamais l'occasion de faire à mon père. A propos d'un garçon que je ne pourrai pas leur présenter. Les personnes auxquelles je souhaitais réellement m'adresser n'étaient plus là. Et j'étais condamné à vivre ce manque à chaque grande étape de ma vie.

Mes sanglots me prirent de court, coupant l'air dans mes poumons. J'étais misérable à me mettre dans un tel état chaque fois que je pensais à leur absence mais c'était plus fort que moi, cette souffrance psychique qui devenait physique.

- Lean, qu'est-ce qu'il se passe ? se précipita Joan.

Je pris de grandes respirations pour chasser mes spasmes et la main dans ma poche, je chiffonnai le mot tout préparé. Je voulais leur dire face à face, sur le moment même. Je voulais le dire en les regardant dans les yeux pour qu'ils perçoivent ce que ça représentait pour moi. J'essuyai mes larmes puis signai : « Je suis gay », sans détour, juste trois mots qui détenaient pourtant mon existence. J'épelai le dernier mot car ma tante ne connaissait pas le signe. Quand elle le comprit, Joan joignit sa main et sa bouche exactement comme l'avait fait ma petite sœur tandis que Chris me contemplait, perdu. Il n'était pas aussi avancé en langue des signes alors j'imaginais qu'il n'avait rien compris.

- Je crois que je vais avoir besoin d'un traducteur, plaisanta-t-il sans le moindre sourire.

- Leander aime les garçons, craqua Billie. Mais c'est pas grave hein ? Vous allez pas être en colère ?

Alerté par sa voix tremblante, je baissai les yeux et m'aperçus qu'elle pleurait aussi. Peut-être que ça avait été une mauvaise idée de lui confier ça en première, encore plus de lui demander d'être là. C'était une vraie éponge à sentiments, elle ressentait tout.

- Ma chérie, on a aucune raison de se mettre en colère, assura notre tante. Tu veux bien nous laisser seuls ? On monte te voir après.

Elle acquiesça et me serra de toutes ses forces de ses bras frêles. Je déposai un baiser contre sa tempe, la remerciant mille et une fois, puis la regardai partir principalement parce que je ne voulais pas croiser le regard de Joan ou Chris.

- Leander, écoute-moi bien, commença ce dernier. Si jamais l'un de nos comportements t'a fait penser qu'on te rejetterait, j'en suis terriblement désolé mais ce n'est pas le cas. On a pu être déçus, énervés ou peinés par tes actions mais on ne le sera jamais par ce que tu es. On ne te remettra jamais en cause parce qu'on t'aime.

- Et c'est très courageux de ta part de nous le dire malgré toutes les craintes qui devaient t'en dissuader, compléta ma tante. On t'aime, inconditionnellement.

Je sortis un papier pour continuer à l'écrit, mes mains tremblaient trop pour signer correctement. Je m'ouvris davantage : « Je suis désolé de ne pas vous l'avoir dit avant, j'imagine que j'attendais d'avoir trouvé la personne qui me donnerait envie de crier mon amour au monde. Et je sais pas si je suis homo ou bisexuel, je crois que je m'en fiche. En fait je voulais juste vous faire savoir que je sors avec un garçon pour ne pas avoir à me cacher ».

- Je suis content que tu l'ais fait, on ne voudrait pas que tu sentes la nécessité de te cacher dans ta propre maison, précisa mon oncle. Et ça ne change absolument rien, tu le sais.

- Sauf, les portes des pièces qui restent ouvertes ! remarqua Joan.

Il approuva d'un vif hochement de tête. J'espérais ne pas rougir ou j'étais foutu. Je cachai mon visage en écrivant un nouveau message : « Vous ne me demandez pas qui c'est ? ». Mon oncle ricana :

- Tu te moques de nous ? Ça ne peut être que le métis à la gueule d'ange. Isaiah ?

Je confirmai attendant leur réaction mais rien ne vint. Je devais encore leur apporter une précision :  « Vous êtes les seuls au courant avec Billie, je ne l'ai pas encore dit à Garrett ».

- Tu as peur de le faire, supposa Joan. Tu le feras quand tu te sens prêt, en attendant nous ne disons rien.

Merci, signai-je, merci pour tout. Et je vous aime aussi ! Ils se levèrent d'un même élan et me tendirent leur bras dans lesquels j'allais me blottir sans rechigner.  Ce n'était peut-être pas cool mais un instant je fermai les yeux et m'imaginai être auprès de mes parents. J'étais libéré de ce poids.

***

Je m'apprêtai à envoyer un message à Ayden quand deux coups retentirent à la porte. L'obscurité de la chambre fut coupée par un fort rayon de clarté. Joan avait apparemment fini de coucher Billie car elle se trouvait à la porte de ma chambre.

- Je peux te tenir un peu compagnie ?

Je levai la main pour lui faire signe de venir et me redressai légèrement. Elle prit place à mes côtés sans pour autant prendre soin d'allumer la lumière.

- Tu peux te rallonger, c'est à mon tour de te parler un peu maintenant, affirma-t-elle en tapotant les coussins.

Elle m'entoura d'un bras et plongea sa main libre dans mes cheveux m'apaisant aussitôt. Ça faisait longtemps que je n'avais pas reçu une telle tendresse maternelle ; moi qui en avait eu besoin à des moments précis.

- Quand j'ai eu Simon, j'ai pensé que je ne pourrai pas aimer un enfant autant que lui. Et ta mère m'avait dit « Attends de voir ce que ça fait d'être tante » et je lui avais répondu que c'était à elle d'attendre ce que ça faisait d'être mère. Garrett est venu au monde et nous avons découvert toutes les deux les sentiments de l'une et de l'autre. Je l'ai aimé autant que Simon, puis Billie et toi êtes venus et j'ai ouvert mon coeur encore plus grand. Je vous ai donné tout l'amour que j'avais et je continue de vous le donner encore aujourd'hui.

Je fermai les yeux, me laissait bercer par sa voix.

-  Je ne pourrai jamais prétendre vous aimer plus qu'elle ne le faisait mais je le fais de tout mon coeur et j'espère que c'est suffisant. Suffisant pour te faire sentir que tu peux me trouver à n'importe quel moment pour me dire ce que tu as sur le coeur, comme tu l'as fait ce soir. Et que tu peux être toi-même, je te soutiendrai toujours.

Je plongeai ma tête dans mon oreiller alors qu'une vague de chaleur m'envahit. Les larmes me picotèrent d'abord les yeux avant de devaler mes joues. Je voulais cacher cet énième moment de faiblesse mais mes reniflements me trahirent sans doute. Joan continua de me caresser les cheveux.

- Je sais que tu en as beaucoup porté sur les épaules depuis deux ans, convint-elle d'une voix presque murmurée. Que t'as pu avoir l'impression de couler dans ta propre vie mais j'ai vu le parcours que tu as traversé et je vois celui qui se dresse devant toi. Je pense que rien ne peut t'arrêter, Leander sauf toi-même. Et tu as eu tendance à te mettre des bâtons dans les roues ces dernières temps, je ne sais pas vraiment pourquoi. Mais ne tire pas autant sur ta propre corde...

La fatigue venait de plus en plus remplacer l'émotion comme si mon corps m'autorisait enfin à se mettre sur off. La présence de Joan n'y était pas pour rien, je sentais que m'endormir à ses côtés ça ne risquait rien. J'étais avec elle et tout allait bien.

- Prends ton temps, découvre-toi, essaye de t'amuser, aime autant que tu es aimé. Je sais que ça peut être difficile de se dire à soi-même : je mérite d'être heureux.  Mais c'est tout ce qui compte, alors autorise-toi à vivre.

***

Quand j'ouvris les yeux, je m'attendis à retrouver la chambre sombre mais la lumière matinale s'infltrait déjà à travers les rideaux. Je me redressai remarquant que ce réveil était différent des précédents. Ma tête n'était pas lourde ou sur le point d'exploser, mon corps était moins engourdi. Je me penchai soudainement, attrapai le carnet sous mon lit et ajoutai quelques mots dans ma lettre à moi-même.

Quand je quittai mon lit, je vis quelque chose qui n'y était pas hier ou du moins que je n'avais pas vu puisque j'étais resté dans le noir toute la soirée. Mon ardoise était posée en équilibre contre mon bureau et y étaient inscrits les mots « Je t'aime ». Isaiah.

Je suis que j'avais fait le bon choix en le disant à ma famille car il était bien la personne que j'envisageais d'aimer autant que je le pouvais.

____________________________

Bon.. Vous allez me dire tant de temps pour ça ? Si vous attendiez des informations croustillantes, désolée il faudra encore patienter ahah. Pour ma défense j'ai été prise par les cours et kidnappée par le syndrome de la page blanche.

En tout cas je dois dire que je suis satisfaite de ce chapitre, je vous montre un Leander différent. Peut-être un peu plus ressemblant à celui d'OTW, en tour cas un Leander de 16 ans qui vit ses premiers émois. C'était important d'écrire ce chapitre pour montrer à quel point sa dépression et ses troubles l'empêchent de vivre une pleine jeunesse & à quel point il essaye quand même d'y goûter.

Et le ou les coming-out étaient difficiles à écrire, ce n'est pas un modèle type des choses à dire ou non hein. J'ai juste essayé d'être la plus juste possible et de donner aux personnages des réponses qui leur correspondent.  Bref en cette #PrideMonth , soyez fier.es de qui vous êtes, personne ne pourra vous l'enlever ! Vous êtes tous.tes  beaux.lles, courageux.ses et vous méritez tous.tes d'être heureux.ses 🏳️‍🌈

AH OUI, avant de partir : ça tenterait qui de lire la lettre que Leander s'est écrite à soi-même ?

Byeeeeeeee

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