Chapitre 65

Voilà, Arnaud avait déménagé. Il avait pris ses affaires et il lui avait dit au revoir gentiment, lui rappelant douloureusement par la même occasion à quel point c'était un homme formidable qu'elle laissait partir.

S'il existait une bonne étoile dans le ciel qui veillait sur elle, elle devait probablement être en panne de courant.

Le bonheur n'avait jamais su durer pour elle. À peine la Vie daignait lui envoyer quelque chose de bien – en l'occurrence la publication de son roman – qu'elle reprenait quelque chose en retour – en l'occurrence Arnaud. Ça avait toujours fonctionné ainsi. Comme s'il existait une sorte de balancier l'empêchant d'être trop heureuse. Combien de fois ne s'était-elle pas méfiée du bonheur, redoutant par avance le coup qui s'ensuivrait ?

Mais, cette fois, elle était allée au-devant des problèmes. Elle ne pouvait pas fustiger la Vie ou le Destin. Elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même.

Et pourtant elle sentait que tout cela avait un sens.

Elle n'était pas masochiste au point de mettre en péril son couple sans raison.

Elle ne s'était pas jetée dans les bras de Rob parce qu'elle avait bu trop de Grand Marnier.

Si elle cherchait au fond d'elle-même, elle connaissait la réponse : cela faisait un certain temps qu'elle voyait Arnaud davantage comme un meilleur ami que comme un petit ami. Elle éprouvait pour lui une profonde reconnaissance, un attachement certain, mais elle n'était plus amoureuse. Ses sentiments s'étaient étiolés.

Pourtant elle n'aurait jamais eu le courage de le quitter.

Elle n'avait jamais su rompre avec qui que ce soit.

Maintenant qu'elle y réfléchissait avec un peu de recul, il lui semblait que peut-être elle l'avait trompé pour lui donner ce courage qu'elle n'avait pas, pour lui fournir le motif de la rupture qui, au fond d'elle-même, était inéluctable.

Et peut-être aussi que cela faisait un certain temps qu'elle ne voyait plus Rob comme un ami. Mais Rob était marié, alors c'était inutile de nourrir des sentiments pour lui.

***

Des jours et des jours s'écoulèrent. Lents, mornes, insipides, dénués de rire. L'été paraissait un beau gâchis. Elle avait envie de dire à toutes ces fleurs : Non, ce n'est pas la peine de déployer vos jupons, de rivaliser de couleurs, de me jeter à la figure toutes ces promesses de bonheur. Elle avait envie de dire au soleil : Pas maintenant. Reviens plus tard.

Et pourtant on ne pouvait pas dire qu'elle avait totalement perdu ses repères. Elle avait vécu trois mois sans Arnaud quand il était en tournage, elle ne craignait plus la solitude, mais cette absence était différente car définitive. Et cela, chaque jour, chaque pièce le lui rappelait.

Elle ne pouvait pas rester ici, dans cet endroit où elle avait tout partagé avec Arnaud. La vie paraissait suspendue dans cet appartement, comme recroquevillée sur elle-même, incapable de se déployer, d'accueillir un autre futur que celui qu'elle avait imaginé lorsqu'elle avait franchi pour la première fois le pas de cette porte, main dans la main avec Arnaud. Ils avaient monté ce lit ensemble, ils avaient déniché ces meubles dans des brocantes où ils s'étaient promenés ensemble, ils s'étaient disputés pour le choix de ce micro-ondes et la couleur de ces rideaux. Elle ne se sentait plus chez elle. Elle se sentait locatrice du Passé.

Il fallait qu'elle déménage elle aussi.

Un dimanche matin, Délia consultait les petites annonces en dégustant une tasse de tisane « Bonne humeur ». Au vu des prix, son futur logement serait probablement encore plus miteux que celui-ci. Quant à disposer d'un coin de verdure, il ne fallait même pas y songer ! Quelle ironie de se dire qu'Arnaud qui avait toujours encensé la misère jouissait à présent du luxe, tandis qu'elle qui avait toujours rêvé d'améliorer ses conditions de vie les voyait se dégrader !

Elle était en train de comparer les annonces lorsque l'une d'elle attira son attention. Elle eut l'impression qu'une main invisible venait d'émerger du journal pour lui empoigner le cœur.

Domespace mobile en parfait état. Grand séjour, cuisine équipée, étage avec deux chambres, bureau, jardin.

Elle connaissait cette maison.

Elle hésita, puis s'empara de son téléphone. Rob était toujours enregistré à « Chouchou ».

Elle pressa la touche d'appel, tout en se demandant quel accueil il lui réserverait : glacial, frigorifique, chaleureux ou neutre ? Dans tous les cas, il resterait poli.

Elle remua frénétiquement son sachet de tisane tandis que la tonalité égrenait les secondes.

– Allo ?

– Salut. C'est Délia, annonça-t-elle timidement.

Elle ne savait pas si son prénom s'était affiché sur l'écran ou s'il l'avait déjà effacé de son répertoire.

– Ah, ça tombe bien. J'avais envie de t'appeler.

Elle lâcha son sachet de tisane et le tourbillon qui s'était créé dans sa tasse s'évanouit aussitôt.

– C'est vrai ? Pourquoi tu ne l'as pas fait ?

Il y eut un court silence pendant lequel quelques images crépitèrent dans son esprit.

– Je ne savais pas si tu avais encore envie de me parler.

– Je me posais la même question.

À nouveau un silence passa, mais pas un néant glacial ou embarrassant, plutôt un silence qui disait : Ça me fait chaud au cœur de savoir que tu ne m'as pas tourné le dos. Elle pouvait presque l'entendre sourire.

– J'ai vu ta maison dans le journal, ajouta-t-elle d'une voix plus légère. À moins qu'il n'y ait deux igloos qui tournent dans la région...

– Non, c'est bien la mienne.

– Comment ça se fait que vous vendiez ?

– On va divorcer.

Ses doigts se resserrèrent autour du combiné.

– Désolée, balbutia-t-elle. J'espère que ce n'est pas à cause de moi...

– Non. Ça fait un bout de temps que ça n'allait plus entre nous. On s'est mariés trop jeunes. Il fallait juste trouver le courage de regarder la vérité en face.

– Est-ce qu'elle... ?

– Oui, elle sait.

– Oh... Alors il va falloir que je surveille mes arrières. J'imagine qu'elle pourrait m'assommer avec un sèche-cheveux.

Un petit rire traversa le combiné de part et d'autre.

– Et toi ? Tu l'as dit à ton copain?

– Oui, mais il n'est pas du genre à venir sonner à ta porte pour te casser la gueule. Sauf s'il décroche le rôle d'un psychopathe. Dans ce cas, je ne te promets rien.

– C'est rassurant, répliqua-t-il d'un ton visiblement plus amusé qu'inquiet. Alors comment il l'a pris ?

Délia respira un bon coup. L'effet de la tisane bonne humeur semblait s'être dissipé. Elle détestait prononcer ces mots. Quand elle avait dû l'annoncer à son entourage, elle s'était sentie misérable, coupable, pathétique. C'est tellement dommage, tu es sûre que ça ne peut pas s'arranger ? avait demandé sa mère, le regard criblé de déception. Quand à Ambre, elle l'avait consolée en apparence, mais ses paroles et son comportement avaient clairement trahi ses pensées sous-jacentes : Tu ne sais pas garder un homme. Tu fais vraiment n'importe quoi. Je ne te comprends pas. Annoncer la rupture avait presqu'été pire que de la vivre.

– Il m'a quittée, confessa Délia. Mais je n'ai pas vraiment envie d'en parler.

– Alors c'est pour ça que tu regardes les petites annonces ? changea-t-il de sujet.

– T'as tout compris. À ce propos, tu ne connaitrais pas un petit studio à louer ?

– Tu ne rêvais pas plutôt d'une maison avec jardin ?

– Oui, bien sûr, avec une piscine et une véranda, s'esclaffa-t-elle. Si c'est à moins de 400 euros toutes charges comprises, je suis preneuse.

– Ok, je vais rester à l'affut. Au fait, ça te dirait de passer ? J'ai quelque chose à te proposer.

– D'accord, mais tu habites où maintenant ?

– Toujours au même endroit. Vanessa a toujours détesté cette maison. Elle est partie chez ses parents. Alors, tu viens ?

– Oui, répondit-elle, tout en ayant l'impression de répondre à une autre question que celle qu'il avait formulée

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J'attire votre attention sur les repères temporels car il y a plusieurs mois d'intervalles entre les chapitres que j'ai posté dernièrement. Petit récapitulatif : la liaison entre Rob et Délia, c'était au mois de février. Le retour d'Arnaud et la rupture, mois de mars. Et maintenant nous sommes en été.

Tout cela est dit dans les chapitres, mais je sais que ce ne sont que quelques mots qui ne retiennent pas forcément l'attention.

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