Chapitre 58
Il était temps qu'Arnaud parte en tournage. Non parce qu'elle souhaitait se débarrasser de lui, mais parce que son travail à l'épicerie des Claies était peut-être un atout sur le plan artistique, mais pas sur le plan économique. La boîte aux lettres crachait des rappels de facture chaque semaine, et Délia ne savait plus comment y remédier.
Aujourd'hui, c'était le grand jour. Les cheveux d'Arnaud témoignaient de sa nervosité. Il avait dû se les frictionner au moins quarante-cinq fois depuis l'aube. Mis à part ça, il paraissait prêt. Sa diète protéinée et ses entraînements intensifs avaient agréablement étoffé ses épaules et ses bras. Son torse pouvait à présent être estampillé viril et sexy. Il restait d'un gabarit plutôt fin et n'avait pas perdu son visage angélique, mais Délia n'avait nul doute qu'avec une bonne mise en scène et la mobilisation de ses talents d'acteur, il incarnerait à la perfection le rebelle Joshua.
– Ne t'inquiète pas si je ne donne pas beaucoup de nouvelles au début, l'avertit Arnaud en rangeant sa brosse à dent dans sa trousse de toilette. C'est juste que je vais avoir besoin de me concentrer. Il faut que je sois à fond dans mon personnage, que je devienne lui, tu comprends ? Je t'enverrai un texto pour te dire que je suis bien arrivé. Mais ne te fais pas du souci si...
– Arrête ! l'interrompit-elle en faisant de grands gestes avec ses bras comme si elle lui ordonnait d'atterrir. Je sais tout ça. Tu me l'as déjà expliqué. J'espère juste que tu ne me laisseras pas sans nouvelles pendant trois mois.
– Non, bien sûr que non ! Mais ne deviens pas parano si je suis un peu distant.
Il ouvrit un coin de sa valise pour y fourrer sa trousse de toilette puis referma le zip. C'était une valise de garçon : pas besoin de s'asseoir dessus et de batailler avec la fermeture pour la dompter.
Il se passa à nouveau une main dans les cheveux, comme s'il continuait à se tracasser.
– J'aimerais bien être à la fois à fond avec toi et à fond dans mon rôle, mais je ne sais pas si j'arriverai à tout gérer. C'est le rôle de ma vie, tu comprends ?
– Oui, je comprends. Alors je n'ai pas le droit de t'envoyer des selfies de moi en sous-vêtements ? Ça risquerait de te perturber, j'imagine.
Elle vit enfin un petit sourire détendre son visage.
– Non, tu as le droit. Mon portable sera à l'hôtel toute la journée. Ça me fera une surprise quand je rentrerai.
– OK, fit-elle avec un sourire coquin. C'est bon à savoir.
Il tira sur la poignée de sa valise pour l'amener dans le hall.
– J'ai laissé ma carte bleue dans la commode. Mon premier cachet devrait tomber à la fin de la semaine. Ne dépense pas tout, j'aimerais bien économiser un peu.
– T'inquiète... J'attendrai ton retour pour bouffer du caviar.
Il jeta un regard autour de lui :
– J'ai l'impression d'avoir oublié quelque chose, mais je ne sais pas quoi.
– Je crois que tu as oublié que c'est moi qui te conduis à l'aéroport. (Elle attrapa les clefs de voiture et lui colla un baiser sur la joue.) Allez, la star, en route !
Elle ouvrit la porte et le froid leur gifla le visage. Arnaud rabattit la capuche de son sweat. Un brouillard dense s'était installé pendant la nuit. On avait l'impression d'avancer dans du gruau d'avoine.
– Au fait, il faudra que je remercie Rob pour le miracle qu'il a accompli. On pourrait l'inviter à dîner, lui et sa femme.
Délia grimaça. Laisser entrer Vanessa dans son taudis alors qu'elle habitait un igloo géant ? La laisser la narguer de son sourire hautain et hypocrite ? Jamais de la vie ! Et puis elle n'avait aucune envie d'observer comment Rob se comportait avec Vanessa. Voir la photo de leur mariage lui avait suffi. Vanessa devait rester l'épouse fantôme. Celle dont on ne soupçonne l'existence qu'à travers des détails – un foulard abandonné sur une chaise, de la nourriture allégée dans le frigo, une boîte de tampons dans les toilettes. Voilà ce à quoi se résumait l'existence de Vanessa pour Délia. Rob s'était toujours arrangé pour lui épargner de la croiser en chair et en os et Délia lui en était infiniment reconnaissante.
– Je ne crois pas que ce soit nécessaire, dit-elle en mettant le chauffage en marche. Rob n'a accompli aucun miracle. C'est peut-être toi qui étais un moniteur pourri.
Elle lui tira la langue.
– Je n'avais pas la meilleure des élèves non plus, répliqua-t-il en ôtant sa capuche. On pourrait quand même inviter Rob à dîner. C'est ton ami, après tout. Je pense que je pourrais bien m'entendre avec lui. On a un peu le même caractère.
Délia avait suffisamment de mal à manœuvrer à travers ce brouillard opaque, elle n'était pas capable d'entamer une discussion sur le pourquoi du comment elle ne voulait pas inviter Rob.
– On verra ça à ton retour, répondit-elle de façon évasive.
Arnaud cala sa tête contre la fenêtre et ferma les yeux. Elle lui jeta un coup d'œil. Elle n'allait plus voir ce visage pendant trois mois. Plus personne ne la prendrait dans ses bras. L'hiver promettait d'être long.
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