14 - Strive




Ma terrible envie d'en finir.








Je sursautai aux bruits des tirs qui résonnaient dans mes souvenirs encore flous. En ouvrant les yeux, je fis face aux dégâts qu'avait causé ma tentative. J'avais fait encore plus de mal que je ne le regrettais avant, plus encore puisque j'avais failli détruire des gens. Au lieu de me détruire moi. Et quand je regardais Ayden, je me disais que d'une certaine manière je l'avais quand même brisé...

Le garçon devant moi n'avait plus rien à voir avec l'ancien. La seule chose que je venais de reconnaître en lui, tout à l'heure dans le couloir, était sa typique manie de se mettre au devant des autres comme un chef, celui qui prenait les responsabilités. Il avait toujours cet élan de protection envers chacun, davantage lorsqu'il assistait à une injustice. Lui ne faisait que rendre les coups mérités, à l'instar de maintenant.

Je fis quelques pas en arrière, abasourdi par tous ces souvenirs. Après l'accident, je m'étais efforcé de refouler toutes ces idées, tous ces sentiments car même mettre fin à... tout ça  était devenu source de danger. J'étais destiné à être moi toute ma vie, c'était ça la punition du grand mec sadique là-haut.

- Les parents arrivent, annonça Lieth les yeux sur son portable. Je vais les rejoindre.

Ayden se retourna vivement comme s'il avait lui aussi oublié la présence de son frère. Il hocha la tête, sans le regarder plus longtemps.

- Vous me retrouvez en rééduc, décida-t-il.

Lieth ne répondit même pas, se dirigeant tout de suite vers la porte. Je l'observai et attendis un quelconque geste ou une parole de sa part, juste pour exprimer sa rancune une dernière fois. Pourtant, il s'en alla indifférent. Dans le fond, c'était pire que tout. Je n'existais plus pour lui.

Mais certainement pas pour Ayden qui me fixait d'un mauvais œil. Il souffla puis s'en alla avec une terrible grimace scotché sur le visage. En dépit de la douleur, il avança lentement jusqu'au pas de la porte. Pourquoi ne prenait-il pas la béquille que je lui avais ramenée ?

- Tu fous quoi ? Tu préfères rester avec l'autre taré ou quoi ?

Je le regardai avec des yeux ronds. Il se tenait à l'embrasure de la porte, presque impatient. Il voulait bien que je vienne ? Il acceptait de supporter ma présence silencieuse, apparemment. Revenu à moi-même je lui emboîtai le pas, marchant à son rythme. Dans le couloir aucune trace du Sergent Blondie ; c'était comme une petite liberté qui m'était offerte.

- Fais chier, putain ! râla Ayden devant ascenseur « en panne ». Quel hôpital de merde.

Une infirmière qui croisait notre chemin eût l'air offusqué alors qu'Ayden lui lançait un regard noir. Elle l'observa avec mépris également puis se décida à directement s'adresser à lui. Avec tous les patients auxquels elle devait faire face, ce n'était certainement pas de lui dont elle allait avoir peur.

- Si vous avez besoin d'aide pour les escaliers, je peux appeler mes...

- Appelez plutôt la dépanneuse, cracha-t-il. Pas besoin d'aide.

Il avait marmonné la dernière phrase pour lui, comme pour se convaincre. Ayden était exécrable avec tout et tout le monde. Ce n'était pas seulement envers moi. Je l'avais remarqué avec Mia d'abord, l'infirmière, même avec Lieth et je me demandais si c'était aussi le cas avec Nora ? La foutue balle que javais tiré avait touché bien plus que sa hanche... J'avais atteint tout son entourage. La douleur n'était jamais que physique, elle s'étalait toujours.

Nous atteignîmes la cage d'escaliers - qu'Ayden jaugea avec une sorte de crainte. Ou une simple hésitation. Il tenta néanmoins de le cacher, en posant sa main sur la rambarde d'un rouge dégueulasse.

De profil, il posa sa jambe valide sur la première marche et étouffa un grognement. Il passa sa main sur son visage puis dans ses cheveux châtains, les tirant en arrière. Ses pupilles grises furent dissimulées sous ses paupières en même temps qu'il laissait échapper un long soupir. Puis il reprit. Il avait cessé de se plaindre et se contentait de prendre sur lui durant les six marches suivantes. Mais lorsque je le vis fléchir et s'asseoir, en signe d'abandon, j'eus de la peine. Et de la déception peut-être aussi.

Lui était en colère. Ses traits s'étaient durcis, ses muscles contractés. J'étais réticent aux contacts directs et encore plus au sien cependant je me penchai pour le relever d'un mouvement vif. Quand, debout, il comprit mon intention, il me repoussa dans la seconde.

- Je peux le faire, m'agressa-t-il.

Je fis un timide hochement de tête. Il pouvait le faire, poussé par sa fierté, mais à quel prix ? Il ne se faisait que plus de mal. Il voulut donc descendre une marche supplémentaire d'un pas décidé. Un pas de trop car il manqua de tomber. Sa tête se baissa. Il réalisa qu'il avait bel et bien besoin d'aide et que malheureusement ça devait venir de moi. De celui qui l'avait foutu dans cet état, le comble !

Il passa néanmoins son bras autour de mes épaules après que j'eus passé le mien dans son dos. Le sentir contre moi, la chaleur colérique qui émanait de son corps, était angoissant les premières secondes mais le devint de moins en moins. Au fur et à mesure que nous descendions, il se servait de moi comme appui et chaque fois, mon appréhension perdait de son intensité. Son poids se reposait contre mes épaules et j'avais enfin l'impression de faire quelque chose de bien. D'être utile. Finalement, aider était aussi exaltant qu'être aidé. Sans doute plus exaltant.

Il avait dit « finissons-en vite » presque comme une supplication. Mais moi je me surprenais à espérer que l'escalier ne finisse jamais. Je sentais que le Ayden qui s'appuyait sur moi était privé de son masque de dureté. Il était, à cet instant, aussi fragile que moi. Aussi abîmé. Comme s'il était en train de penser la même chose que moi, il reprit la parole.

- T'as bien morflé, commenta-t-il mes blessures.

J'approuvai d'un nouveau mouvement de tête car je ne pouvais le nier, c'était évident sur chaque parcelle de mon corps. Il me regarda un moment avant d'avoir l'air de désapprouver.

- Quand est-ce que tu te laisseras plus écraser par les autres ?

Je baissai les yeux pour fuir son regard trop insistant. Une chance que nous arrivions tout juste au palier du premier étage. C'était ici qu'il allait en rééducation et ici que l'on se quittait. Nous savions tous les deux que j'avais aucune envie d'affronter ses parents... Surtout pas sa mère, l'hystérique !

Sur le sol plat, je retirai mon bras avec une gêne toute nouvelle. Il me tournait déjà le dos à moitié, ne bougeant pourtant pas, et fixait un point quelconque. Réfléchissait-il aux prochains mots qu'il allait m'adresser ? Je n'eus pas le temps d'y penser non plus... Il se retourna et me flanqua un coup de poing dans la mâchoire qui manqua de me péter quelques dents. Je relevai la tête pour affronter son regard. Ses yeux étaient sombres mais brillaient légèrement.

- C'est pour ma jambe ! s'écria-t-il.

Mon cœur s'emballa. J'attendais un tel emportement de sa part depuis. Il avança pour me taper encore, cette fois dans le cou.

- C'est pour Harry !

La deuxième balle tirée avait touché toute l'oreille gauche de son ami et même si ce n'était pas aussi grave que la blessure d'Ayden, je m'en voulais énormément. La seule et dernière fois où j'avais croisé Harry après l'accident, il avait gardé son bonnet vissé sur sa tête alors que l'on se trouvait à l'intérieur. J'imaginais que ce ne devait pas être beau à voir, qu'à cause de moi il aurait une oreille horrible et un complexe à gérer.

Je ne m'attendais pas à encaisser un troisième coup néanmoins Ayden me plaqua contre le mur, avec une force que je ne lui redonnais plus. Il m'attrapa par le col de mon t-shirt et me colla encore son poing contre le visage. Je sentis bien sa chevalière cogner ma pommette sans délicatesse, et du coup relancer la douleur de mes anciennes blessures.

- C'est pour Nora qui a autant pleuré pour toi que pour moi, cette nuit-là et qui continue de s'inquiéter ! C'est pour toutes les personnes qui tiennent à toi et que tu fais souffrir ; tes parents qui doivent bien avoir honte de toi là où ils sont !

En l'entendant évoquer mes parents, ma gorge se resserra sûrement car j'eus du mal à déglutir. Ses mots étaient blessants mais contenaient évidemment une grande part de vérité. Je ne voulais pas l'entendre, surtout pas venant de lui. Je fus épris d'une grande colère et le repoussai avec force. Mais il était si bien cramponné à moi qu'il me tira aussi. Il me plaqua de nouveau contre le mur, cognant ma tête, et ses deux mains agrippèrent mon t-shirt avec plus de force. Le visage collé au mien, nos regards attachés, il hurla :

-  C'EST POUR TOI !

Son cri retentit dans tous les escaliers, se répercutant contre les murs et directement dans mon cœur. Une chaleur sembla traverser tout mon corps, en même temps que je sentais quelque chose se briser en moi. Pas comme quelque chose de matériel, plutôt comme un sentiment trop douloureux. Ma vue était brouillée par mes larmes qui bordaient mes yeux mais je parvenais quand même à voir qu'Ayden n'était pas bien non plus. Touché. Plus brisé encore que je ne l'avais cru. Il me secoua une dernière fois avec férocité puis me lâcha négligemment. Ses yeux ne lâchaient toujours pas les miens ; j'y voyais une colère inexplicable.

- Parce que, malgré ce que tu crois, ta vie ne s'arrête pas en même temps que celle des autres ! T'as survécu bordel, t'existes encore... alors vis putain ! VIS.

Il eût encore un mouvement brusque vers moi, je fermai aussitôt les yeux car je sentais que ce coup serait beaucoup plus fort que les autres. Au bout de quelques secondes, toujours rien. J'ouvris les yeux au moment où il s'éloignait en direction de la porte, de sa démarche instable. « Ne viens plus » cracha-t-il avant de disparaître de ma vue. Je fixai le mur d'une couleur dégueulasse comme si les mots d'Ayden y étaient inscrits. Dans ma tête, ils l'étaient bel et bien et n'étaient pas prêts de s'effacer.

J'étais étonné de voir qu'il était en colère contre moi, pour toutes ces raisons... dont je faisais partie. Étonné qu'il semblait encore se soucier de moi. Son acte auprès de Jeff et celui qu'il venait d'avoir, cette attitude défensive me donnait l'impression de toujours faire partie de son cercle d'amis. Celui qu'il défendant coûte que coûte. Ayden était toujours celui qui allait à la rescousse des autres ; je me demandais qui allait à la sienne...

« Ta vie ne s'arrête pas en même temps que celle des autres. »

Les autres qui ? Mes parents et toutes les centaines de personnes qui étaient mortes dans l'accident ? Cette pensée m'arracha un grognement de colère. Poussé par un élan, je remontai les marches pour aller retrouver Sergent Blondie. Il ne savait pas ce que c'était, Ayden n'en avait aucune idée.

  « T'as survécu... T'existes encore... alors vis ! » 

Une part de moi était morte dans le crash, l'autre périssait peu à peu. Je n'avais pas survécu, j'étais en train de le faire... à mes dépens. C'était dur de survivre ; ça l'était encore plus de vivre. Je passai une main dans mes cheveux afin de les tirer au maximum. La douleur physique faisait taire mes pensées. Peut-être que ma psy avait raison, peut-être que je m'infligeais de la souffrance, je retournais tout contre moi... Ça marchait au moins.

Si elle apprenait que cette nuit-là je n'avais pas eu un acte de violence envers autrui mais envers moi-même, elle me prendrait pour un réel cinglé. Et si elle savait que quelques fois il m'arrivait encore de tout vouloir arrêter, comme ça, d'un seul coup, ce serait pire. Ayden, lui, avait eu l'air de le voir, de le comprendre un instant. Ça expliquait son rappel à l'ordre... Avait-il perçu comme je me rapprochais peu à peu du gouffre ?

- Où t'étais passé ? m'engueula Jeff dès qu'il me vit. T'as cru que tu pouvais te faire la malle ?

Je levai les yeux face à son expression du siècle dernier. On se dirigea vers la sortie alors qu'une question persistait dans mon esprit : pourquoi ni Ayden ni Harry n'avaient-ils jamais dit la vérité sur ce qu'il s'était passé ?


*  *  *


Le lendemain, au lieu d'une visite convenable, Garrett n'avait fait que passer en coup de vent. Il me ramenait des habits, des gâteaux faits par notre tante, une carte écrite par notre Billie et ma coloration, puis il ne pouvait pas rester plus longtemps car il devait travailler avec son fameux groupe de travail. Pas d'excuses, pas même de remarques sur ma tête amochée et il était parti. J'avais récupéré mes affaires à l'accueil afin d'aller me réfugier dans ma petite pièce. J'y étais depuis maintenant quatre heures.

La porte s'ouvrit doucement, sur un matelas. La tête d'Isaiah apparût derrière, son sourire de retour et ses yeux verts aussi.

- J'ai réussi à t'en négocier un, m'apprit-il en fixant le sommier vide.

J'y « dormais » dessus depuis une semaine, sous les ordres de Jeff. Il avait refusé de me redonner le matelas qu'il m'avait retiré après la bagarre avec Ben. Je me levai du sol, observant le métisse installer le fin matelas et les draps dessus. Lorsqu'il eût terminé, il y prit place et m'examina les sourcils froncés. Il leva sa main gauche.

- Ça te fait mal ?

Je ne répondis pas, ça m'énervait seulement de garder mes doigts immobilisés. Et de ne plus pouvoir frapper personne avec. Il se remit à sourire, étrangement. Je ne sus deviner ce qu'il avait en tête. Il attrapa la carte de ma petite sœur, sur la table, et comme je ne protestai pas, la retourna pour la lire. Elle m'y avait écrit qu'elle avait lu l'histoire d'un petit garçon malheureux qui réussissait à la fin à ne plus pleurer. Ça voulait dire, selon elle, que moi aussi un jour j'arriverai à ne plus être malheureux même si « ça commençait à faire longtemps qu'elle attendait ». En la lisant, j'avais hésité entre éclater de rire ou en sanglots. J'avais fini par rire, nerveusement. Isaiah rigola, lui aussi, puis devint sérieux.

- J'en pouvais plus de me regarder dans le miroir et d'y voir mon putain d'œil, merci mec, lâcha-t-il. Merci.

J'échangeai un regard avec lui, hochai la tête avant d'aller le rejoindre, le grand nombre de biscuits en mains. Ils étaient soigneusement emballés dans de l'aluminium par ma tante, habituée aux règles du centre. J'aurais préféré qu'elle ne soit pas.  Isaiah, piquant déjà un sablé, me glissa :

- On trouvera un autre moyen pour dénoncer ce qu'il se passe ici, puis maintenant on a l'aide de McAlafy...

Il allégua cela avec une sorte d'hésitation, la même peut-être qui s'abritait au fond de moi.

- On est d'accord, conclut-il tout seul, on ne lui accorde pas notre entière confiance.

Il continua de s'empiffrer tandis que je grignotai le même bout depuis. Plus par ennui que par réel faim. Ça sembla cogiter dans la tête de mon ami autant que dans la mienne, durant un moment. 

- Tu crois qu'il y en a qui sont là-bas ? Constamment, comme une aile secrète ?

Il ne savait pas pour l'aile Z ; je n'étais pas certain de devoir lui dire. Pas comment non plus. Pourtant je répondis positivement.

- Comment ça ? Comment ils font ? Ce serait dingue... C'est là qu'on était ?

Je haussai les épaules car pour l'instant, je n'en avais aucune idée. Je le croyais quand il me disait que l'on s'était rencontré là-bas ; ses souvenirs étaient aussi les miens à présent. Il m'avait seulement paru familier à notre rencontre, surtout par son prénom. Peut-être que l'on était là-bas... Mais ça n'expliquait pas ce qu'on nous avait fait oublier et la raison.

- Une aile...

Mes doigts tremblants s'approchèrent de son genou. Isaiah se crispa quand il sentit mes doigts contre sa peau non recouverte par son short de basket. Rapidement, et ignorant son regard fixe sur moi, je traçai un Z. Une simple lettre qui me coûta pourtant bien des efforts et un surpassement. La chair de poule traversa sa peau mais je refis à nouveau la lettre, plus distinctement cette fois.

- Quoi Z ? dit-il hébété.

Il n'était pas sur le point de comprendre. Je traçai alors un A, un B, un C et un D puis un Z.

- A, B... Les ailes ? L'aile Z, hurla-t-il tout à coup.

Je collai ma main contre sa bouche, affolé. Je lui fis signe de parler plus bas puis me reculai, le cœur animé par une peur singulière. Par toute la pression que je relâchai. C'était moindre, mais j'avais réussi à communiquer.

- Comment tu sais ça ?

Ça c'était trop long à expliquer sur une peau. Trop dur également pour moi.

- L'aile Z, souffla-t-il, ça paraît comme quelque chose d'officiel, d'organisé, sinon ils en auraient pas fait toute un quartier. Admettons que des mecs y soient, est-ce qu'ils sortent ? Ils sont en contact avec leurs proches ? Comment tu gardes des jeunes enfermés aussi facilement ?

Toutes ces questions étaient pertinentes. Je me les étais déjà posées sans toutes fois leur trouver de réponses. Elles étaient trop nombreuses et finissaient par me prendre la tête.


*  *  *


Je me penchai à temps, pour ne pas recevoir son poing en plein visage. Il réussit néanmoins à me frôler, rappelant la douleur qui me tiraillait encore et toujours, et son bras glissa autour de mon cou. La chaleur de la pièce paraissait avoir augmenté d'un cran. La sueur qui dégoulinait sur mon front et même dans mon dos était désagréable. Et le toucher de Regan l'était encore plus. Alors je me lui administrai un coup dans les jambes pour m'éloigner le plus loin possible.

Lui aussi transpirait à grosses gouttes mais motivé, il se jeta à nouveau sur moi. Au milieu de tous les autres garçons qui gueulaient comme des sauvages, enthousiastes d'assister à un tel affront. Il ne manquait plus que les paris. Une chose était sûre, je menais large sur l'afro-américain. Il avait beau faire le gros dur quand il était question de bagarre, sa force était réduite à néant. Il n'était rien. Un bouseux qui rêvait de ghetto tout au plus, ça ne m'effrayait pas.

Il nous fit tomber violemment, écrasant mes doigts cassés de tout son poids. La souffrance me fit réagir sur le champ ; en un mouvement irréfléchi, je lui cognai l'entre-jambe de mon genou. Alors qu'il se laissait rouler sur le côté, anéanti de douleur, nous fûmes tous les deux redressés par des coordinateurs qui intervenaient après de longues minutes. De ma main fébrile, j'essuyai le sang qui s'écoulait de ma lèvre tout en me laissant traîner hors du préau.

- Il m'a détruit les couilles, cet enfoiré ! criait Regan derrière nous.

Je réprimai un rire en un simple sourire.

- Ouais c'est ça souris, je vais te démolir les tiennes !

- Oh, tu la fermes un peu ?! le réprimanda un coordinateur d'une autre aile. On veut pas savoir nous, vous allez vous expliquer dans le bureau de Perrin !

- Qu'est-ce que vous voulez qu'il s'explique lui ? Ce muet de merde, grogna-t-il.

Il continua de marmonner des insultes et paroles du genre dans sa barbes mais ne protesta plus jusqu'au bureau de M.Perrin devant lequel on arriva tous les deux. D'un côté, il n'avait pas tort il n'y avait aucune raison pour que je me trouve devant le chef. Il n'y avait que l'autre qui ferait entendre son avis, le mien ne comptait pas. Aucun membre du personnel ici ne se foutaient de savoir qui avait commencé, pourquoi, qui était vraiment en tort... Je finissais par être accusé. C'était toujours moi, le cinglé qui cognait pour un rien.

- Isolation, décida M. Perrin quand il me vit devant sa porte.

La main d'un des coordinateurs s'emparait déjà de mon bras.

- Non puisqu'il n'a rien à dire, intervint Regan, laissez le écouter ma version des faits ! Pourquoi vous l'isolez à chaque fois ? C'est un traitement de faveur ça !

Les regards des trois adultes se posèrent sur lui et ne le lâchèrent pas avant que M. Perrin acquiesce ses propos. La main de fer me libéra puis nous poussa Regan et moi dans l'antre du redoutable. A peine entré, je regardai tout autour de moi avec attention. Peut-être pourrais-je trouver des indices sur l'aile Z, puisqu'il était celui à m'en avoir parlé.

- Je ne vous ai pas dit de vous asseoir, remarqua Perrin à Regan déjà installé sur la chaise

- C'est bon, on est pas à un entretien d'embauche !

- Debout.

Le chef avait dit cela d'une voix stricte en allant lui-même s'asseoir. Le pseudo rebelle souffla néanmoins se remit sur ses pieds. L'homme devant nous croisa ses mains sur la table et planta ses yeux dans ceux de mon cher camarade.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé alors ?

- Pourquoi vous ne lui posez pas directement la question ? Pourquoi tout de suite moi ?

Je tournai la tête dans sa direction, interloqué. Il était con ou quoi ? Il avait l'air vraiment en colère car il finit même par exploser, sans laisser au chef sa chance de répondre.

- Quoique je dise, t'façon, vous l'enverrez en isolation parce que vous le protégez comme un fils de président ! Putain, mais renvoyez-le auprès des mecs qu'il se fasse casser la gueule comme nous tous à chaque fois. Y'en a marre de vos putains de privilèges ! pesta-t-il.

Il fit demi-tour et sortit comme une furie du bureau, malgré les appels incessants de Perrin. Regan venait de péter un plomb complètement incompréhensible, causant une grande perplexité derrière lui. Le chef finit par quitter la pièce à son tour, plus énervé qu'il ne l'était une minute auparavant. J'en connaissais un qui allait subir les conséquences de ses mots.

Je jetai un coup d'œil derrière moi. Couloir vide. Les pas de Perrin s'éloignaient dans le couloir. Puis dans le bureau, aucune caméra. Je devais profiter de leur courte absence pour inspecter l'endroit. C'était maintenant ou jamais. Ça se jouait sur quelques minutes. Je me levai et regardai uniquement, prenant soin de ne rien déplacer. Le néant. Pas de détails qui attirèrent mon regard, pas d'informations intéressantes. Tout était propre. Ce n'était pas étonnant, il était assez malin pour ne pas laisser quoique ce soit à portée de vue.

Je me repositionnai derrière la chaise, avec mon éternel air blasé, au moment où Perrin revenait avec Regan. Celui-ci avait perdu toute sa nervosité ; il présentait dorénavant un visage neutre, presque éteint.

- Tu peux y aller, Leander. Dans ta chambre, glissa le chef qui parlait à quelqu'un derrière moi.

Je me retournai pour apercevoir un coordinateur qui m'attendait sagement sur le pas de la porte. Je ne savais pas ce que Regan avait pu dire mais j'étais content de pouvoir regagner mon propre cageot - loin d'être une chambre à proprement dite. Je croisai le regard dur de mon adversaire puis secouant la tête, je sortis. D'un pas rapide je regagnai mon aile et mon coin, où le coordinateur me laissa enfin tranquille. J'étais déçu de ne pas avoir pu faire ce que j'avais en tête. Je m'allongeai sur le lit et tentai de réfléchir à une autre manière d'en savoir plus sur... tout ce bordel.



















J'ouvris les yeux, réveillé en sursaut par un claquement. Celui de ma porte. Regan se trouvait là, avec son regard sombre et ses menaces les plus silencieuses. Je me relevai pour être à sa hauteur.

- On avait dit : pas les couilles, se plaignit-il.

Je désignai ma lèvre fendue, avec de gros yeux. Je n'avais fait que rendre les coups. Il n'y avait pas été de mains mortes, malgré ce qui était prévu, alors je ne lui avais pas fait de cadeaux non plus. Sa fausse colère quitta soudainement ses yeux puis un sourire fendit son visage, un que l'on voyait rarement. Regan n'était pas du genre à être très sympathique.

- Je lui ai dit que c'est moi qui ait commencé la bagarre parce que tu prenais tout le temps la place sur le canapé. Il m'a parlé de jalousie ou une merde du genre, ricana-t-il amer, j'écoutais pas il déblatérait trop. Et j'ai trouvé un truc !

Lorsque Isaiah avait appris pour l'aile Z, il en avait fait part à quelques uns de notre nouveau groupe de parole puis finalement l'information était remontée à McAlafy. Il nous avait convaincu que l'on devait pénétrer dans le bureau de Perrin car c'est là que se trouvaient tous les documents importants, non ailleurs. Etant les deux têtes brûlées de tous, Regan et moi avions organisé cette bagarre car c'était notre seule manière d'atteindre le chef.

Regan sortit une feuille froissée et totalement vide. Il se foutait de moi ? Qu'est-ce qu'il avait trouvé ? Il s'assit pourtant, tira un stylo de sa poche et se mit à griffonner gauchement des rectangles, des traits divers.

- C'était juste là, sous nos yeux ! s'exclama-t-il dynamique pour la toute première fois. Le plan sur son bureau !

Sur le grand bureau de Perrin se trouvait tout un tas de choses, des choses classiques aux plus extravagantes. Et surtout sous la plaque en verre qui protégeait le beau bois vernis, s'étendait une grande feuille. Un plan du centre. J'y avais déjà aperçu les indications de certains bâtiments mais je ne voyais pas ce que Regan avait pu trouver. Il redessinait tout ce qu'il avait mémorisé, de gestes vifs et peu soignés. Il finit par dessiner une grosse flèche en direction d'un rectangle, ensuite l'entoura.

- On reconnait chaque bâtiment, commença-t-il, le réfectoire, les locaux des personnels,  on reconnaît le terrain de sport, mais il y a ça... La flèche y était sur son plan à lui, pointant vers un lieu qu'on a jamais vu. Et réfléchis un peu, ils nous ont jamais laissé aller plus loin que le terrain... Tout ça, c'est un endroit du centre qu'on ne connaît pas !

Il accompagna ses paroles d'un cercle sur son plan fait maison. Il avait raison, il y avait une partie que l'on avait jamais atteinte puisque l'occasion nous avait jamais été donné. Néanmoins, ça semblait trop évident. S'ils cachaient réellement un lieu, ils n'allaient pas l'indiquer sur un plan par le biais d'une flèche. Peut-être qu'il s'y trouvait des choses importantes, mais je n'étais pas convaincu que ce soit l'aile Z. Regan non plus, à en juger la façon dont il m'observait.

- Comme on est pas sûrs que ce soit ça, on ira faire un tour par nous-mêmes ! décida-t-il, m'embarquant dans son projet. Ce soir !

Il se redressa, résolu. Je le rattrapai pour lui faire face. Qu'est-ce qui lui prenait de m'intégrer dans ses plans foireux ? Comment comptait-il sortir de notre bâtiment alors qu'il était sans doute davantage surveillé la nuit que le jour ? Je désirais savoir où se situait cette putain d'aile Z, j'étais même capable d'y entrer, mais intelligemment. Non sur un coup de tête qui pouvait nous causer pire que l'isolement : l'exclusion d'ici et le placement en centre de détentions pour mineurs. Mon but n'était pas tellement de finir là-bas.

- Quoi ? protesta-t-il. T'es le mec le plus fiable du centre : premièrement, parce que tu peux pas ouvrir ta gueule. Deuxièmement, parce que t'es un grand taré !


*  *  *


La main pressée contre mon cœur, je sentais ses fortes pulsations. Ainsi que la chaleur de mon corps provoquée par l'adrénaline. J'étais collé au mur du couloir, aux côtés de Regan, et plongés dans le noir, nous attendions le signal dont il m'avait parlé. Nous l'attendions depuis plus de dix minutes, sous cette tension intenable. Finalement, j'étais content de me trouver là. J'y trouvais une sorte de plaisir ; une énergie qui me poussait vers l'avant. J'aimais la peur grandissante en moi, j'aimais être attentif aux moindres bruits, devoir faire appel à tous mes sens... Je ressentais quelque chose en moi qui n'était pas négatif, c'était rare.

Soudain des voix résonnèrent plus loin. En même temps, Regan m'indiqua des choses à mi-voix mais je n'y comprenais rien. Quelques secondes plus tard, je me retrouvai dans le préau à courir derrière Regan. Nous traversâmes la grande salle pendant que des éclats de voix retentissaient dans le couloir d'une autre aile. Nous atteignîmes sans mal la porte restée ouverte alors sans s'arrêter une seule fois, on se dirigea vers le terrain de sport. L'air nocturne emplissait mes poumons d'un bien-être total. C'était de loin la chose la plus cool que j'avais faite depuis que j'étais ici. Braver les interdits avait quelque chose de jouissif.

Il nous fallut plus de cinq minutes de course intense pour arriver près des grillages qui délimitaient tout Burket Rivers. Nous étions arrivés au bout et pourtant aucun bâtiment ne se trouvait là.

- Je comprends pas, souffla Regan caché sous sa capuche, c'était bien indiqué là sur sa carte !

Je fis un tour sur moi même, à l'affût de quoique ce soit. C'était difficile à distinguer dans l'obscurité. Mais plus loin, de gros blocs aimantèrent mon regard et un petit cabanon à leurs côtés. Je fis signe à mon nouveau acolyte qui les examina avec une lueur particulière dans les yeux. Je commençai à avancer quand il m'arrêta, une main cramponnée à ma veste.

- J'ai une forte impression de déjà-vu, c'est clair que cet endroit me dit quelque chose ! Peut-être qu'on y est...

Le seul moyen d'être fixés c'était de se rapprocher, de tenter de l'atteindre au maximum pour repérer quelque chose. Je m'investissais à fond dans mon rôle d'espion, j'adorais ça. Lui aussi car il me suivit jusqu'aux conteneurs. On se baissa derrière l'un d'eux, le souffle encore haché par notre précédente course.

- Tu vois ça ? me lança Regan les yeux plissés. Il faut qu'on se déplace là-bas.

Il ne me laissa pas le temps de répondre ou de comprendre, il me tira sauvagement vers le conteneur d'en face nous rapprochant de la cabane. De plus près, ça ressemblait davantage à un bloc de béton agrémenté d'une immense porte. Une porte qui était bien plus renforcée que toutes celles du centre. Je sentis le point dans mon estomac se faire plus pressant, c'en était presque douloureux. Je me repliai sur moi-même, les yeux toujours vissés sur l'endroit mystérieux.

Des craquement dans notre dos nous firent sursauter. J'eus l'impression que, par frayeur, mon cœur allait s'arracher de ma cage thoracique. Cependant il ne resta qu'une chamade qui me parvenait même aux oreilles. Un rayon de lumière balaya les environs alors sans réfléchir je poussai Regan de l'autre côté, me propulsant aussi.

- Tu fous quoi ? m'attaqua-t-il à voix basse.

Je désignai la lueur au sol qui s'élargissait peu à peu. Quelqu'un arrivait. Et j'espérais que personne n'allait sortir par la porte entre temps, sinon nous étions foutus. Je me penchai sur le côté, observant le coordinateur inconnu approcher. Notre seule solution pour ne pas se faire remarquer était de tourner autour du conteneur au fur et à mesure que l'homme avançait. C'est ce que l'on fit, malgré la peur qui me paralysait presque à ce stade. J'avais chaud, très chaud, et je manquais un peu d'air. Sans parler de mon horrible envie de pisser.

La main de Regan me tapota l'épaule puis il me désigna l'autre côté d'un mouvement de tête. J'essayai alors de regarder ce qu'il se passait le plus discrètement possible. Le coordinateur se trouvait devant, des petits tonalités se firent entendre comme lorsque l'on tape un code, puis deux autres et enfin il pénétra dans le local. La porte s'était lourdement fermée derrière lui, marquant le début d'un long silence.

Maintenant que nous avions trouvé cet endroit, il fallait réussir à savoir ce qui s'y trouvait. Ça s'annonçait éprouvant pour ne pas dire impossible : chercher un moyen d'entrer et un moment pour le faire. « Je vais voir de plus près ! » entreprit Regan, debout, en même temps qu'un bruit sourd résonna à nouveau. Son réflexe fût immédiat et heureusement puisqu'il se baissa quand la porte s'ouvrit. Un homme différent du précédent en sortit, tenant dans chacune de ses mains une mallette et des tissus. Sa lampe torche éclaira les environs, m'aveuglant de courtes secondes. Je me reculai et me concentrai davantage sur bruit que provoquait chacun de ses pas. 

Il commença à marcher d'une allure lente alors que je me préparais à me déplacer. Je sentais la présence de Regan tout juste derrière moi, même sa peur se faisait ressentir. Ses doigts tremblants dans mon dos, sa respiration qu'il tentait tant bien que mal de retenir. Je m'inclinai à nouveau et fus surpris de voir le coordinateur aussi près de moi, lui qui allait plutôt de l'autre côté. Il fallait que l'on parte dans l'autre sens. J'eus à peine le temps de mettre mon idée à exécution que je fus poussé hors de notre petite cachette : en plein milieu du chemin. Tout juste aux pieds de l'homme.

En relevant les yeux, je remarquai qu'il ne tenait non pas des tissus, comme je l'avais pensé plus tôt, mais des serviettes. 

Des serviettes en sang. 


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Hello ! On se retrouve avec l'intrigue de l'aile Z qui revient, j'espère que vous aimez ce chapitre. Autant le début avec Ayden que la suite avec Isaiah & Regan... Partagez-moi vos avis, vos hypothèses ou vos autres réactions ! 

Etant donné la fin que je vous "offre", j'essayerai de ne pas trop vous faire attendre pour le prochain chapitre ! Merci encore pour ceux qui continuent de me lire. ♥

J'attends vos commentaires avec impatience, byeeee !

PS : Chapitre qui peut contenir des fautes car je n'ai fait qu'une seule relecture. Je le relis ce soir.

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