16 - Depths
- Et je me dois d'être honnête avec toi, j'ai un moyen de te faire entrer mais ce sera à toi de trouver comment sortir, une fois en dessous !
Je le fixai sans cligner des yeux, pendant que deux mots ne résonnaient plus que dans ma tête. Il avait dit « En dessous » ce qui supposait soit qu'il imaginait que l'aile Z se trouvait dans les sous-terrains, soit qu'il en avait la certitude parce qu'il avait connaissance du lieu. Il ne nous disait pas tout, je m'en étais toujours douté, mais il restait à savoir s'il gardait ces secrets pour nous aider ou pour mieux nous leurrer.
J'étais encore en train de le fixer quand Isaiah apparût à mes côtés sans y être pourtant être invité. Il avait légèrement bousculé le bras de McAlafy, l'obligeant à retirer sa poigne de mon épaule. Je ne savais pas si c'était volontaire mais je le remerciais. Il n'avait pas l'air de très bonne humeur, son regard assassin en était la preuve.
- C'est facile d'imposer quelque chose à quelqu'un qui ne peut protester, cracha-t-il. Alors je vais vous le dire moi : votre plan est foireux !
Il avait parlé d'une voix forte et avait ainsi attiré l'attention de tous les autres. Ils s'étaient tus, n'attendaient plus que la suite de la conversation. Mais McAlafy ne sembla pas vouloir la donner car il fit un pas sur le côté, près à s'éloigner.
- Nous devrions commencer la séance, affirma-t-il.
- De quel plan il parle ? intervint un garçon qui s'était levé.
- Je vais expliquer si vous vous asseyez.
Alors, en quelques secondes, ils avaient déjà regagnés leur place habituelle et étaient plus attentifs qu'ils ne l'avaient été. Isaiah s'était contenté de s'asseoir à mes côtés, les poings serrés et le souffle lourd. Il était au bord de la crise de nerfs. Et son état empira lorsque McAlafy répéta ce qu'il m'avait dit, une fois pour toute. Il employa les mots exacts puis marqua une pause afin de laisser les idées monter dans le cerveau de chacun. Les questions ne tardèrent pas à fuser : Comment vous pouvez être sûr que votre médicament va empêcher d'agir ce qu'ils vont lui injecter ? Comment on en est sûrs nous ? Est-ce qu'il arrivera à sortir, puisque c'est si difficile d'y entrer ? Ils vont se mettre à sa recherche ? S'il s'enfuit, ils vont lui faire payer non ? Comment il va faire pour garder la caméra ?
Ils posèrent les questions que je n'étais pas capable de formuler par moi-même. J'étais curieux de savoir tout cela mais une partie au fond de moi ne préférait pas connaître les réponses. C'était mieux, je m'évitais des doses d'angoisse.
- Comment vous allez faire en sorte qu'ils l'envoient bien là-bas ? s'intéressa Regan.
- J'ai trouvé un moyen.
- Qui est ? Vous nous devez bien des détails, s'exclama Isaiah.
L'homme devant nous parût dépassé par tout cela, le visage traversé d'une grimace. Il passa une main sur son visage comme pour chasser toutes ses hésitations. Quelques fois quand je le voyais ainsi, je le trouvais vrai. Peut-être était-il sincère ; il ne savait simplement pas que faire pour nous sortir de là. Il expira longuement, redressa ses épaules...
- Vous devez m'accorder votre confiance où ça ne marchera pas, dit-il simplement. Ma position est délicate, je ne peux pas tout vous dire, surtout pas ici. Pour votre sécurité. Je sais que c'est dur à croire mais vous le devez.
- Si vous avez un moyen de le faire entrer, pourquoi vous ne pouvez pas le faire sortir ?
- Parce qu'une fois que je le remets entre leurs mains, je n'ai plus aucun contrôle.
Son explication semblait claire. Puis, il s'était montré plus honnête que d'habitude. Je pensais aussi que sa position simple, il en savait davantage qu'il ne voulait nous le faire penser. Dans notre intérêt ou le sien ? Je m'en fichais d'en savoir plus. J'allais le découvrir dans l'aile Z.
Donc en dépit des possibles conséquences, j'avais accepté.
***
A son habitude, Isaiah laissa claquer son plateau repas sur la table et pris la place devant moi. Je ne voulais pas lever les yeux car j'imaginais qu'il était toujours aussi remonté que la veille. Lors de la réunion avec McAlafy, j'avais senti son regard me tuer au moins mille fois alors que j'approuvais la décision du psy. Puis j'étais parti et il n'avait pas eu la chance de me faire savoir sa manière de penser. Rien qu'il ne pouvait dire n'allait m'influencer. Il fallait bien que quelqu'un y aille dans cette putain d'aile Z ; même si c'était un possible piège, j'étais certain que l'on pourrait le renverser à notre avantage. Il fallait toujours être plus malin, la vie me l'avait appris.
- T'es quand même un sacré connard, m'attaqua-t-il d'une voix modérée. Et je dois être aussi con pour décider de t'aider. On a tout prévu avec Clayton.
Je le regardai et vis qu'il ne levait même pas les yeux sur moi, croquant déjà dans son pain avec un geste brusque. Malgré mon regard insistant, il ne céda pas. Un petit sourire planait sur mon visage car j'étais touché de le voir réagir de la sorte. Etre si impliqué. Je savais que je pouvais compter sur lui, il était une des raisons pour lesquelles je n'avais pas si peur de me lancer. Je ne connaissais pas ce Clayton mais si mon ami lui faisait confiance, ça marchait aussi pour moi.
- Je vais bien m'emmerder moi sans toi, continua-t-il.
Son genou vint cogner le mien plusieurs fois et l'on se livra à une petite bataille de jambes, sous la table. J'essayai de garder ma discrétion mais les grands gamins que nous étions devenus pendant un instant me fit glousser. Finalement, nous laissâmes nos jambes reposer l'une contre l'autre. Je n'étais pas certain de savoir à quoi rimait tout cela ; j'étais seulement content de ressentir sa présence. Sa peau chaude était réconfortante.
- Vous me faites peur les gars, commenta Jack, qu'est-ce qui vous fait marrer ?
Isaiah laissa à nouveau échapper un petit rire puis secoua la tête. Il n'était pas sur le point de répondre à la question de notre équipier de rugby et moi non plus. A cet instant, je me rendis compte que l'on partageait quelque chose de trop débile pour être partagée. Débile mais qui nous touchait d'une certaine façon. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu un tel ami, quelqu'un qui comptait vraiment pour moi et pour qui j'avais aussi de la valeur.
***
Le lendemain, surpris d'être sur la liste, je me levai tout de même et suivis le groupe dehors pour retrouver nos visiteurs. J'imaginais que c'était Garrett qui passait rapidement, soulageant ainsi sa conscience. J'étais alors à la recherche de son visage dans la foule installée sur les gradins t pourtant, je ne le vis nulle part. Ce n'était pas lui qui était venu mais ma tante, accompagnée de mon oncle. Celui-ci n'était encore jamais venu me voir mais son travail ne lui accordait pas tellement de temps libre le weekend. Et je savais qu'il ne raffolait pas de cet endroit, lui qui avait toujours refusé que j'y rentre. Alors, j'étais touché de le voir là, de les avoir tous les deux.
Depuis le décès de mes parents ils avaient pris soin de moi, de nous, comme de leurs propres enfants. Ne vivant au départ qu'avec leurs fils de 19 ans, ils avaient arrangé leur maison pour être capable de nous accueillir tous les trois. Joan, qui était la sœur la plus proche de ma mère, avait tout fait pour que nous restions au sein de sa famille au lieu d'être confiés à nos autres tantes ou grands-parents. Sans doute parce qu'habitant à proximité, notre relation avec elle avait aussi été plus forte qu'avec les autres.
Et même si quelques fois, j'avais détesté reconnaître en elle certains traits de ma mère, j'y avais trouvé du réconfort. Son mari, lui, était l'oncle comique présent dans la plupart des familles. Je me souviendrais toujours des mois qui avaient suivis la mort de mes parents où il s'était efforcé à garder son humour, à lancer des blagues idiotes, même quand le cœur n'y était pas. Ses lèvres souriaient mais ses yeux brillaient de tristesse. Je savais qu'il l'avait fait pour nous et un peu pour lui aussi, pour s'efforcer de tenir.
Dans les moments comme ça où je me remémorais toutes ces bonnes choses qu'ils avaient faites pour moi, je m'en voulais de ne pas être capable de les remercier de vive voix. De leur faire savoir ma reconnaissance avec des mots exactes.
- Leander, souffla Joan quand j'arrivai.
Ses yeux inquiets me scannèrent de haut en bas, terminant leur trajet sur ma main blessée. Elle sembla perdre ses mots ou ne pas trouver les bons. Son visage se tira d'anxiété pendant que des paroles muettes s'échappaient de ses lèvres. Mon oncle, Chris, se leva d'une traite comme poussée par une quelconque colère. Pour tenter de les calmer tous les deux, je leur adressai un faible sourire.
Mon attitude ne les rassura pourtant pas car Joan eût l'air plus dévastée encore. Je fus incapable de la regarder plus longtemps, ne voyant que de la tristesse et de la pitié. Ma tête se baissa automatiquement, ainsi que mes épaules. En fait, je savais que ce qui lui faisait autant de peine était de voir que finalement je n'avais pas changé.J'étais toujours ce garçon plein de haine, qui s'exprimait par la violence plutôt que de le faire à haute voix. Et le camp n'y avait toujours rien changé, au contraire. Ce n'était pas de la tristesse que je voyais, c'était de la déception. La voir réduite au silence était pire que tout. Qu'on le veuille ou non, c'était un premier signe d'éloignement, d'abandon... Je ne valais plus aucun cris, aucune réprimande à ce moment.
Une main imposante me surprit en venant se poser au creux de mon épaule. Je voulus m'écarter aussitôt dans un réflexe irréfléchi, néanmoins je me restreignis. Sans la parole, il ne me restait plus que les gestes. Ils éprouvaient le besoin de savoir que j'étais toujours là, même camouflé sous mon silence. Moi, le neveu adorable qu'ils connaissaient.
- Lean, glissa à son tour Chris.
Je m'éloignai aussitôt, piqué par ce surnom.
- Hey, tu vas bien ? reprit-il. On nous a dit que c'était pas forcément facile pour toi, avec les autres, comment tu te sens ?
Je haussai les épaules puis relevai la tête en l'entendant soupirer. Je croisais les regards profonds de mon oncle et ma tante alors acquiesçai sans réfléchir. Je le fis avec un semblant de conviction, avant de prendre place aux côté de Joan. Celle-ci ne me crût pas davantage mais n'en rajouta pas. Elle se contenta d'une caresse bienveillante dans mon dos.
- Billie est avec Garrett pour le weekend, ils ont voulu venir tous les deux mais n'ont pas pu, me confia-t-elle d'une voix douce, mais ils pensent beaucoup à toi...
Je roulai des yeux puis me recroquevillai sur moi-même. Je ne voulais ni parler de moi, ni de Garrett qui semblait mener une vie trop belle pour se soucier de la mienne. Comment faisait-il pour vivre lui ? Comment faisait-il pour accepter si facilement cette injustice ? Je lui en voulais tellement, même de plus en plus. Le temps n'atténuait pas ma souffrance, il agrandissait mes blessures.
- Tu leur manques énormément.
Elle m'avait chuchoté cela comme une vérité trop lourde à avouer, que l'on cache avec soin. J'avais du mal à y croire. J'étais persuadé qu'elle allait terminé là-dessus toutefois, elle me prouva le contraire :
- Garrett est dépassé par ses études et il ne sait pas comment s'y prendre avec toi, mais ça n'enlève rien à ce qu'il ressent. Tu sais ce qu'il ferait pour ton bonheur...
Je fermai subitement les yeux alors que mes poings se formaient de nervosité. Je n'avais pas besoin qu'elle se fasse l'avocate de Garrett. S'il n'était pas capable de me dire toutes ces choses-là, ça en disait long sur ses sentiments. Il était impliquée dans cette idée d'aider son prochain mais n'était même pas capable d'aider son propre frère. Il avait passé des heures à réconforter sa copine quand ça n'allait pas mais ne m'avait même jamais accordé autant.
Dans un élan colérique, je repoussai le bras de ma tante. Je vis mon oncle faire un pas vers nous, prêt à intervenir. Je n'étais plus leur neveu, j'étais un danger imminent. Et je regrettais de ne même plus pouvoir contrôler ma colère à tel point que je la dirigeai vers eux à présent.
- Hollington, tu as besoin de te calmer peut-être ? surgit une voix grave derrière nous.
Chris et Joan se retournèrent, avec stupeur. De mon côté, j'avais déjà reconnu la voix du Sergent Blondie alors je gardai ma position.
- Ce n'est rien, assura ma tante. Vous êtes un coordinateur de son dortoir ?
Lorsqu'il répondit positivement, elle demanda à lui parler. Ils s'éloignèrent alors, me laissant avec mon oncle qui avait toujours le même sourire pendu aux lèvres. Toutes les trois secondes, je jetai un regard vers le haut des gradins et ne pouvais m'empêcher de me demander qu'ils disaient. Je ne vis même pas Chris s'asseoir à ma gauche jusqu'à ce qu'il m'interpelle.
- Tu sais qu'encore aujourd'hui, j'ai du mal à parler de mon père.
Il avait, lui aussi, perdu son père durant son adolescence et c'était tout ce que je savais car effectivement il ne m'en avait pas dit plus. Jamais.
- C'est bien la preuve que même avec les années, ça reste toujours aussi dure, voire pire. Mais je te l'ai déjà dit, ce n'est pas une raison suffisante pour vouloir tout arrêter. On ne s'arrête pas de vivre à cause de la tristesse au contraire, on continue et on apprend à faire avec. Et un beau jour, la douleur ne sera plus si omniprésente.
Je regardai au loin, voulant fuir ses paroles mais elles parvenaient bel et bien à mon cerveau. Je posai ma tête dans mes mains et fis tout pour me concentrer sur autre chose. Le brouhaha autour de nous, les grosses voix que j'entendais, les rires. Et les oiseaux au loin. La petite brise qui secouait mes cheveux. Pourtant chaque mot se répétait dans mon esprit, augmentant ma respiration. L'air devenait lourd, trop lourd.
- Se mettre en colère, tout envoyer en l'air à l'aide de coups, ça repousse le problème sur le moment mais ça ne l'efface pas. Repousser les gens qui t'aiment n'est pas non plus la solution. Tu es très bien placé pour le savoir mais tu ne le prends pas en compte.
Mon cœur se comprima en même temps qu'une épaisse larme chaude s'échappa. Je redressai la tête, essuyai ma joue avec la paume de main d'un geste nerveux. Je me contenais pour ne pas exploser, ni de haine, ni de haine. Pour ne pas qu'il me voit aussi faible, je me levai et commençai à m'éloigner. Il me retint fermement par la manche de mon gilet.
- Sache qu'à chaque fois que tu me repousseras, je m'accrocherai plus fort. Ta tante aussi. Et pareil pour ton frère, car s'il se démène autant dans ses études c'est pour Billie et toi. Pour personne d'autre. C'est pour s'assurer que vous gardiez une bonne vie coûte que coûte et que vous soyez toujours tous les trois. Il ne t'abandonne pas malgré ce que tu peux penser. Tu nous as déjà privé de ta parole, Leander, ne te ferme pas complètement au monde. Tu rates tellement.
Je le fixai, avec étonnement et admiration. Mon oncle n'était pas un très grand bavard, ne prenant jamais la parole trop longtemps. J'étais étonné d'entendre un tel monologue de sa part, un si... secouant. Il eût l'air de lire dans mes pensées puisqu'il ajouta :
- Ta tante s'inquiète, elle m'a demandé de te parler et m'a défendu de faire toute blague douteuse !
Il venait de tout avouer d'une traite, ce qui me fit sourire. Je préférais largement cet aspect-là chez lui. Le ton psychologique ne lui correspondait pas. Cependant je savais qu'il avait pensé chacun de ses mots. S'il avait pris la peine de me les dire c'était que lui aussi s'inquiétait dans le fond.
- Alors sinon, il paraît que tu es un pro de la course, enchaîna-t-il.
Il dut apercevoir le soulagement sur mon visage car il sourit davantage et lâcha son emprise sur moi. Je repris ma place à ses côtés, retrouvant doucement mon calme. Pour lui répondre, je haussai les épaules. « Pro », je ne savais pas mais en tout cas j'aimais ça, courir. C'était mon moyen d'évasion : je m'éloignais du monde mais surtout de moi-même.
- Un petit Usain Bolt dans la famille qui l'aurait cru, plaisanta-t-il.
En plus d'être fanatique des blagues, mon oncle aimait aussi exagérer. Joan revint parmi nous quelques secondes plus tard, toujours aussi confuse. Je lançai un regard au Sergent Blondie qui se tenait en haut des gradins ; il était occupé à surveiller l'ensemble du groupe.
- Leander est privé de visite jusqu'à ce que le directeur lui enlève la sanction, annonça ma tante à son mari avant de se tourner vers moi, il serait temps que tu te calmes... Tu ne peux pas continuer comme ça, ça ne te mène à rien.
Je fronçai les sourcils, troublé. Je n'avais rien fait et je n'étais pas au courant de cette interdiction. Alors, ça me vint à l'esprit : le plan de McAlafy avait fonctionné. Mon entrée dans l'aile Z allait se faire, très bientôt. Je voulais me réjouir mais la réaction de Chris et Joan me refroidit. Si ma tante était déjà arrivée déçue, maintenant son estime de moi était descendue six pieds sous terre. Tout en me regardant ils devaient être en train de se promettre de ne plus m'accorder aucun espoir à l'avenir.
Ils devinrent muets, eux aussi, et les cinq dernières minutes se terminèrent dans ce silence triste. Dès que les coordinateurs demandèrent aux visiteurs de se rassembler en bas, mon oncle me tapota l'épaule, me sourit tout de même et s'en alla. Ma tête, elle, me fixa au bord des larmes alors sans réfléchir je la serrai contre moi. Plus pour son réconfort que le mien. Elle ne répondit pas à mon étreinte, comme si elle n'avait plus assez de force pour cela.
Ça me faisait étrange de la sentir contre moi après tous les câlins que je lui avais refusés toutefois ça ne me dérangeait plus. J'aurais aimé dire que c'était dû au bonheur que ça m'apportais mais ça ne l'était pas. Au contraire, je ne ressentais pas grand chose.
On me tournait le dos, et je me détachai.
***
~ Quelques secondes s'étaient écoulées dans mon esprit. Pourtant, le calme durait depuis longtemps en réalité. Je sentais encore les secousses dans mon corps, j'entendais encore les cris terrifiés des gens. Les mains cramponnées aux accoudoirs, les yeux fermés, et le cœur en miette, je n'osais pas bouger. Il n'y avait plus qu'une sorte de sifflement sourd qui résonnait dans mes oreilles et qui accentuait mon mal de crâne atroce.
Je commençai à sentir, petit à petit, les picotements dans mes membres ou les tremblements au bout de mes doigts. Alors, je pris mon courage à deux mains et ouvris les yeux. D'un seul coup. Mais les refermai aussitôt en voyant ma mère toujours appuyée contre moi. Surtout, sa tête grièvement blessée et recouverte de sang.
Je ne sentais même pas le poids de son corps contre le mien. Pourquoi ? Pour je ne sentais plus mes bras ? Soudain, je me mis à paniquer. Et si la sensation ne revenait jamais ? Si j'étais condamné à être blessé toute ma vie ? Si j'allais resté ici encore longtemps sans rien sentir ? Ma mère était-elle morte ? Mon père ?
En pensant à lui, je me redressai vivement, poussé par la peur. Je fus soulagé de pouvoir me contrôler mon corps et éteindre toutes ces questions qui me plombaient. Je me détachai tant bien que mal et redressai ma mère. Tout allait s'arranger. J'allais retrouver mon père et nous allions rentrer. Ce n'était pas grave pour le voyage, je verrai Ashiki une autre fois. Je voulais juste rentrer à la maison.
Mais ce que je vis en tournant la tête me provoqua un autre moment de panique. L'avion ne se prolongeait plus devant, il n'y avait plus que du brouillard et vagues lumières derrière ce nuage de poussière. Ici, nous étions dans l'obscurité. Je voyais tout de même des sièges arrachés, des sacs de partout, des fils qui pendaient, des masques à oxygène inutiles, et un bras qui dépassait d'une place plus loin. Je regardai tout de suite à ma droite et vis que le siège de mon père n'y était plus. Lui non plus.
Papa !
Je voulais rentrer. On devait rentrer.
Je me levai à toute vitesse, restant courbé car le toit affaissé ne me permettait pas plus. Je contournai les objets qui jonchaient au sol, évitant de trop m'y attarder par peur d'y découvrir des monstruosités. Puis, je l'aperçus... la chemise claire de mon père qui semblait ne briller que pour moi.
Je réalisai alors, là, tout seul au milieu des débris. Au milieu de personnes inconscientes. Moi, si vivant, au milieu de la mort. Je me souvenais de l'avion qui s'était mis à chuter, alors que nous nous apprêtions à faire une escale. Ma mère s'était rapprochée de moi, m'avait serré la main, j'avais échangé un regard avec mon père, lui qui n'exprimait jamais rien. J'avais crié, fermé les yeux, supplié pour que tout cela prenne fin. Le crash. Et le massacre devant moi.
Quelque chose en moi prit fin quand je remarquai les yeux révulsés de mon père, la position anormale de son épaule et l'énorme bout de métal qui lui transperçait le ventre.
Sa chemise n'était plus bleue ciel.
Elle ne l'était plus.
- Papa ! voulus-je m'écrier mais rien ne sortit. Papa, PAPA !
Je me précipitai à ses côtés, dans l'espoir peut-être que les morceaux de mon cœur se recollent contre lui. Mais rien. Ce fût pire . Je perdis tout, affalé sur son corps froid. Je m'effondrai en réalisant que nous ne rentrerions pas à la maison. Pas à trois. A cet instant, j'avais souhaité avoir de la voix pour hurler toute ma douleur mais je n'avais plus rien. Moi aussi, j'étais mort ce jour-là. ~
Je me réveillai brutalement, la tête lourde et le corps gelé. Le noir complet autour de moi. Mes yeux ne s'y habituaient toujours pas. Aucune lueur, rien. Le support dans mon dos n'avait plus rien du matelas de ma chambre, c'était un mur froid et humide. Je me retournai et plaquai mes mains dessus, touchant une matière rêche semblable à de la pierre.
J'ignorai ma tête qui me tournait et la sensation étrange qui m'habitait, pour me redresser. Je fis quelques pas avant de trébucher, sans plus aucune force. Le visage collé contre le sol mouillé, je divaguais lentement. C'était étrange de se sentir partir ainsi mais de ne pouvoir rien faire pour se ressaisir. La fatigue en moi était plus forte, elle me tirait avec toute sa puissance.
~ Je fixai le mur blanc en face de moi, puis le sol blanc et les draps de la même couleur. Ils avaient fait baisser la luminosité de la chambre mais la blancheur m'éblouissait et me dégoûtait tout autant. Sans parler de l'odeur que je découvrais pour toute la première fois, car je n'avais encore jamais mis les pieds à l'hôpital jusque là. Même pas pour la naissance de ma petite sœur. C'était une nouveauté pour moi ; je savais à présent que je détestais cet endroit.
- Il faut lui annoncer, affirma une voix venant du couloir.
Le médecin s'entretenait avec mon grand frère, le premier à être arrivé auprès de moi. Ils parlaient de moi depuis plus de dix minutes sans savoir que la porte, entrouverte, m'offrait toute leur parole. Je ne les écoutais pas tellement, torturé par une seule pensée : quand allais-je voir mes parents ?
- Je l'ai déjà fait il y a une heure, avança mon frère. Il n'a pas réagi...
- Il entend ce que vous dites, mais son inconscient refuse de le comprendre. Il faut lui répéter à chaque fois qu'il demandera à les voir, puis le laisser s'en rendre compte à son rythme. Je peux comprendre que ce soit dur à faire, je peux m'en charger si vous le souhaitez.
Il eût un silence et j'imaginai que Garrett avait donné sa réponse d'un mouvement de tête. Il adorait faire ça, comme mon père. J'avais hâte de le revoir et Maman aussi, les serrer tous les deux dans mes bras avec force. Ne plus jamais les quitter.
- Attendez... Une dernière chose. Est-ce normal qu'il n'ait pas dit un mot depuis mon arrivée ?
- Cela prouve seulement l'état de choc dans lequel il est, répondit le docteur, ça reviendra naturellement ! Dès qu'il se sentira en sécurité.
Pourquoi mettait-on des murs blancs dans les hôpitaux ? Pourquoi pas noir ou bleu ? Pourquoi pas quelque chose de sombre ? Où était passée ma chaussure ?
Au moment où je portais ma main à mon pied bandé, la porte s'ouvrit entièrement. Le docteur, un homme d'une cinquantaine d'années avec un sourire franc, et mon frère entrèrent à petits pas. Comme s'ils redoutaient quelque chose. Ils ne cessaient de me lancer des regards étranges sans pour autant me faire part de leur inquiétude avec des mots.
- Comment te portes-tu Leander ? me demanda le médecin, face à moi.
Je haussai les épaules. J'étais fatigué physiquement et je me sentais vide. J'avais juste besoin de repos j'imaginais.
- Tu dois être sacrément secoué après ce qu'il s'est passé. Tu sais pourquoi tu es là, n'est-ce pas ?
J'eus l'impression de recevoir un coup d'une force inexplicable, mon cœur se mit à battre avec vitesse. Le bip qui rebondissait contre les quatre murs marquait mon pouls déchaîné. Ça suffisait à augmenter mon angoisse. Mes mains se crispèrent autour du drap sous moi. Pourquoi étais-je là ? Un accident, quelque chose comme ça.
Bleu ciel. Rouge. La chemise de mon père.
Ma douleur intérieur.
Je secouais doucement la tête, voulant éviter tout cela. Ça ne pouvait être vrai. Rien de tout ça n'était arrivé. Je regardai alors Garrett ; je voulais qu'il me réconforte, qu'il me dise que je m'étais fait renversé par une voiture à force de faire l'idiot. Mais sous mes yeux embués, je vis ses larmes à lui. Toutes fraîches ruisselantes vers sa barbe naissante. L'expression "avoir le cœur brisé" était plus vrai que jamais à ce moment car je le sentis littéralement se remplir de tristesse.
Une tristesse qu'aucun cri, aucun pleur, aucun coup ne changeraient. C'était là, à l'intérieur de moi et le trou béant s'agrandissait. Je revoyais ma mère inconsciente sur son siège ; mon père détruit parterre. Je voyais mon corps si intact sous mes yeux.
- Je suis désolé, mon garçon.
Ce n'était pas juste.
C'était impossible.
Je sautai sur mes pieds, ne me souciai pas de la douleur et courus jusqu'à la porte. Je bousculai Garrett qui avait voulu me retenir et m'échappai de cette chambre qui me retenait loin de mes parents. J'étais certain qu'ils étaient là quelque part dans cet hôpital. On ne disparaissait pas comme ça, dans un stupide crash d'avion ! On n'abandonnait pas trois enfants derrière soi !
Comment pouvaient-ils partir et moi rester ? ~
Je me réveillai cette fois, les idées mieux en place et plus en forme. C'était sans doute le froid qui m'avait tiré de ses horribles souvenirs. Ma peau était gelée, mes dents claquaient et tous mes muscles étaient tendus. J'étais en t-shirt, short et chaussettes qui étaient mouillées. J'étais encore aveugle, n'apercevant aucune sorte de lumière. J'en venais à me demander si c'était mes yeux ou si c'était réellement le lieu.
Je devais être dans les sous-sols à en juger l'humidité qui y résidait. Je n'avais cependant aucune idée sur la manière dont j'avais atterri là. Après la corvée cuisine, j'avais regagné ma chambre et j'y avais trouvé un appareil photo d'une taille minime et une plaquette de médicaments. Je m'étais contenté de les glisser dans mes chaussettes et mon caleçon... Pas très hygiéniques mais personne n'allait voir là-bas, sauf les gros porcs pédophiles. Je les tâtai rapidement et constatai avec soulagement que tout s'y trouvait toujours. Il ne restait plus qu'à espérer que les soit disant antidotes de McAlafy allait marcher. J'en pris un, prévoyant.
Ma tête me tiraillait toujours mais c'était supportable. Je me décidai à me lever, arpenter la pièce pour en percevoir les quatre coins. Ce n'était pas énorme, il suffisait de cinq ou six pas pour que j'atteigne le mur d'à côté. Je décidai de longer chacun, en espérant mettre la main sur une quelconque porte. Au lieu de cela, je découvris un trou de la taille d'une porte justement.
Je tendis ma main, mon pied puis avançai mon corps et ne cognai rien. Les murs m'obligèrent à tourner sur ma droite et avancer sur plusieurs pas. Les deux mains posées de part et d'autre de mon corps, sur les murs, j'avançai avec prudence. Le vent s'engouffrait avec une vivacité qui me glaça davantage. Et ce détail me laissa imaginer que je me trouvai dans un couloir et non dans une nouvelle pièce. Pourquoi m'avait-on laissé là, sans surveillance ? Sur quoi allais-je tomber au prochain pas ?
L'estomac comprimé, je continuai tout de même mon chemin. C'était cette frayeur qui m'animait. Enfin quelque chose qui agitait mon corps sans le faire souffrir. J'aimais cette sensation. Mais celle-ci s'estompa quand ma petite expédition dura plus longtemps que je ne l'avais imaginé. Les murs rocailleux commençaient à m'irriter les doigts. Je ne faisais que tourner à gauche ou à droite, sans jamais trouver d'issue.
100 mètres.
200 mètres.
400 puis 500 mètres, et... une ouverture sur la droite. Je n'avais d'autre choix que de m'y engouffrer car le chemin s'arrêtait devant moi. Mes narines furent immédiatement prise par l'extrême odeur d'urine, de vomi et d'autres trucs immondes mélangés. Je m'arrêtai, attaqué par l'écœurement. Je manquai d'ajouter une énième odeur désagréable avant de me reprendre et de retourner sur mes pas. Dans le couloir, l'air était plus frais et plus respirable. Mais je devais avancer, voir ce qu'il se trouvait plus loin.
Je remontai mon t-shirt sur mon nez, pris une immense et dernière inspiration puis me lançai en enfer. Je sentis mes pieds entrer en contact avec des choses que je ne préférais pas imaginer. Je continuai de suivre le mur, découvrant finalement que je me trouvai dans une pièce et que tout s'arrêtait là. Il y avait, sur le mur du fond, une porte en fer qui était bel et bien close. Du moins, j'imaginais que c'en était une car lorsque j'y avais collé mon oreille, j'avais perçu des bruits camouflés. Peut-être que c'était moi qui me faisait des idées... Je devais me tenir ici pour en être sûr.
De retour dans le couloir, je me laissai tomber contre le mur. Je ne savais pas combien de temps était passé depuis mon réveil, ou même pendant combien de temps j'avais dormi. Était-ce ceci l'aile Z, une simple isolation complète ? Ou n'était-ce que le début ?
Ou McAlafy m'avait piégé ; j'étais tout seul, enfermé avec mes propres démons.
***
Je m'étais endormi au moins une dizaine de fois, j'avais eu le temps de comprendre pourquoi la salle puait, avant que quelque chose ne se passe. J'étais persuadé qu'au moins une journée était passée, l'attente avait été insupportable. Durant les dernières heures mon estomac s'était chargé de crier, pour moi, sa soif et sa faim.
Un grincement retentit ; une lueur surgit en face de moi. Bien que légèrement troublé, je me dépêchai de me lever et de foncer vers ce passage qu'on m'offrait. Je tombai dans un couloir, un peu éclairé par les quelques lampes accrochées aux plafonds. Les murs toujours en pierre et le froid me confirmaient que l'on se trouvait bien dans les sous-sols. Tous les trois ou quatre pas, des renfoncements se trouvaient dans le mur. Digne d'un couloir de prison.
Des bruits acérés attirèrent mon attention sur le côté. Quelqu'un se tenait là-bas, deux courtes barres de fers en mains. C'était un homme dont je ne distinguais pas les traits, à cause de ma distance et de ma vue encore floue. Je m'avançai, craintif mais intrépide.
- Alors, pas trop dur ce séjour dans le noir ? ricana-t-il. Étonnant que tu ne te sois pas chier dessus. Allez, viens-là !
Après tout ce temps dans le silence, j'étais pour une fois soulagé d'entendre la voix de quelqu'un. Même si ce n'était pas une agréable. L'homme portait une tenue beige et m'était inconnu. D'apparence il n'était pas menaçant pourtant il fallait tout le temps se méfier. Je pris mon temps pour le rejoindre et jaugeai ensuite la bouteille d'eau qu'il me présentait. Je tendis la main pour la récupérer mais il l'éloigna aussitôt.
- Regarde ça avant, dit-il en pointant un endroit du menton.
Je m'approchai, tout juste près de lui. Devant nous, es grilles nous séparaient d'une pièce où se trouvaient deux jeunes qui se faisaient face. Je voyais à peine leurs visages mais leur fatigue était perceptible à leur manière de se tenir, vacillants. Leurs yeux mi-clos, leurs mains tremblantes et leur têtes à peine dressées fit éclater la rage en moi. L'adulte se pencha vers moi, pour me glisser à l'oreille :
- Regarde et apprends.
Il laissa apparaître la bouteille sous mes yeux. Je la pris et attendis impatiemment une action quelconque. Mais les deux garçons me regardaient et l'homme à mes côtés aussi. C'était moi qu'ils attendaient. Je me décidai à boire, emporté par la fraîcheur de l'eau et ma gorge sèche qui ne demandait que ça. La seconde d'après, l'un des garçons se jeta sur l'autre. Il commença à le marteler de coups sans que l'autre ne réagisse.
J'arrêtai aussitôt de boire, effrayé par ce à quoi j'assistais. Le jeune s'arrêta également et gardait les yeux rivés sur moi. J'étais le maître de ce jeu immonde : je pouvais soi me montrer égoïste, boire à ma soif et indirectement massacrer l'autre garçon ; ou je me privais et laissais les deux autres tranquilles. Ce n'était plus des hommes mais des monstres, dirigés par des ordres qui avaient été apparemment ancrés en eux.
- Chacun de tes gestes ont des conséquences, argua l'homme.
Il m'arracha la bouteille des mains, ouvrit la grille et me tira à l'intérieur de la pièce qui avait, elle aussi, sa part d'odeurs insupportables. Il donna l'eau à celui qui s'était fait taper et attrapa le deuxième garçon par le cou afin de le traîner dans le couloir. Sous mes yeux grand ouverts, il verrouilla la porte et s'en alla. Tout s'était passé en quelques secondes et je peinais à réaliser.
Le jeune avec moi était assis sur le sol trempé et buvait avec plaisir. Ses yeux paraissaient être ailleurs, bien loin d'ici en même temps que son âme. Aucun doute qu'ils devaient les droguer pour avoir un tel contrôle sur eux. Peu de temps après, les échos de cris rauques vinrent jusqu'à nous. Je fermai les yeux alors que la phrase du mec s'imposait à moi : « Chacun de tes gestes ont des conséquences ». Je me refusai de penser à ce qu'il se passait là-bas...
Voilà, j'y étais dans l'aile Z.
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Pas d'excuses valables pour ce retard mais en tout cas je suis désolée de vous faire attendre, à chaque fois. J'espère seulement que ce chapitre va vous plaire et que vous ne finirez pas déçus.
Je ne m'attends pas à retrouver autant de commentaires que d'habitude, je peux comprendre que certains aient perdu l'envie avec toute cette attente. Mais, si vous avez un petit moment, je serai contente de connaître vos avis. Que pensez vous de Garrett ? L'oncle & tante de Leander ? Et la relation qu'il a avec Isaiah ? Comment pensez-vous que ça va se passer & se finir dans l'aile Z ? Vous allez bien ? :p
Hâte de savoir tout cela, je vous remercie encore de me lire !
PS : relecture rapide donc désolée si j'ai oublié des fautes !
Bye Bye
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