15 - Head Shutter
Mes yeux restèrent focalisés sur les tâches de sang, éclairées par la lampe de poche de l'homme. Mon sang ne fit qu'un tour, mon corps se raidit espérant sans doute que mon immobilité me rende invisible. Je me mis à espérer qu'il ne me fasse rien, même si je me trouvais dehors en pleine nuit, même si je venais de surpendre quelque chose d'étrange. Je relevai cependant la tête, croisant avec effroi son regard sombre. De près, son visage me disait vaguement quelque chose, peut-être un coordinateur d'une autre aile, en tout cas il n'en avait pas la tenue. Cette même chemise bleue que je détestais tant ! Lui était vêtu tout de noir.
Il me toisa longtemps de sa grande taille, sans rien dire, puis soudain il se pencha vers moi et j'eus le premier réflexe de me redresser afin de m'éloigner. Quel connard de Regan ! Je le haïssais de m'avoir trahi ainsi et je m'en voulais davantage de lui avoir accorder ma confiance, ne serait-ce que pour un soir.
- T'es sourd ou quoi ? Tu fais quoi ici ? grogna l'inconnu.
J'étais prêt à sauter sur mes pieds pour m'enfuir quand quelqu'un surgit derrière le mec et lui asséna un coup de coude si fort sur la tempe qu'il parvint à l'assommer. Ce quelqu'un n'était autre que Regan, qui ne m'avait apparemment pas abandonner. Il m'adressa un sourire de vainqueur tout en se massant le coude. Plus de nervosité que d'amusement, j'éclatai de rire. Il le méritait bien, avec la peur qu'il venait de me foutre ! En même temps que mon corps était secoué par les rires, il se débarrassait de toute l'angoisse qu'il avait pu contenir depuis le début de notre opération commando.
- Tu peux sortir de là ! s'exclama Regan, d'une voix forte.
Je m'arrêtai de rire et me retournai aussitôt. Je balayai les environs du regard, appréhendant le prochain rebondissement. Mais ce fût une tête rassurante qui se présenta de derrière un conteneur. Isaiah, la touffe de cheveux encore plus désordonné, les yeux pétillants de malice. Sa présence rendait notre infraction un peu moins grave ; pendant un instant j'oubliai que juste à mes côtés gisait un coordinateur inconscient... Et près de lui, les fameuses serviettes et une sacoche. Je baissai les yeux vers son petit équipement, à nouveau paniqué.
- Ça va, mec ? me demanda Isaiah, en me tapotant l'épaule.
Je hochai la tête et le laissai m'aider à me relever. Il m'adressa un regard suspicieux puis envoya le même à Regan. Je me demandais dorénavant ce qu'il faisait là et pourquoi Regan m'avait poussé...
- C'était génial, sourit le métis, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
Le garçon en face de nous désigna la mallette posée à terre, si tentante. On devait regarder ce qu'il y avait dedans, malgré la peur qui revenait au galop. Rien de plus grave ne pouvait arriver mais pourtant je redoutais ce moment. Mon pote paraissait être du même avis tandis que Regan était tout le contraire. Depuis quelques jours, je commençai à trouver admirable son comportement farouche. J'aurais aimé être comme lui, ne plus être retenu par mes propres limites - mes peurs ou mes espoirs.
Il agit pour nous trois, se précipitant près du coordinateur afin de fouiller ses affaires. Il dévoila alors sous nos yeux le contenu : des sachets de cotons propres et dessous, des seringues vides. Les yeux de Regan s'agrandirent quand il vit la taille et l'épaisseur des aiguilles. Je tentai de masquer mon sourire néanmoins le voir perdre toute contenance peu à peu ne m'aidait pas.
- On va en prendre une pour la montrer à Mac, entreprit-il en s'emparant d'une seringue.
- Q'est-ce que tu veux que McAlafy en fasse ? rétorqua Isaiah, dubitatif.
- J'en sais rien, il verra bien qu'on a pas inventé cette histoire !
- Ouais et ils vont voir qu'il en manque une. Le mec a bien vu Leander, il va l'accuser et crois-moi qu'ils vont pas le louper cette fois !
Regan parût considérer cela puis secoua la tête négativement. Comme le coordinateur commençait à gigoter, il ferma tout et ne remit pas ce qu'il avait pris. Il était sur le point de partir quand Isaiah le retint par le bras. Il se dégagea de sa poigne, nerveux, pour s'exclamer :
- Ils ne lui feront rien parce qu'il ne peut rien dire, ils n'ont pas peur de lui !
- Ou justement, ils peuvent tout lui faire : il ne se plaindra pas !
- C'est bon détends-toi bordel, il va rien arriver à ton mec, on trouvera un truc avec Mac !
Je roulai des yeux à cette remarque alors qu'Isaiah lui ordonna de fermer sa gueule, gêné et non en colère. Amusé par sa réaction, je ne le fis pourtant pas voir et suivit Regan qui faisait enfin chemin inverse. Lui qui au début était si réticent à l'idée d'être aidé par un psychologue, comptait entièrement sur McAlafy. Il tenait à tout prix à lui apporter la moindre information. Je ne pensais pas que c'était la meilleure décision toutefois je comprenais son envie d'être aidé et de mettre un terme à cette injustice dont nous ne savions pas encore la nature. C'était un appel à l'aide désespéré.
Les tâches de sang s'imposaient à mon esprit, comme les preuves ultimes que des personnes vivaient des choses douloureuses quelque part dans le camp. Des jeunes qui étaient là pour les même raisons que nous et qui subissaient pourtant un autre sort. J'étais certain que nous ressentions tous ce sentiment de devoir envers eux.
On mit plus d'un quart d'heure à regagner nos chambres car la porte du bâtiment étant fermée, Regan dut à nouveau effectuer sa petite manigance pour nous faire entrer. Isaiah m'avait lancé un dernier regard inquiet avant de se diriger vers son aile et le voir ainsi me fit réaliser que je risquais effectivement de lourds représailles. Regan avait retourné la situation à son avantage, c'était moi qui était dans la merde, pas lui, alors que tout était parti de son idée. C'était son plan de dingue. Et j'allais morfler.
J'espérais au moins que ça en valait la peine.
***
Plus d'une heure et demi était passée depuis mon retour dans la chambre mais je ne dormais toujours pas. Je somnolais seulement, de temps à autre secoué par divers images. Ça partait toujours des serviettes en sang puis rebondissait sur des souvenirs horribles où le sang dominait. Si je devais donner une couleur à ma vie, c'était le rouge sans hésiter tant elle était dominante. Elle était synonyme de violence, de douleur et en fin de compte de malheur. Toutes ces fois où j'avais saigné ou j'avais vu des gens saigner... Je ne les comptais plus.
Je me retournai sur le matelas pour la énième fois au moins quand une sonnerie se déclencha dans tout le centre. C'était celle du réveil mais cette fois elle sonnait plus fortement que tous les matins. Après le calme auquel je m'étais habitué, le bruit était insupportable. Je m'apprêtai à enfouir ma tête dans l'oreiller quand la lumière de ma chambre m'aveugla. Dans les couloirs, retentissaient des cris qui nous ordonnaient de sortir et de se rassembler dans le préau. Des coups martelaient les portes à plusieurs reprises, les protestations des jeunes arrachés à leur sommeil se faisaient déjà entendre et évidemment, la voix de Sergent Blondie dominait tout ce vacarme.
Nous étions dans la merde, enfin surtout moi. Un réveil soudain à quatre du matin n'était pas un cadeau. J'imaginais que la victime de Regan s'était vite ressaisie et s'était empressée de tout faire savoir à son supérieur. Ma nuit et ma prochaine journée s'annonçaient déjà très mauvaises. Néanmoins, j'ignorai la peur qui se creusait en moi et sortis pour affronter les conséquences.
Un pied à peine posé dans le couloir qu'une main brutale me poussa en direction du groupe de mecs qui se dirigeait sans réfléchir vers le préau. Ils ressemblaient tous à des zombis, les yeux encore à moitié clos, les bouches encore salies de bave et l'allure lente. Rien de bien effrayant comparés à ceux de The Walking Dead, mais quand même. Je me fondais dans la foule et me laissai guider jusqu'à la pièce centrale du centre où la lumière était encore plus insupportable. Je baissai alors la tête, la main dessus, et me plaçai dans le rang de mon aile, comme indiqué.
Sans même avoir à croiser son regard, j'imaginai l'inquiétude perceptible sur le visage d'Isaiah. La mienne prit de l'ampleur lorsqu'une voix rauque annonça :
- Quelques uns d'entre vous ont trouvé judicieux de se balader dehors, il y a deux heures de ça. Une agression et un vol ont été commis et depuis le temps vous savez bien que l'on saura, d'une manière ou d'une autre, mettre la main sur les coupables.
M. Perrin marqua une pause pendant laquelle il y eût du mouvement. Un petit groupe de coordinateurs se dirigea vers les différents dortoirs, sans doute à la recherche de l'objet volé. La seringue que Regan avait bien planqué, j'imaginais.
- Tant que le bien ne nous sera pas remis, vous en subirez tous la punition. L'esprit d'équipe, jeunes hommes ! cria-t-il par dessus les râles qui s'élevaient.
Ils finirent par se réduire au silence sous son ordre. Un peu plus habitué à la luminosité, j'osai enfin relever la tête et observai le chef et sa troupe de coordinateurs postés devant les quatre rangs. Ordonnés comme à l'armée. Parmi tous les hommes, je reconnus rapidement celui que je redoutais le plus. Notre précédente victime. Un homme brun tout à fait insignifiant. Il n'avait même pas une seule caractéristique physique dont je pouvais me moquer. Lorsque Perrin lui adressa un signe de la tête, il s'avança tout de suite, nous scrutant de son regard pervers. Il avait ce petit rictus naturel aux coins des lèvres qui lui donnait un air con.
Les mains croisés dans le dos, comme un grand père du siècle dernier, il s'approcha des premières personnes. Il n'arrêta pas de secouer la tête, s'attarda sur certains garçons et je savais qu'il ne me louperait pas. Il mettait tant d'implication dans son travail que je n'avais pas d'autres issues. Il jeta seulement un coup d'œil désintéressé à Isaiah, me provoquant un soupir de soulagement, et plus tard passa devant Regan sans même le regarder. Il avait sûrement éliminer de sa liste toutes les personnes à la peau bronzée, cherchant plutôt une aussi pâle que la mienne. Des yeux bleus aussi clairs que les miens.
J'étais foutu.
Mon cœur m'appelait à l'aide, se débattait de toutes ses forces et semblait grossir. Je ne me sentais pas bien. La sueur attaquait déjà mon dos, mes poumons n'aspiraient plus d'air. J'eus une soudaine perte d'équilibre qui m'obligea à faire un pas en arrière, cognant la personne derrière moi et attirant la plupart des regards. L'homme releva la tête et posa ses yeux ronds dans les miens, toutefois au lieu d'éviter cet affrontement je le tins au contraire.
J'étais foutu mais je n'allais pas faillir face à lui. Jamais devant quiconque. J'assumais jusqu'au bout.
Il s'avança à grands pas, bousculant tous les mecs sur son passage. Arrivé près de moi, il garda le silence durant de longues secondes et se contenta de me regarder. Il avait abandonné mon regard pour arpenter mon visage puis mon corps, ce qui m'interpellait davantage. Était-il en train de m'examiner afin de savoir si j'étais "prêt" pour l'aile Z ? Était-il en train de voir si c'était vraiment qui était à ses pieds, plus tôt ? J'avais peut-être de la chance et étais tombé sur un grand amnésique.
- C'est lui ? aboya Perrin. Ça ne m'étonnerait pas !
Sa remarque lança de nombreux rires exagérés chez les coordinateurs. L'homme près de moi ne rit pourtant pas, attrapa ma main blessée et la regarda avec un intérêt étrange. Il me foutait vraiment la trouille ! J'avais trouvé plus bizarre que moi. Bienvenue au club des attardés ! Je souris tout seul à cette pensée.
- Qu'est-ce qui te fait sourire ? m'attaqua-t-il aussitôt.
C'était uniquement la deuxième fois que j'entendais sa voix. Il avait l'air d'une nature silencieuse et j'aurais pu l'apprécier pour cela, s'il n'adoptait pas des expressions faciales effrayantes. Ou s'il ne m'avait pas parlé comme le font tous les autres. J'étais content qu'il ait été assommé, il méritait bien l'ecchymose qui allait remplacer la rougeur sur sa tempe.
- Qui sait ? L'attardé parle pas, se permit d'intervenir Regan, quelques pas devant.
L'homme lui jeta un regard similaire à un « Ta gueule » puis haussa les épaules.
- Il en faut bien un dans tous les centres, conclut-il avant de s'éloigner.
- Ce n'est pas lui ? s'étonna Perrin.
- Non, les mains étaient intactes.
Mes yeux s'écarquillèrent sur le coup avant que je ne masque mon étonnement sous un éternel air neutre. C'était une blague ? Un piège, pour m'envoyer dans l'aile mystérieuse ? Il continua d'inspecter les autres sans trop d'entrain cette fois puis prétexta qu'il faisait nuit et qu'il avait été trop surpris pour noter plus de détails. Au même moment, les coordinateurs revinrent des chambres les mains vides, et les visages inondées de déception. Perrin, lui, en fût satisfait.
- Très bien, vous connaissez les règles ! Vous payerez tous les conséquences de ces actes jusqu'à ce qu'on récupère l'objet et inutile de vous en dire la nature, les responsables savent exactement de quoi je parle. Regagnez les dortoirs, reposez-vous, demain sera une dure journée !
Dans un même souffle de mécontentement, tous les jeunes se divisèrent en deux groupes afin de retourner aux ailes de part et d'autre du préau. Je suivis mon groupe jusqu'à ma chambre, sentant quelqu'un me tapoter l'épaule. Isaiah se tenait à mes côtés, préoccupé, mais il ne me dit rien de plus. J'entrai dans ma chambre et fermai la porte, les mains encore tremblantes. Toute la pièce était dans le désordre, le matelas et la petite armoire au sol, de même que mes habits répartis de partout. Le ménage à cette heure-ci n'était pas tellement ma passion alors je remis seulement le semblant de matelas sur le sommier et m'y allongeai.
Les lumières mirent plus de dix minutes à s'éteindre néanmoins je ne m'endormis toujours pas. Je n'en étais pas tellement capable, mes tonnes de pensées m'en empêchaient. J'avais l'impression que tout ce qu'il se passait depuis plus d'une semaine m'échappait entièrement. Tout était si incompréhensible ! Je ne savais pas sur qui compter, les rebondissements marquaient chaque journée, les comportements des gens autour de moi n'avaient aucun sens. Le mien non plus d'ailleurs. Comment allais-je me sortir de tout ça ?
Devais-je seulement faire profil bas jusqu'à ce que mes quatorze semaines restantes s'écoulent ? Est-ce que j'étais censé fermer ma gueule comme je l'avais toujours fait et surtout être aveugle à ce qu'il se tramait ici ? Peut-être que j'essayais de jouer au justicier par pure volonté de rébellion ou pour animer mon séjour. Mais ça n'allait sans doute mener à rien... Comme tout ce que j'entreprenais de faire. Je ne me souvenais pas d'avoir fait une seule chose de bien, d'avoir connu l'aboutissement, l'accomplissement d'un acte. Tout autour de moi était destiné à se briser. Sans que je ne me rende compte était né en moi cet espoir de faire quelque chose ici, de trouver une solution, mais j'allais être déçu. Pire encore, j'allais décevoir les autres.
La porte s'ouvrit et se ferma subitement. Je me redressai immédiatement et tentai de reconnaître la silhouette dissimulée dans l'obscurité. Ce silence était de mauvais présage... Un bruit de boucle de ceinture défaite me fit sauter sur mes pieds. Mais avant que je n'arrive à atteindre la poignée de la porte, un bras passa autour de mon cou et le serra avec une force que je n'avais jusque là jamais connu. Je me débattis comme je pus mais ce ne fut pas assez. Il réussit à me plaquer sur le ventre, contre le rebord de mon lit. Il tenta de rabattre mes bras dans mon dos et n'y parvint pas tant j'étais déchaîné.
Je connaissais maintenant la procédure ; je n'allais pas le laisser m'injecter sa drogue de merde. Je réussis à l'éjecter en arrière et me redressai à temps pour voir une seringue glisser au sol, sous la pâle lueur qui provenait de la fenêtre. Je m'empressai de donner un coup de pied dans la mâchoire de mon agresseur, ce qui le fit immédiatement répliquer. D'un coup dans les jambes, il me fit trébucher sur le lit et me sauta immédiatement dessus.
Je fus trop faible face à lui car il réussit à me retourner puis me plaquer le visage contre les draps pour m'empêcher de respirer. Quand je le sentis se coller et frotter son entrejambe de connard contre moi, je compris quel avait été son but depuis.
- Tu m'en dois une, hein ! Tu m'en dois une pour avoir fermer ma gueule.
Je continuai de me débattre mais ma tête commençait à me tourner. La peur m'anéantissait. Mon cœur ne battait plus autant que dans le préau, je n'avais même plus l'impression de le sentir. Comme si je m'éloignais peu à peu de moi-même... J'étais prêt à tout, je voulais détruire ce monstre de merde. A l'instant où sa main se posa sur mon short, sur le point de le baisser, j'usai de tous mes efforts pour échapper à son emprise. J'oubliais mes douleurs et mes peurs. Je n'allais pas me faire violer, ça n'allait pas arriver. Et j'allais buter ce connard.
Je parvins à me glisser sur le côté, tirant en même temps sur le drap. Tous mes instincts me hurlaient de plonger sa tête dedans et de serrer jusqu'à ce qu'il s'étouffe, qu'il meurt comme une sale merde. Je ressentais cette terrible envie de l'anéantir mais pendant que j'étais encore en train de me battre contre lui, une voix surgit de nulle part. Je ne compris pas tout de suite ce qu'elle disait, plongé dans un autre état.
- Mais qu'est-ce qu'il se passe ? hurla la voix.
L'homme fût éloigné de moi, le pantalon en bas des jambes trahissant ce qu'il s'apprêtait à faire. Le voir là comme ça, debout face à moi, m'arracha une nouvelle vague de haine. Je me relevai, chancelant, et me jetai sur lui. Après de nombreuses tentatives, je réussis à recouvrir sa tête avec le drap et ne relâchai plus à cet instant. On essayait de nous séparer mais je m'accrochai trop. Il se débattait, d'abord de panique puis par manque d'oxygène, alors que moi je sentais une sorte de plaisir se répandre en moi. Une euphorie bénéfique. Un bien-être que je n'avais jamais ressenti de ma vie, jamais.
- LEANDER ! beugla-t-on une dernière fois dans mon oreille.
Des bras passés autour de mes épaules m'éloignèrent de ma victime et on me plaqua le dos contre un mur. Quelqu'un, face à moi, me tenait fermement par les épaules pendant qu'un autre coordinateur sortait le monstre de ma chambre. Je voulus les suivre pour me venger jusqu'au bout mais ce fût bien impossible, la poigne qui me maîtrisait était trop imposante.
- Hollington, tu dois te calmer ! m'ordonna la personne. Regarde moi ! Dépêche-toi de le faire.
Tout devint moins flou au fur et à mesure que je reprenais ma respiration, et mon esprit. Je connaissais cette autorité dans la voix mais pour bien me confirmer à moi-même que c'était le Sergent Blondie, je relevai les yeux.
- C'est bien. Tu vois quelqu'un d'autre que moi ici ? Y'a plus personne alors tu respires, tu penses plus à ça...
J'avais voulu tuer quelqu'un et si Jeff n'était pas arrivé, je savais que je l'aurais fait. Sans une once d'hésitation. Je n'avais été guidé que par mes émotions. J'éloignai le coordinateur d'un geste brusque puis me laissai glisser contre le mur. Je sentis son regard sur moi, il sembla hésiter à partir et me laissa finalement alors que j'aurais bien aimé une présence. Je ne voulais pas rester seul, pour une fois. Il fallait qu'on m'occupe et ainsi, qu'on me tienne éloigné de moi-même.
Je refoulai un spasme. Je ne devais pas pleurer. Pas craquer. J'étais fort, plus fort que ça. La tête dans les mains, je tentai de mettre un terme à toutes les émotions qui m'assaillaient. Je voulais me rendre insensible à tout ça. Fermer mon cœur, ne plus me laisser atteindre par cette vie de merde. Je voulais disparaître. Je voulais ne plus être là, à subir cette existence. Empreint d'une crise d'angoisse, je ne remarquai pas tout de suite Sergent Blondie à l'entrée de ma chambre. Seulement quand il me prévint :
- Attrape !
La bouteille qu'il m'avait lancé termina tout juste entre mes mains. J'essuyai mon visage d'un revers de manche pour cacher la moindre marque de faiblesse qui pouvait s'y voir. J'étais si soulagé qu'il soit revenu que je ne questionnai même pas son comportement. Je me foutais de savoir pourquoi il se montrait un minimum attentionné, à cet instant. Et il pouvait même se mettre à me taper, ce serait moins douloureux qu'une tentative de viol.
Je me dépêchai de boire tout le contenu et reposai ma tête contre mes bras. Je le sentais maintenant, mon cœur déchaîné. Je n'entendais plus que lui dans ce calme trop pesant.
- Je veux même pas savoir ce que tu foutais dehors cette nuit et ce que t'as pu encore volé, demain t'auras intérêt à le rendre, me dicta le Sergent Blondie.
Je hochai la tête tout en me relevant doucement.
- Et dernière chose, j'ai mis de l'anxiolytique dans la boisson ! Tu ferais mieux de t'allonger ; moi je reste juste là, termina-t-il en s'asseyant sur la seule chaise de la pièce.
Je ne savais pas tellement s'il restait là pour me contrôler ou me protéger mais j'étais au moins rassuré. Je me laissai tomber sur le lit, reprenant un souffle convenable. Balayant la pièce d'un long regard, je priai pour que Jeff ne remarque pas la seringue qui dépassait légèrement d'un habit. C'était ma seule chance d'arranger la situation, pour ne plus avoir affaire avec l'autre. Pris d'un soubresaut, je passai mes mains sur mon visage puis dans mon visage. Je devais entièrement m'apaiser, ne plus penser à ce qui venait de se passer.
Heureusement, le médicament le fit pour moi une quinzaine de minutes plus tard. Une lourde fatigue me tomba dessus et bientôt je ne fus plus capable de penser à quelque chose de cohérent. Mes muscles se détendaient un à un, mes poings et ma mâchoire se desserraient, tous mes sentiments négatifs s'évaporaient.
Il ne restait plus que ce terrible creux dans mon cœur, celui que jamais rien n'avait comblé et ne comblerait.
***
Quelques heures plus tard alors que tout le monde était parti se goinfrer au réfectoire, j'étais resté dans ma chambre puis avais pris une douche grâce à l'autorisation de Hunter. Il avait remplacé Sergent Blondie dès le réveil général et pour une fois, sa présence m'apportait quelque chose. Son débit de parole intensif combiné à sa bêtise m'avait fait penser à autre chose une bonne partie de la matinée.
Mais surtout, son inattention m'avait permis de prendre la seringue laissée dans ma chambre, en vider le contenu et au cours de mon trajet jusqu'aux douches, de le balancer près du bureau d'accueil. Ils seraient tous contents d'avoir retrouver leur doux précieux et nous foutraient la paix, s'ils ne percevaient pas la supercherie. On pouvait compter là-dessus.
Lors du déjeuner - que l'on m'avait obligé à prendre - j'avais scanné toute la salle dans son ensemble à la recherche d'une seule personne mais je ne l'avais pas vu. Je me demandais si son comportement avait été rapporté, bien plus haut qu'au chef des coordinateurs soit au directeur du centre. Serait-il puni ? Je me demandais si c'était la première fois que ce connard usait de sa force. On l'avait tout de même vu sortir de ce que l'on présumait comme étant l'aile Z... Il avait la main sur une forte drogue et imaginer comment il pouvait s'en servir m'avait donné un haut le cœur.
Je n'avais plus qu'une seule conviction : je n'allais rien lâcher tant que tout ne serait pas tirer au clair. J'aspirai à une once de justice, ne serait-ce qu'une fois dans ma vie.
***
Le soir même, après m'être douché pour la troisième fois de la journée, j'arrivai dans la salle de la séance groupée. Les garçons étaient déjà là, patientant tous pour McAlafy. Regan me fixait, assis de l'autre côté, l'air ailleurs. Avait-il eu l'occasion de donner la seringue au psy ? J'essayais inutilement de déchiffrer son visage quand des mains abattues contre mes épaules me firent sursauter. Je me retournai, nerveux, pour tomber nez à nez avec Isaiah. Littéralement nez à nez. Nous nous reculâmes tous les deux, gênés par la proximité. Il semblait être préoccupé par quelque chose de bien plus grave.
- Je dois te parler, bredouilla le métis. Vite !
Je quittai alors mon siège afin de le suivre quelques pas plus loin, à l'abri des oreilles constamment indiscrètes. Je vis comme mon ami avait l'air paniqué, les doigts tremblants, les traits tirés. Les mots lui manquèrent également car il mit de longues secondes à formuler une phrase avec du sens.
- Je viens d'entendre Mac parler à ta psy, allégua-t-il.
Je secouai les mains, perdu. Et alors ?
- Je suis persuadé que c'était elle, je l'ai rapidement vu. Elle parlait de toi, elle pouvait que parler de toi de toute façon, elle répondait à plein de ses questions ! Si tu progressais, si t'avais du soutien de l'extérieur... Et, mot pour mot, elle lui a demandé « Tu penses que ça pourrait se faire ? ».
Je réalisai qu'il avait baissé la voix petit à petit, il termina sa petite histoire sur un murmure. Ses yeux me sondaient avec une sorte de désespoir. A cet instant, il me paraissait aussi dépassé par les événements que moi. Les informations s'accumulaient si bien que nous avions du mal à les enregistrer et les trier. La conversation qu'il avait surpris était peut-être un simple quiproquo... Depuis quelques jours, on ne se focalisait plus que sur cette histoire d'aile Z. On se précipitait sur chaque chose, sans réfléchir correctement.
Maintenant, il soupçonnait le seul qui était censé nous aider, McAlafy ? Et la seule personne qui s'intéressait encore à moi, Mme Jenson ?
McAlafy arriva et coupa court à mes interrogations intérieures. Il commença par nous demander si l'un d'entre nous avait eu d'autres sortes de flashbacks et comme ce ne fût pas le cas, il demanda un compte-rendu des actions de la veille. Alors que Regan racontait tout : de notre bagarre à notre escapade en pleine nuit, Isaiah s'était refermé sur lui-même. Ses yeux n'étaient plus aussi pétillants, sa bouche formait une moue stricte... Nous adoptions tous des attitudes différentes et c'était sûr, bientôt, les tensions éclateraient au sein du groupe. Ce qui était censé nous rassembler nous diviserait.
Le groupe observa Regan remettre la seringue à McAlafy, comme s'il remettait un Oscar. Certains approuvaient mais une majeure partie n'accordait pas encore leur confiance à l'adulte. En d'autres termes, certains se laissaient encore traînés par l'Espoir, les autres ne connaissaient que trop bien la Déception pour accepter de la revivre à nouveau. Je me trouvais entre les deux.
- Je vais voir ce que je peux faire, promit McAlafy avec un sourire sincère.
La demi-heure passée pour ma part, je rejoignis mon orthophoniste pour une séance toujours aussi barbante. Elle persistait à me faire voir des vidéos en langage de signe, pour que cela reste intacte dans ma mémoire, mais aussi pour qu'un jour communiquer redevienne quelque chose d'irréfléchi. Mais j'avais à peine prêté attention à tout cela. Je ressentais une sorte d'empressement à rejoindre Mme Jenson, impatient de la sonder silencieusement. J'allais bien trouver quelque chose.
Je sortis pour rejoindre l'autre salle, habitué à faire ce parcours, mais je fus interpellé par le Sergent Blondie. Il avait repris son air sévère que je lui connaissais bien. Je fus content qu'il reste le même, ça gardait un certain équilibre dans ma vie bordélique.
- On m'a fait savoir que ta séance était annulée, ta psychologue est malade et ne peut pas se déplacer, m'informa-t-il. Du coup, tu me suis au réfectoire !
Ma psy n'était pas là et j'étais de corvée cuisine ? Génial. Je commençai à le suivre quand l'information clignota dans mon esprit. Mme Jenson était absente ! Qu'en était-il alors de la discussion entre Mac et elle, qu'Isaiah avait perçue ?
Il m'avait menti.
Je sentis mon cœur se comprimer à ce constat, j'avais dorénavant la preuve exacte que j'étais seul en fin de compte. Si même mon plus proche ami du camp se foutait de ma gueule alors je ne pouvais compter que sur moi. Je me le devais même. C'était mieux comme ça.
Je ne comprenais même pas la raison de son mensonge, ce qu'il essayait de faire ou contre qui il voulait me retourner. La colère qui s'était éteinte depuis la veille commençait à se déclarer à nouveau, à l'instar d'un feu qui ne meurt jamais totalement. Une telle colère que je ne me serai pas empêché de frapper mon ami s'il s'était trouvé devant moi. Quel con !
***
Le lendemain, j'avais tenté de l'ignorer mais toute la journée il avait insisté pour me parler. J'avais fini par le laisser déblatérer sans donner trop d'importance à ses mots. Je considérais maintenant la moindre de ses paroles comme un mensonge. Je préférais m'en foutre plutôt que de trop me soucier et finir par m'énerver contre lui. Il avait prétexté cette fois que McAlafy prévoyait de m'envoyer dans l'aile Z, car c'était lui qui décidait des personnes qui y étaient envoyées. Ce n'était pas Perrin, ni quelqu'un d'autre c'était McAlafy, selon lui. Et j'étais le prochain sur la liste.
Il me l'avait soutenu avec une telle conviction que j'écartai finalement l'option du mensonge volontaire. Soit il disait la vérité, soit il délirait complètement. Il devenait complètement fou, et j'imaginais que le récent décès de sa mère n'y était pas pour rien. Ça faisait trop à vivre d'un coup et chez un garçon comme lui qui s'efforçait de tout contenir, de ne rien montrer, d'afficher une belle façade, ça finissait par éclater.
J'avais donc plus penché sur la folie alors ma stupéfaction fût grande quand, deux jours, plus tard McAlafy me prit à part. Il affirma vouloir me parler en privé avant de l'annoncer à tout le groupe. Sa main fermement accrochée à mon épaule me déplaisait pourtant je ne le repoussai pas et attendis patiemment ce qu'il avait à me dire.
- Ecoute, débuta-t-il à voix presque basse, je pense que le seul moyen pour éclaircir tout ça c'est d'en avoir des preuves concrètes. Et tu es selon moi, le seul à pouvoir nous apporter cela. Au vu de la drogue qu'ils injectent, j'ai trouvé un antidote. Rien de bien magique comme on en entend parler dans les contes mais un médicament qui permettrait de contrer les effets. Tu pourrais être là-bas, parfaitement conscient grâce à ce que je t'aurais donné. Tu prendrais des photos, des vidéos, des choses qu'ils ne pourront nier !
Il s'arrêta surement à cause de mon air dubitatif. L'idée était si soudaine et pour lui, semblait pourtant évidente. Ne me tendait-il pas un piège ? Cela dit, une des hypothèses d'Isaiah se confirmait : McAlafy avait bel et bien prévu de m'envoyer dans l'aile. Ceci sans même me consulter auparavant. J'étais un peu le mec qu'on envoyait au front car après tout il n'avait pas tellement de valeur. Ce n'était pas totalement faux. S'il m'arrivait quoique ce soit, j'étais certain que ça n'inquiéterait personne. Plus maintenant.
- Et je me dois d'être honnête avec toi, j'ai un moyen de te faire entrer mais ce sera à toi de trouver comment sortir, une fois en dessous !
Je le fixai sans cligner des yeux, pendant que deux mots ne résonnaient plus que dans ma tête. Il avait dit « En dessous » ce qui supposait soit qu'il imaginait que l'aile Z se trouvait dans les sous-terrains, soit qu'il en avait la certitude parce qu'il avait connaissance du lieu. Il ne nous disait pas tout, je m'en étais toujours douté, mais il restait à savoir s'il gardait ces secrets pour nous aider ou pour mieux nous leurrer.
Donner l'impression à un groupe d'avoir du pouvoir pour en fait le faire tourner en rond, McAlafy n'inventait rien.
Mais ça marchait aussi dans l'autre sens : faîtes croire au leader qu'il vous contrôle et vous devenez à présent le maître du jeu. Et je comptais bien m'amuser !
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Hey hey ! Ça y est, je suis de retour après un mois d'absence (je crois). Ce chapitre est assez particulier, j'ai eu peur jusque là que les choses avancent trop vite mais j'en suis venu à me demander si ça n'allait pas trop lentement à présent. Mais je tenais à préciser que je veux davantage concentrer l'histoire sur la manipulation instaurée dans le centre et sur ce qu'elle provoque sur différents jeunes, que sur l'aile Z en elle-même. Je voudrais que vous soyez aussi embrouillés que Leander, à la fin de votre lecture !
J'ai remarqué qu'il y avait de moins en moins de lecteurs, donc j'espère que j'aurais quand même quelques retours pour ce chapitre 15 ! Vous pensez quoi de Regan ? d'Isaiah, ou bien de McAlafy ? Qui ment et à qui faire confiance ? Des hypothèses ?
J'essayerai de vous poster le prochain chapitre assez vite, pour garder un certain rythme ! Merci encore à ceux qui me lisent toujours,
Byeeeeeeeeee
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