19 - Forsake
Je reculai à toute vitesse. Soudain, une main de fer s'abattit sur mon épaule.
- Tu pensais aller où ? J'ai construit cette endroit, martela une voix rauque à mon oreille.
Je soufflai, vaincu, et laissai le chef des coordinateurs me pousser face au mur. Il s'empressa d'appeler les autres en renfort pendant qu'il rassemblait mes mains dans mon dos. Il arracha le portable encore entre mes doigts. C'était terminé, j'avais tout foutu en l'air. Voilà, nous étions arrivés au moment où le piège se refermait sur moi.
Des pas se rapprochèrent. Malgré la faible lueur du couloir, je reconnus sans peine McAlafy et Julien, celui qui s'était chargé de rapporter mon comportement. Il était pire que tous les autres car, lui, m'avait fait croire qu'il était une personne de confiance dans ce lieu.
- Attends, s'exclama le psychologue.
Mac s'avança vers moi, souleva mon t-shirt, attrapa la corde autour de mon bassin avant de tirer d'un coup sec. Elle céda facilement et il put récupérer la boîte de médicaments qu'il m'avait auparavant donnée. Sans me lâcher du regard, il la glissa dans la poche de sa veste.
- Portable, demanda-t-il ensuite la main tendue.
M. Perrin lui donna l'objet qui, non récupéré, s'écrasa sur le sol miteux. McAlafy s'empara ensuite de quelque chose dans mon dos et le temps d'après, il s'acharnait sur le portable avec une barre de fer. Je le regardai se réduire en miettes, au fur et à mesure, illustrant parfaitement la promesse que le psy nous avait faite. Il n'avait jamais envisagé de nous aider, il avait tout prévu pour nous avoir.
- Une chose de plus que tu apprendras ici, c'est que tu ne peux compter que sur toi-même !
L'emprise sur mes avant-bras se resserra puis je sentis un picotement familier. Une sensation qui ne pouvait appartenir qu'à une piqûre. J'étais vite entré dans l'aile Z et j'étais persuadé dorénavant de ne pas en sortir avant longtemps. J'étais bloqué dans cet endroit, mais pire que tout : j'étais à leur merci. Je devenais un énième rat de laboratoire.
Plus j'y pensais, plus l'anxiété grandissait en moi. Au bout de combien de temps s'inquiéterait-on de mon absence là-haut ? Et dehors, ma famille insisterait-elle pour me voir ? Et qu'allaient-ils faire de moi ? Allaient-ils me laisser entre les mains du coordinateur pédophile ? Comment la drogue allait-elle agir sur moi ? Si mes pulsions les plus violentes finissaient par gagner ?
J'avais déjà perdu le contrôle de mon corps un bon nombre de fois, alors je ne voulais pas le vivre à nouveau car j'avais peur du résultat. Peur de ce que j'allais devenir. Mais, j'étais impuissant ; mon esprit se mit en veille petit à petit. Ce fut d'abord ma tête qui se mit à tourner, puis ma vue qui devint trouble et mon énergie qui se vida. C'était léger au début puis ça s'amplifia à chaque minute.
Bientôt, je me sentis basculer en arrière. Et je n'atterris pas. Je tombai dans le vide.
***
~ Assis dans un coin caché de mon lycée, pour fuir les emmerdeurs de seconde année, je fus étonné de voir quelqu'un s'asseoir à mes côtés. Mon regard surpris tomba dans des yeux gris que je connaissais très bien, ceux du triplé de Nora. J'hésitai un moment à savoir si c'était Lieth ou Ayden mais je misai sur le deuxième car il avait cette attitude impressionnante qui lui était propre. Cela faisait quelques semaines que je discutais avec sa sœur maintenant et je n'avais pas encore eu l'occasion de l'approcher. Son air distant ne m'en donnait toutefois pas envie.
- Qu'est-ce que tu fous dans un endroit aussi paumé ?
Je le fixai toujours, les sourcils froncés. Et lui qu'est-ce qu'il foutait là ? Il comprit sans doute le fond de ma pensée à mon expression car il enchaîna :
- Je sortais du bureau du coach. Toi, tu te caches !
Je secouai la tête de gauche à droite, niant comme à mon habitude. Il ignora ma réponse et me prit le sandwich non entamé des mains. Dans un réflexe irréfléchi, je m'apprêtai à lui sauter dessus mais je me restreignis. Je n'avais pas faim de toute manière.
Au lieu de le manger il le regarda sous toutes ses formes et ricana. Il n'y avait rien dedans, c'était ridicule mais ma tante était assez étourdie pour oublier les ingrédients principaux. Je ne pouvais pas lui en vouloir. C'était déjà sympa de sa part de prendre un quart d'heures chaque matin pour nous préparer nos déjeuners. Quelle idée quand même, un sandwich à la...
- Salade ? souleva Ayden. Y'a vraiment que ça dans ton sandwich ? Je comprends pourquoi tu te caches pour bouffer ça !
Je souris et lui repris la nourriture, faisant fi de son regard moqueur. Je le rangeai dans mon sac puis me relevai dans le but de m'en aller. Evidemment, le grand chef Ayden ne fût pas du même avis. Sa main entoura mon poignet et me retint avec brutalité.
- Comme la cantine est dégueulasse, je m'emporte toujours un truc.
Il m'envoya un carré de pain de mie, bien plus appétissant. Et je ne voulais pas le vexer, alors je le remerciai d'un mouvement de tête et me mis à le manger par petits bouts. Les yeux baissés, je sentais pourtant son regard sur moi.
- Tu t'entends bien avec Nora, alors ? lança-t-il d'un air presque innocent.
Voilà la raison de sa venue. En très peu de temps, j'avais compris que s'il ne fallait pas affronter quelqu'un c'était bien Ayden Gallagher. Ne pas l'affronter signifiait ne pas faire de mal ni à lui, ni à ses proches et surtout pas à Nora. C'était la personne qu'il aimait le plus et qu'il protégeait comme un fou, pour une raison qui m'échappait encore. Elle était si fragile que quelque chose devait lui être arrivé ; je reconnaissais la souffrance en elle, un peu aussi dans son entourage.
J'acquiesçai simplement. Elle était la seule amie que je m'étais fait dans ce lycée, la seule que j'avais laissé approcher après la mort de mes parents quelques mois plus tôt. Mon attachement pour elle avait augmenté d'un cran lorsqu'elle s'était décidé à apprendre le langage des signes pour communiquer avec moi. C'était une bonne personne.
- Cool, je sais que c'est réciproque ! Je sais pas si tu t'en doutes mais elle traverse une période difficile alors j'espère que tu sauras bien te comporter et que tu ne lui en demanderas pas trop...
Je relevai aussitôt les yeux. Il n'avait plus rien de sympathique dans son regard, il était neutre à présent. Il voulait faire passer son message le plus clairement possible, c'était tout.
- J'imagine déjà ce qu'elle a en tête, elle compte t'aider et te tirer vers l'avant, continua-t-il poussé dans sa lancée, mais elle n'en est pas capable. Pas en ce moment. Elle n'est pas assez forte pour que tu t'appuies sur elle, même si elle te fait croire le contraire. Ses problèmes sont bien trop lourds pour qu'elle en supporte d'autres. Ok ?
Je n'étais pas tout à fait d'accord, Nora était plus forte qu'il avait l'air de le penser. Mais peut-être qu'elle faisait semblant ; il la connaissait mieux que personne. Puis, mon but n'était pas de l'accabler davantage. J'avais pour habitude de garder mes problèmes pour moi, il n'avait pas à s'en soucier. Donc je continuai de hocher la tête.
- C'est pas contre toi, je veux juste que ma sœur s'en sorte. J'espère que tu trouveras quelqu'un qui t'aidera, toi !
Il avait dit cela avec une telle conviction que ça me toucha. Lui se battait pour le bien-être de Nora. Mon grand frère, lui, me traînait derrière lui comme un boulet. Il était fatigué de ma tristesse, fatigué de ne pas pouvoir avancer à cause de moi. Les paroles d'Ayden pouvaient paraître crues et terribles mais je le comprenais. Il faisait ça pour lui, pour elle, pour tout leur groupe.
- Putain Ayd', tu pourrais éviter de m'ignorer quand je t'appelle ?! râla une voix qui surgit de nulle part.
Son sosie se présenta face à nous, avec ce sourire avenant qui était sa marque de fabrique. Lieth, soit la version améliorée d'Ayden. Il passa une main dans ses cheveux châtains tout en me saluant avec joie.
- Vous faites quoi ? Un rendez-vous secret ? se moqua-t-il. C'est adorable, laissez-moi en faire une fan-fiction !
- Ferme-là, grogna son frère.
Il mit un petit moment à faire taire ses rires puis son air sérieux transforma tout son visage.
- Alors, le coach t'a pas cramé ?!
- Mec, souffla Ayden, c'est facile d'être toi : être toujours niais, sourire pour un rien, faire des blagues de merde et c'est dans la poche !
Sa remarque attira les foudres de son triplé puisqu'il se reçut un coup auquel il répondit d'un geste vif. Une course poursuite démarra et leur raffut laissa s'installer un silence apaisant. Et un sourire sur mes lèvres. Ces mecs étaient fous ; tout leur groupe d'amis semblait se prêter à cette même folie. Quand je les voyais, je ne pouvais m'empêcher de me comparer à eux et de me demander pourquoi je n'arrivais pas, moi, à garder une telle joie de vivre au-delà de mes soucis. J'enviais leur force. J'enviais leur façon de répondre à la vie, en lui montrant qu'il leur en fallait bien plus pour être à terre.
Moi, j'étais tombé au premier coup.~
***
La douleur qui me tiraillait tout l'avant-bras me fit vaguement échapper à mes divagations. J'étais allongé au sol, la tête dans la poussière. Je retirai ma main blessée du poids de mon corps, l'étendant plus loin. Ce simple geste me demanda un grand effort tant mon esprit était ailleurs. Ma tête pesait une tonne, assailli par des maux de plus en plus forts.
Je fermai les yeux.
Quand je les ré-ouvris, je me trouvai dans une salle plus éclairée.
Sur mes pieds. Entouré d'autres personnes. J'entendais une voix grave dicter des ordres mais comme je ne compris pas tout de suite, je me contentai de suivre les garçons qui se mirent à terre. Les yeux fixés sur la nourriture qui nous attendait, j'effectuai les interminables pompes.
Tout le monde s'affala au nombre 150. Je fis de même, luttant contre mon propre esprit qui tentait de m'emporter. J'avais cette terrible envie de somnoler et j'avais beau résister comme je le pouvais, ce n'était pas assez. Cette force était plus grande que moi, elle gagnait à chaque fois.
Je n'étais plus maître de mon corps, ni de mon esprit.
Ma vie était entre leurs mains.
***
Je fus réveillé brutalement, agité dans tous les sens. Je me tournai, sur la défense et sursautai en voyant Isaiah et Regan auprès de moi. Je regardais tout autour, et l'air qui circula sur ma peau à peine couverte répondit à mon inquiétude. J'étais à l'extérieur. Nous étions en pleine nuit, au beau milieu d'un endroit du centre que je ne connaissais pas. Comment étions-nous arrivés là ? Comment étaient-ils parvenus à me faire sortir ? Jamais je n'aurais pensé être à ce point ravi de revoir deux mecs de Burket Rivers.
- Faut qu'on grouille, avant qu'ils s'en aperçoivent ! s'exclama Regan à voix basse.
- Ouais, mais on va où ?
- Dans une de nos chambres et on verra après !
Ils étaient en face de moi, le visage tirés de nervosité.
- C'est là où ils viendront chercher en premier, rétorqua mon ami, non trouve autre chose.
- Pas dans ma chambre, tout le monde pense qu'on se déteste. Arrête de réfléchir mec, on perd du temps ! Aide-moi à le porter.
Leurs bras passèrent sous les miens et ils me soulevèrent en un rien de temps. J'aidais du mieux que je pouvais mais je n'avais plus aucune force. Je sentais seulement le sol sous mes pieds sans toutefois pouvoir appuyer pour faire un pas. Ma tête tomba contre celle d'Isaiah alors que la fatigue m'aspirait à nouveau. J'étais rassuré de le savoir à mes côtés, savoir qu'il ne m'avait pas abandonné comme il me l'avait promis. C'était un réel ami.
- T'as entendu ? chuchota-t-il soudainement.
- Quoi ?
- La porte, ils arrivent !
Ils augmentèrent la vitesse de leur démarche, de même que mes pulsations s'accélérèrent. Ils manquèrent de trébucher un bon nombre de fois car mon corps amorphe ne les aidait pas. Quelques instants après, un faisceau lumineux nous balaya et des appels suivirent. Le bras de Regan me quitta. Je m'effondrai aussitôt, emportant Isaiah dans ma chute. Il criait à Regan de revenir, de nous aider, mais le concerné s'éloignait en courant vers le bâtiment.
- Leander, relève-toi ! me cria-t-il ensuite.
D'autres voix s'ajoutèrent à la sienne, formant un énorme brouhaha angoissant. Je posai mes mains sur mes oreilles dans l'espoir de ne plus entendre toutes ces voix qui criaient mon prénom puis des ordres. Mais je remarquai malgré tout que la voix d'Isaiah s'effaçait ; il ne resta plus que toutes les autres.
Les arbres furent remplacés par des murs étroits, sombres. La nuit fût éclairée par une lumière artificielle aveuglante et mon ami n'étais plus présent. Il y avait, à sa place, tout un groupe de jeunes rassemblés autour de moi. Ils me touchaient et me bousculaient de tous les côtés, répétant des paroles qui se mélangeaient.
J'étais toujours dans l'aile Z et pour survivre, mon esprit me jouait des tours.
***
~
- T'es impatient ?
Ma mère me regardait, souriante, installée à ma gauche. Nous venions tout juste de décoller et je n'avais qu'une hâte, celle d'atterrir. Elle désigna ma jambe tremblante d'un geste de la tête. Je lui répondis positivement. Ça faisait deux ans que je n'avais pas vu Ash. Si la distance éloignait certains cœurs, elle avait pourtant rapprocher les nôtres. Et je ressentais la nécessité de partager mes sentiments. J'étais impatient mais j'avais surtout peur.
- Je t'ai jamais vu aussi content de voir un ami, releva mon père en arrêtant sa lecture.
Dès qu'il avait un temps libre, il le comblait en lisant. Alors les heures d'avions étaient un pure moment de tranquillité pour lui. J'étais surpris de voir qu'il n'était pas si concentré pour avoir entendu nos paroles. C'était rare que mon père fasse preuve de curiosité.
- C'est mon meilleur ami, éludai-je.
Mais pas que...
- C'est lui qui te manque ou sa jolie grande sœur ?
- Oh, mais... Je t'ai déjà dit qu'elle passait juste comme ça !
Ash et moi comblions l'absence de l'un et l'autre par des longues discussions sur Skype. Pratiquement tous les jours, à n'importe quelle heure, dès qu'on le pouvait. Et quand nous ne pouvions pas, les messages remplaçaient le vide. Un mois plus tôt environ, alors que Ash s'était absenté pour quelques minutes, sa grande sœur que j'avais fini par connaître était passée dans sa chambre et nous avions discuté.
Mon père était évidemment entré dans ma chambre à ce moment-là et ça faisait des semaines à présent qu'il restait fixé sur cette idée. Et je remerciais ma mère, au fond, de toujours pas avoir craché le morceau sur mes "attirances". Peut-être parce qu'elle considérait cela comme normal, que ce n'était pas quelque chose que l'on avoue à l'instar d'un crime... Ou peut-être parce qu'elle avait le même sentiment que moi : mon père n'accepterait pas.
La peur de le décevoir, de le perdre, m'encourageait à garder ce précieux secret. ~
- Leander...
Je tournai immédiatement la tête, le cœur transpercé par cette voix que je n'avais pas entendu depuis longtemps. Ça me brisait et ça me réconfortait en même temps. Je réprimai un sanglot en le voyant debout, à l'entrée de cette pièce sale. Ses yeux bleus m'observaient avec tendresse et admiration, comme toutes ces fois où j'avais fait preuve de bons actes. Mon père, fervent chrétien, adorait voir que ses fils se comportaient avec respect, humilité, altruisme et grande bonté.
Je voulus me lever, avide de le rejoindre mais mes muscles ne répondirent pas. Impuissant, j'éclatai en sanglots. Je voulais le retrouver à mes côtés, le serrer dans mes bras, profiter de sa présence. Je voulais effacer cette dernière vision que j'avais de lui, étendu dans les débris, ensanglanté. Je voulais reprendre la parole, lui dire que j'aurais voulu me comporter autrement. Et que j'étais désolé, de ne pas lui avoir tout dit de moi, et de ne plus être le même à présent.
- Pourquoi pleures-tu ?
La pointe de moquerie dans sa voix me fit craquer un peu plus. Il n'y avait que lui pour parler ainsi à une personne en pleurs car il considérait qu'il n'y avait rien sur terre qui méritait nos larmes. Il n'y avait rien d'insurmontable sur lequel se lamenter.
- Tu as fait de ton mieux, assura-t-il.
Il fit quelques pas en avant, révélant son visage sérieux et son regard pourtant si doux. J'avais des tonnes de mots à lui dire mais aucun ne sortait.
- Je t'ai entendu dans chacun de tes silences, murmura-t-il. Tu n'as pas à culpabiliser, à être désolé, à regretter. Tu n'as plus à regarder vers l'arrière mais vers l'avant, car c'est là où l'on se trouve, ta mère et moi. Tout au bout, à la meilleure place pour te regarder avancer.
Je plongeai ma tête dans mes bras, épuisé par toutes les émotions qui me secouaient. De la joie au désespoir le plus profond. Je me débarrassai d'elles une bonne fois pour toutes. Je voulus le regarder une dernière fois, pour mémoriser ses traits et ne jamais les oublier. Mais, en tournant à nouveau la tête, il n'était plus là. Il n'y avait jamais été. J'avais encore été victime d'une hallucination.
Il n'y avait plus qu'un long silence et moi, abattu.
***
Je passais mon temps à vivre par bribes, j'étais conscient durant quelques secondes puis plongeai à nouveau dans l'inconscience totale. Et j'avais rapidement saisi que tous les moments que je pensais vivre n'étaient que de stupides imaginations. Sinon, c'était des souvenirs interminables.
J'avais cru être dehors un bon nombre fois, sauvé par une différente personne. Et même si c'était faux, les sensations m'avaient parues bien réelles. Je me souvenais de la fois où le soleil m'avait brûlé les yeux. De la verdure tout autour de moi, de mon passage près de la piste de sport. Ou quand la pluie fraîche s'abattait sur mon corps pendant que je courrais comme un fou. Tout se mélangeait, me retirant une quelconque notion du temps.
- Hé sale môme !
Alors que je me sentais basculer sur le côté, je ne tombai pourtant pas car soutenu de justesse par une puissante poigne. Les vertiges m'empêchaient de garder mon équilibre plus de cinq secondes alors descendre toutes les marches devant moi était mission impossible.
- Un pied devant l'autre et on y est, dicta la personne à ma droite.
L'obscurité dissimulait son visage mais je savais à sa voix, et à sa corpulence, que ça ne pouvait être que Sergent Blondie. Où m'emmenait-il ? Était-ce possible d'aller plus bas que les sous-terrains ? Malgré ce que j'avais pu croire, lui aussi travaillait dans l'aile Z.
- Dans quelle merde, t'es parti te mettre...
Il marmonnait tout un tas de trucs mais je n'en comprenais que la moitié. Le bras autour de ses épaules, je pris tout mon appui sur lui pour avancer. Nous arrivâmes finalement dans une salle dont je ne voyais que le carrelage sale ; j'étais bien incapable de relever la tête. Il me laissa tomber sur une chaise bien plus confortable que ce que j'avais pu connaître jusque là et après avoir échangé quelques mots avec quelqu'un, me tendit un gobelet en plastique dont le contenu était d'une couleur suspecte.
Je refusai catégoriquement et repoussai de ma main.
- C'est pas vrai !
Sa grosse main me chopa la mâchoire tandis que son autre libre, fit glisser le liquide dans ma bouche. Je m'étouffai presque avec et fus obligé de boire. Il finit par laisser tomber le verre par terre avant de s'éloigner. La gorge encore serrée, une toux me secouait le corps. Le calme me poussa à croire que j'étais enfin seul ; j'en profitai pour m'allonger en travers des chaises afin de dormir sur une surface plus ou moins supportable.
Mon esprit faisait tourner les boucles les images dans mon cerveau. Les escaliers que je descendais. La salle en carrelage. L'odeur insupportable qui y régnait.
***
~ Depuis que j'étais sorti de l'hôpital, quatre jours plus tôt, la réalité m'était encore plus dure à vivre. J'avais abusé des antidépresseurs prescrit par le médecin en prévision de prochaines crises d'angoisse et j'avais donc passé mon temps dans mon lit, dans un état végétatif qui me permettait de fuir. J'étais déterminé à faire un aller-retour entre ma chambre et ma salle de bain mais des pleurs étouffés me stoppèrent aussitôt. Il provenait de la chambre à deux portes de la mienne, celle de mes parents. Je me tournai et m'y dirigeai à toute vitesse puis me retins. C'était trop dur d'y aller, la douleur jusque-là endormie se manifestait déjà. Je fis demi-tour vers ma direction initiale. Toutefois les pleurs étaient de moins en moins contrôlés et si je pouvais ignorer ma peine, je ne pouvais pas faire de même pour celle d'un proche. D'autant plus que cette personne était sans doute mon grand frère.
Résigné, je me dirigeai vers la chambre parentale, poussai calmement la porte, et gardai la main bien accrochée à la poignée, comme par peur de chuter trop vite. J'avais vu juste car Garrett était agenouillé parterre, au beau milieu de sacs de voyage et de vêtements éparpillés. Je reconnaissais, à toutes ces chemises et pantalons strictes, les vêtements de notre père. Ses pyjamas ridicules aussi que nous nous évertuions à lui offrir à chaque anniversaire. Ses chaussures toujours bien entretenus et ses vestes de marque. La seule idée qui me vint à l'esprit est que cette scène de désordre lui aurait absolument déplu. Mais maintenant qu'il n'était plus là, ça n'avait plus d'importance. C'était dur de le réaliser, de le comprendre.
J'effaçai la larme qui dévalai ma joue en même temps que Garrett prenait de grandes inspirations pour se ressaisir. Il faisait toujours de son mieux pour paraître fort devant ma petite sœur et moi, bien que ce soit difficile en ces conditions. Je partis m'asseoir à ses côtés, tout à coup coupable de l'avoir abandonné depuis mon retour à la maison. Je n'avais aucune idée de ce qu'il faisait mais ça paraissait important et particulièrement douloureux.
- Pourquoi tu fais ça ?
- Papi et Mamie veulent récupérer la plupart de ses habits, je dois tout rassembler avant leur départ, m'expliqua-t-il.
Le comportement rigide de mon père n'était pas difficile à comprendre lorsqu'on rencontrait ses parents. Ils étaient excessifs dans leur autorité, ce qui avait réussi à faire fuir leur seul et unique fils dès sa majorité. Nous n'avions jamais entretenu une fine relation mais ça ne m'étonnait pas de les voir arriver et réclamer. Ils pouvaient avoir tous les vêtements qu'ils souhaitaient, ça n'allait pas leur permettre de rattraper toutes ces années loin de lui.
- Est-ce qu'on peut le garder ? quémandai-je en soulevant le dernier pyjama que nous lui avions offert.
Il était recouvert de motifs censés être des tortues, rien de plus ridicule. Garrett dût se faire la même remarque que moi. Il éclata alors de rire. Mais ce fût peut-être une secousse de trop pour son cœur puisqu'il éclata en sanglots. Ses pleurs étaient déchirés, bruyants, désespérés. Ils emplissaient cette pièce trop vide à présent. Ils ouvraient un peu plus grand nos blessures. De mon côté, je n'arrivais pas à m'y faire à l'idée. C'était bel et bien le cas, car nous étions dévastés et ceux qui devaient nous réconforter n'étaient plus là pour le faire.
A cette pensée, j'eus l'impression de briser le peu qu'il restait de moi. Mes larmes me brûlèrent la peau, mes spasmes m'étranglaient... Je n'arrivais plus à respirer en pensant à ce que nous avions perdu : nos repères. J'allais regretter les réprimandes de mon père et la trop grande curiosité de ma mère. Leur douceur me manquait déjà. Les regards qu'ils nous portaient dès qu'ils le pouvaient. La fourberie cachée de papa et l'humour extra de maman.
- Je suis désolé, dis-je d'une voix entrecoupée.
Mon frère posa ses yeux rougies sur moi ; je pouvais facilement y lire sa confusion.
- Est-ce que tu m'en veux ? Est-ce que t'es en colère, contre moi ? Parce que moi je le suis. J'aurais dû mourir à la place de papa, s'il ne m'avait pas laissé sa place au milieu ! continuai-je à déblatérer. J'aurais dû mourir à la place de maman si je...
- Non ! s'écria-t-il. Non, enlève-toi ça de la tête Lean !
Sa voix était monté d'un ton sans que je ne m'y attende. Il posa lourdement son bras contre moi puis m'attira dans ses bras, alors que sa respiration redevenait normale. Il pouvait le nier, ça n'enlevait pas ma conviction personnelle.
- Si tu es encore là, c'est pour une raison ! Ce n'était pas ton heure, tu es destiné à continuer ta vie, peut-être pour quelque chose de mieux, murmura-t-il alors. Je l'espère car j'aime croire que notre existence a un but et que la puissance de Dieu nous aide à l'atteindre.
Je fermai les yeux en entendant son baratin religieux dont j'avais déjà souffert aux obsèques. Ça n'avait aucune valeur pour moi, simplement des mots. Garrett, lui, s'y raccrochait plus encore qu'avant ; peut-être parce que c'était tout ce qu'il lui restait pour tenir. Je savais au moins qu'il était là, que j'avais perdu mes parents mais que mon frère et ma sœur malgré son jeune âge étaient toujours avec moi.
Soudain, il se recula, plaqua sa main dans ma nuque et m'obligea ainsi à ne voir que lui.
- On va avancer ensemble, Billie, toi et moi. Et on compte bien aller le plus loin possible. Ok ? ~
Je voulus hocher la tête mais son emprise trop forte m'en empêchait. Il répéta plusieurs fois ses mots puis son regard s'assombrit avant qu'il ne m'agresse : « Alors, dépêche-toi de te tirer de là!»
Pris d'une sueur froide, je me redressai d'un mouvement irréfléchi. La blancheur de la pièce m'inspira une sensation de douceur à laquelle je n'étais plus habituée. Mes doigts se refermèrent sur une couette chaude qui recouvrait mon corps. Le lit sur lequel je me trouvais me paraissait irréel mais cette fois, j'étais persuadé de ne pas halluciner.
Je tournai la tête pour apercevoir la fenêtre dotée de barreaux qui laissait passer une lueur orangée digne d'un coucher de soleil. Sur une table de chevet se trouvaient une bouteille d'eau, quelques madeleines et un fruit. Je me jetai littéralement dessus, l'estomac creusé. J'avalai le tout en quelques ridicules secondes sans pour autant réussir à combler mon appétit. Je crevais de faim mais je restais là où j'étais, observant la pièce dans son moindre recoin.
Ça ne pouvait être que réel. J'espérais que ça l'était. Je me trouvais dans une chambre d'infirmerie ; je me foutais de savoir comment j'y étais parvenu. J'étais sorti d'enfer.
Je m'allongeai de nouveau contre le coussin épais mais me refusai cette fois à fermer les yeux, j'avais peur de les ré-ouvrir et m'apercevoir que ce n'était qu'un rêve. Je ne voulais rien manquer, vivre chaque seconde de soulagement. Le regard accroché à l'horloge, j'admirai l'aiguille se déplacer de minutes en minutes et j'étais heureux de ne toujours pas perdre cette vision.
***
En ouvrant les yeux, je me rendis compte que l'exténuation accumulée jusque-là avait eu raison de moi. J'avais probablement dormi durant des heures mais ma forme n'était toujours pas de retour. Je me tournai dans le lit, pour regarder l'heure, toutefois suspendit mon geste en apercevant le métisse assis à mon chevet. Ses yeux verts scannèrent mon visage entier, comme pour vérifier toutes les blessures. Je devais être affreux à voir, les cheveux rasés, les marques et cicatrices sur ma peau, et les traces de fatigue. Mais je m'en foutais.
Un sentiment particulier sembla réveiller mon cœur à coup de décharges électriques quand Isaiah m'offrit un petit sourire. Son regard se remplit de larmes mais il le cacha rapidement, en se penchant vers moi. Il chuchota quelques mots que je n'entendis pas, ou que je n'écoutai pas plutôt.
Je m'approchai à mon tour, j'ignorai la crainte qui grandissait, et déposai ma tête contre son épaule. Je ne me rappelai plus de la dernière fois où j'avais tant eu besoin du contact de quelqu'un, de la dernière fois où ça m'avait apporté du bien-être. C'était le cas à présent. Je me sentais mieux en sentant la chaleur de sa peau à travers son pull, en le sentant contre moi. Ce n'était pas faux ; il était bien là, je l'étais aussi - loin de l'aile Z.
Ses bras passèrent autour de mon corps qui me semblait, même à moi, si fragile en cet instant. Mes doigts se nouèrent dans son dos et effacèrent chaque centimètres entre nos torses. Sa tête reposait contre la mienne, son souffle caressai la peau de mon cou qui se manifestait par des frissons, nos cœurs paraissaient s'envoyer des messages codés à toute vitesse.
Finalement, mon stress s'éteignit entièrement. J'avais évité et refusé d'être touché pendant longtemps si bien que ça ne m'était plus familier. Chaque toucher avait le malheur de me rappeler ma propre existence que je regrettais. Pourtant, à ce moment, l'étreinte me provoqua un meilleur sentiment.
Les minutes passèrent dans cette tendresse et ce silence. Isaiah n'avait pas pris la parole une seule fois, je lui en étais énormément reconnaissant. J'avais cette impression que d'une certaine manière il comprenait mes besoins et envies. Je n'avais plus eu un tel ami, depuis Nora. Plus depuis Ashiki...
J'avais fini par m'étendre à nouveau sur le matelas et il ne m'avait pas lâché, s'allongeant contre moi. Aucun de nous deux n'était prêt à lâcher l'autre, par peur de ce qui pouvait bien arriver. Nous ne pouvions plus que compter sur nous ; lui, n'avait pas eu besoin d'être dans l'aile Z pour le savoir.
Je fixai sa main posée sur mon torse, profitant de l'effet que ça me procurait. C'était étrange de constater que je n'étais plus tout à fait seul. Il y avait des dizaine de jeunes dans ma situation, et plus d'une cinquantaine qui partageaient les mêmes colères et les mêmes frayeurs dans tout le camp. Plus encore, Isaiah semblait aussi attaché à moi que je ne l'étais à lui. Je l'avais, lui. Peu importe les sentiments qui nous reliaient.
Une heure passa avant qu'il annonce qu'il devait y aller. Redressé sur un coude, il me surplombait de sa taille. Il garda son visage tout près du mien afin de me regarder dans le blanc des yeux. Ça dura un long moment, trop longtemps, je finis par être gêné et l'éloignai un peu d'un geste néanmoins doux.
- Tu sais quel jour où on est ? demanda-t-il simplement.
Je secouai la tête.
- Mardi, dit-il d'une voix serrée. Tu sais combien de temps tu y es resté ?
Nouvelle négation.
- Deux semaines. Tu veux savoir pourquoi t'es sorti ?
Cette fois, je répondis par le positif. Il détourna ses yeux une seconde, souffla puis m'expliqua :
- Le mec que tu vas voir à l'hosto, il a balancé que t'y étais pas allé vendredi dernier. Il a appelé ici, il parait qu'il était grave énervé. Apparemment, la justice t'y oblige ou un truc comme ça, je sais pas trop. C'est Mac qui nous l'a dit...
Je fronçai les sourcils, interloqué pour plusieurs raisons. Pourquoi McAlafy avait-il fait preuve d'honnêteté auprès des autres sur ça ? Et je peinais à réaliser... Ayden m'avait aidé, même inconsciemment ?
- Je dois y aller, reprit Isaiah en descendant du lit, mais je peux te poser une dernière question ?
J'acceptai. Il méritait bien des réponses après celles qu'il venait de me donner, surtout après deux semaines d'absence. Son air s'attrista. Il ne fût même plus capable de partager un regard avec moi, ses yeux parcouraient la pièce marquant sa déception.
- Tu n'as plus le portable, n'est-ce pas ?
Quand je niais, il n'eût pas l'air étonné. Il murmura que ce n'était pas grave, alors qu'il pensait tout le contraire, et commença à l'éloigner. Mais je tapais sur le lit pour attirer à nouveau son attention, je ne voulais pas le laisser partir comme ça.
Je sortis ma main blessée en dehors de la couette, déroula mon bandage d'une saleté dégoûtante pendant que Isaiah m'observait sans comprendre. J'éloignai ensuite l'attelle de mon annulaire et avant que ça ne tombe, récupérai ce que je cherchai. Un petit sourire de fierté aux lèvres, je lui brandis la mini carte SD qui contenait toutes les photos et vidéos de l'aile Z.
McAlafy avait voulu m'apprendre à ne compter que sur moi-même mais il ignorait que je le faisais depuis toujours.
1 - 0 pour Leander Hollington.
_________________
Heyheyehey ! Je suis de retouuuuur, toujours aussi motivée et fière de moi comme Leander est fier de lui ahah.
Ce chapitre est assez particulier, très compliqué à écrire car j'ai peur de vous avoir embrouillé entre souvenirs et hallucinations ! Chaque souvenir a d'ailleurs son importance dans l'histoire, surtout sur l'impact que ça va avoir sur la manière de penser du personnage. Bref, Vous en pensez quoi ? Contents que Lean soit enfin dehors ? Et la fin ? Je veux touuuuut savoir !!
On va bientôt passer à la deuxième partie de l'histoire : la vengeance heheheh (oui j'ai hâte) !
Merci pour votre soutien ! À bientôt,
Nagemy_
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top