18 - Deadlocked




La tête toujours vers le bas, je ne vis pas les autres quitter la pièce mais j'entendis leurs pas s'éloigner d'une allure traînante. Quelques plaintes furent interrompues par des rappels à l'ordre puis plus rien. Je crus être seul d'abord puis je perçus la respiration chargée qui retentissait entre les quatre murs de cette pièce humide. J'étais attaché alors je ne voyais pas vraiment l'utilité de rester avec moi pour me surveiller ; je ne pouvais aller nulle part.

- Malgré ce que tout le monde pense, muet ne te rend pas plus idiot que les autres, commença le coordinateur. Et encore moins sourd alors tout ce que tu entends, tu as intérêt à l'intégrer ! Compris ?

Sa voix n'était pas spécialement empreinte de méchanceté. Elle était neutre. Il paraissait tout simplement faire ce qui lui était demandé. Mais ça ne le rendait pas appréciable pour autant. Sa présence prouvait qu'il adhérait à toutes les pratiques de l'aile Z. Jamais un coordinateur n'avait souhaité mettre un terme à tout ça et sortir tous ces jeunes de cet enfer ?

Comme je n'avais toujours pas répondu à sa question, il reprit d'une voix bien plus forte :

- Est-ce que t'as compris ?

Je lui adressai un léger mouvement de tête pour son plaisir. Ses pas se déplacèrent un peu partout sans toutefois se rapprocher. C'était mieux ainsi. Et même si l'appréhension m'habitait, je me refusai à lever les yeux. J'étais épuisé à tel point que je n'en avais plus rien à faire de ce qu'ils pouvaient m'infliger. Rien ne serait jamais pire que ces longues heures passées dans le noir, le froid et le bruit, avec moi-même pour seul compagnon moi-même.

- Bien. T'es ici pour qu'on t'aide que tu le veuilles ou non ! Tu vas t'améliorer, en commençant par apprendre à être discipliné. Personne ne mérite toutes les violences que tu fais subir et tant que tu n'auras pas ancré cette idée en toi, tu ne sortiras pas d'ici et nous, on continuera de te montrer ce que ça fait d'être traité comme un moins que rien ! OK ?

Un nouveau hochement de tête de ma part. J'avais compris comment ça marchait à présent : se soumettre tout le temps.

- Un petit merdeux, c'est tout ce que t'es pour l'instant ! cracha-t-il. Regarde-moi...

Je saisissais mais ce n'était pas une raison pour que j'accepte de me plier à ce système. J'étais ici pour un bout de temps ; j'envisageais bien de leur compliquer la tâche. J'avais cet esprit de contradiction qui me poussait constamment à faire le contraire de ce qui m'était demandé. Puis, ça m'arrangeait puisque mon but était d'en découvrir le plus possible sur cette aile et pour ça, je devais rester assez longtemps.

Ses grosses chaussures claquèrent contre le sol dur et firent leur apparition sous mes yeux. La seconde d'après, il posa sa main épaisse contre mon crâne désormais rasé et me redressa la tête de force. D'un coup d'épaule, je repoussai son bras. Je gardai tout de même mon regard noir planté dans le sien. Il décida donc de rester là où il était, les mains dressées sous la défense comme s'il approchait une bête sauvage. C'était un homme banal, mis à part la longue barbe dégueulasse et ses longs cheveux châtains réunis en un chignon. Entre le pédophile, Sergent Blondie, Julien le traître, le mec qui s'appelait chasseur et un hipster maintenant, l'équipe de coordinateur était horrible à voir.

- Ça ne te plait pas d'entendre ça, hein ? Je sais comment vous fonctionnez, vous vous sentez forts parce que vous avez volé, frappé ou enfreint d'autres délits. Mais c'est là que vous vous trompez, vous n'avez aucune force et vous n'êtes rien avec ce genre de comportement ! Les gens forts ne sont pas enfermés ici, ils sont dehors en train d'affronter leur vie.

Il gagnait un point. Il avait raison mais il ne savait pas que je n'avais jamais prétendu être fort, ni à moi, ni à quiconque. Peut-être que c'était le cas pour certains gars du camp mais je n'en étais pas certain. Si nous avions cette rage de nous qui nous poussait à faire des choses folles, c'était surtout parce qu'on avait au fond cette voix qui nous persuadait que l'on ne valait rien. Elle était incontrôlable et finissait par gagner à chaque fois.

Il y avait ceux qui, convaincus, agissaient selon l'étiquette « délinquant » qu'on leur avait collée et il y avait ceux qui luttaient de toute leur force, tant que leur violence rejaillissait en dehors d'eux-mêmes et sur les autres. J'en faisais partie. Je n'avais pas besoin d'interminables heures avec ma psychiatre pour me rendre compte que la haine que je portais à mon entourage ce n'était que la haine contre moi-même. Elle était comme un monstre qui s'était nourri de mes mauvaises émotions et qui était dorénavant trop gros pour être caché. Voilà pourquoi j'étais passé du Leander triste au Leander violent.


***


Je ne m'étais pas tout de suite rendu compte du départ du coordinateur. Il avait du comprendre que je n'étais plus capable de l'écouter car il m'avait laissé. Et ce, pendant un très long moment. Je m'étais contenté de fixer le sol éclairé par la faible lumière dans le couloir. Mes cheveux y étaient éparpillés, à la fois noirs et châtains à cause du manque de teinture. Si mon père voyait ça... J'avais aussi écouté avec attention les bruits qui m'étaient parvenus.

Mes bras, tirés ainsi vers l'arrière, me provoquaient une sensation désagréable néanmoins je pouvais le supporter. Et quand je m'étais fait à l'idée que j'allais rester ici encore longtemps, quelqu'un apparût. Je ne vis pas son visage puisqu'il faisait dos à la lumière mais je reconnaissais parfaitement sa silhouette. J'en eus des frissons, à présent apeuré alors que je ne l'avais pas été depuis. J'étais en position de faiblesse et personne pour me sauver cette fois.

- Content de te revoir ici, se réjouit-il.

Il fit quelques pas et je pus voir son regard mauvais, accroché à moi. Ça suffisait à me mettre dans tous mes états. Il était la pire personne de tout le camp, le pire homme que j'avais pu rencontrer dans toute ma vie. Et s'il essayait encore une fois de me toucher, il allait le regretter.

Je me préparai d'ailleurs au fur et à mesure qu'il avançait vers moi. Ses yeux bruns me fusillaient clairement et ses poings serrés témoignaient de sa colère - semblable à la mienne. Nous étions tous les deux en colère de s'être fait humilié, sauf que lui était coupable et méritait d'avoir frôlé la mort. J'espérais qu'il se souvenait parfaitement de cette seconde de trop, sans respiration, où il s'était certainement imaginer mourir. De mon côté, je me rappelai encore de la sensation du drap que j'avais tiré de toutes mes forces.

- Tu sais parfaitement que tu as de la chance que ton petit toutou soit rentré ce soir-là, avança-t-il alors. Mais là, il n'y a personne... Que vas-tu faire ?

Te casser la gueule. Encore. Mes mains attachées ne m'en empêcheraient pas. Il avait l'air de penser le contraire puisqu'il me rejoignit, collant presque son visage au mien. Ma respiration s'était faite plus bruyante  ; j'étais animé par la rage et l'effroi quand il entoura ma nuque de ses doigts. Son sourire en coin me donnait envie de vomir. Je le regardais et ne pouvais m'empêcher de me demander s'il avait abusé de quelqu'un ? Ou étais-je sa seule proie car je ne communiquais pas ?

- T'étais mieux avec les cheveux mais ça fera l'affaire.

Une chaleur me traversa tout le corps en même temps qu'un trou énorme venait de se creuser sur mon cœur. Je ne devais pas paniquer. Je devais m'en sortir. Je le laissai approcher son visage encore un peu, ses doigts glisser sur mon épaule et lui administrai un puissant coup de tête, tout en le repoussa d'un pied. Il poussa une plainte à peine audible alors que je le regardai avec satisfaction. J'ignorai la douleur qui venait de naître dans mon arcade et le sang qui se répondait le long de ma tempe. Ce n'était rien comparé à mon plaisir de l'avoir tapé à nouveau.

- Christopher ! l'appela-t-on d'assez loin.

Le pédophile avait donc un prénom, je n'étais pas prêt de l'oublier. Si je payais les conséquences de mes actions, j'étais convaincu que lui aussi le ferait. Même si ça devait prendre du temps.

Il fonça sur moi à toute allure. Je me repliai instinctivement sur moi-même mais subis tout de même son torrent de coups. La plupart porté au visage me sonnèrent quelque peu si bien que je n'intervins pas lorsqu'il se pencha par dessus moi. Finalement, il me poussa sur le côté et je m'effondrai aussitôt.

- Lève-toi et si tu tentes quoique ce soit, je t'écrase ! grogna-t-il.

Les douleurs continuaient de se manifester de partout, mais surtout dans mon crâne. Mes muscles à force de s'être crispés n'étaient qu'une source de souffrance. Mais je refusais de rester au sol, face à lui. Une fois sur pieds, malgré les efforts que ça m'avait coûté, je massai mes poignets douloureux.

Le salaud fût à nouveau appelé alors il renonça totalement à ce qui trottait dans son esprit. Il saisit mon t-shirt et m'entraîna dans les différents couloirs de l'aile Z. Je tentais de mémoriser mais tout se ressemblait et paraissait être infini. Il ouvrit une porte qui nous introduit à une grande salle que plusieurs néons éclairaient d'une couleur jaunâtre.

Un tremblement me secoua. Devant nous se trouvaient une vingtaine de garçons tous aussi misérables les uns que les autres. Ils étaient regroupés, à l'instar d'animaux apeurés.  Sans que l'on m'en donne l'ordre, je les rejoignis et me postai à côté de l'un d'eux, plus jeune que moi. Il devait avoir tout juste 12 ans ; je me demandais ce qu'il pouvait avoir fait pour se retrouver ici. Ses pupilles dilatés traînaient un peu dans tous les coins et ne trouvaient jamais un point fixe.

Le coordinateur que j'avais rencontré en premier se pointa face à nous. Il laissa tomber sur la table derrière lui une grosse caisse, pleine de boîtes en aluminium. Notre nourriture certainement.

- Vous allez montrer à votre nouveau camarade que tout se mérite ! On vous fait une petite faveur : vous n'en faites que 50 aujourd'hui.

Silencieux, ils s'éparpillèrent sur plusieurs mètres et s'allongèrent. En les voyant tendus sur leurs pieds et mains, je laissai s'échapper un désespoir. 50 pompes, une faveur ? Je n'étais même pas capable d'en aligner 5 en temps normal. Maintenant, encore moins.

- Lino, t'es en charge de devise. T'attends une invitation peut-être ? m'agressa-t-il en me voyant toujours debout.

Je me mis en position comme tout le monde, déjà fatigué de me tenir ainsi. Je n'avais aucune idée de ce que je devais faire. Je crevais de faim mais c'était impensable de me ridiculiser de la sorte. Je n'en étais même pas capable ! Pourquoi supposait-on que tous les mecs étaient aptes à faire des pompes ? C'était pas pour moi, ces merdes. Je me portais assez tous les jours pour le faire allongé.

- 1... débuta le coordinateur.

- Je dois être bon, annonça le fameux Lino d'une voix claire.

Je le repérais à quelques pas de moi, faisant sa pompe comme un chien éduqué. Ils avaient bien réussi leur lavage de cerveau ; ils avaient à porté de mains une poignée d'esclaves.

- 1 ! répéta le coordinateur.

Je relevai les yeux vers lui, consterné. Il me fixait en retour et redit une nouvelle fois le chiffre premier. Il n'irait pas plus loin si je restais immobile. Piégé, je me forçais à le faire. Ma main, dont les doigts étaient encore tenus par des attelles, était torturée par le poids de mon corps.

- Je dois être juste. Je dois faire honneur à mon pays, récitait le garçon à chaque décompte.

À la quinzième pompe mes bras menaçaient de lâcher. Je puisai dans les dernières énergies qui me restaient, pensai à autre chose, canalisai mes émotions en force. Mais à ma droite, le pré-adolescent qui abandonna me donna envie de faire de même. Ses yeux mi-clos avaient l'air de n'inquiéter que moi.

- Salomon, on se reprend ! l'encouragea quelqu'un dans notre dos.

Il répondit par un vague gémissement toutefois ne bougea pas d'un pouce. En peu de temps, il fût soulevé du sol et placé sur le côté de la salle alors que je continuai mes pompes machinalement. 28. Mes bras tremblaient de plus en plus mais motivé par la faim, je luttai contre mon propre corps. La souffrance physique ne représentait plus grand chose pour moi.

- Je ne dois causer de mal à autrui !

Le décompte me déstabilisait et rendait l'effort davantage pénible. Je me concentrai surtout à observer les quelques visages que j'apercevais. Ils étaient tous marqués par la fatigue mais ce n'était pas tout. Ils étaient dans un état second. Combien de temps mettraient les coordinateurs à remarquer que je ne l'étais pas, moi ? Je devais faire preuve de moins de lucidité.

J'allais effectuer ma trente-cinquième pompe quand un poids me tomba sur le dos, me plaqua au sol et me maintint ainsi. Je tournai la tête pour découvrir que c'était le pied de M. Pédophile. Il me scrutait avec un rictus cruel qui déformait ses lèvres. Quel enfoiré ! Quand il se pencha, planta ses doigts dans mon t-shirt, je ne répliquai pas. Je le laissai me pousser sur le côté comme un objet inutile près du jeune.

Le regard noir, la respiration lourde, je regardai les autres finir leurs pompes et se remettre debout sur le champ. Cette fois en ligne, ils récupérèrent leur boîte et allèrent s'asseoir. A les voir manger avidement ce truc qui me paraissait dégueulasse, je compris qu'ils étaient tous aussi affamés que moi. Eux, au moins mangeaient tandis que, l'autre garçon et moi, nous étions obligés de contempler. Mon estomac se compressait, se manifestant par des bruits perceptibles.

Je plongeai ma tête dans mes bras ; je ne tenais plus. La faim était telle que ça me rendait mal. Je devais penser à autre chose alors j'imaginai tout un tas de choses dans mon esprit. Je m'assoupis rapidement. Mais me réveillai aussi vite quand des cris me firent sursauter. Des cris qui m'étaient d'ailleurs destinés, puisque M. Pédophile et l'autre coordinateur sans surnom me regardaient de travers.

- Tu nous as entendu dire que c'était l'heure de la sieste ? m'agressa le premier.

Je secouai la tête, épuisé qu'ils s'acharnent tous sur moi. Ils me faisaient même regretter le comportement de Jeff. Lui était juste con et assoiffé de pouvoir, pas inhumain ; il me l'avait prouvé en m'aidant cette nuit-là.

Une boîte atterrit sous mes yeux et sous ceux de l'autre garçon, toujours à ma gauche. Simon... Non, Salomon. Il fût plus rapide que moi, attrapa une des cuillères en plastique et entama le plat - des raviolis sûrement passées de date. L'odeur chimique de la sauce tomate me donnait la nausée.

- Vous mangez ce que vous méritez. Sois déjà reconnaissant qu'on vous donne quelque chose, commenta l'autre homme en voyant mon dégoût.

Je mangeai alors. Même si ce n'était pas de la bonne nourriture, ça me faisait un bien fou de remplir mon estomac. Quand je vis le jeune s'empiffrer, je repoussai sa main et m'accaparai totalement le plat. Il ne réagit pas ; il ne me regarda même pas. J'avais presque tout fini quand il posa sa main pâle sur mon bras. Toujours allergique à tout contact, je l'éloignai sur un coup de tête mais relevai les yeux sur lui. Son crâne mal-rasé se présentait à moi pendant qu'il fixait le sol.

- S'il-te-plaît, chuchota-t-il.

J'avalai une dernière bouchée puis lui redonnai la nourriture. Ma pitié avait fait taire mon appétit. Il était là depuis plus longtemps que moi, avec tout ce qu'il avait du endurer, je considérai qu'il en avait bien plus besoin.

En levant les yeux sur les coordinateurs en pleine discussion, je réalisai qu'ils avaient finis par nous nourrir. Malgré nos pompes manquantes. Malgré la fois où je n'avais pas répété la devise. Pour la simple raison qu'il ne devait rien nous arriver, du moins rien de plus grave que des bleus ou des os cassés. Ils ne nous laisseraient jamais crever de malnutrition. Ça signifiait que je n'étais pas forcé de leur obéir entièrement.


***


Je n'avais plus les heures, à cause du portable déréglé, mais j'avais appris à me repérer. Je me basai sur le roulement de coordinateurs, sur les séances de pompes et sur ce qui était notre nuit de sommeil. Ça ne durait que quelques heures pendant lesquels plus personne ne nous surveillait car ils nous jugeaient sans doute trop engourdis pour bouger. Ils nous laissaient alors par groupe de trois ou quatre dans des "cellules" ouvertes.

La première fois, je m'étais étonné de voir que personne ne sautait sur l'occasion avant de comprendre que mes camarades s'étaient tous résignés à leur sort. Ils préféraient utiliser ce petit moment pour dormir plutôt que de perdre du temps à arpenter l'aile. La deuxième fois, j'avais fait de même en prenant soin de noter que seulement quatre heures nous étaient accordés. Alors, la troisième nuit, je m'étais décidé à y aller. Sur mes gardes, j'avais longé les couloirs, j'avais pris des photos et j'avais marqué le chemin. Je n'étais pas allé loin car après une demi-heure, j'avais entendu du bruit et je m'étais empressé de retourner dans ma cellule.

À présent, nous étions le quatrième soir et j'avais enfin arpenter une partie de l'aile Z qui m'étaient inconnue. Les bruits ne m'inquiétaient plus ; ce n'était que ceux de la vie là-haut, à Burket Rivers. Je me demandais si les garçons s'inquiétaient pour moi, s'ils étaient en train d'élaborer un plan pour me sortir de là ou si c'était à moi de le faire tout seul. Est-ce qu'Isaiah pensait à moi ? Je secouai la tête, réalisant comme mes pensées étaient débiles.

Je m'étais décidé à revenir sur mes pas, par précaution. Mais, je fus attiré par une lumière plus forte. Elle se reflétait sur le sol à quelques pas de moi. Elle n'y était pas tout à l'heure alors que j'étais pourtant sûr d'être passé par là. J'avançai doucement et me concentrai en même temps pour ne pas respirer trop fort. Peut-être que l'obscurité m'avait fait faire fausse route ? J'essayai de m'en persuader mais mon intuition me poussait à me méfier...

Toutefois il n'y avait aucun bruit alors je me risquai à avancer. Le dos collé au mur, investi dans mon rôle d'agent secret, je me rapprochai de l'ouverture. Je pris un petit instant pour garder mon calme, malgré les battements de mon cœur qui m'incitait à tout autre chose. Je comptai jusqu'à trois et...

La respiration coupée, je me penchai. Devant moi se trouvait une grande pièce, tout aussi vide que les autres de l'aile Z. Mais au fond de celle-ci se trouvait un escalier dont je ne voyais pas le bout. Était-ce la sortie ? Ça me semblait trop facile. Peut-être était-ce relié au reste du centre...

J'étais encore en train de réfléchir quand j'entendis une sorte de déclenchement. Une porte qui se ferme. Des bruits de pas. Je ne pris pas une seconde de plus pour fuir. Je laissai mes pieds fouler le sol, guidés par un chemin déjà mémorisé. Ça faisait un long moment que je n'avais pas eu l'occasion de courir. Et l'adrénaline qui m'habitait était exceptionnelle.

Ce n'était pas vraiment de la peur mais une émotion assez semblable qui me prouvait que je n'étais pas si insensible. Le monstre que je sentais grandir en moi n'avait pas encore réussir à noircir mon cœur et mon esprit.

***

En dehors des pompes, j'avais assisté à d'autres mises à l'épreuve. Je les surnommai ainsi car à la fin de celles-ci, nous en étions soit récompensés soit punis. J'en avais payé les frais après m'être battu avec deux mecs pour de l'eau. Je les avais plutôt démoli, n'ayant pas bu depuis une journée entière.

Puis, j'avais arrêté d'agir. J'étais resté sans rien faire quand on nous avait pourtant incité à s'en prendre aux uns et aux autres. Ils s'amusaient à nous pousser à bout afin de voir qui résistaient à la colère ou non. Les autres n'étaient pas assez en état pour apercevoir les coordinateurs nous observer et noter sur papier ; je les voyais moi.

Et je sus que nous nous apprêtions à subir une enième mise à l'épreuve quand Julien et le hipster se présentèrent à nous. Les trois autres mecs et moi grelottions encore de froid, après avoir subis les jets d'eau puissants sous lesquels ils nous obligeaient à aller pour nous garder propres un minimum. J'avais pris soin de cacher le portable et les médicaments derrière une pierre cassée mais je n'avais pas eu le temps de les récupérer. Mon appréhension était de retour !

- Un petit jeu pour vous aujourd'hui, les gars ! rigola le coordinateur barbu.

Il nous envoya une petite balle jaune que personne ne rattrapa. Aucun réflexe. Nous les regardions seulement en attendant les consignes.

- On vous trouve un peu ramollis et puisque vous êtes incapables d'effectuer des pompes comme les autres, vous gagnerez votre repas autrement ! expliqua Julien d'une voix stricte. Salomon, prends-le.

Le concerné se pencha pour saisir le ballon à ses pieds puis ses yeux noisette ne quittèrent pas mon ancien acolyte. Il attendait un autre ordre, bien dressé. Les jours étaient passés mais je ne m'y faisais toujours pas. Leur raison était complètement éteinte, c'était affolant.

- Les règles sont simples : échangez-vous ce ballon pendant 30 minutes et vous aurez chacun votre portion. S'il tombe une seule fois, si l'un fait le malin à le garder trop longtemps, vous n'aurez rien ! Allez y !

Me tenir debout était déjà pénible. Mes habits qui me collaient à la peau empiraient la situation. Et la démarche chancelante de mes camarades ne m'inspiraient pas confiance pour la suite. Toutefois on commença.

Cette petit balle jaune était notre promesse de nourriture alors nous ne la quittâmes pas des yeux une seule seconde. Et nous y mettions toute notre concentration. La fatigue nous poussait à mal viser ou rattraper ; la balle manqua plusieurs fois de tomber mais ne le fit heureusement pas. C'était aussi le cas du petit Salomon que je retins un bon nombre de fois-ci car ses jambes fléchissaient.

Mais, je ne fus pas assez rapide et il s'écroula en même temps que la balle. Les rires des coordinateurs résonnèrent entre les murs. Pendant qu'ils étaient occupés à se marrer, les deux autres garçons en profitèrent pour sauter sur Salomon et l'asséner de coups. Ilgisait pourtant inconscient.

- T'as tout fait foiré, sale merde ! lui balança l'un d'eux.

Je m'étais décidé à ne pas intervenir mais il ne pouvait se défendre par lui-même. Et quelque part, même si j'avais du mal à le reconnaître, c'était moi que je voyais parterre. Toutes ces fois où j'avais été descendu au plus bas par des connards au lycée, où je n'avais pas pu me défendre.

J'attrapai le t-shirt du premier qui se présentait à moi et le repoussait en arrière. L'autre était celui qui s'acharnait le plus, soudainement pris par une rage qu'il avait dû contenir jusque-là. Je le repoussai avec tout le poids de mon corps et me positionnai devant Salomon apparemment évanoui. Mon moment de fierté ne dura pas longtemps car on me refonça dedans, ce qui me fit tomber à la renverse.

- On arrête là ! rugit Julien. Emporte-les.

Ils furent guidés ailleurs et nous laissèrent, le traître, le faible et moi. Julien se pencha, une bouteille d'eau à la main, il en vida la moitié sur Salomon et me tendit le reste. Tout en buvant, je le regardai lui donner des claques qui réussirent au moins à le raviver. Il le redressa ensuite et le positionna assis contre un mur.

- Revenu à temps pour la suite, Salomon ! plaisanta Julien en s'éloignant.

Il s'en alla, laissant son léger ricanement hanter mon esprit. C'était une blague ? Comment pouvait-il être si décontracté avec ce qu'il se passait ? N'avait-il aucun remord ? Un sacré connard. Une déception de plus de la part d'un adulte. Ils étaient pires que nous et voulaient qu'on leur fasse confiance.

Je profitai de son absence pour ramper jusqu'à la pierre au coin de la piéce et repris tous mes biens. J'entendis ses pas, eus tout juste le temps de me propulser à mon ancienne place quand il revint. J'essayai de me focaliser sur lui mais les cris lointains martelaient mes oreilles.

- On avait dit auparavant à vos camarades que dès que la balle tomberait, ils s'en prendraient à Salomon. Ils t'ont humilé, hein ? Et c'était totalement injuste de s'y prendre à deux contre toi ! continua Julien. Je sais que tu as la rage. Et toi, Leander ? C'est ce que tu détestes, non, qu'on s'en prenne à quelqu'un sans raison ? Je sais tout ce qui vous passe par la tête !

Je tentai de dissimuler mon étonnement. Et je cherchai à comprendre ce qu'il voulait faire...

- On renverse la tendance, ça vous dit ?

Tout s'éclaircit alors. Il appuyait sur notre colère, nous poussait à aller dans le mauvais sens afin de voir là où nous posions nos limites. Si on agissait bêtement, si on laissait nos émotions nous surpasser, ils nous punissaient. C'était ce qu'était en train de subir les autres. Si on se montrait bon, par logique, ils nous récompensaient. Ils droguaient et conditionnaient.

- Leander ?

Je refusai, à l'aide d'un mouvement de tête.

- Salomon ?

- Non ! répondit-il promptement. J'veux rien faire. Est-ce qu'on peut arrêter ?

Julien tendit le pied sur le côté. Dans un raclement insupportable, il nous présenta une de ces fameuses caisses. Celle-ci était remplie de nourriture. Il s'empara de plusieurs choses et nous les balança avant de nous laisser à nouveau.

J'étais en train de tout rassembler : une plaquette de chocolat, des bouts de pain et des briques de jus quand la voix tiraillée de Salomon m'arrêta :

- Tu es... Leander Hollington ?

Je le regardai par-dessus mon épaule avec attention, dans l'espoir qu'il continue sur sa lancée. Mais il ne dit rien de plus et tendit la main. C'était dans ces instants que je souhaitais retrouver la parole, juste pour quelques secondes. Mais je ne pouvais pas.

Je me contentai de manger en espérant que ses divagations l'amèneraient à me dire comment il connaissait mon nom.



***



À moitié assoupi, je me redressai tout de même et me lançai dans les couloirs sans fin de l'aile Z. La nuit précédente je n'avais pas pu faire mon tour car ils étaient venus nous chercher un à un pour nous examiner. Et Salomon était sorti. Du moins, il n'était plus là ; je préférais l'imaginer dehors.

Tout droit. Gauche. Gauche. Je me dictai les indications dans ma tête, prêt à explorer davantage. Cependant, j'étais souvent tombé face à des portes fermées alors le chemin était vite tracé.

J'aimais bien être debout tandis que tout semblait sur pause autour de moi. C'était un peu comme mon lieu et je me sentais un peu moins prisonnier. Mais, chacune de mes explorations me rendaient impatient... J'avais hâte de trouver ne serait-ce qu'une fine opportunité de sortir. J'avais assez de photos, de détails, de preuves dans mon esprit pour dénoncer sur cet endroit.

J'entendis des personnes parler avant de reconnaître que j'étais arrivé au même endroit que la dernière fois. Je me rapprochai lentement, écoutant leur vive discussion. Je devais probablement m'en aller mais ma curiosité était plus forte. D'autant plus, que les voix m'étaient familières. Néanmoins avec toutes celles que j'avais entendues, je n'étais plus certain de savoir à qui elles appartenaient. C'était peut-être Julien, ou le pervers dont j'avais bien mémorisé le son.

- J'ai eu les rapports, dit une voix grave, rien de satisfaisant.

- Il faut le laisser plus longtemps, on aura des résultats !

Un soupir combla le silence qui s'était installé. Puis, il y eût un claquement de langue qui n'était propre qu'à une seule personne. Le chef des coordinateur, Perrin. Ce n'était pas étonnant ; il était à la tête de tout cela. Et j'étais évidemment leur sujet de conversation.

- Je te rappelle que Jenson investit beaucoup alors on ne peut pas se permettre de perdre son soutien ! s'exclama quelqu'un d'autre. Il faut lui montrer que ça fonctionne sur son petit protégé.

Tout parût défiler dans ma tête. Isaiah qui me rapportait ce qu'il avait entendu : Mac discuter à propos de moi avec Mme Jenson, ma psychiatre. Elle investissait ? Il y avait donc des gens qui plaçaient de l'argent dans cette abomination... J'avais l'impression de n'être qu'une simple bête sur laquelle on pariait la victoire. Mon ami avait peut-être raison, McAlafy décidait des entrées et des sorties. La troisième personne répondit :

- En vérité, il a montré beaucoup de progrès. Le fait qu'il ne soit pas sous contrôle lui fait croire qu'il est en position de supériorité, il se montre moins violent envers les autres et les aide. Et il...

- J'ai lu, j'ai lu tout ça ! l'interrompit McAlafy.

Je devais enregistrer leur paroles. Le portable tournait dans mes mains tremblantes, je n'arrivais pas à le manier correctement. Sous la précipitation, je tirai trop sur la corde qui craqua et l'objet m'échappa, pour aller atterrir à un mètre de moi dans un bruit insupportable. Insupportable car traître. Il se trouvait juste devant l'entrée de la salle, sous leurs yeux. Les hommes s'arrêtèrent de parler ; mon cœur lui éclata d'anxiété.

A cet instant, je mis mes pensées de côté et me laissait porter par mon instinct de survie. Un instinct certes bête car je m'élançai dans les sous-terrains tout en sachant qu'il n'y avait aucun échappatoire. J'avais récupéré le portable au passage. Et je courais à toute vitesse, ignorant leurs cris et pas derrière moi. Cette fois, je ne pensais plus au chemin à prendre ; je tournai dès que c'était possible. J'étais essoufflé, non pas de fatigue physique mais émotionnelle.

J'avais douté et j'avais eu raison. Mac était un traître. Et toute cette histoire de médicaments était fausse. Je n'étais pas drogué car ils l'avaient bien voulu, car ils ne m'avaient rien injecté. Ils m'avaient laissé croire le contraire pour leur stupide expérience. Et dorénavant, j'étais bloqué. Tous les adultes avec un certain pouvoir à Burket Rivers me voulaient ici.

Ça avait été ça le piège. Rassembler toutes les personnes qui avaient des souvenirs de l'aile Z, leur faire croire qu'on nous aidait pour mieux nous contrôler encore.

- Il est passé par là ! s'écria quelqu'un pas loin de moi.

Je trouvai un renfoncement plongé dans le noir et m'y planquai. Collé au mur, je sentais la chaleur monter jusqu'à ma tête. Je me tassai sur moi-même, à l'affût du moindre bruit. Mais le calme dura pendant de longues minutes.

Je devais oser sortir, prendre le risque de repasser par le même chemin. Je sortis de ma cachette. J'évitai les quelques flaques d'eau au sol, sur la pointe  des pieds. Haletant, mes muscles se raidirent quand j'entendis du bruit devant moi.

Je reculai à toute vitesse. Soudain, une main de fer s'abattit sur mon épaule.

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Hellooooo ! Contente de poster un chapitre sans avoir de retard pour une fois et surtout contente parce que j'ai retrouvé mon inspiration et ma motivation du début..

J'espère que ce chapitre vous aura plu ! & j'attends avec graaaande impatience vos avis/hypothèse/idées sur la suite, vous devez le savoir maintenant ahah

Merci de toujours me lire,

Byeeeee

Ps : Chapitre relu seulement une fois, désolée pour les coquilles ou fautes restantes !

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