1 - Burket Rivers


- Et voilà ta chambre... 

Le jeune, qui avait été chargé de me mener jusqu'ici, posa négligemment mon sac au pied de l'horrible lit, semblable à ceux de prisons. Il appuya son épaule contre l'embrasure de la porte, croisa les bras pour faire gonfler ses muscles et sourit d'un air supérieur. Une des nombreuses règles du camp était de désigner, à chaque début de mois, un groupe de personnes qui devraient faire la visite aux nouveaux venus et s'assurer de leur bien être pendant quelques jours. Des sortes de mentors... On nous avait affirmé que cela permettait de créer un « bon climat » et de nous rendre plus responsables des autres mais aussi de nous même. Des conneries. 

On m'avait donc refilé Regan, un afro-américain de 17 ans qui avait le typique accent d'un mec du ghetto. Son comportement allait aussi avec, traînant des pieds, jurant à chaque phrase, tuant les gens du regard... Il était sûr de lui. Mais une chose était claire, il ne devait faire peur à personne ici. Surtout pas à moi. Comme le chef de cet enfer, il m'avait alors présenté tout ce que je connaissais bien avant lui : les règles importantes, les lieux autorisés ou interdits et ce que l'on appelait les « petites astuces pour une meilleure vie ». 

- Perrin nous attend, reprit-il en faisant déjà demi-tour. 

Je jetai un dernier coup d'œil à la ridicule chambre poussiéreuse qu'on m'avait administré et suivis le faux bad boy sans pour autant me presser. Je regardai chaque chambre devant laquelle je passais, espérant sans doute reconnaître une personne rencontrée lors de ma précédente venue. Mais personne pour le moment. Nous arrivâmes finalement devant la porte blindée qui protégeait les bureaux administratifs des tarés comme nous. Regan sonna et du coin de l'œil, je le vis se tourner dans ma direction. 

- T'es pas un peu trop jeune pour pouvoir être là ? Qu'est-ce que t'as fait ? 

Je ne pris même la peine de le regarder, ce serait déjà trop d'attention pour lui. Et puis, c'était quoi cette question stupide, il croyait que j'avais quel âge ? Je voulais bien croire que je faisais plus jeune que 16 ans, mais quand même... L'âge minimum pour entrer ici était de 12 ans. Lorsqu'il comprit que je n'allais pas lui répondre, il lâcha un ricanement nerveux. Il luttait sans doute contre l'envie de m'en foutre une - pour prouver son autorité - mais la porte s'ouvrit nous libérant tous deux de ce moment insupportable. 

Nous montâmes au deuxième étage, là où se trouvaient les bureaux des coordinateurs mais aussi celui de leur chef, Perrin. C'était lui qui connaissait les dossiers de chacun de nous, lui qui organisait nos programmes de la semaine, lui qui décidait de nos droits et de nos devoirs. C'était l'homme à respecter mais surtout l'homme à mettre dans sa poche si l'on voulait des avantages. Il n'avait pas l'air très autoritaire, il n'avait rien du typique mec costaud - ancien soldat - que l'on voyait dans les films sur les camps pour mineurs. Non, il n'avait rien de ça mais il contrôlait les lieux. A vrai dire ce n'était pas lui que l'on devait le plus redouter car on ne le voyait pas souvent mais plutôt sa troupe d'hommes avec qui l'on était au quotidien. La plupart était cool mais il y en avait toujours deux - trois qui n'en rataient pas une pour te compliquer la vie. 

Regan s'arrêta devant une petite salle d'attente, là où se trouvait mon grand frère et un vieux monsieur. Il se tourna vers moi et attendit sans doute des remerciements. Mais je n'allais pas lui donner alors quand je fis un pas en avant, il se mit en travers de mon chemin. Je vis mon frère se lever, prêt à intervenir à tout moment. Il m'énervait à se comporter de la sorte, je savais me débrouiller par moi-même. Après tout ce temps, il n'avait toujours pas compris qu'en prenant ma défense il ne faisait qu'aggraver la situation. 

- Papa et maman t'ont jamais appris à être poli et à communiquer ? quémanda-t-il d'une voix agacée. 

J'ignorai mon cœur qui se serrait et plantai mes yeux dans les siens, m'impatientant de plus en plus. Je détestais qu'on me fasse perdre mon temps et qu'on impose son autorité sur moi en se pensant supérieur. Nous étions tous dans la même merde, personne n'était plus fort, plus méchant ou plus coupable qu'un autre. Nous étions tous des sales « ados en difficulté », avec des problèmes de violence. Tous plus minables les uns que les autres. Mes mains commençaient à trembler alors que je me retenais de le dégager de mon chemin. Pas maintenant, pas aujourd'hui. Se comporter mal le premier jour revenait à rendre son séjour ici misérable. 

Heureusement, la porte du bureau de Perrin s'ouvrit derrière nous et je fus littéralement sauvé par le gong. Regan sauta presque à mes côtés, se retourna et abandonna son air avachi pour se tenir droit comme un putain de soldat. Je fis aussi volte face et observai l'homme d'une quarantaine d'années, aux cheveux pourtant déjà dégarnis. M. Perrin, mon ami ! En 2 ans, il avait plutôt changé puisqu'il avait l'air d'avoir dix ans de plus. 

- Monsieur, je vous amène... commença Regan avant de se tourner vers moi, au fait c'est quoi ton nom mec ?

 - Leander Hollington, répondit le chef avec un petit sourire. Merci Regan, tu peux y retourner ! 

Le bad boy à la peau d'ébène acquiesça avant de tourner les talons et de longer le couloir toujours avec une posture droite se sachant sans doute observé. Alors que j'étais encore occupé à le regarder d'un mauvais œil, mon frère, Garrett, vint me couper la vue en se postant à ma droite. 

- Bonjour messieurs ! nous accueillit M. Perrin. Je ne pourrai pas vraiment dire que c'est un plaisir de vous revoir à Burket Rivers... Enfin bon, entrons. 

Il regagna son grand bureau tandis que Garrett se lançait déjà derrière lui, pressé. J'avais l'impression qu'il avait hâte de se barrer de là, en finir avec moi, pouvoir retourner à sa vie parfaite et se contenter de venir me voir de temps en temps. Je n'étais même pas sûr qu'il viendrait de toute façon, ça lui ferait sans doute perdre trop de temps.

Perrin prit place sur son grand fauteuil et d'un geste vague de la main, nous autorisa à prendre place sur les deux chaises inconfortables, en face de lui. Il ouvrit un tiroir, en sortit un dossier vert - le mien qui avait augmenté de volume et le déposa sur la table avec un air grave.

 - Vous êtes donc devenu son tuteur légal ? se renseigna-t-il auprès de mon frère sans même le regarder.

 - Pas vraiment, ce sont toujours notre oncle et tante mais je suis en charge de lui tant qu'il est ici.

 - Je vois...

Il nous présenta ensuite le planning de nos journées qui se ressemblaient toutes, sauf le week-end où nous étions un peu plus libres. Mais globalement, tous les jours se ressemblaient et ce qui finissait toujours pas nous faire regretter l'acte qui nous avait mené ici, c'était l'ennui. J'étais certain que c'était en réalité ce qui nous motivait tous un peu à partir.

 De son côté, Perrin continuait de répéter :

- La séance de groupe a été réduite à une demi-heure pour Leander et lui ont été prescrits une demi-heure d'orthophoniste, ainsi qu'une heure avec un psychiatre, tous les jours. Visite de la famille une semaine sur deux. Une sortie obligatoire par mois, uniquement en compagnie d'un coordinateur, pour se rendre à l'hôpital de Portland. 

Je relevai soudainement la tête, surpris. Je n'étais pas au courant de ça ! Mon frère non plus apparemment car il partagea un long regard étonné avec moi tandis que Perrin lui ne s'était pas arrêté de lire. 

- Attendez, s'il-vous-plaît ! l'interrompit Garrett, en se penchant sur sa chaise. Quelle est cette histoire d'hôpital ?

- C'est ce que sa psychiatre Mme Jenson aurait demandé au juge... Je vous lis le rapport : «Autorisation de sortie pour une journée afin de rendre visite à la victime hospitalisée, Ayden Gallagher, jusqu'à son rétablissement ».

 Je me laissai tomber contre le dossier en un soupir et posai mes mains sur mon visage. Quelle merde ! Je ne pouvais pas aller là-bas, me confronter à lui, à sa famille ou encore ses amis... Depuis l'incident, je n'avais plus parlé à aucun d'eux. J'avais seulement eu de ses nouvelles par le biais de Garrett mais je n'étais pas prêt à le voir. Surtout pas. C'était pas ici que j'allais mourir finalement, c'était là-bas. Face à Ayden.

Les lèvres de l'homme âgé continuaient de bouger mais aucun son n'en sortait. Je ne pensais plus qu'à cette putain de visite obligatoire, comment pouvait-on obliger quelqu'un à aller voir une personne ? Je détestais cette psychiatre de merde et ses conseils à la con.

- Il me semble que c'est tout ce qu'il y a à savoir car tout a été dit à notre dernier rendez-vous. Vous pouvez raccompagner votre frère aux dortoirs et rester auprès de lui durant une demi-heure.

Il hocha la tête pour confirmer ses dires et serra la main de Garrett d'un mouvement sec et rapide. Il avait jamais le temps, prenait toujours soin de faire clair et concis. Même ses phrases n'étaient pas souvent entières, tant il voulait faire vite.

 - Regan viendra te chercher à ce moment là pour aller dîner, me dit-il ensuite.

Je lui serrai la main, grimaçant sous la douleur de sa forte poigne et tournai déjà le dos quand je sentis sa main sur mon épaule.

 - En tant que revenant, je te conseille de faire profil bas Leander.

Leander Hollington, le revenant... J'esquissai un sourire à cette pensée. Peu importe si c'était la première ou la centième fois que l'on venait, il fallait toujours profil bas de toute manière. Éviter de fixer un coordinateur trop longtemps dans les yeux, accepter leurs remarques, obéir à leurs décisions... Se fondre dans la masse. Devenir un putain d'adolescent « exemplaire », un mouton sans personnalité.

- Fais tes 5 mois ici, deviens un homme et sors construire ta vie, il y a tellement de choses merveilleuses qui t'attendent, termina-t-il.

Je fermai les yeux, assumant la claque que m'avaient provoqué ses mots. Il n'y avait rien de merveilleux pour moi, il n'y en aurait jamais. J'allais sortir d'ici, c'était sûr, mais ça n'irait pas mieux car je ne le méritais pas. Il fallait se donner les moyens pour avoir une belle vie, c'était bien ce que tout le monde répétait non ? Et bien moi je faisais partie de ces gens qui n'en étaient pas capables.

J'acquiesçai à peine puis sortis pendant qu'il saluait une dernière fois mon frère. Tous les deux nous descendîmes de l'administration en silence puis nous traversâmes tout le camp et l'on retrouva finalement la pièce qui me servirait de chambre pendant ces cinq prochains mois. Une chambre grisâtre uniquement composée d'un lit, d'une petite table de chevet et d'un tabouret cassé pour ma part. Sur les murs abîmés étaient inscrits des noms, insultes, ou des dates provenant des anciens résidents ; je haïssais ça. C'était ridicule de vouloir laisser une trace de soi ici ! Personne ne voulait se souvenir de l'enfer. 

- Bon... débuta Garrett en regardant sa montre. Je suis désolé mais faut que je retourne à Seattle, mon groupe de travail m'attend sûrement depuis. 

Je hochai rapidement la tête pour lui faire plaisir et partis m'asseoir sur le lit, faisant ainsi comprendre que je ne voulais pas de son « au revoir » douloureux. Il devait s'en aller s'il avait mieux à faire. Il entra dans la chambre d'un pas hésitant et se tint en face de moi alors que j'étais trop gêné pour lever la tête. Je n'avais pas envie de croiser son regard dur, ni d'entendre ses reproches. 

- Désolé. Je reviens la semaine prochaine avec Billie, elle sera contente de te voir. Et j'en profiterai pour te ramener d'autres vêtements

Ma petite sœur serait contente de me voir ouais mais sans doute pas lui. 

- Je sais qu'on déteste se dire ce genre de choses mais tu vas me manquer, ajouta-t-il d'une voix neutre.

Toi aussi. Après avoir passé chaque jour avec eux, ça allait être dur de me réveiller dans cette chambre plus triste que moi et de devoir côtoyer des malades colériques. La vérité était que j'avais peur mais je ne dirais rien, parce que si j'étais ici c'était pour une raison, si j'étais ici c'était parce que je le méritais bien. Et quand il m'arrivait de penser que ce qui m'arrivait était injuste, j'avais juste à me remémorer mon passé, à voir ce que j'avais causé, ce que j'avais foutu en l'air, à voir le malheur que j'avais répandu autour de moi pour reconnaître finalement qu'il n'y avait rien de plus juste. 

Il hésita un petit moment à me toucher. Il repensa sans doute à la réaction que j'avais eu la dernière fois qu'il avait voulu m'approcher car il renonça et s'éloigna à reculons vers la porte. Je levai enfin la tête vers lui et aperçus l'air affligé qui déformait son visage. Du haut de ses 19 ans, mon frère avait tout de même beaucoup traversé, en avait fait des tonnes pour ma sœur et moi... Il y avait quelque chose que je n'avouerai jamais à personne mais qui ne s'effacerait pas pour autant, c'était mon admiration pour lui. 

- Comporte-toi bien Lean, me supplia-t-il. Et change moi cette couleur de cheveux ! 

Il rigola, me regarda une toute dernière fois et s'en alla. Je me laissai tomber contre le matelas grinçant et avec un sourire idiot, je passai mes doigts dans ma mèche de cheveux noirs. Moi je l'aimais cette coloration et je l'aimais davantage si elle emmerdait mon frère ! Mon sourire se fana lorsque je posai un énième regard à ma chambre et réalisai une fois de plus où je me trouvais. 5 mois c'était long, non ?

Après dix minutes de silence religieux, un énorme fracas vint le briser. Je me redressai immédiatement, prêt à me défendre mais me détendit aussitôt, ce n'était que Regan qui venait de donner un coup contre la porte. Il avait un sourire mauvais, le sourire de celui qui savait quelque chose. Je devais me méfier de ce con à présent.

- Les coordinateurs veulent rencontrer les nouveaux avant le dîner ! affirma-t-il.

Ma vie en camp de redressement commençait maintenant. 

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Hello ! Ça y est, l'histoire est lancée. J'ai écrit ce premier chapitre y'a un petit bout de temps donc c'est possible qu'en le relisant dans les jours à venir, je décide de le réécrire mais uniquement pour améliorer les tournures de phrases ou autres, les événements / pensées / actions resteront les mêmes. Désolée pour la vulgarité de Leander mais ça fait partie du personnage ! J'espère que ça vous plait pour le moment... :)

Bye bye 



  /!\ EDIT ( 09: 05.15 ) : Un compte pour Ayden & Lieth vient d'être créé @GallagherTwins ; j'ai trouvé que c'était une bonne idée de "faire vivre" les personnages ( comme certains mangakas le font avec leurs persos ). Vous pouvez jouer le jeu, en allant leur poser des questions etc. Peut-être apprendrez-vous quelques secrets, qui sait ? & pour ceux qui ne les connaissent pas encore c'est le moment de les découvrir ! :)

 

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