Chapitre 7


Chère Madame Lambert,

J'espère que cette lettre vous trouvera en bonne santé et de bonne humeur. Cela fait maintenant quelques semaines que j'ai commencé ma formation de croque-mort, et je voulais prendre un moment pour vous donner de mes nouvelles, ainsi que vous raconter quelques-uns des événements et ragots qui ont rythmé ma vie ces derniers jours.

Tout d'abord, laissez-moi vous dire que la tour est à la fois fascinante et un peu intimidante. Chaque étage a son propre caractère, et je découvre peu à peu les secrets que cachent ces murs de pierre. Nous avons déjà commencé les cours pratiques, et croyez-moi, ils ne sont pas de tout repos ! L'autre jour, Ivan, mon tuteur, m'a fait nettoyer les étages inférieurs, vous savez ceux où personne ne vient jamais. Il m'a fallu une éternité pour enlever toute la poussière accumulée dans les coins, et à la fin de la journée. Mais malgré la fatigue, je suis fière du travail que je fais ici.

Les autres apprentis sont très sympathiques. Il y a Elara, une fille pleine de malice qui vient d'un petit village à l'extérieur de la ville. Et puis il y a Théo, un garçon tranquille, mais avec un esprit affûté. Il m'a raconté des tas d'histoire qui m'ont fait penser à vous et aux conversations que nous avions près de la tombe de maman.

Oh, et tenez-vous bien, car j'ai vu quelque chose d'étrange l'autre jour ! Nous étions en poste au niveau -200 (oui, tout en bas de la tour !), quand un groupe d'hommes en costume est arrivé, suivis d'une femme d'une beauté froide, venue tout droit de l'extérieur. Ils avaient l'air de connaître parfaitement les lieux, mais personne ne sait vraiment ce qu'ils faisaient là. Ivan m'a dit de ne pas m'en mêler, mais vous me connaissez, je meurs d'envie d'en savoir plus ! Peut-être que ce sont des visiteurs réguliers, ou bien des personnalités importantes. Qui sait ?

J'avoue que la vie ici est bien différente de celle que j'avais avant, mais je m'y habitue peu à peu. Cependant, il me manque toujours nos petits déjeuners et vos histoires remplies de sagesse. Je me demande souvent ce que vous feriez à ma place, ou ce que vous penseriez de ce que je vis ici. Je serais ravie de savoir comment vous allez, et si vous avez des nouvelles à me donner du reste de la tour.

Prenez soin de vous, Madame Lambert, et sachez que vous me manquez beaucoup. J'attends avec impatience de pouvoir vous revoir, et d'entendre vos précieux conseils.

Avec toute mon affection,

Sully

Les semaines s'écoulèrent, chaque jour apportant son lot de nouvelles expériences et de responsabilités croissantes. La tour, avec ses sombres couloirs et ses murs de pierre suintants, devenait peu à peu mon univers, un lieu où le silence régnait en maître et où la lumière du jour ne parvenait jamais. L'air y était toujours humide, chargé d'une odeur persistante, qui s'infiltrait jusque dans les plis de nos uniformes. C'était un environnement austère, mais étrangement apaisant, comme si le calme imposé par les lieux m'aidait à me recentrer sur ma nouvelle vocation.

Je m'étais rapidement rendue compte que ces murs froids, bien qu'ils m'entouraient en permanence, ne pourraient jamais remplacer la chaleur humaine. C'est pourquoi j'avais pris l'habitude d'écrire des lettres à Madame Lambert. Malgré la proximité de nos habitations dans la tour, nous n'avions maintenant que de rares occasions de nous croiser brièvement, notamment lorsque nous remontions pour manger au réfectoire. C'était un passage rapide, furtif, où nos regards se croisaient, mais les mots restaient coincés dans nos gorges. Ces lettres étaient ma manière de maintenir un lien avec elle, de partager les petits moments de ma nouvelle vie, comme si, malgré la distance et les nouvelles responsabilités, je pouvais encore lui confier mes pensées et mes craintes.

Assise à la petite table de mon dortoir, une bougie vacillante pour seule lumière, je trouvais toujours un moment pour poser ma plume sur le papier. Les mots coulaient d'eux-mêmes, remplis de détails sur mes journées, sur mes premiers pas en tant qu'apprentie croque-mort. Je décrivais les longues heures passées à nettoyer les caveaux, l'accueil des visiteurs avec Ivan à mes côtés, les secrets murmures que nous échangions avec Elara et Théo pour passer le temps. Le bruit du crayon sur le papier était presque apaisant, un contraste bienvenu avec le silence lourd qui régnait autour de moi.

Mais mes lettres ne se limitaient pas à Madame Lambert. Je prenais aussi le temps d'écrire de petits mots à mes chers amis, Gloria et Adil. Eux aussi étaient débordés par leurs formations respectives. Adil, qui aspirait à rejoindre la garde républicaine, passait ses journées dans des entraînements intensifs, à perfectionner son endurance et sa discipline. Dans mes lettres, je l'encourageais, certaine qu'il trouverait sa place parmi les meilleurs. J'imaginais ses journées remplies d'exercices physiques, de stratégie, et de discussions sur l'honneur et le devoir, des sujets qui lui avaient toujours tenu à cœur.

Gloria, de son côté, était en pleine immersion dans le monde fascinant et glamour du quartier pourpre. Je n'avais aucun doute qu'elle brillait déjà parmi les étoiles montantes de cet univers. Elle devait être occupée à perfectionner son art, à s'entourer des parures et des costumes chatoyants qui faisaient de chaque soirée un spectacle. Dans mes lettres, je la taquinais sur les regards envieux qu'elle devait recevoir, tout en lui rappelant de prendre soin d'elle-même, de ne pas se perdre dans ce monde qui, bien que scintillant, pouvait parfois se révéler impitoyable.

Chaque lettre était une petite bouffée d'air frais, un moyen de me reconnecter avec le monde extérieur, avec les gens que j'aimais. Même si les réponses tardaient parfois, je savais que mes mots les rejoignaient, apportant un peu de mon quotidien dans le leur.

Une nuit, alors que je m'apprêtais à sceller une lettre pour Adil, Ivan entra silencieusement dans le dortoir. Le bruissement de ses pas sur le sol de pierre fit écho dans la pièce, interrompant le grattement de ma plume.

— Sully, tu es encore debout ? murmura-t-il doucement, s'approchant pour jeter un coup d'œil à la lettre que j'écrivais.

Je relevai les yeux vers lui, esquissant un sourire fatigué.

— Oui, je termine juste d'écrire à Adil, un de mes amis d'enfance. Il me manque, tout comme Gloria. C'est étrange, mais malgré tout ce qui se passe ici, je ressens parfois ce vide, cette absence...

Ivan hocha la tête, comprenant parfaitement ce que je ressentais. Il s'assit à côté de moi, jetant un regard pensif à la flamme vacillante de la bougie.

— C'est normal de ressentir cela. Ces liens que tu as tissés avec eux sont forts, et ce que tu vis ici est intense. C'est un autre monde, qui te transforme, et parfois, tu as besoin de revenir à des choses simples, de te rappeler d'où tu viens.

Je posai ma plume, laissant les mots d'Ivan flotter entre nous. Il avait raison. Écrire à Adil et Gloria, c'était une manière de me raccrocher à mon passé, de ne pas oublier qui j'étais avant de pénétrer dans cet univers.

— Je suppose que c'est aussi une façon de leur dire que je ne les oublie pas, ajoutai-je, mon regard se perdant dans la danse des ombres sur les murs.

Ivan sourit doucement.

— Ils sont chanceux de t'avoir, Sully. Mes amis eux m'ont vite oubliés. Garde cette connexion. Elle te servira à rester toi-même, même au cœur de cette tour.

Je hochai la tête, reconnaissante pour ses paroles. Nous restâmes là, en silence, à contempler la bougie qui fondait lentement, avant qu'Ivan ne me souhaite une bonne nuit et ne me laisse à mes pensées.

Cette nuit-là, je me sentis un peu moins seule, réconfortée par le fait que, malgré la distance et les nouvelles responsabilités, les liens qui m'unissaient à Adil, Gloria et Madame Lambert restaient aussi solides que jamais. Et alors que je m'endormais, je sus que le lendemain, je reprendrais ma plume, continuant à tisser ce fil invisible qui me reliait à eux, peu importe où la vie nous mènerait.

De temps en temps, j'avais la chance de voir Gloria et Adil lorsque leurs occupations respectives les ramenaient ici, sous prétexte de rendre visite à un soi-disant défunt de leur famille. C'était notre petit stratagème pour nous retrouver, loin des regards indiscrets. Aujourd'hui, ils étaient venus tous les deux, comme une bouffée d'air frais dans cette atmosphère confinée.

Les couloirs inférieurs de la tour, éclairés faiblement par des chandelles tremblotantes, semblaient plus vivants lorsque nous étions ensemble. Nous nous installions toujours dans une des petites alcôves creusées dans les murs, celles que les passants utilisaient habituellement pour se recueillir en silence. L'odeur subtile de la cire fondue se mêlait à celle, plus persistante, de l'encens brûlé, créant une atmosphère apaisante, presque rassurante. C'était notre coin à nous, un refuge discret où nous pouvions discuter des heures durant sans être dérangés.

Ce jour-là, comme à chaque fois que nous nous retrouvions, le temps semblait suspendu. Gloria était resplendissante, même dans cet environnement austère. Ses cheveux blonds, qu'elle avait habilement tressés et dissimulés sous son bonnet, semblaient capter la faible lumière et la renvoyer avec éclat. Adil, lui, avait cet air concentré et déterminé, reflet de sa nouvelle vie de formation au sein de la garde républicaine. Pourtant, dès qu'il était avec nous, ce masque sérieux tombait, laissant place à l'Adil que je connaissais, celui qui ne se prenait pas au sérieux et qui riait aux éclats.

— Alors, comment va la vie ici en bas, Sully ? demanda Adil en s'asseyant contre la paroi de l'alcôve, son sourire espiègle illuminant son visage. Je parie que tu t'es fait de nouveaux amis parmi les fantômes de la tour.

Je souris, amusée par sa remarque.

— Je t'ai déjà dit qu'ils sont plutôt discrets, plaisantai-je en retour. Mais oui, j'ai rencontré des personnes intéressantes. D'ailleurs, je voulais vous présenter Elara et Théo. Vous les connaissez déjà un peu, à travers mes lettres.

Comme pour répondre à l'appel, Elara et Théo arrivèrent peu après, un peu timides mais curieux de rencontrer ces amis dont j'avais tant parlé. Elara était fidèle à elle-même, avec son sourire chaleureux et ses yeux pétillants. Théo, plus réservé, se tenait en retrait, mais je savais qu'il observait tout avec attention, prêt à intervenir à tout moment.

— C'est un plaisir de vous rencontrer enfin, dit Elara en tendant la main à Gloria et Adil. Sully nous parle souvent de vous. On a l'impression de vous connaître déjà !

Gloria serra sa main avec enthousiasme, un sourire radieux aux lèvres.

— Le plaisir est partagé, Elara. Sully ne tarit pas d'éloges sur vous deux. Et toi, Théo, ne reste pas en retrait, viens donc te joindre à nous.

Théo s'approcha, un léger sourire sur le visage et les joues rougissantes à la simple vu de Gloria. Il s'avança encore d'un pas et serra lui serra la main puis celle d'Adil.

— Je suis content de vous rencontrer, murmura-t-il. Sully a souvent parlé de vous, et je dois dire que j'étais curieux de voir qui étaient ces amis qui lui manquent tant.

Nous nous installâmes plus confortablement dans l'alcôve, la conversation s'animant peu à peu. Nous évoquâmes nos quotidiens, nos formations respectives, mais inévitablement, la discussion revint sur un sujet qui nous obsédait depuis quelque temps : les fameux visiteurs du soir.

— Vous les avez vus aussi, n'est-ce pas ? demandai-je à Adil et Gloria, baissant instinctivement la voix comme si les murs pouvaient entendre.

Adil hocha la tête, son expression se faisant plus sérieuse.

— Oui, à chaque fois que nous venons ici, ils sont là. Toujours à la même heure, toujours en groupe, et toujours aussi mystérieux. Qui sont-ils ? Que font-ils ici ? Nous ne le serons sûrement jamais.

Gloria ajouta, ses yeux brillant de curiosité :

— Peut-être qu'ils sont impliqués dans des affaires sombres, comme des sacrifices ou des rituels secrets. Ou peut-être... qu'ils protègent quelque chose de précieux. Qui sait ?

Elara et Théo écoutaient avec attention, intrigués par ces hypothèses. Elara prit la parole, son ton plus réfléchi.

— Ce qui est étrange, c'est qu'ils semblent connaître les lieux comme s'ils y avaient déjà vécu. Peut-être qu'ils font partie d'une ancienne famille qui a des liens avec la tour. Ou alors... peut-être qu'ils ne viennent pas vraiment de l'extérieur, mais qu'ils veulent qu'on le croie.

Le mystère restait entier, et les spéculations allaient bon train. Nous échangions nos théories les plus folles, nous laissant emporter par notre imagination. Mais malgré toutes ces discussions, aucune réponse ne semblait à portée de main. Ces hommes, avec leurs lunettes de soleil et leur allure imposante, étaient devenus une énigme collective, un sujet inépuisable de conversation.

Le temps fila à une vitesse insoupçonnée, et, comme toujours, l'inévitable moment des adieux arriva bien trop tôt. La lumière des chandelles vacillait doucement, projetant des ombres tremblotantes sur les murs de pierre, créant une ambiance intime mais aussi empreinte de mélancolie. Ces instants avec Gloria et Adil étaient devenus des oasis dans le désert de ma nouvelle vie, des moments précieux où je pouvais me ressourcer, rire et, surtout, me sentir à nouveau moi-même. Mais à chaque visite, il y avait ce rappel cruel que nos chemins, bien que toujours entrelacés, se séparaient progressivement.

Adil, fidèle à lui-même, fut le premier à se lever. Il avait cette manière si caractéristique de ne jamais laisser la tristesse prendre le dessus, même lorsque la situation s'y prêtait. Ses yeux, cependant, trahissaient une émotion qu'il n'exprimait pas toujours facilement. En m'enlaçant, il me serra un peu plus fort que d'habitude, comme pour imprimer ce moment dans sa mémoire.

— Prends soin de toi, Sully, dit-il, sa voix légèrement rauque, un mélange de tendresse et de fermeté. Et tiens-nous au courant si tu découvres quelque chose sur ces mystérieux visiteurs. Je veux savoir ce que cache cette tour... et puis, tu es la meilleure détective que je connaisse.

Un sourire se dessina sur mes lèvres, bien que mon cœur soit lourd. Adil avait toujours su trouver les mots justes pour alléger les situations les plus difficiles. Je le regardai, cherchant à graver son visage dans ma mémoire avant qu'il ne disparaisse dans l'obscurité du couloir. Ce même couloir qui semblait avaler la lumière, comme pour souligner la séparation qui s'installait entre nos vies.

Puis ce fut au tour de Gloria. Elle était restée silencieuse pendant un moment, les yeux légèrement baissés, comme si elle cherchait elle aussi à prolonger cet instant, à retarder l'inévitable. Quand elle se rapprocha, je vis que ses yeux étaient embués de larmes, mais elle les cacha derrière un sourire. Un sourire doux, empreint de cette tristesse particulière que seuls les vrais amis peuvent partager.

Elle m'embrassa doucement sur la joue, ses lèvres tremblantes légèrement.

— N'oublie pas de continuer à nous écrire, Sully, murmura-t-elle, sa voix légèrement brisée. Ces moments avec toi sont précieux, même s'ils sont trop rares. Tu es notre ancre ici, tu sais. Peu importe où nous allons, tu nous rappelles toujours d'où nous venons.

Je sentis un nœud se former dans ma gorge. Les mots me manquaient pour lui répondre, pour lui dire combien elle et Adil comptaient pour moi, combien leur absence se faisait sentir chaque jour un peu plus. Je me contentai de hocher la tête, les yeux brillants de larmes non versées.

Je les regardai s'éloigner, leurs silhouettes se fondant peu à peu dans l'obscurité du couloir. Les ombres engloutissaient leurs formes, comme si la tour elle-même cherchait à les garder loin de moi, à les séparer de ma vie ici. Ce fut une séparation douloureuse, chaque pas les éloignant un peu plus, creusant ce fossé invisible mais bien réel entre nos réalités respectives.

Le silence retomba rapidement après leur départ, lourd et oppressant. Ce silence qui, jadis, ne me dérangeait pas, devenait maintenant un rappel incessant du vide qu'ils laissaient derrière eux. Ce n'était plus juste une absence physique, mais une absence émotionnelle, un manque qui pesait sur mon cœur.

Je restai un moment là, immobile, face au couloir désormais vide, me demandant combien de temps encore il nous faudrait pour que ces rencontres ne soient plus qu'un souvenir lointain. Mais je savais qu'ils étaient là, quelque part, prêts à revenir, prêts à partager ces moments avec moi, aussi rares soient-ils.

En me retournant pour rejoindre mon poste, je me promis de ne pas laisser ce vide m'envahir complètement. J'avais mes responsabilités ici, et surtout, j'avais un mystère à résoudre. Pour eux, pour moi, pour nous. Les secrets de la tour ne resteraient pas cachés éternellement. Et tant que Adil et Gloria faisaient partie de ma vie, même de loin, je trouverais la force de continuer à chercher ces réponses, pour que nous puissions un jour nous retrouver, libérés de ces ombres qui nous entouraient.

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