Chapitre 66
Lorsqu'elle se gara devant l'igloo, elle avait le cœur qui battait la chamade. Elle ne l'avait plus vu depuis plusieurs mois, depuis ce fameux jour de février dont la date était indélébilement gravée dans sa tête. Elle ne savait pas si elle parviendrait à rester naturelle, à faire abstraction de ce qui s'était passé. Rob avait toujours été celui avec lequel elle avait le plus de facilité à être elle-même. Elle ne voulait pas s'apercevoir que cela avait changé.
La porte d'entrée s'était volatilisée. Elle entra donc par la véranda. Rob l'attendait, installé sur la balancelle. À l'instant où elle croisa son regard, elle comprit qu'elle n'aurait pas à faire semblant.
Il se leva. Le soleil qui frappait la verrière réveilla toutes les paillettes dorées de ses yeux et le petit grain de beauté se déplaça en même temps qu'il souriait.
Elle sentit ses jambes trembler avant de réaliser que c'était le plancher tout entier qui tremblait. Le soleil disparut, cédant la place à l'ombre d'une haie.
– Il va falloir que tu dresses ton chien un de ces jours, fit-elle remarquer.
Elle sentit la main de Rob se poser sur la sienne. Leurs doigts s'entrelacèrent et elle remarqua qu'il ne portait plus son alliance. Quelques secondes plus tard, elle accueillit ses lèvres. Elle n'avait pas prévu de l'embrasser, mais cela lui parut naturel, évident. Pourquoi attendre alors qu'ils en avaient tous deux envie ? Elle se perdit dans la perfection de ce baiser tandis que la maison continuait de tourner, lui donnant la sensation d'être dans un carrousel. Un bout de jardin apparut. Un bain de lumière les enveloppa avant de prendre la fuite.
– Je crois que Toundra s'est endormie sur la télécommande, murmura-t-il.
Il souriait dans la semi-pénombre.
– Qu'est-ce que tu avais à me dire ? demanda-t-elle.
– J'ai toujours eu un faible pour toi, Délia. Et depuis qu'on a... Enfin, ça n'a fait qu'empirer.
Il détourna les yeux et, avant qu'elle ait eu le temps de répliquer quoi que ce soit, il enchaîna :
– Mais ce n'est pas de ça que je voulais te parler. Je t'assure que je t'ai fait venir pour une raison strictement professionnelle.
– Eh bien, j'admire ton professionnalisme, releva-t-elle d'un ton amusé. Tu embrasses tous tes clients sur la bouche ?
Il lui adressa un sourire vaincu :
– Non, mais je t'assure que j'ai un projet qui pourrait t'intéresser. Ce serait mieux qu'on aille dans le salon pour en parler.
– D'accord.
Elle le suivit, un peu déboussolée. C'était si bon de le retrouver ! Au fond d'elle, elle avait toujours eu le pressentiment que Rob serait le seul sur lequel elle pourrait toujours compter.
– Tu veux boire un verre ? suggéra-t-il en tentant d'attraper la télécommande qui dépassait sous la patte de Toundra.
Le chien émit un grognement en redressant la tête puis s'affala sur la télécommande pour se mettre à ronfler.
Délia avait les yeux rivés sur les hanches de Rob dont le tee-shirt s'était soulevé, laissant apparaître un soupçon de peau. Elle éprouvait une furieuse envie de nouer ses mains autour de ce corps pour se serrer fort contre lui.
– Oui, un verre d'eau, balbutia-t-elle.
Si elle ne voulait pas finir nue dans les prochaines heures, mieux valait éviter l'alcool.
Quelques minutes plus tard, Rob posa le verre sur la table basse et s'assit à côté d'elle. Elle évalua la distance à laquelle il s'était assis. C'était une distance pas tout à fait admissible d'un point de vue strictement professionnel.
– Voilà, j'ai un ami qui voudrait lancer une ligne de clefs usb parfumées, commença-t-il. Ça fonctionne avec des huiles essentielles. Le problème c'est qu'il s'y connait très bien en informatique, mais pas en parfum. Et là j'ai pensé à toi. Il s'agirait de créer différents mélanges propices à la relaxation, à la concentration ou même au désir pour ceux qui dialoguent avec leur chéri. Ça fait déjà fureur aux États-Unis. Je pense vraiment que ça pourrait marcher en Europe. Qu'est-ce que tu en dis ?
– Ce serait génial.
– Le seul « hic » c'est que tu vas devoir me supporter pendant plusieurs mois. On formera une équipe. Mais de toute façon, tu seras payée, que le projet aboutisse ou pas. Et ça ne te prendra pas tout ton temps, donc tu pourras conserver ton emploi chez Hélène.
– Je ne sais pas quoi dire, Rob. C'est... merci.
– Alors, dans ce cas, tu es embauchée !
Il lui tendit la main, mais elle préféra se jeter à son cou pour l'embrasser sur la joue. Elle remarqua au passage que la photo de leur mariage avait disparu de la cheminée. Elle en profita pour lui passer une main dans les cheveux.
– Et puis si ça marche, on pourra décliner le produit pour les IPhone et les téléphones. Ça peut marcher avec n'importe quel appareil qui chauffe. On pourra « humer » un coup de fil. Même pas besoin de mettre la sonnerie. On saura qu'on a un appel parce que ça sent la vanille.
Délia souriait à s'en décrocher la mâchoire :
– Ce qui serait bien, c'est qu'on puisse personnaliser les appels, suggéra-t-elle. Maman, odeur de soupe. Ambre, odeur de chaussette.
– Oui, il faudrait réfléchir à un système. Mais, dis-moi, pourquoi Ambre sentirait la chaussette ?
Elle lui raconta le penchant de Florian à semer ses chaussettes, ce qui les fit rire tous les deux.
– Et moi ? Qu'est-ce que je serais comme odeur ?
– Oh toi...
Elle ferma les yeux, sirota le silence puis déclara :
– Un petit sablé breton.
Le sourire de Rob se figea. Il fallait voir sa tête ! Il se sentait clairement insulté, même s'il s'efforçait de garder la face.
– Un petit sablé breton, répéta-t-elle avec un sourire malicieux, parce que quand je commence la boîte je ne peux plus m'arrêter.
– Oh, dans ce cas, je veux bien être ton petit sablé breton.
Il la fit basculer sur le divan et se retrouva au-dessus d'elle dans une position qui n'était pas sans leur rappeler des souvenirs.
Elle le repoussa gentiment :
– Je veux qu'on prenne notre temps.
– Bien sûr. Je n'allais pas te sauter dessus.
Il se dégagea tandis qu'elle restait allongée, les yeux rivés sur les poutres apparentes qui soutenaient la voûte.
– Est-ce que tu comptes vraiment vendre cette maison ? demanda-t-elle avec une pointe de regret.
– Ça dépendra de toi.
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– J'ai cru comprendre que tu cherchais un logement. Mais puisque tu veux prendre ton temps, je ne vais pas te proposer de partager cet igloo avec moi.
Elle se mordilla les lèvres en contemplant le jardin en face duquel le salon avait fini par s'immobiliser lorsque Toundra s'était réveillée pour venir la saluer.
– Tu sais il y a « prendre son temps » et « prendre son temps ».
Il hocha la tête solennellement sans parvenir à dissimuler un petit sourire.
– On pourrait considérer ça comme une collocation, hasarda-t-elle en se redressant.
– C'est comme ça que je l'envisageais. Tu peux même prendre la chambre d'amis. Histoire de prendre ton temps ou de prendre ton temps.
Elle lui donna une petite tape sur l'épaule :
– Ne te moque pas de moi ! J'essaie de faire les choses bien.
– Tu fais déjà les choses bien. Alors je vais retirer le panneau de vente au cas où...
– Oui, au cas où... répondit-elle en s'approchant de son visage.
Ses lèvres effleurèrent sa joue, puis ses baisers dérivèrent le long de sa mâchoire, poussés par un vent irrésistible, jusqu'à ce que la pointe de sa langue retrouve sa partenaire de jeu préférée.
Rob l'agrippa par la taille, glissant son autre main dans ses cheveux et elle sentit à la façon dont il l'étreignait qu'il avait espéré ces retrouvailles autant qu'elle.
Une petite chaleur s'alluma dans sa poitrine ; une petite lumière naquit sur l'horizon qui, une heure plus tôt, lui avait paru marécageux, embourbé dans le chagrin.
Peut-être que tout ça n'était pas un jeu finalement.
– Pourquoi tu me regardes comme ça ? demanda-t-elle en désignant la façon tendre et coquine dont Rob la couvait des yeux.
– Il faut que je t'avoue quelque chose.
– Vas-y ! le pressa-t-elle, tout en prenant conscience qu'elle aussi avait quelque chose à lui avouer.
Il n'était toujours pas au courant qu'elle avait embrassé Julien au feu de camp. Était-ce vraiment nécessaire de le lui dire ? Un jour sans doute. Pas maintenant. Ne pas jeter d'ombre sur la magie de ces retrouvailles.
– Je ne t'ai pas fait venir pour une raison strictement professionnelle. C'était un prétexte pour te revoir.
– Alors ce projet de clef usb parfumées, c'est du pipeau ?
Elle se décala sur le canapé, un peu déçue, un soupçon de rancune au fond des yeux.
– Non, tout ça est vrai. Mais j'espérais que tu deviennes plus que mon associée en tout bien tout honneur.
– Oh, Rob, fit-elle, un soupçon de rire égayant sa voix, je ne pourrai jamais être ton associée en tout bien tout honneur. Je ne suis même pas capable d'être ton amie en tout bien tout honneur.
– Alors n'essaye plus jamais de l'être, suggéra-t-il en lui effleurant la nuque avant de suivre le tracé de son décolleté.
– Promis, répondit-elle en l'attirant à elle, glissant ses jambes dans le canapé pour ressentir tout le poids de ce corps musclé s'écraser contre le sien.
Elle s'était promis d'attendre. Or cela faisait à peine vingt-cinq minutes qu'elle était entrée dans cette pièce.
Hum...
Ils ne faisaient que s'embrasser après tout. Cela ne contredisait en rien l'idée de prendre son temps.
Rob lui toucha la cuisse.
Hum...
Il n'y avait aucun mal à ce que Rob lui effleure la cuisse, n'est-ce pas ?
Elle savoura ses caresses, se laissant embraser par ces doigts qui apprivoisaient sa peau comme si elle était un parchemin que lui seul savait décrypter. Le tissu de sa robe commençait sérieusement à remonter. Les mains de Rob étaient aussi fermes et délicates que celles d'un pianiste. Elles faisaient naître la mélodie d'un désir dévorant.
– Rob... murmura-t-elle au bout de quelques minutes, le souffle saccadé. J'en ai trop envie.
– Tu ne voulais pas prendre ton temps ? lui rappela-t-il tandis que sa main continuait à pianoter le long de ses cuisses, la faisant frémir d'excitation.
– On prendra notre temps un autre jour.
– Tu es sûre ? On peut s'arrêter là si tu veux...
La rapidité avec laquelle elle lui arracha sa chemise fit office de réponse.
Elle avait déjà attendu vingt-six années pour découvrir ce qu'était le plaisir, elle n'avait pas mérité d'attendre un jour de plus pour le connaître à nouveau.
Ce fut aussi intense que la première fois. Peut-être encore plus envoûtant. Comment était-ce possible ? Peut-être parce que, cette fois, lorsque le corps de Rob se détacha d'elle, elle n'eut pas la sensation d'émerger d'un rêve pour retourner brutalement à la réalité. La réalité paraissait aussi douce que le rêve. Rien ne semblait pouvoir détruire son sourire.
Ils restèrent calfeutrés dans le divan, Délia blottie en cuillère contre Rob. Et, dans le réconfort de ses bras, elle eut la sensation de se trouver là où elle devait être.
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