3 - Run
- Debout ! me hurla-t-on dessus.
Je n'étais pas en capacité de reconnaître la voix mais j'étais prêt à parier que c'était l'autre malade mental qui m'était tombé dessus sans retenue. Je me redressai lentement, essayant de reprendre mes esprits. Mes genoux tremblaient sous la douleur et ma joue me tirait mais je devais me lever, lui faire face à nouveau et ne pas passer pour une mauviette qui perd à la première chute. J'avais passé ma vie à me relever, ce n'était pas devant cette merde que j'allais faillir.
Quand je me redressais une fois pour toute sur mes pieds, je vis que Julien et le troisième coordinateur de mon aile arrivaient en courant. Puis à l'entrée du réfectoire, se tenaient de nombreux jeunes curieux qui se seraient sans doute aventurés dans la cour s'ils n'avaient pas été retenus par les surveillants. Ma tête continuait de tourner alors j'arrêtais de tous les observer et me penchai, les mains sur les genoux.
- Mais c'était quoi ça ? explosa Julien. T'aurais pu lui péter quelque chose !
- Il fallait bien l'arrêter non ? grogna Jeff.
- Pourquoi ? Où veux-tu qu'il aille de toute façon ?
Ils continuèrent de parler et plus j'entendais la voix du con, plus je mourrais d'envie de me venger de cette triple humiliation. Je me voyais déjà lui sauter dessus, le plaquer au sol et détruire cette gueule qu'il avait l'air de tant soigner. Je sentais presque mes poings s'écraser contre son visage, cogner ses os sans fin et les sentir se briser sous mes doigts. Et il y aurait du sang... Du sang.
A cette pensée, mon estomac se retourna et le vertige me fit tomber en avant. Cependant, je ne touchai pas le sol cette fois, rattrapé de justesse par le bras musclé de mon troisième coordinateur.
- Est-ce que ça va ? Tu veux aller à l'infirmerie ? me demanda-t-il.
Je secouai la tête d'une manière à peine perceptible en me dégageant de son emprise. Je leur tournai le dos et me dirigeai d'un pas rapide vers le hall. Soudain, il y eût un coup de feu qui me sursauter puis accélérer le pas lorsque je compris que ce son était une fois de plus seulement dans ma tête. Quelque chose n'allait pas avec moi... Bientôt, une deuxième détonation m'explosa le tympan, cette fois suivie de cris déchirants. Je me remis alors à courir tandis que l'on criait mon prénom derrière moi. Je voulais être seul, je voulais que ça s'arrête sans que je n'ai à me défouler sur quelqu'un. Je voulais penser à autre chose, je voulais me noyer dans le silence.
Je réussis à atteindre ma chambre très vite et m'empressai de claquer la porte après y avoir passé un premier pied. Sauf qu'elle se ré-ouvrit au moment même où je me laissai tomber sur « mon lit ». C'était, sans grande surprise, mon ami français, Julien. Il me jaugea d'un long regard mais n'avança pas plus loin ; il resta plutôt près de la porte, une main sur la poignée. Ce que je détestais par dessus tout ce n'était pas sa présence, c'était son regard désolé alors que finalement c'était à moi de l'être.
- T'as une demi-heure pour te calmer, je t'emmènerai à ta séance ensuite. Ok ?
Il n'attendit même pas ma réponse car à peine eût-il fini de parler qu'il quitta la pièce. Je m'allongeai à présent contre le matelas dur, attaqué par les mêmes vibrations, cris, impacts et explosions qu'auparavant. Je posai mes mains sur mon visage, le serrai de toutes mes forces. Mon vacarme personnel m'arracha une grimace et je me retournai sur le ventre, sentant chacun de mes muscles se crisper sous la douleur des souvenirs. Toutes mes pensées se mêlaient sans me laisser une seconde de répit ; un instant j'étais dans un avion et l'autre chez moi en pleine nuit, me confrontant aux deux moments les plus horribles de ma vie. Bien que différents, chacun de ces deux événements avaient été marqués d'un extrême silence avant d'être envahis par une infinité de cris. Le fameux calme avant la tempête.
Je revoyais ma mère, venue s'asseoir à ma gauche dès que les perturbations avaient commencés. Je sentais ses doigts se glisser entre les miens et me serrer si fort la main que j'en avais mal. Je me souvenais que c'était cette souffrance là, à la main, qui avait fait naître ma peur car si elle paniquait ça ne pouvait qu'annoncer un fatal moment. Je me rappelais encore de la sensation de sa tête contre mon épaule et du dernier regard que mon père m'avait lancé.
« Mon chéri... Ne me lâche pas, tiens moi fort. » avait supplié ma mère à mon oreille alors qu'habituellement c'était moi qui lui demandait de l'aide. Et l'on se sentait descendre. Descendre de plus en plus vite, de plus en plus fort. Dans ces situations, les ceintures dites de sécurité ne servaient plus à rien... Tout mon corps avait été projeté sur le siège de devant alors que ma mère s'était recourbée sur moi pour rester à mes côtés quoiqu'il advienne. Et la toute dernière chose dont je me souvenais c'était d'avoir crié avant l'impact. Mes derniers mots. Un « Je t'aime » à plein poumons. Jamais je n'avais fait entendre ma voix aussi fort ; jamais plus je ne la ferai entendre. Puis j'avais fermé les yeux et un calme s'était éternisé avant qu'un bruit assourdissant ne vienne le briser de longues minutes plus tard.
Alors, je ne voulais plus de vacarme ; j'aspirais à cette quiétude qui avait duré avant le crash. Mais aussi à celle avant que j'appuie sur la gâchette, à deux reprises ce soir de décembre. Un silence qui plane comme pour poser un dernier ultimatum ; une dernière chance au maître de la situation. Mais après un temps l'on se rend vite compte que le maître ce n'est jamais nous, ce n'est rien d'autre que le destin. Et que quoique l'on fasse, quoique l'on souhaite, les choses ne se passent jamais comme on les avait envisagées.
***
Comme prévu, Julien était venu me chercher dans ma chambre à 20h et m'avait amené jusqu'à la salle où ma séance se déroulait. Il y avait trois séances différentes, selon les adolescents. Il pouvait arriver que l'on passe deux heures en groupe mais la plupart du temps, on ne faisait qu'une heure pour passer l'autre seul à seul avec un thérapeute. Je ne saurais déterminer laquelle de ces heures était la pire....
- N'oublie pas, à 20h30 tu retrouves ton orthophoniste dans le préau, me glissa Julien en envoyant la main vers moi.
Je me décalai de justesse avant que sa main ne me touche l'épaule. Il fallait qu'il arrête de faire ça, je n'étais pas son ami, son frère, et encore moins son fils. Je détestais qu'on me touche, qu'on se colle à moi, ça m'énervait immédiatement sans que je ne puisse l'expliquer, ni le comprendre moi-même.
J'entrai alors dans la salle, déjà habitée par quelques ados et pris place sur le premier siège du cercle que j'aperçus. Trois garçons étaient en train de discuter à voix basse près d'un mur, tandis que tous les autres étaient assis. Et parmi eux, je sentais qu'un regard persistait à me fixer. Je relevai la tête et rencontrai aussitôt les yeux sombres du mec assis en face de moi, à l'autre bout du rond. Voyant qu'il n'abandonnait toujours pas, je me redressai et plantai fièrement mes prunelles dans les siennes. Sans aucune provocation, ni défi... Juste de l'assurance. Ça pouvait sans doute me donner des airs de petit « thug de la campagne » mais je n'avais peur de personne ici ; je redoutais seulement les personnes supérieures à moi - ce qui de toute évidence n'était pas leur cas.
Il se leva brutalement, faisant reculer sa chaise dans un grincement acéré. Je remarquai alors sa grande taille et sa corpulence imposante qui le faisaient apparaître beaucoup plus vieux que nous tous. Ses cuisses faisaient sans doute le triple des miennes... Ça aurait dû m'effrayer mais au lieu de ça, j'eus envie de rire. Je me forçais pourtant à ne pas le faire, souriant juste.
- Les gars, on accueille une star parmi nous ! argua-t-il.
- Une putain de tafiole muette ouais, rigola Regan que j'aperçus à ma droite.
Le baraqué qui avançait vers moi s'arrêta pour s'adresser à mon cher et tendre mentor :
- Une tafiole peut-être mais qui court plus vite que n'importe qui à Burket, n'est-ce pas ?
- Et qui a réussi à tracer le Sergent Blondie ! lança un hispanique, assis non loin de moi. On a tous adoré ce moment, faut l'avouer.
Je souris davantage en entendant le surnom qui avait été attribué à Jeff mais surtout quelque peu rassuré de voir que tous les mecs du camp n'étaient pas forcément contre moi. J'aurais pourtant pensé qu'après ma crise d'angoisse, ils n'en rateraient pas une pour me rabaisser mais apparemment ce n'était que le cas de Regan.
- Entre dans l'équipe de base-ball et je te promets qu'on va t'entraîner à courir si vite qu'il ne pourra plus jamais te rattraper, me lança le gros tas en s'asseyant à mes côtés.
Je n'eus pas le temps de répondre car la porte claqua derrière nous, tout le monde se tût et se dépêcha de s'asseoir d'une manière automatique. Intrigué, je me tournai pour observer celui qui serait notre psychologue... C'était un homme d'une trentaine d'année qui, par sa prestance, me rappelait vaguement mon grand frère. Il y avait quelque chose dans son regard qui témoignait d'un certain vécu face auquel on ne pouvait que s'incliner. Il n'avait pas l'air forcément méchant mais je voyais qu'il avait au moins gagner le respect des mecs d'ici, ce qui était une grande étape en fin de compte ! Il traversa le rond d'un pas déterminé et pris place là où se trouvait précédemment... le joueur de base-ball dont je connaissais pas le nom - pour ne plus dire « gros tas ».
- Tour de table, lança-t-il en sortant des papiers de sa mallette.
Ça allait recommencer... Le premier garçon à sa droite débuta tout de suite en ne disant qu'un seul mot « Content », tandis que le suivant se contenta d'un « Blasé » marmonné dans sa barbe. On devait donc dire son humeur et je comprenais de moins en moins pourquoi on ne m'avait pas privé de ces séances de groupe. Je ne servais à rien à chaque fois, je ne faisais qu'écouter. Lors de ma précédente venue, j'étais déjà muet mais capable de m'exprimer en écrivant alors j'avais ma petite ardoise de gamin sur laquelle j'écrivais. Maintenant, ce n'était plus le cas. Ils devraient tous se confronter à un silence qu'il m'était difficile voire impossible de surpasser.
- Fatigué, lança Regan. De devoir me coltiner un petit nouveau qui ressemble à un enfant de 13 ans et qui pleure encore dans les jupons de sa mère !
Envahi par une chaleur colérique, je serrai les poings en même temps que dans ma tête défilait son passage à tabac. J'en avais même mal aux coins des doigts !
- Là c'est toi qui pleure chez ta mère, intervint un mec à l'air sévère. On doit se contenter d'un mot pas déballer son journal intime.
Les rires égayèrent la pièce tandis que bad boy du ghetto, lui, se renfrognait. Tassé sur sa chaise, il me lança un regard acerbe comme s'il avait deviné que c'était exactement ce que j'aurais voulu répondre si je l'avais pu. Le psychologue reprit très vite son rôle en ordonnant à tous de se calmer puis incita le suivant à parler. Enfin après deux personnes, ses yeux curieux se posèrent sur ma personne. Son visage parut s'illuminer, puis il me pointa du doigt :
- Oh j'avais oublié, tu es Leander c'est ça ?
Je hochai la tête ; il sourit à ma réponse. Il se laissa à nouveau reposer contre le dossier de sa chaise sans dire quelque chose de plus. Personne ne parlait et jouait en quelque sorte à son jeu en laissant s'installer un silence religieux. C'était apaisant... C'était la plus belle chose que j'ai pu écouter à ce jour : rien, le néant, le vide Seuls quelques uns paraissaient en être agacés après plus d'une minute. Moi, au contraire, je m'y habituais facilement.
- Dr. Straw, qu'est-ce qu'on fait là au juste ? explosa quelqu'un.
- On communique ! On s'adapte. On partage, on comprend ! s'écria-t-il de plus en plus. Ben, à ton tour.
Je souris timidement face aux mots du psy. C'était sympa mais un peu con et un peu trop ringard. Il ne suffisait pas d'être silencieux pour me comprendre. Passant à autre chose comme les autres, je jetai alors un regard au dénommé Ben qui était donc mon « recruteur » de base-ball ; nous échangeâmes un sourire amical et il répondit :
- Je suis ravi m'sieur, j'ai un nouveau joueur.
Je n'avais encore rien dit mais il semblait sûr de me voir dans son équipe dès le lendemain... De mon côté, je n'avais pas choisi. Je n'étais pas totalement sûr que ce soit une bonne idée ; trop de gentillesse cachait souvent quelque chose. Puis, je devais avouer que le sport n'était pas réellement mon truc. Puis, je compris. S'il était si certain, c'était parce qu'il ne me laissait pas le choix en vérité... Si je refusais, j'en payerais évidemment les conséquences.
***
Lorsque l'aiguille de l'horloge se plaça sur le six, je me levai et sortis tranquillement de la salle sans que personne ne dise quoique ce soit. Je me retrouvais dans un large couloir sombre, très peu éclairé à cause des lampes cassées. J'avançai à pas lents car je n'avais pas tellement envie de voir l'autre folle d'orthophoniste qui s'adressait à moi comme à un enfant en bas âge. J'avais l'impression que pour elle, le silence était égale à une profonde débilité. Dès que je le pourrais, je lui dirais qu'elle était franchement la plus stupide de nous deux.
- Leander ! m'interpella une voix dans mon dos.
J'avais reconnu Jeff, le con, ou Sergent Blondie - peu importe son surnom -, aussi je décidai de continuer ma route. Ne pas me retourner, ne pas céder à la tentation de lui en foutre une... C'était sans doute la seule chose qu'il attendait de moi afin de me le reprocher jusqu'au bout.
- Julien m'a demandé de t'amener.
Au préau ? Moi ? Qui connaissait les lieux ?J'étais pas con. Je continuai de l'ignorer ; en revanche, je pressai le pas tentant en vain de le semer. Au son de sa voix, je le sentais s'approcher de plus en plus, prêt à attaquer.
- Tu vas finir par m'obéir ?! s'époumona-t-il en posant les mains sur moi.
Ses doigts agrippèrent chacune de mes épaules puis il me cogna avec bestialité contre le mur le plus proche. Tel un bon soldat, il vint très vite bloquer mes bras avec le sien et attrapa ma mâchoire de sa main libre. Je n'essayais même pas de me dégager de sa poigne, fermai les yeux et soufflai avec toute la concentration possible pour ne pas laisser mes désirs emporter sur ma raison. Mais à peine avais-je fermé les yeux qu'une chaleur me donnait envie de m'extirper de là premièrement puis de lui faire regretter son geste. J'avais conscience que face à lui, je ne valais rien toutefois, ce serait déjà une revanche personnelle d'essayer. Ou je pouvais faire ce que je faisais apparemment bien, courir.
Au moment où je m'apprêtai à agir, quelque chose s'abattit contre ma joue m'arrachant un gémissement de douleur étouffé. En plus de réveiller la blessure qu'il m'avait faite une heure plus tôt, il venait de me défoncer la pommette ce connard !
- Qu'est-ce que je viens d'entendre ? releva-t-il. Un son sortant de ta bouche ?
Je soufflai une dernière fois, une fois pour toute. Longuement. Fortement. Je refermai mes mains le long de mes cuisses, recourbai mes épaules et en un élan, bref mais robuste, je bondis sur lui. Surpris, il recula de quelques pas ; j'en profitai pour lui donner un coup de coude dans la gorge, pile sur sa pomme d'Adam. Il n'eût même pas le temps de rouspéter que déjà je me lançais dans une course folle. Je n'avais plus qu'un étage à redescendre, un couloir à traverser...
En descendant les escaliers comme un dératé, je pris conscience du fait que si ce jour n'était que le premier alors les 152 jours à venir promettaient une belle et dure aventure.
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Hello ! Désolée pour la publication assez tardive. Je n'étais pas chez moi du week-end donc en rentrant, j'ai rapidement relu et modifié. Comme toujours, j'espère que mon chapitre vous aura plu...
Ah oui et je suis consciente qu'il peut y avoir pas mal de choses, d'informations, de prénoms ou de choses qui paraissent floues mais vous verrez que ce qui est vraiment important, sera récurrent ou sera détaillé plus tard donc tout s'éclaircira, normalement !
/!\ EDIT ( 09: 05.15 ) : Un compte pour Ayden & Lieth vient d'être créé @GallagherTwins ; j'ai trouvé que c'était une bonne idée de "faire vivre" les personnages ( comme certains mangakas le font avec leurs persos ). Vous pouvez jouer le jeu, en allant leur poser des questions etc. Peut-être apprendrez-vous quelques secrets, qui sait ? & pour ceux qui ne les connaissent pas encore c'est le moment de les découvrir ! :)
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