32 - Flame


- Sergent Blondie ? s'écria Isaiah.

Il se tourna tout de suite vers moi poussant la porte afin qu'elle dévoile un visage que nous n'avions pas vu depuis longtemps. Celui sévère et impassible de notre ancien coordinateur. Celui que j'aurais préféré ne pas revoir avant certain temps. Il n'était certes pas le coupable de nos malheurs mais je ne pouvais m'empêcher de l'assimiler à cela. Peut-être que c'était seulement mon inconscient qui me poussait à ne pas le croire entièrement blanc. Je ne savais pas ce qu'il était venu chercher, ni même s'il avait réellement le droit d'être là.

Chaque visiteur devait être autorisé par Isaiah au préalable. Je fixai celui-ci avec incrédulité. La dernière fois que nous en avions parlé, il hésitait encore beaucoup. Mais ça remontait bien à presque deux semaines alors c'était sans doute normal que son avis ait changé. Seulement, je n'avais jamais imaginé être là lorsque le Sergent Blondie viendrait. La poisse me collait aux basques.

- Je vous ai déjà dit de m'appeler par mon prénom, sales gosses ! maugréa le concerné. Hollington, c'est marrant je ne m'attendais pas à te trouver là. Je pensais que votre... truc, c'était en attendant. Ah les gamins de nos jours !

- Pourquoi vous vouliez prendre contact avec moi ? attaqua le métis pendant que je venais me poster à sa gauche.

Le tas de muscles devant nous jeta étrangement un coup d'œil dans le couloir avant de s'avancer dans la pièce et de fermer la porte. Sans réfléchir je tirai Isaiah vers moi et avançai légèrement, prêt à encaisser à sa place. Pourtant je ne reçus qu'un éclat de rire de la part du Sergent Blondie.

- Détendez-vous, je suis là pour vous. Non contre vous, avança-t-il.

On le regarda remonter ses lunettes de soleil sur ses cheveux blonds puis inspecter la pièce avant de finalement prendre place sur la seule chaise libre. Il la ramena près du lit, où il nous indiqua d'ailleurs de nous asseoir d'un signe stricte. Un regard partagé avec Isaiah suffit à me convaincre d'obéir. Il était là pour discuter, on pouvait au moins l'écouter et voir ce que l'on avait à en tirer.

- Pourquoi ne pas aller dehors ? tenta mon ami qui se posait tout de même sur le matelas.

- Est-ce que tu as conscience d'être traqué par tous les journalistes de la région ?! Ils se font un pognon monstrueux sur des photos de toi, dans le jardin soit disant sécurisé de ce centre. Tous les noms qui demandent à être tes visiteurs, ce ne sont pas de simples admirateurs. Désolé de briser tes rêves.

- C'est vous qui ne voulez pas être vu, en fait. Est-ce que vous avez le droit d'être ici ?

- Eh le génie si tu me laisser expliquer, tu poserais moins de questions. Puis arrête de me vouvoyer, c'est ridicule.

- Désolé, on m'a appris à respecter les vieilles personnes ! riposta Isaiah avec un sourire enfantin.

- Qui ? Ta droguée de mère ou le tortionnaire qui te sert de père ?

Il eût l'air plus blessé qu'énervé par la remarque pourtant il voulut sauter sur Jeff. Je le retins à temps avec plus ou moins de facilité et l'obligeai à rester à mes côtés, la main fermement serrée sur son avant-bras. Il essayait de contenir ses envies de violence alors que les ricanements du Sergent Blondie ne faisaient que le provoquer davantage. Je ne voulais pas qu'il cède à cela, d'abord parce qu'il n'était pas en pleine forme et ensuite parce que ce n'était pas le moment pour nous faire un nouvel ennemi. On prenait ce qu'il avait à nous donner et l'on en restait là.

D'un regard insistant mais efficace, je m'assurai qu'Isaiah ne tente plus rien pour enfin le lâcher. J'attrapai le carnet sur lequel je marquai « On en revient au sujet principal. Pourquoi tu voulais voir Isaiah ? » et le lançai à mon destinataire. Il me regarda un long moment avec une expression singulière... Peut-être repensait-il à la fois où j'avais refusé de lui écrire sur un carnet et en concluait que je mettais bien foutu de sa gueule. Si c'était le cas, ça me faisait bien plaisir. Il mit fin à sa réflexion par un nouveau lancer de carnet.

- Vous faites bien la paire tous les deux, grogna-t-il. Je suis venu pour vous aider. Après enquête, j'ai été innocenté d'une bonne partie des accusations concernant Burket Rivers. J'ai donc officiellement le droit d'être en contact avec vous et vos camarades.

- Pourquoi t'as peur d'être vu alors ?

Isaiah ne pouvait retenir ses mots mais je ne le blâmai pas car il disait tout haut les questions qui me traversaient. Au moins, nous étions certains d'avoir des réponses. Il n'y avait que Jeff que ça agaçait puisqu'il interprétait le fait d'être coupé comme du manque de respect. Peut-être aussi le fait d'être subitement tutoyé.

- Parce que personne ne doit se douter que c'est moi qui vous ai dit tout ça.

- Tout ça ? reprit mon ami soudainement intéressé.

- Burket Rivers n'est que la première étape.

Première étape ? C'était quoi cette histoire ? Je me tournai immédiatement en direction d'Isaiah. Une surprise similaire à la mienne se laissait sur son visage. Il buta sur ses mots avant de se reprendre correctement :

- Il y a des étapes ? Supposons... Il y en a combien ?

- De ce que je sais, deux ! affirma Sergent Blondie qui nous semblait plus honnête que jamais. Perrin est en contact avec le directeur d'un centre sécurisé, également situé près de Portland. Il y envoie soi-disant les jeunes trop incontrôlables mais en vérité ce sont ceux sur qui la drogue fait effet.

- Quel intérêt de les envoyer là-bas ?

J'étais content de voir qu'Isaiah posait les questions qui me venaient aussi à l'esprit. Nous cherchions à comprendre mais au fond savoir si il ne nous disait pas de totales conneries. L'idée ne me paraissait pas folle car Perrin avait l'air déterminé dans ce projet. Pour lui, ça dépassait bien plus que l'intérêt financier, j'avais cru comprendre qu'il était persuadé pouvoir guérir la faille criminelle chez les délinquants avec une sorte de lavage de cerveau et de conditionnement.

- Les visites sont interdites pendant deux, voire trois mois. Ça leur offre un libre contrôle sur eux.

- Pourquoi les parents acceptent ?

- Le centre a une plutôt bonne réputation, les résultats positifs sont vantés. Ça s'appelle le Mont Scot, tu vérifieras par toi-même, inspecteur !

- Et ton intérêt à toi ? enchaîna mon ami sans attendre.

Le Sergent Blondie eût l'air vexé qu'on le mêle à ça car il perdit patience, s'armant de sa grosse voix. Et de sa posture impressionnante aussi. Ça ne parut pas impressionné Isaiah qui garda son air ferme.

- Je n'ai rien à voir avec ça, c'est seulement les infos que j'ai récoltées après des années de travail à Burket.

- Ce que je veux savoir, c'est pourquoi tu viens nous le dire ? Pourquoi tu fais ça pour nous alors que t'as passé le plus clair de ton temps a fracasser Leander ?

- J'ai toujours été de votre côté, nous assura-t-il. Il prévoyait de t'utiliser Hollington avant même que tu sois arrivé mais je sais bien comment ça fonctionne. Tant que tu restais amoché, tes proches s'inquiétaient, demandaient de tes nouvelles ou venaient te voir ; c'est toujours comme ça. Et tant que tu étais bien entouré, ils ne pouvaient pas t'emmener.

Il y eût un court silence pendant lequel on prit le temps de remettre en cause ses mots. Ça pouvait paraître sympathique, carrément héroïque, mais je me souvenais avec précision de la haine qu'il avait à mon égard. Elle ne s'était calmée qu'à partir du moment où il m'avait aidé à courir puis quand j'étais sorti de l'aile Z. Néanmoins elle avait existé et elle n'était pas jouée. Je griffonai sur le carnet : Tu me détestais avant même de me connaître, tu m'as pété des doigts. C'était pas pour eux ça. Alors je vois pas pourquoi tu nous aides aujourd'hui !

Il souffla en lisant mes mots puis laissa le carnet tomber par terre.

- Vous n'êtes pas obligés de me croire, je vous donne uniquement une information cruciale que Isaiah pourrait balancer à son témoignage. C'est ni pour moi, ni pour vous que je le fais, c'est pour le principe. J'ai jamais supporté tout ça !

- Tu n'as rien dit non plus, tu le savais depuis des années ! Tu l'as dit toi-même, attaqua Isaiah.

Jeff se leva brutalement de sa chaise pour déambuler dans le peu d'espace qu'il avait tandis que nous nous étions instinctivement rapprochés, Isaiah et moi.

- Dénoncer était impossible, je n'ai jamais eu de preuves concrètes. Et je refusais de partir en fermant les yeux sur ça, je voulais être là quand Perrin verrait son projet se retourner contre lui.

- Pourquoi t'es pas venu nous le dire plus tôt ?

Le sourire sauvage de M. Muscles devant nous ne présagea rien de bon. Il me pointa alors du doigt avant même de prendre la parole

- J'ai essayé d'être en contact avec Hollington, je suis même allé chez lui mais il s'entraînait avec son nouveau copain.

Il était venu chez moi ? Ma tante ne m'avait rien dit, elle qui pensait à tout. Je vis Isaiah froncer les sourcils puis se réduire au silence puisqu'il manquait alors de questions. Jeff eût l'air satisfait car il posait déjà la main sur la poignée de porte. C'était tout ? Il lâchait sa bombe et comptait repartir les mains dans les poches ?

- Attends ! s'affola Isaiah. Redis nous le nom du centre que je le note.

Il dicta les mots à mon ami qui ne perdit pas de temps pour ramasser le carnet et écrire dessus.

- S'ils me demandent comment je sais tout ça ?

- Tu y étais depuis longtemps, et t'étais son fils alors Perrin ne s'inquiètait pas de savoir ce que tu entendais ou non.

- Ouais mais lui saura que c'est faux.

- Te soucies pas de ton paternel, il n'est pas sur le point de sortir de taule. Dans tous les cas, vous ne devez pas me mêler à ça, j'ai prétendu que je n'étais pas au courant de tout.

On acquiesça alors qu'il se tournait vers nous une dernière fois. Son intervention était vraiment étrange. J'espérais qu'Isaiah allait bien se renseigner sur le sujet avant de balancer ça aux inspecteurs. De toute manière, il n'avait encore déposé aucune plainte, ni parlé à aucun policier ou avocat et il ne pouvait le faire tant que sa santé n'était pas stable. Ça lui laissait donc un certain temps.

- Au fait, je ne t'ai pas encore accepté comme visiteur, remarqua Isaiah. Tu as fait comment pour entrer et me trouver ?

- Il me reste quelques notions de drague du lycée.

Le rire de mon ami finit par emporter le mien. Sa phrase était d'un ridicule mais en même temps était plutôt amusante si on en percevait l'ironie. Il s'y était pris autrement et ne comptait pas nous le dire. Je ne savais pas quoi penser de l'attitude de Jeff à cet instant ou en général. Mais maintenant que nous étions sortis d'affaire je ne voyais pas les raisons pour lesquelles il pourrait nous transmettre des fausses pistes ?

En tout cas, on le regarda quitter la pièce bien plus éveillés qu'on ne l'était quelques minutes avant. Cette histoire continuait de subir des rebondissements, je me demandais bien quand cela allait prendre réellement fin.

***






« Je dois y aller », ça devait bien faire dix minutes que j'avais écrit ce mot sans parvenir à me détacher d'Isaiah. La visite du Sergent Blondie nous avait gâché notre moment à deux et la fatigue le rendait plus câlin. Je savais que c'était surtout parce qu'il ne voulait pas se retrouver seul à nouveau, seul pour affronter la bataille. J'étais un peu rassuré de savoir que sa grand-mère le rejoignait une heure plus tard mais ça ne me suffisait pas pour le lâcher. Je n'étais jamais sûr de ma prochaine visite et plus je le voyais, plus ça devenait dur d'être loin de lui ne serait-ce qu'une seule journée.

C'était idiot et extrêmement égoïste car j'avais soif du bien-être dans lequel il me plongeait par sa simple présence. Quand je n'étais pas avec lui, il était dans mes pensées ; ça me donnait la terrible impression d'être déchiré en deux. Une douleur supplémentaire à ce que je vivais déjà. Et j'étais parfaitement calé sur le sujet pour savoir que ce sentiment-là était le manque. La sensation de vivre un abandon. C'était mauvais de tenir à une personne de cette manière, surtout à mon âge mais je ne savais pas ressentir autrement. Des pensées noires tournaient en boucle dans mon esprit puis me persuadaient que si mes parents m'avaient quittés alors tout le monde le pouvait. Rien n'était acquis donc je vivais dans la peur constante de perdre mes proches. C'était ce sentiment que j'avais essayé de chasser en m'éloignant de tout le monde.

Alors tomber amoureux n'était peut-être pas la meilleure idée du siècle. Mais j'étais arrivé à un stade où faire machine arrière n'était plus possible.

- Ton portable n'arrête pas de vibrer, tu es attendu ? quémanda Isaiah.

Je me reculai afin qu'il me voit acquiescer. Il eût l'air plus préoccupé que nécessaire alors que j'attrapai ma veste et l'embrassai une dernière fois. Mauvaise idée. Mon cœur rata un battement. Je m'accrochai à l'épaule d'Isaiah, incapable de ne pas poser mes mains sur lui. Il fut également emporté par ses émotions car il me fit pivoter et me plaqua contre le mur de la chambre. J'adorais sentir ses lèvres contre les miennes, ça me foutait des frissons continuels. Alors quand nos langues se retrouvèrent, ce fut digne d'une décharge électrique. Avec plus de temps et une grande dose de courage, j'aurais tenté d'aller plus loin pour en avoir plus. Découvrir jusqu'où ces sensations pouvaient aller, être pleinement heureux.

Mais je n'étais qu'un ado qui se mettait des barrières et un ado qui allait se faire tuer par son grand-frère à cause de son retard. Je repoussai Isaiah ce qui lui arracha un rire gêné. Je vis qu'il n'était pas si détendu, quelque chose le tracassait. Je ne pouvais définitivement pas partir sur cette situation. Un léger coup de coude me permit à l'encourager à me parler.

- L'ami avec qui tu t'entraînes c'est Ayden, c'est ça ?

Je fronçai les sourcils mais répondis quand même à sa question.

- Tu passes quand même beaucoup de temps avec lui. Et tu es assez à l'aise avec lui pour lui avoir confié ton homosexualité. C'est lui qui t'attend ?

Je pouffai de rire devant un tel raisonnement. Il avait retenu les paroles du Sergent Blondie et les interprétait maintenant comme il le voulait. Mon amusement s'estompa rapidement, je savais que la jalousie faisait naître des idées insensées. Je m'empressai de le rassurer en lui écrivant un message sur mon portable : « C'est mon frère qui m'attend et crois-moi, tu ne veux pas qu'il vienne me chercher ici ». Isaiah retrouva son petit sourire en coin ce qui me redonna aussi le mien. « L'amour rend jaloux, parait-il... » continuai-je, moqueur.

- Me fais pas chier, râla-t-il en gardant son sourire.

J'attrapai son poignet pour y déposer un baiser à l'intérieur, tout juste contre ses veines saillantes. Je m'éloignai définitivement, prévins Garrett que j'arrivais dans quelques minutes puis rédigeai un nouveau message pour Is' : « Au fait, je n'ai jamais dit que j'étais homo ». Les sourcils levés de surprise, il se laissa embrasser et je quittai la pièce.

Dans le couloir, je continuai de sourire bien que mes paroles n'étaient pas totalement dans le but de l'embêter. Elles étaient vraies. Mes pauvres seize années d'existence ne me permettaient pas de savoir ce qui me plaisait exactement et je n'étais pas fermé à l'idée de tomber amoureux d'une personne tout sexe ou genre confondu. J'étais plutôt sûr de m'en foutre. Ou peut-être que je me persuadais de cela pour ne pas avoir à en parler à ma famille ? J'imaginais parfaitement la gueule de Garrett si je le lui disais.

Ce n'était pas prêt d'arriver de toute façon. Surtout pas avec la tronche qu'il tirait quand je le rejoignis dans sa voiture. En colère, il démarra dès que je fermai ma portière. Je ne pouvais même pas lui signer puisqu'il ne me regardait pas alors je me contentai d'attacher sagement ma ceinture.

- Tu sais très bien qu'au-delà de quinze minutes de retard, ils font attendre les enfants dehors et Billie déteste ça. C'est toi qui la réconfortera, je te préviens ! me réprimanda-t-il.

Mon hochement de tête fût aussi efficace qu'un Oui, chef ! Il répondit par le même geste puis continua sur un ton de voix différent :

- En parlant de Billie, j'ai pensé que l'on pourrait se faire une journée tous les trois, Samedi. Après je dois finaliser tous mes projets et je ne pense pas être disponible pendant plusieurs semaines. Ca te dirait ?

J'approuvai avec engouement. Nous n'avions pas fait de sorties ensemble depuis longtemps maintenant alors même si j'avais encore du mal à m'ouvrir avec eux, j'étais persuadé que c'était ce qu'il nous fallait. Notre petite sœur allait être folle de joie.

- Evidemment, on lui fera une surprise le jour même sinon elle ne va pas dormir pendant deux jours ! ajouta mon frère comme s'il avait lu dans mes pensées.

Il continua de parler, listant les activités que l'on pourrait éventuellement faire mais je ne l'écoutais que d'une oreille distraite. Je venais de recevoir un message de la part d'Isaiah, qui s'était empressé d'aller sur un ordinateur. On allait apparemment se la jouer comme des vieux, à travers des mails, jusqu'à ce qu'il ait son portable. Tant que j'avais de ses nouvelles, ça m'allait. Il commençait déjà à me faire sourire comme un con : « J'ai mon bilan de santé Lundi, je demanderai pour la sortie. Tu crois que tu seras capable de quitter la présence d'Ayden pendant quelques heures, pour les passer avec moi ?  ».

Je vis que Garrett me jeta un coup d'œil curieux alors je cachai mon sourire d'une main et me tournai de sorte qu'il ne puisse pas voir mon écran. Je répondis aussitôt : « Je suis pas sûr. Il est plutôt de bonne compagnie, du genre il ne s'endort pas pendant que je lui parle ! ». Ma propre blague suffisait à m'amuser, j'étais complètement foutu. Autant que Garrett l'était avec sa copine alors peut-être que je n'avais plus tellement le droit de me moquer de lui.

- Qu'est-ce qui te fait sourire comme ça ? remarqua-t-il évidemment. Ça fait un moment que je t'ai pas vu comme ça. C'est Nora ?

Je secouai la tête, le regrettant sur le champ. Mentir m'aurait évité de devoir approfondir le sujet.

- C'est Ash ?

Surpris par son raisonnement direct, je fronçai les sourcils mais me reprit la seconde d'après. Mon frère se contenta de mon acquiescement et comme je baissai les yeux sur mon portable, il ne poussa pas la conversation plus loin. « Faut dire que t'es pas très bruyant. » m'avait répondu Isaiah et ça me fit glousser. Je me décidai à lui écrire : « Tu devrais arrêter de me parler, tu risques de tomber vraiment amoureux de moi. Déjà, que - pour reprendre tes mots - je suis beau et j'embrasse bien alors ça ne tient plus à rien. ». Le sourire aux lèvres, j'envoyai puis me concentrai sur le paysage qui défilait pour ne pas m'attarder sur mon impatience.

Juste au moment où je m'acharnai à trouver une chaîne de radio réellement musicale, mon portable me rappela à l'ordre. J'abandonnai alors mes recherches pour ouvrir le message d'Isaiah qui me fit plus d'effets qu'escompté : « Et si c'était le cas ? ». Le sentiment qui me submergeait était indescriptible, il était presque paralysant. Je ne savais plus quoi penser, ni même quoi dire en retour. Heureusement, il me déchargea de cette tâche avec un autre message à la suite : « Je dois y aller, merci d'être encore venu me voir et de m'avoir soutenu aujourd'hui ». Je me remettais encore de mes émotions quand l'éclat de rire de Garrett me fit légèrement sursauter.

- OK, je ne crois pas que ce soit ton pote qui te fasse autant rougir ! rétorqua-t-il. Tu ne veux pas me dire à qui tu parles ?

Je secouai la tête, honnête. Il l'accepta sans toutefois se détacher de son air moqueur, il n'était prêt d'oublier ça. Pour le moment, il le mit du côté d'autant plus que l'on arrivait finalement devant l'école primaire avec plus énormément de retard. On s'attendait à voir Billie en pleurs en se garant mais on l'aperçut souriante, aux cotés d'Ayden et de sa petite sœur, Juliet. Il nous tournait le dos tandis que les petites étaient assises sur les marches de l'école mais je n'avais pas eu du mal à le reconnaître avec sa béquille. Je ne déconnais pas quand je disais que les Gallagher existaient pour nous sauver la vie.

Mon frère descendit alors que je préférais rester dans la voiture. La vitre ouverte me permettait de combler ma curiosité de loin. Billie, plus grande drama queen de son âge, agit comme si elle n'avait pas vu Garrett depuis années alors que ça ne faisait que quelques jours ; elle sauta dans ses bras avec une force surprenante. Dans sa joie, elle n'oublia pourtant pas de le sermonner :

- T'es en retard ! Tu m'as oublié ou quoi ?

- Ce n'est pas le bon frère que tu engueules, tu verras ça avec Lean ! se défendit-il.

Il accompagna sa parole d'un geste vers moi, ce qui amena tous les regards sur moi. Juliet me salua avec un cri surprenant et son grand frère me fit un vague mouvement de la main. Billie, elle, leva son poing fermé en l'air comme une menace silencieuse et j'éclatai de rire.

- Et tu sais, reprit-elle à l'égard de Garrett, Juliet m'a invité à dormir chez elle samedi soir. C'est d'accord, hein ?

Je n'écoutais plus, occupé à observer Ayden et son air un peu fatigué. La petite grimace aux coins de sa bouche trahissait sa difficulté à rester debout, une position que l'on avait prolongé à cause de notre retard. J'avais bien envie de leur proposer qu'on les raccompagne puisque c'était sur notre chemin mais je n'osais pas me lancer. Ça allait être trop bizarre.

- Merci d'être resté avec elle, c'est vraiment sympa, le remerciait justement Garrett.

- Encore un peu et je la ramenai chez moi !

Ils rigolèrent tous et je souris comme un con dans mon coin. Du moins, jusqu'à ce que son regard se pose sur moi, je détournai tout de suite les yeux. Je fis semblant d'être plongé dans mon portable alors que mes oreilles étaient toute ouïe.

- A ce propos, je vous raccompagne ?

Nous n'étions peut-être pas complètement opposés, mon frère et moi. Il nous arrivait de partager certaines idées, avant tout cette manie de faire passer les autres avant nous-mêmes. Néanmoins, Ayden était pareil d'une certaine manière alors ça ne m'étonna pas de l'entendre décliner. La conversation prit alors fin et ils prirent la route du retour pendant que Garrett et Billie regagnaient la voiture. Celle-ci nous assénait déjà de ses histoires "dingues" d'écolière que nous prenions singulièrement plaisir à écouter. Quelques fois ça avait bon de se blinder la tête avec ces petites choses futiles, ça permettait d'alléger la vie.





***






- Alors, tu m'as évité à la dernière séance ? m'attaqua mon psychiatre dès que j'entrai dans la pièce.

Je me contentai de prendre place face à lui et de répondre par mon geste favori : le haussement d'épaule. Ça voulait tout et rien dire si bien que les gens ne savaient pas quoi surrenchérir. Cependant, Beckergam n'était pas comme tous les autres ; il rebondissait le moindre mot, la moindre attitude. Et j'avais la sensation qu'il n'était minutieux qu'avec moi car je ne lui donnais pas ce qu'il chérissait tant dans son métier : des paroles. J'étais ce mystérieux coffre fermé par de nombreuses chaînes qu'il rêvait de briser. Si avec Jenson j'étais restée sur la défensive, avec lui je réalisais que je baissais toujours un peu la garde. Comme si ça ne me dérangeait pas d'être un peu compris pour une fois.

- Je me doutais un peu. Tu avais peur d'être interrogé sur ton weekend ?

Je secouai la tête. Même si j'avais été un peu soulagé en recevant l'appel du centre, je ne m'étais pas posé la question de savoir si je devais plutôt aller à mon rendez-vous médical ou aller rendre visite à Isaiah. Je me penchai vers la table basse pour expliquer la vérité sur l'ardoise qui m'attendait gentiment.

- Rendre visite à un ami, reprit-il. Du camp de redressement ?

J'acquiescai.

- Vous avez vécu des choses difficiles, c'est normal de rester soudés. Ça ne te fait pas mal ? Ça ne te renvoie pas à des épisodes de souffrance ?

J'avais la terrible impression qu'il prêchait le faux pour savoir le vrai  sans toutefois imaginer le but qu'il voulait atteindre. Je secouais la tête.

- Sûrement parce que vous vous en êtes sortis. T'en penses quoi ?

Pas grand chose, marquai-je. Son sourire n'avait rien de sincère, il ne croyait pas à mon baratin. Après tout, il n'était pas le seul à être attentif ; je l'étais aussi dans un instinct de défense. Ça ne me plaisait pas d'être observé, décrypté ou critiqué. Mes mains se resserrèrent autour de l'ardoise et du marqueur avec la terrible envie de les sentir éclater sous mes doigts. Le stress me gagnait, je le sentais littéralement s'insinuer en moi.

- Ton ami Ash te renvoie à la période où tes parents étaient encore là et donc au crash d'avion. Et c'est étrange mais à la fin de notre dernière séance, j'ai vu une annonce dans les couloirs. Je suis certain que tu l'as vu, je me demande seulement ce que tu as ressenti.

Je comprenais. Mon oncle lui avait parlé, il lui avait raconté ce qu'il s'était passé Dimanche lorsque j'avais été incapable d'aller à la rencontre des victimes. Je ne lui en voulais pas, j'étais seulement au plus mal. Pris au piège. Tremblant, je parvins difficilement à écrire et brandir mon message : Qu'est-ce que Chris vous a dit ? C'était juste une crise d'angoisse, il s'inquiète pour rien.

- Leander, affirma-t-il plus ferme, est-ce que tu penses être le seul à traverser ça ? Est-ce que tu penses vivre quelque chose de tellement complexe que personne ne pourra jamais comprendre ? Ce que tu vis n'est pas anormal. Alors, de toi à moi tu penses vraiment que ce n'était qu'une crise d'angoisse ?

Je détournai les yeux, la gorge maintenant serrée. Je n'allais pas pouvoir rester ici longtemps. Je ne voulais pas parler de ça, je ne voulais pas m'y confronter.

- Je sais parfaitement ce que tu ressens, ce que tu vis dans ces moments-là. Tout est soudainement insupportable, les sons autour de toi, la lumière dans tes yeux, puis il fait trop chaud ou peut-être trop froid. Jusqu'à ce que ça s'arrête, tout, et que tu ne sois même plus au même endroit. Alors t'es dans cet avion, et tu revis le moment avec les mêmes émotions que la première fois. Parfois il se répète en boucles, parfois c'est des bribes d'instants que tu pensais insignifiants mais que tu n'as pourtant pas oublié. T'as rien oublié Leander, mais tu donnerais tout pour le faire. Pour ne pas rester accroché à ce souvenir horrible, à tel point que le passé et le présent tendent à se confondre. Je n'ai qu'une seule chose à te demander, tu n'es pas épuisé ?

Il avait vu juste toutefois je ne pouvais pas lui faire savoir, par peur de devoir m'ouvrir davantage. Cette fois, par pur réflexe seulement je lui offrais un nouveau mouvement d'épaules qu'il ne parût pas apprécier car il quitta sa place et se rapprocha. Je croisai aussitôt mes bras alors que mes yeux restaient fixés au sol.

- Non, ça ne me suffira pas. Je sais que tu n'es pas insensible à tout ça, au contraire je pense que tu ressens bien trop et que tu te tentes de contenir tout ça en toi. Pourquoi ? Pourquoi tu ne t'accordes pas ce repos ? Pourquoi tu t'infliges cette fatigue, cette souffrance ? Je ne te lâcherai jamais avec ces questions tant que je n'aurais pas obtenu des réponses de ta part.

Je décroisai mes bras pour joindre mes mains, serrant mes doigts les uns contre les autres. La douleur avait quelque chose de libérateur dans ce genre de moment, ça me permettait de ne pas laisser la colère ou la tristesse m'envahir. Ça me donnait ne serait-ce qu'un peu de contrôle sur moi-même à un moment où je n'en avais presque plus. C'était Beckergam qui tenait les cordes de la situation.

- Pourquoi tu n'as pas été capable d'aller à cette réunion ? Tu ne penses pas faire partie de ces survivants ? Ou n'acceptes-tu toujours pas d'avoir survécu ?

Je secouai la tête luttant contre mes propres larmes. Il touchait la vérité par toutes ces questions et ça me faisait terriblement peur. Je ne voulais pas la savoir. Du coin de l'œil, je le vis s'asseoir sur la table basse devant moi mais je plongeai mon visage dans mes mains pour ne plus le voir.

- Tu es bien plus qu'une victime, Leander, ajouta-t-il d'une voix contrôlée. Tu es un survivant. Tu n'as pas que subi, tu as aussi vécu cette catastrophe et tant que tu ne te l'avoueras pas entièrement à toi-même, tu ne le surmonteras pas. Et inconsciemment tu le sais, c'est cette culpabilité qui te ronge depuis ces deux années ; elle te donne l'impression de ne pas avoir le droit de vivre, elle t'empêche de construire des choses et de t'engager sur le long terme. Elle te laisse bloqué sur cet événement que tu ne comprends pas.

J'eus le sentiment d'être contraint à dire la vérité, peut-être était-ce surtout un besoin. Un besoin d'être compris par quelqu'un qui mettait enfin des mots exacts sur mon vécu. Je ne pouvais plus lutter contre Beckergam, il essayait de m'aider. Je hochai alors la tête tout en me redressant.

- Ce sont ce qu'on appelle des "flashbacks" parce que le cerveau te renvoie littéralement à un instant du passé. Tu n'es pas devenu fou, je m'inquiéterai plutôt si tu ne passais pas par ce traumatisme.

Pourquoi ça dure depuis deux ans ? Pourquoi ça me donne l'impression que ça ne s'arrêtera jamais ? écris-je tout à coup. Il fut content de me voir participer de nouveau, son sourire avait été léger mais je l'avais tout de même vu. C'était ce genre de petits détails qui me donnaient à penser que Beckergam faisait bien son métier et qu'il se présentait de plus en plus comme quelqu'un de confiance. Je m'en persuadais à chaque fois sans toutefois réussir à me confier, j'espérais y parvenir un jour.

- J'ai cru comprendre que tu n'avais pas été bien accompagné, par tes anciens psychologues. Tu es resté enfermé dans cet état d'esprit et quelque part tu as dû penser le mériter. Je me trompe ?

Je déclinai. Il ne se trompait jamais en fait, sans doute était-il plus devin que psychiatre. Je me laissai tomber contre le dossier du canapé tandis qu'un soupir vidait les résidus d'anxiété de mon corps. Je me mettais toujours dans des états de panique incroyables pour finalement pas grand chose. Voyant que je n'avais plus besoin d'être rassuré, il s'éloigna afin de retrouver le canapé qui était son trône, là où il détenait tout le pouvoir.

- Tu vas devoir m'en parler, je suis là pour ça, m'annonça-t-il. Tu pourrais commencer par m'écrire toutes les choses pour lesquelles tu te sens coupable et nous les aborderons petit à petit.

Je levai les sourcils. Il y avait tellement de choses, de micro regrets qui me bouffaient l'esprit, je n'étais pas certain de pouvoir tout mettre à plat. Étonnement, il se mit à rire :

- Quoi ? La liste est longue, c'est ça ? J'espère que tu n'as pas de crimes à m'avouer.

Je levai les yeux au ciel bien qu'amusé par sa remarque. Néanmoins la plaisanterie s'estompa, remplacée par la boule revenue se loger au creux de ma gorge. C'était difficile de devoir commencer tant mes raisons me sentir coupable, et surtout honteux, étaient nombreuses. Avoir obligé mes parents de changer d'avion. Avoir brisé la vie de Garrett et Billie. Continuer de le faire par mes conneries et ma tristesse constante. Avoir blessé Ayden et son ami, Harry. Avoir fait du mal à leurs proches. Avoir déçu les miens. Par quoi devais-je commencer ? Quelle culpabilité était la pire ? Elles se mêlaient et m'empêchaient de respirer lorsque je me focalisai dessus trop longtemps. Elles rendaient ma vie injuste, injustifiée même.

Coupable de vivre, c'était ça le plus important. Se dessinait une autre pensée qui venait me pincer le cœur car au fond ce n'était plus le simple fait de vivre dont je me sentais coupable. Mais c'était bien la culpabilité d'avoir voulu tout arrêter... Coupable de ne pas avoir vu la chance que j'avais d'être toujours là, dans une vie que mes proches s'évertuaient à combler d'amour. J'avais voulu gâcher ça, pour la première fois j'étais amené à le regretter.


***


- Regardez le panda roux ! Là, s'écria Billie enthousiaste.

L'explosion de bonheur n'avait pas diminué entre le moment où on lui avait annoncé que l'on passait la journée tous les trois et le moment où nous déambulions dans le parc. Evidemment, elle optait pour le Woodland Park Zoo parmi tous les choix que nous lui avions donnés mais ça ne nous dérangeait pas. La dernière fois que nous étions venus, c'était avec nos parents et elle n'en gardait aucun souvenir. Garrett et moi étions assez grands pour se souvenir encore aujourd'hui de la manière dont notre mère s'était extasiée devant la plupart, voire tous les animaux. Un peu comme le faisait Billie. Elle était facilement impressionnable ou peut-être en avait-elle rajouté pour participer à notre joie enfantine. Mais quand je repensais à sa joie de décorer la maison, à chaque fête, j'étais persuadé que ça faisait bien partie de sa personnalité.

A en croire le regard que mon frère me lança, il pensait la même chose en la voyant aussi heureuse. Après les dernières crises ou pleurs qu'elle nous avait fait vivre, ça faisait un bien fou. Elle restait elle-même, légère et pleine de joie.  De mon côté, j'étais le rabat-joie qui ne montrait pas grand chose. Je ne portais même pas un si grand intérêt pour les animaux, m'imaginant qu'il était bien mieux en dehors de ces ridicules espaces qu'on leur donnait. Je savais ce que ça faisait d'être éloigné de sa maison, d'être enfermé, maltraité et d'être observé par des gens qui attendaient de vous d'être exactement comme ils s'y attendaient.

Bon, j'allais trop loin. Ça n'avait pas d'importance. J'étais ici avec ma famille et je m'efforçais à en profiter. Je suivis la démarche pressée de ma sœur, dont le but était de voir tous les animaux présents dans cet immense zoo.

- Tu crois que y'a des loutres ? me demanda-t-elle.

- Tu es consciente qu'il ne travaille pas ici ? se moqua Garrett.

Je me joignis leurs rires, tout de même touché par la manière dont elle m'incluait toujours dans les conversations. Je n'étais pas le meilleur des interlocuteurs mais elle continuait quand même tentant parfois avec le langage des signes. J'enrichissais son vocabulaire un peu chaque jour et elle ne manquait pas de l'utiliser, ça faisait plaisir à voir.

- Oui, mais peut-être qu'il l'a vu sur le plan ! Oh, je peux aller voir ?!

Elle pointait dorénavant du doigt un petit tunnel réservé aux enfants pour aller voir de plus près des animaux. Lorsqu'elle eût l'autorisation, elle promit de ne pas rester longtemps et s'y précipita. Garrett se tourna vers moi, une expression légèrement épuisée. Il se posa sur un banc tout proche ; je l'imitai sans réfléchir.

- Alors, qu'est-ce qui t'arrive ? T'as regardé ton portable plusieurs fois, t'as l'air préoccupé.

Haussement d'épaules.

- T'es amoureux alors ?!

Je relevai la tête, peut-être un peu trop rapidement pour quelqu'un qui ne voulait rien laisser paraître. Et si je lui disais ? Là comme ça ? Le balancer en plein milieu de bambins qui couraient de partout, ça m'assurait une quelconque neutralité de réaction. Je pouvais même l'annoncer à Billie en même temps, sa sagesse me serait bénéfique. Ça ne tenait qu'en peu de mots mais ça me paraissait être le plus lourd aveu à faire. Et si c'était de trop, s'il me rejetait définitivement ? Récemment, je lui avais annoncé ma tentative de suicide alors c'était un peu trop récent pour une autre nouvelle.

D'un autre côté, ce n'était pas si grave. Il n'avait qu'à vivre avec, s'il n'était pas capable de l'accepter alors il était celui en tort. Je ne devais pas en avoir honte malheureusement c'était ce que je tendais à faire, à force de réfléchir. Cette fois, le temps me manqua car notre petite sœur revint et nous entraîna dans sa poursuite folle d'animaux. Garrett me lança un regard qui en disait long, il en concluait sa propre réponse. Ce n'était pas plus mal, il ne manquait plus qu'à lui apprendre l'identité de la personne.

Une heure plus tard, on dût passer par la case boutiques puisque l'on avait accepté d'acheter une peluche. Nous étions typiquement le genre de frères qui craquent avec facilité mais pour notre défense, c'était très dur de lui résister. Il n'y avait que mon frère qui y arrivait de temps en temps, pour ma part j'étais totalement à sa merci.

- Est-ce que je peux acheter une tortue à Juliet ? quémanda-t-elle.

- Pour quelle raison ?

- Parce qu'elle adore ça et que... bah, c'est un cadeau parce qu'elle m'invite à dormir !

- Avec quel argent ? remarqua-t-il un sourcil levé.

- Gary, je te rembourserai, assura-t-elle d'une voix droite.

On ne put s'empêcher de pouffer de rire face à l'intonation presque adulte dans sa voix. Elle me surprenait chaque jour. Comme elle s'aperçut qu'elle ne gagnait pas avec son argument, elle s'accrocha à son t-shirt et opta pour un sourire montrant les quelques dents qui n'étaient pas encore tombés. Je bougeai ma main pour attirer son attention puis lui signai : Comment ?

- Quand je serai grande, quoi ! J'aurai de l'argent grâce à mon travail.

- Ah et tu comptes restée endettée durant toutes ces années ? plaisanta Garrett.

- Endettée ? souligna-t-elle perdue. S'il vous plaaaaaaaaît !

- T'as cinq minutes pour aller chercher, sinon je change d'avis.

Elle partit en s'écriant quelque chose d'inaudible dans tout ce brouhaha. Je jetai un regard qui sous-entendait fortement "Sérieusement ?" à mon frère mais il feignit de ne pas le voir. Finalement, nous étions deux à la merci de ce petit être de 8 ans. Mais si c'était pour continuer de la voir heureuse alors nous ne pouvions pas nous en priver. Elle gardait donc précieusement sa peluche tout le long du trajet, jusqu'à notre arrivée devant la maison des Gallagher. Nous avions passé une excellente journée, son sourire en témoignait. Mais ce qui la rendait davantage contente c'était de la terminer avec sa grande amie.

Elle obligea Garrett à sortir plus rapidement de la voiture, impatiente d'aller sonner. Je m'apprêtai à attendre dans la voiture quand il m'apprit qu'il devait parler un peu avec Nora donc je faisais mieux de rentrer aussi. Ça me gênait ; je redoutais surtout de voir les parents des triplés alors je les suivis à reculons. Quand la porte s'ouvrit sur Nora, le souffle que j'avais retenu se libéra.

- On vous attendait, nous accueillit-elle avec bonne humeur.

Elle discuta un petit moment avec Billie qui prit soin de lui montrer sa nouvelle acquisition puis elle me salua par une douce étreinte. Souvent, je n'avais plus l'impression d'être face à une adolescente de 17 ans mais à une jeune adulte. Ça me donnait l'impression d'être un petit gamin, c'était troublant. Ma sœur me prit par la main avant de m'entraîner dans cette maison qu'elle connaissait bien.

- Ils vont se faire des bisous dégueulasses, je veux pas voir ça ! commenta-t-elle.

Je souris alors que les rires du couple éclataient derrière nous. Elle lâcha ma main quand elle entra dans un salon bruyant et bien rempli. J'eus envie de rebrousser chemin mais ce fut trop tard, chaque pair de yeux nous scruta. Les sourires qui triomphaient sur le visage d'Ayden, Lieth et leurs trois amis faiblirent. Pourtant, ils se concentrèrent rapidement sur la partie de jeu-vidéo en cours et malgré quelques protestations, je sentais que l'ambiance n'était plus tellement la même. Je regardais Billie être bien traitée comme une princesse par tout le groupe avant de rejoindre sa copine au fond de la pièce. J'allais retourner dans la voiture !

Je les connaissais tous et de ce fait, me sentais gêné de me pointer comme ça. Ils devaient bien m'en vouloir. Le meilleur ami de Nora pour sa blessure à l'oreille, aussi minime fut-elle. Les deux autres, pour ce que j'avais fait à leurs amis. Je m'éloignai de l'embrasure de la porte, contre laquelle je m'étais collé sans réfléchir, et m'arrêtai pourtant dans mon élan puisque la voix d'Ayden m'interpella :

- Je crois qu'ils en ont pour un moment, tu ferais bien de t'asseoir. On a des trucs à grignoter et à boire si tu veux.

Il perçut mon hésitation je pense, si je jugeais bien son mouvement de tête et son sourire. C'était comme si son approbation obligeait ses amis à en faire de même car personne ne contesta. Le blond aux yeux bleus, du nom de Nills me jeta un rapide regard indéchiffrable avant d'engueuler Ayden :

- Mec, ferme-là et joue ! J'te jure que je supporterai pas une deuxième défaite.

- Une deuxième ? Vous en êtes à votre cinquième défaite, rigola Lieth.

Je m'installai sur un fauteuil alors que leurs moqueries continuaient par rapport au tournoi de football virtuel qu'ils avaient lancé. Les voir ainsi me rappelait les moments cool que j'avais passé à leurs côtés, moments que je n'avais jamais su apprécier entièrement. Je n'avais jamais fait entièrement partie de leur groupe, ils m'avaient seulement laissé me fondre parmi eux et ça m'avait suffi. Je les observais alors s'amuser par le seul fait d'être ensemble. Lieth faisait équipe avec le brun, assis sur le sol, qui s'appelait Zach et qui possédait le même esprit loufoque que tous. Pourtant, il restait assez calme là et je soupçonnais que ma présence y était pour quelque chose. De même pour le comportement d'Harry qui avait les yeux posés sur l'écran mais qui semblait bien plus loin encore. Je réalisais que je n'avais jamais eu l'occasion de lui présenter mes excuses, je n'étais pas certain qu'il veuille même les entendre.

- Si on perd, c'est à cause de toi ! se défendait Ayden auprès de son coéquipier. T'as vraiment des mains en plastique.

- C'est vos manettes qui sont pourries.

- Eh, tu peux tout critiquer ici sauf mes manettes ! l'attaqua Lieth avec exagération. Je les ai achetées avec mes économies de pré-adolescents.

Je me surpris à sourire au fur et à mesure de leur conversation. Ce que ne manqua pas de remarquer Nills :

- Même Leander se fout de ta gueule, il sait que j'ai raison !

Sa remarque fut remplacée par une explosion de joie de sa part quand il parvint à marquer un but. Il se jeta par dessus Ayden pour atteindre le triplé de celui-ci et le narguer avec un sourire idiot. Il ne récolta que des plaintes car il y en avait un qui ne supportait pas d'être écrasé et l'autre qui était mauvais perdant.

- Allez bébé souris, je l'ai marqué pour toi ce but, rigola le blond.

Apparemment, ils n'avaient toujours pas abandonner leur délire qui consistait à se parler et se traiter avec des taquineries. Nora m'avait vaguement expliqué que c'était un délire qui remontait à leurs années collège mais j'en avais oublié la raison. Ça n'avait pas tellement d'importance ; leur petit jeu témoignait juste de l'amitié qui les liait. C'était toujours incroyable de constater qu'ils étaient tous proches mais qu'au sein même du groupe, certaines amitiés étaient plus fortes que d'autres.

Une année avec eux m'avait suffi pour distinguer ces sortes de micro-groupes. Ainsi Nora pouvait compter sur Harry mais également sur Lieth, Ayden et Mia, sa copine - ex devrais-je dire ? - qui n'était pas là ; Ayden traînait davantage avec Zach et Lieth avec Nills. Ils se connaissaient depuis un bon nombre d'années, certains depuis le plus jeune âge et il m'arrivait à les envier. Je n'avais aucune amitié aussi forte, aussi indestructible. La preuve : j'avais perdu Ash, j'avais perdu Nora. Je ne savais pas ce que ça faisait d'avoir une telle confiance en quelqu'un qu'on se reposait sur elle, les yeux fermés, sans aucune frayeur.

- J'ai une bonne nouvelle, annonça Nora qui apparaissait main dans la main avec Garrett.

- Il t'a proposé en mariage ? se réjouit Lieth.

- Pourquoi tu demandes ça avec joie, ça te plairait ? râla leur triplé. T'es con, toi !

- Elle partirait vivre avec lui à Seattle, on serait tranquille. Tu sais pas te projeter, Ayd'.

Ils éclatèrent tous de rire alors que Nora fusillait ses frères du regard. Les deux ne s'arrêtèrent par pour autant, s'échangeant même une poignée de main complice. Elle ne manqua pas de les insulter avec un sourire qu'elle ne savait pas cacher avec eux.

- Alors, c'est quoi ta bonne nouvelle ? l'encouragea Harry qui prenait la parole pour la première fois.

- Les parents veulent bien que vous restiez dîner, à condition qu'on reste dans le jardin. Alors je vais appeler les filles. Et quand je dis les filles, j'entends bien toutes les filles... Ayden, t'es prévenu !

Celui-ci roula des yeux, en comprenant le sous-entendu de sa sœur.

- T'as du pop-corn ? demanda soudainement Nills.

- C'est quoi cette question ?

- Pour l'embrouille Ayden-Mia, compléta Lieth.

Leurs sourires furent vite coupés par la réaction colérique du concerné. Il lâcha sa manette au sol et quitta la pièce, oubliant même sa béquille derrière lui. C'était dans ces moments que je réalisais que la face invincible d'Ayden n'était justement qu'une face, un masque, derrière il y avait les tonnes d'émotions qu'il protégeait. Et Mia restait encore un sujet sensible pour lui, ça me faisait de la peine. Avant l'accident tout allait bien puis ma connerie était venue foutre en l'air l'équilibre de leur couple. Il n'était plus le même, c'était peut-être ce que Mia avait du mal à supporter. Ou était-ce cette histoire d'université dont j'avais entendu des bribes à l'hôpital ?

- J'vais le voir, décida Zach.

Il obligea Harry à le remplacer pour le jeu alors que Nills invitait mon frère à prendre la manette d'Ayden. Puis ce grand mètre quatre-vingt quitta la pièce alors que je regrettais de ne pas pouvoir y aller aussi, savoir ce qui tracassait Ayden et l'aider comme il m'avait aidé aussi. Nora capta mon regard et vint s'asseoir sur le bras du fauteuil.

- T'inquiètes pas pour lui. Alors c'était comment la sortie en famille ?

Bien, signai-je. Ses yeux oscillèrent de Garrett à moi en quelques secondes puis elle se pencha à mon oreille.

- Parait que t'es amoureux.

Je rigolai avant de la repousser gentiment. Sûr de moi, je lui répondis : Garrett dit de la merde. Sinon, je pense que je vais rentrer ! Elle oublia complètement le sujet qu'elle venait pourtant de lancer avec curiosité pour s'offusquer.

- Non, t'es obligé de rester ! Allez, reste ! Ça va être cool.

- Du moment qu'il tire sur personne, rigola  Nills.

Nora protesta aussitôt alors que je me fondais déjà à ses rires et à ceux de Lieth. Le grand comique repoussa ses cheveux mi-longs à l'arrière de sa tête pour plonger ses yeux amusés dans les miens. Je savais qu'il n'y avait pas de sous-entendus méchants dans ses propos, il usait seulement de la plaisanterie pour tout dédramatiser. Certainement pour rendre les choses plus supportables. Seuls Garrett, Nora et Harry ne partagèrent pas ce même sentiment alors par respect, je me calmai rapidement. Peut-être que cette soirée me permettrait de faire savoir à Harry combien j'étais désolé.

- Nills, chaque fois que t'ouvres la bouche c'est pour faire chier le monde ? remarqua Nora souriante.

- Est-ce que tu veux que je déballe tes petites confessions, pendant nos cours, sur Garrett ?

- Quelles confessions ? intervint mon frère curieux.

- Alors, elle...

Jamais je n'avais vu Nora si vive. Elle se précipita sur son ami afin de poser sa main sur sa bouche, il se débattit hilare alors qu'elle ne lâchait pas l'affaire. Finalement ils plongèrent dans des rires incontrôlables partageant quelque chose que nous ignorions tous. Il avait même oublié la partie de football en cours qu'il chérissait tant.

- Te laisse pas faire, Garrett, avança Lieth. Tu dois savoir ce qui se dit derrière ton dos.

- Elle doit sûrement s'extasier sur mes prouesses au lit.

- QUOI ??!!

Le cri de Lieth nous transperça les tympans, ce qui fit doucement rire Garrett. Il avait l'air surpris mais surtout horrifié, il avait lui aussi arrêté de jouer.

- N'importe quoi, ne dis pas ça ! s'écria-t-elle. Tu ne les connais pas, ils vont y croire !

- AYDEEEEEEEEEEEEEEEN...

Tout le monde se gondolait de rire sauf Nora qui tentait désespérément de faire taire son frère. La soirée s'annonçait plus que longue mais au moins j'allais goûter au bonheur pendant quelques heures.


***


Les occasions avaient nombreuses mais je n'en avais saisies aucune. Chaque fois que j'avais vu Harry seul, je m'étais trouvé des raisons pour ne pas y aller. Il allait seulement chercher un verre, il attendait le retour de son ami, non c'était bizarre il revenait des toilettes... Maintenant, je n'en trouvais plus. Seul, il se servait un verre d'alcool que les triplés avaient cachés au fond du jardin pour éviter que leurs parents s'en aperçoivent. Ce n'était pas très malin mais ça je m'en foutais. Tout ce qui m'importait c'était de saisir cette chance. Cette obligation même.

Je tapai déjà le premier message  puis me dirigeai vers lui. Il se retourna au moment où j'arrivais derrière lui et il prit un peu de recul. Ça avait été si léger que si je n'étais pas observateur, je ne l'aurais pas vu. Je lui tendis mon portable pour qu'il lise : « Je peux te parler ? ».

- Je t'écoute.

Ses prunelles noires me fixèrent avec une lueur étrange. Je remarquai qu'il gardait ses cheveux bruns assez longs pour recouvrir ses oreilles, ça aussi c'était de ma faute comme la démarche traînante d'Ayden. Je me confrontai à la blessure d'Harry pour la première fois sans toutefois vraiment la voir.  Je me mis à écrire en dépit de mes tremblements. Il attendit patiemment puis regarda mon message de haut, comme s'il ne voulait pas prendre mon portable au risque de se blesser. « Je voulais te dire que je suis désolé. Vraiment désolé. Dit comme ça, c'est nul et si j'avais pu je t'aurais écrit  toute une lettre pour te faire part de mes regrets. Désolé de t'avoir fait du mal, à toi mais aussi à Ayden et tout votre groupe indirectement. Je n'attends pas que tu me pardonnes, c'est normal que tu m'en veuilles, je tenais à te dire mes excuses car j'ai de l'estime pour toi et mon but n'a jamais été de te blesser ». Il hocha la tête, juste ça. Pas de crises de colère. Pas d'insultes ou de reproches. C'était peut-être pire que tout, cette ignorance qu'il m'avait accordée depuis l'accident.

- Ah, tu attends que je dise quelque chose ? remarqua-t-il. Leander, je t'en veux pas. Arrête de t'ajouter des regrets en plus, tu penses pas être assez triste comme ça ? Si on a pu être en colère, c'est parce qu'on s'inquiétait pour toi, on a eu peur. Et par "on", j'entends chacun de nous dans le groupe parce qu'ils sont au courant de ce qu'il s'est réellement passé ce soir-là.

Je tombais de haut. Ils savaient tous ??? Même Nora ? Même Lieth qui m'avait accordé un accueil froid lors de ma visite à Ayden à l'hôpital ? Je me dépêchai de lui demander : Depuis quand ?

- Ça n'a pas d'importance. Tout ce que tu dois retenir c'est que ça sert à rien de t'en vouloir. Si les choses avaient été autrement, tu ne serais plus ici avec nous et ce serait à nous d'être accablés de regrets.

Ce n'était pas une baffe que je recevais mais une géante claque. Ça ne m'était jamais venu à l'esprit, le simple fait qu'ils puissent se préoccuper de moi. Je les regardais tous un moment, reconnaissant.

- Après que tu l'aies dit à ton frère, il m'a appelé. Il était vraiment mal, il a dû me remercier une bonne dizaine de fois. Si tu as encore du mal à voir pourquoi tu dois continuer de vivre, c'est que tu ne regardes pas au bon endroit.

Je restais confus face à son sourire presque rassurant.

- La seule autre personne à être au courant c'est le psychologue de Nora. On a fait en sorte que sa mère parle de lui à ta tante. C'était notre petit plan parce qu'on sait qu'on est pas capable de t'aider comme il le faut.

Il m'annonçait cela comme la plus naturelle des choses. Réalisait-il que c'était la plus belle chose que l'on avait faite pour moi ? Se rendait-il compte comme cela me redonnait une once d'espoir ? Je m'étais imaginé que leur rancune à mon égard était grande ; je m'étais bien trompé apparemment. Ça ne faisait que prouver une fois de plus les personnes géniales qu'ils étaient tous. Je repris contenance pour taper sur mon portable : « Merci beaucoup...  ». Il me tapota l'épaule puis me passa à côté, il n'alla pourtant pas loin puisqu'il s'arrêta.

- Mais honnêtement, arrête de te soucier de ce que les autres peuvent penser de ta tristesse ou de tes émotions. C'est juste une excuse pour ne pas te préoccuper de toi-même et c'est dommage.

Il leva son verre en l'air comme si l'on trinquait une bonne nouvelle et je le regardais rejoindre Nora qui se faisait encore embêter par Nills et Zach - les deux n'en rataient pas une pour la taquiner quand ses triplés ne le faisaient pas. C'était une sorte de cirque qui se déroulait constamment sous mes yeux lorsque j'étais avec eux. Ils étaient tous si souriants, si vivants.

Mes yeux se posèrent finalement sur le seul qui ne partageait pas totalement la joie de cette soirée. Ayden revenu souriant après sa colère toutefois son moral était encore un peu retombé lorsqu'il avait constaté que Mia n'était pas venu. Il avait prétendu être soulagé mais l'expression de son visage montrait tout le contraire. Je me joignis à lui sur le banc qu'il faisait doucement balancer avec sa béquille ; il ne s'interrompit que le temps que je m'installe.

- Alors, ton discours de pardon s'est bien passé auprès d'Harry ?

Je répondis positivement et Ayden n'ajouta rien, il devait s'y attendre tant il connaissait ses amis. Je profitai d'avoir mon téléphone en main pour pousser la conversation plus loin : « Et toi, tu vas mieux ? »

- Ça va mais je ne suis pas d'une humeur facile depuis mon retour à la maison. J'ai l'impression que rien n'est bien, tout est décalé, mais au fond c'est impossible. Rien n'a changé ici, c'est moi qui ai changé. Et j'ai du mal à l'accepter, conclut-il.

« Tu te sens étranger dans ce qui était pourtant ta vie, avant », il approuva mes propos. Je le comprenais et j'espérais que cela suffisait à le soulager un peu de ne pas se penser seul. Même si ça n'avait rien de bon de ressentir les mêmes choses que moi. Pour lui, c'était un tout autre problème ; différentes causes, différentes conséquences. J'étais persuadé que la plupart était réparable. Je lui demandai de la façon la plus directe possible : « C'est pour ça que ça ne va plus avec Mia ?  ».

- Non, ça fait depuis plus longtemps que je le pensais. Je la sentais différente mais je pensais que c'était à cause de sa famille, puis quand on a fait la visite des universités elle s'est mise à me faire la gueule. Le soir de l'acci... de la fête, j'ai essayé de savoir la raison de son comportement mais elle est restée distante ; c'est d'ailleurs pour cette raison que je me trouvais en bas quand t'es arrivé, m'apprit-il. Bref, même dans mon lit d'hôpital miteux j'ai continué à m'en faire. Jusqu'à ce que j'apprenne qu'elle n'avait pas envisagé de postuler aux universités qu'on avait choisies pour rester ensemble.

Il pesta contre elle, toujours autant dégoûté par cette histoire. Je ne pouvais pas comprendre sa déception mais je la voyais très clairement. Il prit un petit moment pour observer ses amis qui faisaient un bruit monstre à quelques pas de nous, ou peut-être pour fuir mon regard. Il cachait sa peine comme il le pouvait.

- C'est juste que... débuta-t-il d'une voix serrée, depuis que je sortais avec, je n'ai jamais envisagé mon avenir sans elle. Et le fait qu'elle le fasse sans problème, sans même oser me l'avouer, ça m'a foutu un coup. Je me demande si elle comptait me laisser faire mes dossiers pour ces universités pendant qu'elle choisissait les siennes, en secret ? Quand est-ce qu'elle allait me le dire ? Et pourquoi elle a changé d'avis alors qu'on avait mis des mois pour choisir les mêmes, qu'on avait fait tous les deux des concessions ?

Il baissa la tête et ses épaules s'affaissèrent. Finalement, peut-être que je le comprenais ne serait-ce qu'un minimum. Il avait été trahi, il avait eu des attentes envers la personne qu'il aimait et s'était vu tomber de haut. J'osai lui dire ce que je pensais : « Tu devrais lui poser tout ça ». Il ricana en posant son regard dur sur moi.

- Je l'ai fait mais ses réponses ont sonné si faux, c'est comme si je n'arrivais plus à la croire. Comme si ça n'avait plus d'importance. Je me sens changé, je ne vois plus mon avenir de la même manière. La dernière fois quand tu m'as parlé de faire ton coming-out, je voulais te dire que moi aussi j'aimerais prendre ce courage de parler. De me dévoiler et avouer à Mia ce qui me bloque maintenant.

La lueur dans ses yeux n'étaient plus si sévère. Il était plutôt désemparé et même si je ne savais pas comment m'y prendre, je devais faire des efforts. Lui avait bien écouté ou surtout lu mes longues hésitations complexes ; il avait même supporté mes sanglots une semaine plus tôt. Alors je devais lui faire savoir qu'il pouvait me parler parce que je n'étais pas un grand parleur mais j'entendais et j'écoutais plutôt bien.

Toutefois, je ne parvenais pas à faire quoique ce soit car son regard me décontenançait. Je n'étais plus sûr de savoir ce dont il parlait. Je tapai rapidement : « Avouer quoi ? ». Il posa une main sur son visage en plein dans ses pensées. S'il hésitait à me le dire, pourquoi est-ce qu'il avait commencé à me parler ? C'était ce qu'il avait tenté de me dire par deux fois... A en croire le dicton, cette fois devrait être la bonne. Mais il hésita pendant de longues minutes. Je lui donnai un léger encouragement à l'aide d'un coup de coude, copiant sa technique.

Soudain, il se redressa emporté par un élan d'audace. Une inspiration plus tard, il me dit de but en blanc :

- Je... Je crois que je suis amoureux de quelqu'un d'autre.





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Je pense, non je suis sûre que je vis pour les dramas et que ça doit bien se ressentir dans ce chapitre ! Trève de plaisanterie, je suis contente de voir que je retombe bien sur mes pattes après m'être légèrement égarée dans l'histoire ahah. Je retombe sur la trame que j'avais prévu donc c'est cool!

& Je dois arrêter de me laisser embarquer par mes personnages... Un peu comme je l'ai fait là en ré-introduisant quelques uns de OTW ! J'espère que certaines de mes lectrices connaissaient déjà Nills & Zach , même Harry , avant ce chapitre et les adorent autant que moi ahahah

J'ai rien de plus à dire, si ce n'est : de qui es-tu donc amoureux Ayden ? De qui es-tu donc amoureux Leander ? Hehe

À bientôt, merci pour votre attente!

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