11 - Reach out
Pensif, je me contentai de suivre le troupeau de mon aile jusqu'au préau. Les mots de Isaiah ne quittaient mon esprit et plus j'y pensais, plus son idée me paraissait réfléchie. Tout n'était pas clair dans cette histoire. Pourquoi enfermeraient-ils des jeunes dans un endroit mystérieux ? Comment faisaient-ils pour ne pas inquiéter les parents à qui l'on devait donner de constantes nouvelles ? Il y avait tant de questions auxquelles répondre ; j'étais certain que personne ne me donnerait les réponses mais je n'étais pas capable de les trouver tout seul non plus. Aucun des jeunes qui se trouvait ici ne le pouvait car c'était une situation qui nous dépassait.
- Price, viens voir ici ! appela une voix d'adulte derrière moi.
Price était le nom de famille d'Isaiah, alors je me retournai aussitôt. La voix avait sèche, ce qu'il y avait de plus inquiétant lorsque ça venait d'un coordinateur. Je vis mon ami approcher près des deux adultes qui géraient son aile, avec une expression légèrement craintive. Et s'il se faisait punir pour m'avoir parler ? Et s'ils avaient compris qu'il soupçonnait quelque chose ?
Ma curiosité était au maximum malheureusement je dus la mettre de côté car ce fût à mon tour d'être rappelé à l'ordre. Quand je me tournai à nouveau vers mon groupe, je remarquai que tous les jeunes avaient déjà regagné leur chambre ; il n'y avait plus que Hunter qui me regardait avec incompréhension. Je secouai alors la tête puis partis dans ma chambre comme tous les autres. Quand notre punition allait-elle finir ? Les coordinateurs n'avaient fait que récolter ce que le Sergent Blondie avait semé, la rébellion qu'il y avait eu une semaine plus tôt était justifiée. Mais évidemment ici, les règles étaient inversées : les adolescents étaient en tort tandis que les adultes avaient toujours raison. La règle primordiale était de se la fermer - chose pas si difficile pour ma part.
Je me laissai tomber sur mon lit, m'inquiétant d'abord pour mon ami et puis me remettant à cogiter sur son hypothèse. Les effets de la drogue étaient ils de se réveiller avec l'impression d'avoir été assommé, avoir une nausée terrible, la perte d'équilibre et l'estomac retourné. A l'instar d'un lendemain de soirée un peu trop alcoolisée. Ça m'était arrivé deux fois... Si la première fois ne pouvait être causée que par Julien, la deuxième fois par contre restait sans véritable coupable. Ça pouvait être tous les coordinateurs qui avaient accès à cette sorte de drogue et qui s'en servaient à leur guise dès qu'ils ne voulaient pas prendre la peine de se préoccuper d'un adolescent trop déchaîné.
Je me redressai d'un mouvement vif et retirai mon t-shirt afin d'examiner la moindre parcelle de ma peau. Si on m'avait drogué, il devait au moins une trace, ne serait-ce qu'une rougeur. Et effectivement je la trouvai sous mon biceps : un simple hématome à peine perceptible, mais elle était bien là. Tout cela était bien vrai...
Mais je comprenais encore moins, pourquoi M. Perrin m'avait parlé de l'aile Z s'ils ne voulaient pas que l'on en connaisse l'existence ? Ou peut-être cette aile et le lieu dont Isaiah m'avait parlé n'étaient pas le même, en réalité ?
Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir ; un moyen qui rejoignait mon objectif premier : entrer dans l'aile Z. Un problème que je n'avais pas envisagé jusque là s'imposait alors... Comment entrer dans cette aile et en sortir, sans que l'on me drogue pour effacer ma mémoire ? Car il n'y avait aucune utilité à y aller si en revenant, je ne me souvenais plus de rien.
***
La porte de ma chambre s'ouvrit subitement, cognant contre le mur dans un énorme fracas. Je me relevai aussitôt car j'avais appris, à force, qu'une telle entrée n'était jamais une visite aimable. Et mon interlocuteur le confirma : Sergent Blondie. En le voyant armé de son sourire stupide, les bras croisés sur son torse, je me levai alors pour lui faire face. Il avait beau être beaucoup plus grand et musclé que moi, il pouvait crier comme il le voulait avec sa voix de stentor, il ne m'impressionnait pas. Sans doute était-ce ce détail chez moi qui l'énervait tant. Il régnait sur tout et tout le monde ici par la terreur mais surtout pas sur moi. Je ne disais pas être invincible, il m'était déjà arrivé de redouter quelqu'un - même des personnes plus jeunes que moi - mais pas de ce genre de connards. Mis à part ses muscles, il n'avait aucune force ; ça ne faisait que de le rendre inoffensif à mes yeux.
- Debout Hollington, m'ordonna-t-il, c'est l'heure de ta LSV.
Leçon de Savoir Vivre, j'en avais marre de ce putain de mot d'autant plus lorsque c'était Jeff qui allait me la faire. Pour lui ces leçons étaient égales à des vengeances personnelles et à en juger son rictus, il allait me faire vivre le même enfer que la précédente fois. Je fermai les yeux, un instant, priant de tout mon cœur pour que cette situation ne soit qu'un cauchemar. Toutefois, je ré-ouvris les paupières et il était toujours là devant moi. Je remarquai la petite blessure qui barrait sa tempe droite ; je ne pus m'empêcher de m'en réjouir car j'en étais le responsable. J'avais éclaté le reste de la maquette sur sa tête, me procurant un bien fou.
- Quoi, je t'ai à ce point manqué que tu me fixes comme ça, avec un sourire de pervers ?
Je lui adressai une grimace censée l'imiter puis je le contournai et sortis de la chambre. L'horloge du couloir indiquait 17h50 et je devinais qu'il faisait exprès de m'infliger la leçon quelques minutes avant le repas ainsi je ne mangerais pas. Néanmoins, ça ne me touchait pas grandement étant donné que la nourriture d'ici n'était pas mon péché mignon. Je me dirigeai alors en direction du stade comme il venait tout juste de me le dicter.
- J'ai failli perdre mon poste à cause de toi, pesta Jeff derrière moi. Une chance que mes collègues aient été là pour témoigner de ton comportement de sale gosse.
Je roulai des yeux sans m'arrêter d'avancer, en traînant des pieds. Ainsi, j'envoyais bien de la poussière sur le jean noir, trop noir, de mon coordinateur préféré. Nous arrivâmes finalement près des gradins, devant lesquels s'étendait la grande pelouse... Quelques heures à peine, ce lieu était envahi de nos proches et habité d'une bonne humeur discordante. Dorénavant, ce n'était plus qu'un endroit vide d'émotions. Et une part de moi avait hâte de regagner le terrain pour, de nouveau, jouer au rugby, en apprendre plus auprès de mon équipe, m'épanouir dans ce sport qui commençait à me plaire.
L'épaisse main de Jeff vint me serrer le creux de l'épaule et me tourna vers la pelouse. Je le sentis se pencher vers moi afin de me murmurer à l'oreille :
- En plus de ta passion pour la balançoire sur chaise, j'ai constaté que tu aimais courir... Tu vas donc me faire des tours de terrains, jusqu'à ce que je te dise d'arrêter et peut-être que tu apprendras à courir pour les bonnes raisons, non pour voler une satanée paire de clés.
Comme je ne bougeai pas tout de suite, il se mit à crier :
- Je t'ai dit de courir !
Je soufflai une dernière fois et m'exécutai. De toute manière, ça ne me dérangeait pas tant que cela ; s'il voulait entraîner mon endurance : pas de problèmes ! Je n'aurais ainsi pas de mal à lui échapper la prochaine fois que je déciderais d'improviser une petite course poursuite.
La terre rouge sur laquelle je courrais était trop dure, surtout pas adapté pour courir. De quoi attraper une horrible douleur au dos mais évidemment, ça ne ferait que davantage plaisir au Sergent Blondie. J'éteignis mes pensées négatives et me concentrai plutôt pour contrôler ma respiration, la position de mon corps... Les minutes passèrent ; inconsciemment, j'avais accéléré. Plus j'allais vite, plus je me sentais mieux. J'aimais avoir cette impression que mes pieds foulaient à peine le sol, que mes pas s'enchaînaient sans que j'eus le temps d'y réfléchir. Ça me semblait naturel, comme si je m'étais entraîné toute ma vie ou comme si ça m'était inné.
- Plus vite ! me criait sans cesse Jeff.
Plus vite... Je fixais un point fixe au loin, m'imaginais mes parents à l'horizon et je courrais comme jamais. Je ne les attrapai jamais car ils s'éloignaient à chaque fois et ça ne me faisait qu'augmenter la vitesse de ma course. Puis mes jambes abandonnèrent soudainement, je m'écroulai parterre à bout de souffle tandis que mon coordinateur braillait derrière moi.
- Je ne me souviens pas t'avoir dit d'arrêter alors tu vas te relever et t'y remettre !
Tous mon corps tremblait, même mes bras qui n'avaient fait aucun effort pourtant. Je sentais la sueur coller mon t-shirt à ma peau, je détestais cette sensation néanmoins je détestais encore plus passer pour un moins que rien. Je me redressai alors, premièrement sur les genoux, deuxièmement sur mes pieds et enfin, je me remis à courir. À petite foulée puis à toute vitesse.
À chaque fois que je trébuchai, la voix féroce de Jeff jamais très loin me donnait la rage de me mettre debout et de continuer ma course. Il interprétait certainement mon comportement comme de la soumission, mais il ignorait que je le faisais pour moi et uniquement pour moi. Pour repousser mes limites, pour me rendre un peu plus fort.
Je n'avais pas besoin de quelqu'un qui m'encourageait - j'en avais même horreur - mais de quelqu'un qui s'opposait à moi car il représentait un moyen de me forger un mental endurant, capable d'affronter la vie et toutes ses merdes. Capable d'affronter les obstacles et d'aller de l'avant. J'avais besoin d'apprendre cela ; une part de moi en avait assez de stagner.
***
La leçon de savoir-vivre de Jeff s'était alors transformée en entraînement personnel, sans qu'il ne le réalise évidemment. Et ça avait duré jusqu'aux alentours de 21 heures jusqu'à ce que lui, qui ne faisait rien, sente la fatigue s'accaparer de son corps. J'avais eu le droit à une douche rapide avant d'aller m'effondrer dans mon lit.
Finalement, le lendemain matin avait été plus détendu que les autres jours. On nous avait autorisé à rester dans le préau dans le but de se détendre avant l'après-midi chargée qui nous attendait, alors tous les jeunes de chaque aile lisaient, étaient agglutinés autour de la télévision, participaient un tournoi de baby foot ou faisaient tout simplement les cons dans les tous les coins. Tous... Mis à part un, le seul que je cherchais depuis la veille. Isaiah. Je ne l'avais pas vu au petit-déjeuner, lui qui ne ratait aucune occasion de manger, et cela faisait plus de trois heures que nous étions ici, il n'était toujours pas venu. De plus, à l'accueil j'avais vu, sur la liste, qu'il n'avait pas encore récupéré les affaires que sa famille avait laissé pour lui. Je ne pouvais qu'être inquiet.
Je n'allais pas rester sans rien faire. Alors d'un pas décidé, je me dirigeai vers le coordinateur chargé de nous compter et tapotai le nom d'Isaiah sur la fiche qu'il tenait. L'homme à la peau blanchâtre, aux cheveux longs jusqu'au milieu du dos, me regarda en effet avec surprise. Je secouai alors les mains dans l'espoir qu'il me comprenne. Il rebaissa les yeux, relus le prénom et tourna alors sur lui-même à la recherche de quelqu'un ou quelque chose. Peut-être bien de mon ami.
Il interpella un coordinateur qui passait par là, lui posant la même question que j'avais intérieurement :
- Où est Isaiah Price ?
Celui-ci me jeta un regard presque noir et répondit seulement qu'Isaiah devait « rester seul ». Il continua ensuite son chemin, d'un pas pressé comme si une importante mission humanitaire l'attendait plus loin. L'autre coordinateur haussa les épaules, avec un semblait d'air désolé alors que je lui tournais déjà le dos. Pourquoi devait-il rester seul ? C'était sans doute un des mecs les plus calmes du camp... Que lui reprochait-on ? Et s'il avait besoin d'aide ?
Je regardai autour de moi, ne vis aucun coordinateur de mon aile et en profitai pour me diriger vers mon couloir. Presque au pas de course, je le longeai, empruntai les escaliers et montai à l'aile B. Je ne savais même pas quelle chambre était celle de mon ami mais lorsque je vis qu'une seule porte était fermée tandis que les autres étaient ouvertes, j'en déduisis qu'il devait s'y être enfermé. Pourtant lorsque je poussais cette fameuse porte, je n'y trouvais personne et ce, même dans les autres chambres. Où pouvait-il être ? Peut-être dans la salle d'isolation ?
Je commençais à m'en aller quand un détail me sauta au visage, dans la chambre fermée j'avais aperçu quelque chose. Le cœur battant à toute vitesse, j'y retournai alors et me postai devant la photo accrochée au mur. C'était un homme, âgé d'une cinquantaine d'années, à la même peau basanée qu'Isaiah et une ressemblance frappante dans les traits de visage. Aucun doute, c'était son père et je me trouvais dans la chambre de mon ami. Mais ce n'était pas cela qui m'interpellait tant, c'était l'odeur de javel qui régnait dans la pièce... Comme si elle avait été nettoyée quelques heures plus tôt, alors que nous avions nettoyé nos chambres la veille, et que l'eau de javel nous était interdite. Même les draps avaient été changés...
Il s'était passé quelque chose ici. Peut-être avait-il saigné ? Alors je savais où le trouver.
Je sortis à toute vitesse, me mis à courir de toutes mes forces, dévalai les marches d'escalier trois par trois et traversai mon aile sans ralentir. Lorsque j'arrivai au préau, sous les yeux de tous, je fis semblant de trébucher contre un fauteuil et m'étalai par terre. Les rires s'élevaient autour de moi tandis que je ne laissai pas tomber mon jeu, me recroquevillant sur moi-même. J'attrapai ma cheville et me crispai avec une horrible grimace accrochée au visage.
- Tu vas bien ? s'inquiéta Hunter, qui venait d'accourir à mes côtés.
Je déclinai d'un mouvement de tête alors il m'aida à me remettre sur pieds. Tous les regards moqueurs me visaient ; je mourrais d'envie de leur adresser un doigt d'honneur pour leur faire comprendre qu'ils étaient tous tombés dans le panneau mais au lieu de ça, je restai bon comédien et continuait de feindre la douleur. Le coordinateur roux passa mon bras autour de ses épaules et m'accompagna ainsi au lieu tant désiré : l'infirmerie. Si Isaiah n'y était pas alors il y avait de quoi sérieusement s'inquiéter.
- Pourquoi tu courrais aussi vite ? On pourrait croire que tu étais poursuivi par un démon...
Une fois à l'infirmerie, Hunter laissa m'asseoir sur une chaise pendant qu'il expliquait mon "incident" à l'une des dames présentes et je fus tout de suite emmené dans une petite salle où se trouvaient deux ridicules lits qui tenaient à peine. Là, l'infirmière me tourna la cheville dans tous les sens et par le biais de ses questions, en déduisit que j'avais une petite entorse. De la crème, une chevillère et au moment où je croyais qu'elle allait me laisser, elle m'obligea plutôt à retourner dans le préau. Elle prit même soin de me raccompagner à mon plus grand désespoir.
Ma mission fût un échec total ; je m'étais ridiculisé devant tout le monde, pour rien. Et le pire c'était que je ne savais toujours pas où se trouvait mon ami...
***
Je quittai le réfectoire sans avoir fini de déjeuner car un jour était passé et je n'avais toujours aucune nouvelles d'Isaiah. J'étais bien déterminé à en avoir. J'avais une demi-heure de temps libre, une demi-heure pour le trouver. J'entrepris de refaire un tour dans sa chambre, tout en préparant un nouveau plan. Je devais retourner à l'infirmerie pour entrer dans la grande salle où résidaient plusieurs lits - comme l'infirmerie de Poudlard, mais en moins classe. S'il n'y était pas alors je devrais envisager le fait qu'il soit dans l'aile Z... Mais alors ça ne prenait plus de sens, pourquoi l'y aurait-on envoyé ?
Je fis mine de rentrer dans ma chambre puis m'empressai d'atteindre les escaliers, au bout du couloir, dès que le coordinateur qui surveillait eût le dos tourné. Dans l'aile B, je courus à la chambre du métisse dont la porte était toujours fermée. Je fermai la porte derrière moi, avec vitesse mais douceur, et eût un énorme sursaut en me retournant car il se tenait là... Isaiah, allongé comme une larve sur son lit. J'eus l'impression d'être délivré d'un énorme poids car il n'avait pas l'air si mal en point, malgré la fatigue qui tirait son visage.
Je donnai un coup dans le mur pour attirer son attention. Il se redressa alors, les yeux grands ouverts et paniqués comme jamais. Cependant, il parût se ressaisir lorsqu'il me vit. Il agissait avec calme, comme si je n'avais pas passé ces dernières vingt quatre heures à m'inquiéter pour lui. Je m'approchai alors tout en faisant de grands gestes de bras, l'air de dire « Où étais tu ? Qu'est-ce que tu foutais ? ».
- J'en ai marre qu'on se foute de ma gueule, se confia-t-il d'une voix extrêmement droite. Ça leur fait tellement marrer de me voler mes lentilles, je veux plus sortir. Et encore je suis bien content de voir leur sale gueule de con que d'un œil.
Je fus d'abord étonné par le ton de sa voix, lui qui semblait toujours joyeux. Il ne l'était plus aujourd'hui. Puis ses mots me firent énormément de peine. Si l'on avait un défaut ou un truc particulier dans ce camp, on pouvait être sur que les autres allaient s'en servir contre nous. Moi, c'était mon mutisme. Isaiah, c'était son œil marqué d'une tâche opaque ; un œil qui ne percevait presque plus rien. Il m'avait avoué porter des lentilles car il ne supportait pas de voir son œil dans cet état, c'était un « mauvais souvenir ». Et jusqu'à présent, il était toujours passé au-dessus des critiques. Pourquoi n'était-ce plus le cas ?
- Tu connais mon histoire ?
Je le fixai un moment, acquiesçai vaguement. Tout le monde connaissait son histoire au camp. Aucune de nos vies n'était plus vraiment privée... Les informations plus ou moins erronées sortaient toujours de nulle part.
- Non, pas celle qu'on raconte ici... Ce qu'il s'est réellement passé.
Je secouai la tête de gauche à droite et me redressai alors que lui se courbait davantage sur lui-même, comme s'il cherchait à se protéger.
- Ma mère a eu une vie difficile. Très jeune, elle était déjà accro à toute sorte de drogue mais elle a quand même rencontré mon père qui a réussi à lui faire oublier toutes ces merdes pendant des années. Puis ils m'ont eu, les problèmes d'argent sont arrivés, les problèmes de couple avec et ma mère a replongé. Tous les jours, il lui fallait à tout prix sa dose d'héroïne et quand elle ne l'avait pas, elle se mettait dans un état de colère inimaginable. Devine à qui elle le faisait payer ?
Il tapota sa pommette, sous l'œil abîmé. Mes lèvres s'entrouvrirent de stupéfaction. Je me laissai tomber sur son matelas, près de lui, absorbé par son histoire qui me touchait plus que tout. Au moment où ses yeux s'embuèrent, il baissa la tête et émit un rire douloureux. Le sorte de ricanement qui fait mal au cœur, qui tente de refouler une extrême tristesse.
- Ce n'est pas mon père qui me tapait, c'était elle. Et elle réussissait à faire pression sur lui comme ça. Il avait trouvé deux petits boulots de merde, qui lui pourrissaient la santé et elle, elle, lui prenait tout son argent. Il est très vite devenu faible, il y avait des jours où il n'était même plus capable de se lever tout seul... Et elle continuait de le menacer, de s'en prendre à moi. Au début, j'étais trop petit pour faire quoique ce soit mais y'a trois ans quand je l'ai vu attraper mon père par les épaules, le faire tomber de son fauteuil, le traîner au sol. J'ai vu qu'elle était prête à tout pour sa drogue, même à le tuer alors je m'en suis pris à elle.
Les larmes qu'il retenait tant depuis plusieurs minutes se frayèrent un chemin à travers ses paupières et dévalèrent ses joues en quantité. Il était sur le point de se libérer de tout son désespoir et sa colère mais il se rattrapa, inspirant pour se donner du courage.
- Maline comme elle est, elle a réussi à me dénoncer aux autorités me présentant comme un enfant violent et c'est ici que j'ai débarqué ici pour la première fois, continua-t-il de raconter tout tremblant, et à chaque fois que je sortais, elle trouvait un moyen de me renvoyer ici. C'est la quatrième fois... Et je devrais être en colère, lui en vouloir terriblement, mais quand on est venu m'annoncer son décès y'a deux jours, tu sais ce que j'ai ressenti ? De la tristesse. J'étais si mal, je le suis toujours... Et je ne comprends pas...
Il se mit à sangloter, sans plus pouvoir contrôler quoique ce soit alors que je restais là incapable de faire le moindre geste. Je n'étais pas doué pour me montrer affectueux toutefois je devais me surpasser... Pour lui, un ami dans le besoin. Je n'avais pas les mots mais j'avais au moins la présence. Et surtout, j'avais la capacité de le comprendre. Comprendre ce que ça faisait de perdre quelqu'un, de perdre un parent et peu importait la relation que l'on avait avec... Ça faisait toujours mal car la mort d'un proche faisait naître les regrets. On regrettait d'avoir ou de ne pas avoir fait telle chose. On regrettait d'avoir dit ou de ne pas avoir dit quelque chose. On regrettait de ne pas avoir eu une bonne relation avec la personne, comme Isaiah.
Alors je m'avançai, passait un bras autour de son corps épris de spasmes et l'attirait brusquement vers moi.
- Je devrais la détester, pleura-t-il dans mon épaule. Je devrais...
Je le serrai davantage contre moi alors que mon propre cœur se comprimait, enveloppé de souvenirs. Je lui tapotai le dos, l'encourageant à ma manière. Si j'avais la parole, je lui dirais qu'il ne devait rien du tout... Qu'il n'avait pas à agir, à ressentir, comme on l'attendait de lui. Il avait le droit d'être triste, il avait le droit de pleurer la mort de sa mère ; ça n'enlevait pas sa colère, ça n'effaçait pas ce qu'elle lui avait fait subir. Il avait le droit d'avoir mal, il avait perdu quelqu'un qui partageait sa vie. Il pouvait la détester mais regretter sa mort. Il pouvait pleurer sur son propre sort, sur ce petit garçon qui avait eu besoin de sa mère durant toutes ces années, sur l'adolescent perdu qu'il était maintenant.
Il avait le droit.
J'espérais que quelqu'un, un jour, lui dirait à ma place car j'aurais aimé qu'on me le dise, lorsque j'avais perdu mes parents. Qu'on me dise que j'avais le droit d'être triste autant et aussi longtemps que je le voulais car il n'y avait pas de temps limite au deuil. Pas de mode d'emploi au chagrin.
***
- On va enfin pouvoir reprendre le rugby, souffla Jake qui venait de s'installer devant moi.
Le lendemain soir, avant d'entrer dans le réfectoire, nous venions d'apprendre que la sanction avait été levée. Je retrouvais donc l'équipe dont je faisais partie et cela faisait tout de même du bien de retrouver des visages familiers, des visages sympathiques surtout. Jake avait été la première personne, avec Isaiah, à m'intégrer aussi vite dans le groupe ; il était aussi chargé de m'apprendre le rugby, de me mettre à niveau. Et il prenait un grand plaisir à me faire souffrir, voilà ce qui expliquait son enthousiasme.
- Comment va-t-on faire sans Isaiah ? demanda tristement le plus jeune d'entre nous. C'est quand même lui qui s'y connait le mieux et il paraît qu'il n'est pas sorti de sa chambre depuis deux jours...
- Il a dû lui arriver quelque chose autrement on ne le laisserait pas tranquille.
Un autre garçon dont le prénom m'était inconnu venait d'intervenir puis très vite les autres suivirent. La dizaine de garçons assis à ma table prit la parole, chacun leur tour comme si notre conversation était un débat politique auquel tout le monde devait prendre part. Finalement ce fût Jake, à l'air blasé, qui décida de clore le débat :
- Vous n'avez qu'à lui demander directement.
Son regard fixait derrière moi et à l'instant où je comptais me retourner, un plateau tomba à ma gauche dans un bruit désagréable. Je savais qu'il n'y avait qu'une seule personne qui avait cette manie là de lâcher son plateau repas sur la table. Je tournai alors la tête en direction du métisse en train de s'asseoir et remarquai aussitôt les cernes presque violettes qui soulignaient son regard épuisé. Le silence tomba à table, à croire que nous avions devant nous l'apparition d'un fantôme. La plupart des gars devait sans doute attendre une explication tout en se doutant que celle-ci ne viendrait jamais. Alors quelques secondes plus tard, les discussions se relancèrent à notre table.
Mes yeux se focalisèrent instinctivement sur Isaiah, rencontrant aussitôt les siens. Il ne portait toujours pas ses lentilles, il avait alors cette manière de garder la tête baissée mais cela ne cachait presque rien. Depuis le décès de sa mère, il semblait se sentir davantage honteux de son œil qu'auparavant. Et ça me mettait encore plus en colère contre Ben, qui était sans aucun doute le responsable... J'avais envie de lui casser la gueule et de récupérer les lentilles d'Isaiah.
- Is' demain tu viens bien à l'entraînement hein ?
Toutes les têtes se tournèrent vers le courageux qui avait osé poser la question qui démangeait tous les membres de l'équipe... Le plus jeune. Alan, Alban ou Adam, je ne savais plus trop. Je n'étais pas très fort pour retenir le prénom des autres, surtout pas assez intéressé.
- Je ne peux pas, je serai pas là, répondit le métisse dans un ton neutre.
Le garçon, bien que curieux, ne chercha pas à en savoir plus cette fois et prit la sage de décision de simplement hocher la tête. Ils continuèrent tous de parler tandis qu'Isaiah restait aussi silencieux que moi, pendant un moment... Il regarda rapidement la table avant de rapprocher sa chaise de ma gauche.
- Je vois ce psychologue depuis... samedi... Je crois que j'ai fait une connerie aujourd'hui. Je lui ai parlé de l'impression étrange que j'avais, des sortes de souvenirs qui me reviennent à propos d'ici. Il a à peine répondu, il avait pas l'air d'être prêt à m'aider... Puis je me suis dit, et s'il était au courant ?
Comme je l'observais avec incompréhension, il rajouta :
- Sérieusement mec, on ne sait pas qui est dans le coup ici. Si on veut vraiment être aidés, il nous faut quelqu'un de l'extérieur - à qui on peut facilement faire confiance. Et tout le monde ici connait ta bombe de psychiatre... Notre contact de l'extérieur, souligna-t-il en me pointant de l'index. Je m'en fous de savoir comment, par signes, écrits, ou bruits d'animaux, mais tu vas trouver un moyen de lui dire tout ça. Ok ?
Il n'attendit même pas ma réponse, prit son plateau et partit. Je le regardai sortir de la grande salle alors qu'un nœud se formait au fur et à mesure dans mon estomac. Communiquer... Ça ne paraissait pas si difficile pour quiconque pourtant ça représentait pour moi la chose la plus dure au monde. Au fond de moi, j'avais développé cette peur terrible de me tourner vers les autres, de m'ouvrir à eux ; peur d'être un fardeau. Peur de les faire couler avec moi, comme ça s'était passé avec mes parents ou avec Ayden. Je préférais me cacher, à l'instar d'une grenade prête à exploser tout ce qui l'entourait... Si j'étais seul alors j'étais sûr de ne toucher que moi-même.
Toutefois, cette affaire dépendait de moi à présent... Une heure plus tard, je voyais Mme Jenson et je devais faire quelque chose. Je devais dire quelque chose.
***
- Avant que nous commencions, je dois te parler de l'affaire concernant Ayden Gallagher, m'annonça Mme Jenson alors que je venais à peine de m'asseoir.
Comme tous les lundis, je retrouvais ma psychiatre dans une des salles miteuses du camp et comme tous les lundis, je haïssais cette heure. Une heure pendant laquelle elle posait des questions auxquelles elle répondait elle-même. Si, en plus de cela, elle commençait la séance en parlant d'Ayden, ça n'allait pas améliorer mon stress.
- Comme tu le sais, il ne désire plus que tu l'approches comme c'était convenu puisque tu avais une restriction. Leur demande a été étudiée et j'ai de nouveau réussi à la repousser. Je continue de penser que vous voir sera bénéfique pour l'un et l'autre. Vous devez tous les deux éteindre cette colère qui vous ronge. Tu n'es pas d'accord ?
Je ne répondis pas, ayant bien d'autres choses en tête. Je ne cessais de repenser aux mots de Isaiah, je tentais également de peser le pour et le contre. Ne serait-ce pas totalement fou de confier quelque chose dont nous n'étions même pas sûrs à 100 % ? Me croirait-elle ? Comment lui dirais-je cela ?
- Toi qui ne reste jamais en place habituellement, tu es drôlement calme aujourd'hui, releva-t-elle les yeux plissés. Quelque chose ne va pas ?
Je me redressai sur le champ, inspectai la salle et me levai d'un coup malgré les protestations de ma psy. Sa réaction paniquée était plus que démesurée... Elle n'avait pas de raison de s'affoler autant. Je n'avais pas l'intention de la tuer... pas encore. Ma plaisanterie personnelle m'arracha au moins un sourire et réussit à me faire oublier mon angoisse, une petite seconde. Tout revint quand je posai mes yeux sur un tas de feuille qui reposait près d'un ordinateur.
Après avoir attrapé un papier à toute vitesse - pour ne pas hésiter plus longtemps - je retournai m'asseoir face à Mme Jenson. Ses yeux auparavant animés de peur étaient maintenant ahuris. Elle s'empressa de me donner un stylo, avec un mi-sourire encourageant. Une fois que je l'eus en mains, je me mis tout de suite à trembler. J'essayais de l'ignorer, de ne fixer que le papier, de ne pas prendre en compte la chaleur qui venait de m'envahir... Je me persuadai que c'était utile, que ce n'était pas pour m'aider seulement moi, mais tous les autres gars de ce camp.
Je soufflai une dernière fois et resserrai le stylo entre mes doigts.
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Hello ! Mille excuses pour le temps que j'ai mis à poster, dès que je suis rentrée de vacances j'ai eu plus de facilités à écrire... Du coup un chapitre sur lequel je me suis penchée pendant des semaines, je l'ai écrit en quelques jours. & au moment où vous lisez ceci, sachez que le chapitre suivant est déjà en cours d'écriture. Suffisant pour me pardonner ?
Bref, ce chapitre là est un peu plus centré sur Isaiah. J'ai tenu à insister sur l'amitié entre lui et Leander. Egalement sur le fait qu'ils soient un peu " à part " tous les deux parmi tous les autres du camp. C'est un peu eux contre le monde ahah ! Sinon vous pensez que Leander va réussir à écrire à sa psy ?
J'espère que vous ne trouvez pas que c'est trop lent, car j'essaye au contraire que ça n'aille pas trop vite. Je suis pas très douée avec le suspens donc bon j'essaye de me freiner et de ne pas donner les infos tout de suite. Là les personnages en sont encore au stade où ils se questionnent donc bon... J'attends vos avis !
Bye :)
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