24 - Comfort
Il y avait le calme avant la tempête mais l'on ne parlait pas assez du calme après la tempête. Le calme qui illustrait le vide ; le calme qui soulignait un changement. Il y avait eu une grande charge de tension puis plus rien. On était alors livrés à nous-mêmes, avec pour seule occupation : constater les dégâts. Je le vivais encore pour la troisième fois. Je levai les yeux et j'apercevais des visages dépités, honteux, déboussolés ; des sourires ou des rictus indescriptibles ; des corps blessés, des corps affaissés de fatigue, des corps sur la défensive... Je n'avais pas besoin de le regarder pour réaliser l'état de Isaiah. Ses tremblements le trahissaient. Il murmurait quelques fois des paroles à voix basse mais aucune ne faisait sens. Lui qui avait preuve d'une telle lucidité, il était à présent désorienté. Ça ne faisait qu'empirer.
Cela faisait plus de trois quart d'heure que nous étions sortis du réfectoire et que l'on avait été placés dans le hall. Bien à l'abri des journalistes d'abord dans la cour puis évacués en dehors du camp. Loin aussi du personnel encadrant, réuni dans un autre endroit.
Par groupe de trois ou quatre, les policiers nous escortaient jusqu'aux ambulances dehors. J'avais vu partir Regan sur le point de s'écrouler. D'autres étaient encore plus mal. C'était sans doute la première et dernière fois que je ressentais autant une hâte d'être hospitalisé. Si ça m'éloignait de cet endroit, j'étais preneur. De plus, la douleur dans ma main ne faisait que croître. J'avais la sensation que l'on me broyait les doigts à chaque seconde et ce, avec plus de force au fur et à mesure. En m'asseyant là tout à l'heure, sous la forte lumière de la pièce, j'avais eu l'horreur de constater que ma peau était ouverte au niveau des jointures et mes phalanges ensanglantées n'étaient plus si droites...
« T'es devenu complètement incontrôlable, tu le tapais au début puis tu t'es éclaté la main contre le mur ! J'arrivais pas à t'arrêter » m'avait balbutié mon ami, alors mort de peur. Je ne m'en souvenais pas. J'avais vu Isaiah se faire taper puis quelque chose en moi s'était déclenchée. J'étais parti ailleurs, livré à mes pulsions violentes. Ma raison était écrasée dans ces moments-là.
- Vous trois, lança un homme en uniforme, vous y allez !
Il nous escorta, littéralement, vers la sortie. L'ambiance y était toute autre. La sonnerie des secours et des forces de l'ordre se mêlaient pour ne créer qu'une cacophonie insupportable. Le nombre de personnes avait augmenté. Des parents peut-être, des curieux, des journalistes assoiffés de scoop, les visiteurs restés... Le policier nous fouilla une dernière fois, Isaiah, l'autre mec et moi, avant que l'on grimpe dans un camion d'ambulance.
Sur le point de monter, je m'arrêtai un moment pour regarder en arrière, espérant ne plus voir les grilles de ce camp de ma vie. Dans ma contemplation, je croisai un regard profond auquel j'étais maintenant habitué. Sergent Blondie, ou peut-être méritait-il que je me contente de Jeff. Il me fit un signe de tête, un simple mouvement que j'osais pourtant interprété à ma façon.
***
J'ouvris subitement les yeux, alerté par un bruit et sursauté en apercevant la personne à mes côtés. Allongé dans un lit immense, je reconnus le décor typique d'une chambre d'hôpital. L'odeur avant tout.
- Je ne voulais pas te faire peur, me sourit l'infirmière, je viens te chercher pour la suite de tes examens.
Je hochai la tête et la laissai m'aider à descendre du lit surélevé. Elle s'était déjà occupée de moi, après avoir attendu des heures dans la salle d'attente et pour une radio. Elle avait soigné ma main, me glissant que j'étais un sacré bagarreur. Son ton enjoué avait été l'occasion de remplir mon esprit avec autre chose. Des pensées plus colorées... Elle était bien plus aimable que l'inspecteur qui m'avait approché pendant que j'attendais. Mon absence de réponse l'avait un peu agacé jusqu'à ce qu'un mec de Burket qui attendait également lui apprenne mon mutisme. L'homme avait alors demandé mon identité puis m'avait assuré qu'il repasserait me voir.
Sa menace ne m'avait rien fait, principalement focalisé sur Isaiah qui avait fait une crise étrange à notre arrivée à l'hôpital. Il avait tout de suite été prise en charge et j'étais resté sans nouvelles. Je ne pensais donc qu'à ça quand l'inspecteur était venu m'interpeller. Mais ce con était trop concentré dans son boulot pour prendre du recul et se rendre compte que nous avions tous besoin de temps après la merde que l'on avait traversée.
- On a aussi eu les résultats de ton analyse de sang et j'ai ce qu'il te fait pour t'aider à dormir, m'apprit l'infirmière alors qu'on longeait un couloir.
Dehors, il commençait à faire nuit. Je n'arrivais pas à croire que je me trouvais dans un lieu sain et que si on nous croyait, Burket Rivers ne nous enfermerait plus.
- Ta famille a été prévenue, elle ne devrait pas tarder ! C'est là.
Elle s'arrêta devant une porte blanche - elles l'étaient toutes - et toqua. Elle me laissa entre les mains d'un docteur qui fut autant bienveillant qu'elle. Leur bonheur n'effaçait pourtant pas ma situation pathétique. Et j'avais vraiment envie de savoir comment allaient les autres. Regan, Clayton, Jack, Salomon, David, Andrew, Isaiah évidemment... Je m'en foutais de moi.
***
~
- Chéri, il faudra que tu reparles un jour, il faut que tu ailles mieux, me murmura ma tante la gorge serrée. Et ça viendra !
Je hochai la tête bien que je n'en sois pas tant convaincu. Plus de deux mois étaient passés depuis le crash d'avion, depuis... Un mois depuis que je ne parlais plus et ma tante s'était confronté à une nouvelle embûche à cause de cela. Le lycée de Colhaw, là où elle habitait et où nous allions emménager, n'était pas certain d'avoir les « équipements adaptés pour m'accueillir ». Il me fallait simplement une chaise et une table, bande de cons.
Mais ce qui me peinait était l'effort quotidien que Joan fournissait pour moi. Je ne le méritais pas et j'allais faire partir ses espoirs en fumée. Je n'irai pas mieux. Ça m'avait frappé, un mois plus tôt alors que tous les souvenirs oubliés de l'accident m'avaient sauté au visage. Seul dans ma chambre, j'avais tout revécu. Non comme un mauvais rêve mais comme un véritable voyage dans le temps. Mon matelas s'était transformé en siège d'avion, l'odeur de drap frais avait disparu, la lumière s'était mise à clignoter, ma mère était contre moi et mon père à ma droite. Tout m'avait semblé réel sur le moment. Même lorsque je découvrais mes parents morts. Et tout ça à cause d'un message de Ash - auquel je n'avais plus parlé depuis : je m'étais alors souvenu de ce voyage et de son but. Ce que j'avais inconsciemment nié et lancé aux oubliettes avait resurgi, ça faisait terriblement mal.
Le lendemain, je n'avais pas eu envie de parler - fatigué par les flashbacks et les cauchemars sans fin.
Le jour d'après, je n'arrivais plus à parler. Pas un mot ne sortait de ma gorge. J'avais lutté pendant des jours pour essayer de dire quoique ce soit cependant c'était comme si j'avais oublié comment l'on faisait.
Puis, les semaines défilaient et je n'en trouvais plus l'utilité. C'était le pire. Chaque soir, sans faute, j'entendais Garrett et ma tante discuter pendant des heures entières dans la cuisine. Il faisait part de ses émotions et elle l'écoutait attentivement. Alors que personne n'était jamais venu me demander « Comment tu te sens ? Qu'est-ce que ressens ? Tu veux en parler ? ». Tout ce que l'on m'avait répété était que la douleur n'était pas permanente, que je me relèverai, que la tristesse s'effacerait... On me parlait du futur alors que mon présent était détruit. Donc, un jour je m'étais réveillé persuadé que ce n'était pas ma vie qui irait mieux, c'était le monde sans ma voix puisque personne ne voulait l'écouter.
Nous étions un mois plus tard, j'essayai encore de parler lorsque j'étais dans mon coin. En vain. Rien. Ma voix était morte. Si seulement, je l'avais suivi...
- Je ne remplacerai jamais tes parents mais tu sais que je suis là pour toi, n'est-ce pas ?!
Nouveau hochement de tête. En vérité, je me sentais terriblement seul et incompris depuis que ma mère et mon père n'étaient plus là. Elle était la personne qui me saisissait le mieux ; il était la personne avec qui je passais une grande partie de mon temps libre. Et maintenant, il n'y avait juste plus rien. Plus personne pour me réprimander, me gronder plus fort, me conseiller, m'embrasser, me complimenter, m'encourager, m'embêter. J'étais supposé endurer toute une vie comme ça mais les deux mois passés avaient été insupportables... Ils me manquaient tout le temps, souvent aux instants les plus ordinaires. J'avais appris que c'était parfaitement possible de sentir le vide autour de soi. En plus de l'être à l'intérieur.
Penser à ça m'arracha un sanglot. Je me perdis un peu plus. Joan qui se décidait à me laisser revint aussitôt sur ses pas pour s'asseoir près de moi et me prendre dans ses bras. Elle devait se retenir de pleurer comme elle le faisait toujours mais je savais que sa sœur lui manquait terriblement aussi. Se sentait-elle impuissante ? Trahie ? Abandonnée ?
Parce que moi, oui.
J'étais tombé et personne ne s'était arrêté pour m'aider à me relever, ils avaient juste continué d'avancer. ~
Le cognement régulier dans ma tête me fit grimacer. À cela vint s'ajouter le bip qui marquait mes battements de coeur. C'était insoutenable et si mon corps n'était pas engourdi, j'aurais tout retiré. Je me contentai d'ouvrir les yeux, découvrant mon grand frère à mon chevet. Il ne me vit pas car il avait la tête penchée, ses mains jointes posées contre mon lit. Il priait. Je lui avais toujours dit que c'était ridicule de se tenir ainsi pour s'adresser à quelqu'un dans l'au-delà mais selon lui, c'était sa seule manière de se canaliser.
Je voulus me tourner, je fis l'erreur de m'appuyer sur la mauvaise main et lâchai un gémissement. Garrett releva subitement la tête, alerté et m'adressa un sourire sincère.
- Désolé, dit-il sans attendre, je sais que tu détestes me voir prier mais je voulais rester avec toi au cas où tu te réveillerais.
J'acquiesçai, doté moi aussi d'un petit sourire. J'étais rassuré de l'avoir à mes côtés après de tels souvenirs. Plus tellement quand il se leva afin de m'attirer dans ses bras. Je répondis à son étreinte, tremblant. Il dut le sentir, il resserra ses bras contre mon corps. Je pris une longue inspiration et eus l'impression de me débarrasser de tous mes sentiments en soufflant. C'était la respiration de trop.
- Je te lâcherai plus, m'assura Garrett. Je te lâcherai plus.
Je profitai qu'il s'éloigne pour effacer les quelques larmes qui m'avaient échappé. Mon frère, lui se rassit, la tête vers le bas. Il renifla et passa sa main sur son visage.
- Je veux plus recevoir de coup de fil qui m'annonce une mauvaise nouvelle, je veux plus te retrouver à l'hôpital. Je.. Je veux plus avoir cette impression d'étouffer et que notre monde s'écroule.
Il se mit à pleurer, les épaules fortement secouées. Je n'avais pas vu Garrett céder au désespoir depuis un certain temps. Il en avait encaisser ces dernières semaines, voire ces derniers mois. Et je ne l'avais pas vu. Il endurait, endurait, endurait puis un beau jour il n'avait plus assez de force pour continuer de tout porter. Il rendait alors les armes mais ça ne durait jamais, poussé par sa foi.
Toutefois quand il craquait, son vrai visage apparaissait et on ne voyait qu'un jeune homme inconsolable. Malheureux à en crever. Et je détestais ça. Je comprenais la peine qu'ils devaient ressentir en me voyant triste, sans pouvoir rien y faire. Je me levai, me plaçai devant lui et tirai sur ses bras pour l'inciter à se lever. Je tirai de toutes mes forces jusqu'à ce qu'il soit sur pieds. J'allais bien. J'étais debout et lui aussi. Notre monde ne s'écroulait pas...
Le cœur comprimé, je lui signai « Plus que Billie, toi et moi». C'était ce qui m'avait permis de tenir. Ça devait nous pousser vers l'avant, à présent. Il pleura un peu plus en me voyant communiquer avec lui, ce que je n'avais plus fait depuis de très longs mois. Il hocha la tête puis s'autorisa à m'offrir un câlin supplémentaire.
- Je suis nul, argua-t-il à mon oreille. Joan m'avait dit de bien te réconforter et je fais tout l'inverse.
Il ricana amèrement en même temps que moi, ce qu'il ne perçut donc pas. Garrett m'obligea ensuite à me rallonger avant de me demander une quinzaine de fois si j'avais mal, soif ou faim. Il resta silencieux pendant maximum dix minutes, en profita pour reprendre contenance puis lança :
- Aussi, j'ai parlé à un policier. Tu vas devoir donner ta version des faits quand tu te sentiras mieux . Et, tu pourras rentrer temporairement. On parlera de la suite plus tard, OK ?
J'approuvai, content de pouvoir retrouver une véritable maison même si ce n'était que pour quelques heures ou quelques jours.
- Billie meurt d'envie de te voir, m'avoua mon frère. Je la fais venir ?!
Il s'attendait déjà à ma réponse positive car il s'était levé en posant la question. Il en fut néanmoins touché ; ça changeait de tous ces mois que j'avais passé à rejeter ma petite soeur. Rejeter tout le monde en fait.
Quand la porte se referma derrière lui, je plongeai à l'autre bout du lit et attrapai la fiche informative qui y était accrochée. Deux jours étaient passés depuis la Journée Famille que l'on pouvait renommer Journée Mutinerie. C'était officiel.
Hôpital de Portland. Contusions thoraciques et faciales. Fractures IPP et MCP au médian et annulaire gauches, asthénie ++ , agrypnie, PTSD...
J'arrêtais de lire, je ne comprenais que la moitié des mots. Je fis un tour aux mini-toilettes, juxtaposées à ma chambre, et ris nerveusement en me voyant dans le miroir. J'étais encore plus horrible qu'avant. Une chance que Isaiah ne me voyait pas ainsi. Cette pensée m'attrista. Je me demandais vraiment si il allait bien et si j'allais pouvoir le retrouver au plus vite. Il ne devait pas être bien loin, je pouvais toujours aller voir dans chaque chambre...
Ou peut-être que je devais me calmer avec mes aventures.
De nouveau dans mon lit, la porte s'ouvrit doucement. Une petite tête blonde se présenta. Une paire de yeux bleus se plissait pour balayer la pièce. Dès que Billie me vit, sa malice fut chassée par un profond désarroi. Comme ses grands frères plus tôt, elle fondit en larmes. Elle accourut jusqu'à moi, grimpa sur le lit et s'agrippa à mon cou tandis que Garrett, ma tante et mon oncle entraient à leur tour.
Je fermai les yeux, profitant d'être enfin avec ma petite soeur. Ses mots m'avaient aidé. Elle ne le savait pas mais elle avait été avec moi à chaque seconde. J'étais désolé de lui avoir causé autant de soucis, ce n'était pas digne d'un frère. Du haut de ses 8 ans, elle était bien plus forte que moi.
- On est bien trop nombreux dans cette chambre, assura mon oncle. Mais on tenait à te voir.
J'ouvris les yeux pour les regarder approcher. Ils m'embrassèrent avec beaucoup de soulagement. Le simple fait de me toucher semblait les rassurer. J'avais l'impression d'avoir survécu à une catastrophe pour la seconde fois de ma vie. Ils s'éclipsèrent quelques minutes plus tard, préférant attendre "leur tour" dans le couloir. Ils souhaitaient avant tout que l'on se retrouve tous les trois puis avoir un moment avec moi. Joan allait me glisser des mots encourageants ; Chris plaisanterait sur mon look. C'était un schéma qui se répétait.
- Billie, tu peux le lâcher un peu. Il ne va pas s'envoler, rigola mon frère.
Elle hocha la tête mais ne recula que de ridicules centimètres ; elle gardait précieusement ses bras autour de moi.
- Tu vas pouvoir rentrer avec nous ! On est venu le chercher, hein Gary ?!
Le concerné fut mal à l'aise. Il replaça plusieurs fois ses cheveux, pensif, avant de bredouiller :
- On... C'est... Ce sera peut-être pas pour longtemps mais oui, il vient avec nous dès que les médecins l'accordent.
- Dans notre vraie maison ?
- Je ne sais pas. Tu sais que j'ai des cours et je n'aurais pas le temps de faire des allers-retours jusqu'à Colhaw pour te déposer à l'école.
- Lean pourrait s'occuper de moi, enchaîna-t-elle comme si elle avait tout envisagé auparavant.
- Il doit se reposer. On en rediscutera, d'accord ?
Je devais me reposer et je n'avais plus de permis, on me l'avait enlevé. Aussi, je n'étais pas très rassuré de retourner dans cette maison ; elle détenait de nombreux souvenirs. Peut-être que Garrett préférait aussi rester seul à Seattle, menant sa petite vie d'étudiant.
- T'avais promis qu'on y retournerait ! s'énerva-t-elle en lui faisant face.
- Pas dans l'immédiat. Tu ne m'as pas entendu ? J'ai dit qu'on en reparlerait.
Rien n'avait tellement changé en fait depuis trois mois. Ces deux-là étaient toujours comme chien et chat. Garrett avait pris le rôle du chef de famille et Billie se comportait comme un bébé capricieux de 4 ans. Depuis deux ans, ça aurait dû passer mais ce n'était pas le cas. On formait vraiment une famille hors-norme. Sans pouvoir me contrôler, je me laissai porter par les rires. Je relâchai surtout toute la pression.
- Qu'est-ce qu'il a ? s'étonna Billie.
- Je crois qu'il se moque de nous. Tu lui montres ce que j'ai appris ?!
Je l'entendis pousser un cri strident puis elle me sauta dessus sauvagement. Son bras passa autour de mon cou ; elle tenta désespérément de le serrer. De ma main valide, j'agrippai son pull afin de la faire glisser par dessus mon épaule. Elle atterrit sur mes jambes, hilare. J'ignorai mes douleurs physiques à cet instant ; mon bien-être passait au-dessus.
- Allez, on se calme, décida Garrett qui regardait son portable. Pourquoi tu racontes pas à Lean comment tu te débrouilles avec ton spectacle ? Je reviens.
Il répondit à son appel, en sortant de la chambre. Billie se lançait déjà dans son récit. Elle était la metteuse en scène du spectacle de fin d'année, de son école. Quelque chose à propos des mythes grecques. Lorsqu'elle me confia avec légèreté qu'elle était la seule de la classe dont les parents ne seraient pas présents, ça me fit un pincement au coeur. Mais je gardais mon calme et l'écoutait jusqu'au bout, malgré son débit de parole affolant.
Finalement, Garrett revint avec Chris et Joan pour nous apprendre qu'il devait y aller. Mais il revenait aussitôt, il allait simplement chercher notre cousin coincé à quelques miles de là. Peut-être que c'était vrai, cette fois il ne m'abandonnerait plus.
Mais quelque part je m'en foutais, je comptais me relever par moi-même.
***
Je n'étais pas parvenu à dormir cette nuit sans les médicaments que j'avais refusé. Heureusement, la télévision m'avait tenu compagnie. C'était des trucs stupides mais ça m'avait suffi. Puis, ce matin j'étais tombé sur la chaîne d'informations de la région qui avait retenu toute mon attention.
Encore quatre heures après, les informations sur Burket Rivers revenaient. On pouvait lire en titre : Violente révolte dans le camp Burket Rivers, une enquête en cours. Un jeune journaliste expliquait qu'il avait été prévenu une semaine plus tôt par quelqu'un qui prétendait détenir un scoop pour lui. Il avait saisi l'occasion et avait tout fait pour être présent le 15 mars. C'était l'homme que j'avais vu aux côtés de Lieth et je devais avouer que Nora et son groupe avaient bien fait leur coup.
La chaîne montrait alors la vidéo qu'il avait tournée en direct de la mutinerie. Positionné dans la cour, derrière une fenêtre, il filmait les images de l'aile Z projetées sur le mur. Ca coupait lorsqu'il baissait l'objectif sur l'action même entre les coordinateurs et nous ; c'était apparemment dans les mains de la justice.
En ce moment même, des journalistes discutaient sur la possibilité de maltraitance dans ce camp qui existait pourtant depuis une vingtaine d'années et qui était contrôlé. Ils concédaient au moins que les images n'étaient pas contestables et que le voile devait rapidement levé sur cette histoire.
- Alors, ça y est t'as plus besoin de moi et tu m'oublies ?!
Je sursautai légèrement, je n'avais entendu personne entrer. Toutefois Ayden avançait vers moi, encore et toujours équipé de ses béquilles. Je tiltai alors : Hôpital de Portland, où Ayden se trouvait aussi ! Lui, contrairement à moi, avait l'air d'aller mieux. Il atteignit mon lit avec agilité et me fit signe de lui laisser de la place. Encore déboussolé par sa présence, j'obéis tout de même. Il se hissa sur le matelas, habile, et porta sa jambe pour ne pas trop forcer dessus. Je me demandai ce que ça lui faisait d'avoir une prothèse mais j'étais mal placé pour lui poser la question. Je ne le pouvais pas de toute façon.
- Tu rigoles pas quand je te dis de ne plus laisser les autres te marcher dessus, avança-t-il en désignant la télévision du menton. Dommage que j'ai raté ça, mais j'ai vu des vidéos.
Je haussai les épaules, amusé. C'était grâce à lui si tout cela avait fonctionné. Il avait accepté de m'aider et plus encore, il s'était soucié de moi. Il m'avait fait sortir de l'aile Z, dorénavant du camp. Ayden avait beau essayer de paraître méchant, il ne l'était pas.
- Ça va ? demanda-t-il tout à coup sérieux.
Je répondis positivement, fuyant son regard. Je sentais qu'il ne me lâchait pas des yeux. Au contraire, son visage se rapprocha du mien. Putain, il foutait quoi ? Mes pulsations prirent une vitesse supérieure. Je n'étais plus branché au moniteur sinon, il m'aurait pris pour un taré. Ça me stressait de le sentir aussi près.
- Regarde-moi.
Je levai les yeux, plongeai dans les siens et ne bougeai plus. Son souffle venait caresser mes lèvres. Je me sentais de plus en plus mal à l'aise. À en juger son sourire, c'était bien son but.
- Si tu essayes encore une fois de te tuer, siffla-t-il, je ferai en sorte de te garder en vie, encore, et de te faire souffrir chaque jour.
Je commençais à sourire. Il empoigna le col de ma blouse et me maintint. Ses pupilles étaient resserrées de colère ; ça ne me donnait plus tellement envie de prendre ses mots à la légère.
- Je plaisante pas. Il y a trop de personnes qui tiennent à toi, dont ma soeur. Tu connais la suite !
Il « refusait que sa soeur souffre à nouveau à cause d'un con » - je connaissais le discours. Il en fut satisfait, tapota mon torse et reprit simplement sa position précédente. Tout permis, il changea la chaîne télévisée. On se plongea dans le dessin-animé diffusé pour ne surtout pas faire attention à l'un et l'autre.
Plus d'un quart d'heure passa dans cette ambiance jusqu'à ce que la porte s'ouvre à toute volée. D'abord apparût Garrett puis Lieth et enfin Nora, suivis par une délicieuse odeur. Je mourrais de faim ! Les boîtes qu'ils tenaient dans leurs mains annonçaient une bonne nouvelle. C'était exactement ça qui m'avait manqué au camp.
- T'as pas fait tout ça pour mourir à cause de la nourriture merdique de l'hosto, perça Lieth.
Était-ce bien le même garçon qui m'avait aboyé dessus des semaines avant ?! Néanmoins, il ressemblait plus au Lieth que j'avais toujours connu. Joyeux, amusant, léger. Sa soeur se dirigea vers nous, prit premièrement Ayden dans ses bras puis ce fut mon tour.
- On ne pouvait pas venir avant de faire notre déposition et tout ça, m'expliqua-t-elle. Tu vas bien ?
Énième hochement de tête. Ce n'était plus tellement un mensonge. La fatigue disparaissait peu à peu, mon corps retrouvait son énergie, le sentiment de sécurité était bénéfique.
- Ayd, t'étais pas obligé de te mettre sur son lit.
- Quoi ?! protesta-t-il. Je suis handicapé !
- Quand ça t'arrange.
- Allez tais-toi, je suis juste venu pour les pizzas.
Leur triplé, premier fan des provocations d'Ayden, gloussa dans son coin. Elle leva les yeux au ciel mais lui donna un carton et alla s'asseoir sur les genoux de Garrett qui ne m'avait pas lâché du regard. Je forçai un sourire pour le rassurer et ça lui suffit puisqu'il se concentra sur sa copine. Ces deux étaient similaires tandis qu'Ayden et moi n'étions pas tant différents dans le fond. Ils s'accrochaient aux gens pour tenir ; nous, nous les éloignions.
- Lieth, devine qui est-ce que j'ai croisé en venant ! lança Ayden tout sourire.
- Noooon... Sorcière ?!
- Si, elle m'a dit qu'elle était revenue pour les vacances.
Ils se moquèrent de cette dame qui était apparemment internée à l'hôpital sous le regard approbateur de Nora. Les triplés étaient toujours amusants à regarder ; c'était en partie pour cette raison que j'avais toujours adoré être avec eux. Je ne ressentais pas d'obligation ou de frustration quant à mon mutisme.
- Vous savez bien qu'elle a des problèmes psychologiques, la défendit-elle au bout d'un moment.
- Et alors ? rétorqua Ayden. T'es folle et on se fout bien de ta gueule ! Ça pose pas de problème.
Lieth était évidemment mort de rire tandis qu'elle s'empressait de contester. Elle paraissait énervée par la pique mais son sourire signifiait tout l'inverse. Démunie, elle reprocha à Garrett de ne pas la défendre.
- T'es folle, on y peut rien, la taquina-t-il.
- Je rêve !
Ils avaient beau faire tout le temps le coup à Nora, elle tombait dans le panneau. Plus elle s'agaçait, plus ils insistaient. Je ne m'en lassais pas. Ça m'avait terriblement manqué.
Je les regardais, capturais ce sentiment singulier qui me traversait et me demandait automatiquement si Isaiah était aussi bien entouré. Son père était-il venu ? Avait-il quelqu'un sur qui compter, qui lui tenait compagnie, lui changeait les idées ? Ou était-il tout seul à se demander comment j'allais de mon côté...
C'était nouveau mais je me sentais chanceux. Ayden avait raison, je comptais pour certains et je devais le prendre en compte. Peut-être que je ne valais rien à mes propres yeux cependant il y avait des personnes qui avaient un coeur assez grand pour m'y laisser une place. Ce, en dépit de tous les efforts fournis pour les décevoir. C'était une chance car ce n'était pas le cas de tous les gars du camp.
Je devais demander des nouvelles de Isaiah sinon je risquais de partir d'ici sans n'avoir aucun contact. Je ne voulais pas le faire sortir de ma vie.
Une bonne partie de l'après-midi s'écoula en compagnie des triplés et de mon frère. C'était de loin la meilleur après-midi que j'avais passé depuis des mois. Mon amie m'avait assuré qu'elle me raconterait très vite comment ils s'étaient débrouillés pour nous aider, mais je devais en échange demander à un de mes " amis " de lui faire part de notre plan. Elle s'était montrée curieuse et excitée, surtout touchée de réaliser que tout avait bel et bien fonctionné. Ce sujet mis de côté, les discussions restèrent légères et amusantes.
Puis, on redescendit tous sur terre lorsque Lieth regarda l'heure et nous informa qu'il devait y aller. Ayden aussi car il avait une séance de rééducation à laquelle Nora l'accompagnait. Avant de partir, il profita de la discussion personnelle que tenait le couple pour se tourner vers moi. Il hésita quelques secondes et se lança :
- J'ai quelque chose pour toi.
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Comme promis, un nouveau chapitre ! Celui là était beaucoup plus facile pour moi à rédiger (j'ai toujours des difficultés pour décrire des actions) car tous les personnages sont tellement caractérisés que je n'ai même plus à réfléchir pour écrire.
On apprend pas grand chose mais il s'opère un vrai changement chez Leander - qui sera perceptible je l'espère ! Comme vous l'avez vu, on est passé à la deuxième partie de l'histoire et celle-ci va davantage se concentrer sur les conséquences de la mutinerie et du coup le comportement de Lean face à cela.
Vous avez aimé ? Vous ne m'en voulez pas trop pour repousser la scène Lean/Isaiah encore à plus tard ahah ? Merci pour vos commentaires sur le précédent chapitre, je prendrai la peine d'y répondre si ce n'est pas déjà fait !
Bye ♥
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