Chapitre 56
Quinze minutes plus tard, elle poussait la porte d'une fleuristerie et faisait don de Désirée avec la recommandation de l'adjoindre à une composition florale non funéraire. La fleuriste était tout sourire. Une orchidée de cette taille et de cette rareté, c'était du pain béni. Elle avait justement carte libre pour la décoration d'un mariage qui aurait lieu le lendemain et proposa de placer Désirée dans le bouquet qui couronnerait la table des jeunes époux.
– Combien je vous dois ? demanda-t-elle, prête à négocier.
Délia protesta qu'elle ne voulait pas un centime, surtout pas ! Elle avait déjà les mains assez sales comme ça. Elle quitta le magasin, laissant derrière elle une fleuriste aux anges et la moitié de sa culpabilité.
De retour à l'appartement, elle trouva la veste d'Arnaud dans le vestibule. Elle respira un grand coup :
– Salut, chéri, tu as passé une bonne journée ?
Oh non ! Elle l'avait encore appelé chéri. Il fallait qu'elle arrête de l'appeler chéri chaque fois qu'elle avait quelque chose à lui cacher. Il allait finir par s'en rendre compte.
Elle arrangea ses cheveux et pénétra dans le salon. Lorsqu'elle s'approcha pour l'embrasser, il accueillit ses lèvres avec réticence.
– Qu'est-ce qui est arrivé à Désirée ?
Elle fut un peu surprise. Comment était-il déjà au courant ? Heureusement qu'elle avait eu le temps de réfléchir en chemin.
– Oh... Eh bien, le docteur a dit qu'elle était condamnée. Je n'avais pas envie de la voir dépérir, voir ses petites feuilles se racornir et ses pétales tomber, ça n'aurait été gai pour personne. Alors j'ai préféré en finir.
Elle esquissa une petite moue peinée.
– Et tu as placé sa dépouille sous ton oreiller, compléta Arnaud en brandissant le bulbe couvert de radicelles.
Elle entrouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Mon dieu, cette chose était horrible ! Comment avait-elle pu placer ça sous son oreiller ? Vite, vite, il fallait trouver une justification pour dissiper l'aspect glauque de cette situation. Elle avait anticipé qu'Arnaud remarquerait la disparition de Désirée, mais elle n'avait pas pensé qu'il découvrirait son « charme anti-amour ».
– Comment tu l'as trouvé ? demanda-t-elle pour gagner un peu de temps.
– Je t'ai acheté un cadeau, j'ai voulu le glisser sous ton oreiller pour te faire la surprise. Et c'est moi qui ai été surpris, c'est le moins qu'on puisse dire. Alors ? insista-t-il en fronçant les sourcils. Tu m'expliques ? J'ai vraiment hâte, là, parce que ça fait dix minutes que j'essaie de comprendre.
– Je sais que ça a l'air bizarre, mais c'est un conseil de ma patronne. Pour... Pour arrêter de fumer.
– Tu veux arrêter de fumer ?
– Oui.
Non, pitié !
– Tu es sûre que tu as bien compris ? Tu ne dois pas plutôt faire infuser les fleurs, boire une tisane ou quelque chose comme ça ?
– Non, ce n'est pas de la phytothérapie traditionnelle. C'est une guérisseuse qui utilise les pouvoirs occultes des plantes. Je dois placer le bulbe et les racines d'une orchidée sous mon oreiller jusqu'à la nouvelle lune. Je sais que ça a l'air bizarre, mais si ça marche, c'est tout ce qui compte, n'est-ce pas ?
– Oui. Tant que tu ne dois pas placer un rat mort sous ton oreiller. Alors si je comprends bien, tu as sacrifié Désirée pour arrêter de fumer ? Tu dois être drôlement motivée...
– Je n'ai pas sacrifié Désirée, elle était condamnée. Je me suis dit « autant faire d'une pierre deux coups ».
– J'espère que ça marchera. Ce serait une bonne chose que tu arrêtes. Tiens, je vais jeter ton paquet. Comme ça tu ne seras pas tentée.
Il ramassa le paquet rouge et blanc posé sur la table basse, tandis que Délia sanglotait intérieurement. Maintenant qu'elle avait officiellement déclaré son intention de se sevrer, elle était coincée. Tout du moins jusqu'à la nouvelle lune. C'était un cauchemar.
– Non ! protesta-t-elle. Ça fait partie de la thérapie. Je dois être capable de résister face à un paquet de cigarette. S'il n'y a pas de tentation, il n'y a aucun mérite.
– À mon avis, tu aurais plus de chance d'y arriver avec des patchs qu'avec cette méthode. Mais bon... Tu as une confiance absolue en cette femme, je me trompe ?
– Je ne dirais pas « absolue ». Mais il y a des gens qui viennent la voir chaque jour pour la remercier et ils ont l'air de mieux se porter. Alors je me suis dit pourquoi ne pas essayer ?
– Donc je suppose que je replace ce truc où je l'ai trouvé ? fit Arnaud en agitant le bulbe frémissant de radicelles.
– Je sais que tu penses que c'est du charlatanisme...
– Non, je ne pense pas que ce soit du charlatanisme, ça me fait plutôt penser à de la sorcellerie. Je suis sûr que cette femme est sincère dans ses intentions, mais je reste sceptique quant aux résultats. Enfin si ce bulbe vient à bout de ton addiction, il faudra faire part de la bonne nouvelle au monde entier.
Il avait le fou rire au fond des yeux, ça se voyait. Cette situation était tellement saugrenue qu'elle sentit sa gorge la chatouiller. Et elle se mit à rire de son propre pathétisme. Oui, si ce vieux bulbe dégueulasse la débarrassait de ses sentiments pour Julien, alors il faudrait en informer le monde entier.
– Tu sais, dit Arnaud en se tenant les côtes tellement il riait, j'ai peur que ton visage se déforme à force de dormir sur ce truc.
Ils rirent de plus belle. Ça faisait longtemps que ça ne leur était plus arrivé de partager un fou rire pareil. Au final, elle ne regrettait pas d'avoir dépensé 45 euros. Si c'était pour se sentir à nouveau proche d'Arnaud, cela en valait la peine.
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