Chapitre 51
– Allo ?... Vanessa...
Délia entrouvrit un œil pour épier Rob. Il s'était redressé et tenait fermement son portable, le front plissé, comme s'il répondait à un interrogatoire. Sa voix n'était plus du tout la même. Elle reçut de plein fouet l'éclat incandescent de son alliance.
Elle avala la fin de son verre et fit mine de replonger dans sa rêverie paresseuse, même si bien sûr elle ne perdait pas une miette de leur conversation.
Elle fut étonnée d'entendre Rob prétendre qu'il était en train de réparer la clôture avec un certain Boris. Lorsqu'il raccrocha, elle lui fit remarquer qu'elle n'avait pas encore opéré de changement de sexe.
– Je sais, mais ça m'épargnera une crise. Sauf que maintenant, il va vraiment falloir que je répare cette clôture, ajouta-t-il en jetant un regard dépité vers le fond du jardin.
– Elle est jalouse ?
– Même pas. C'est juste que... J'ai cru comprendre qu'elle ne garde pas un très bon souvenir de toi.
Son regard oscillait entre l'abri de jardin où l'attendait la caisse à outil et le transat qui semblait n'attendre que sa tête.
– Tu rigoles ? s'exclama Délia en attrapant son verre qui malheureusement était déjà vide. C'est moi qui ne garde pas un très bon souvenir d'elle !
– Qu'est-ce qui s'est passé entre vous ?
Rob attrapa un olive, la fourra dans sa bouche et se laissa basculer, s'accordant quelques secondes supplémentaires de farniente.
– Oh, rien de très important. Qu'est-ce qu'elle t'a dit sur moi ?
– Que tu te jetais à tous les cous tendus.
Rob tourna la tête pour observer la réaction de Délia. Ses joues étaient couleur écrevisse, mais c'était peut-être le soleil...
– Je vois, dit-elle en arrachant une poignée d'herbe, imaginant que c'était la tête de Vanessa. Je crois que le problème vient surtout du fait qu'elle veut se garder tous les cous, y compris celui de son frère.
– Raconte...
– Oh, c'est une vieille histoire. On devait avoir quatorze ans. Je suis allée à une fête organisée par ta chère Vanessa. Là-bas, j'ai rencontré un garçon super mignon. On a discuté, le courant passait super bien, mais je l'ai perdu de vue avant qu'on ait eu l'occasion d''échanger nos numéros. Au collège, j'ai demandé à Vanessa si elle savait qui c'était. Je lui ai décrit le garçon en long et en large, la tenue qu'il portait, son prénom... Elle m'a dit qu'elle ne voyait pas du tout à qui je faisais allusion. Trois ans plus tard, à la remise des diplômes, qui est-ce que je vois dans l'assemblée, juste à côté de Vanessa ? Le garçon en question ! Qui n'était autre que son frère ! Après la cérémonie, il vient me trouver et m'avoue qu'il a été un peu déçu que je ne donne pas suite à sa lettre. Je ne voyais pas du tout de quoi il voulait parler. Et là il m'explique qu'il avait remis à Vanessa un petit mot avec son numéro pour qu'elle me le transmette. Elle lui a juré qu'elle l'avait fait. Mais, bien évidemment, je n'en ai jamais vu la couleur...
– Et alors, vous avez échangé vos numéros finalement ?
– Non, c'était trop tard. Pour lui comme pour moi. Mais je pense que tu dois le connaître. Il s'appelait Raphaël.
– Oui, je t'en ai parlé. C'est lui qui a construit cette maison.
Délia se redressa d'un bond en posant une main sur sa bouche, contemplant la façade comme si elle venait de se couvrir d'or :
– Oh mon Dieu ! Tu imagines à côté de quoi je suis passée ? Sans les petites manigances de ta femme, c'est moi qui habiterais ici !
Rob se racla la gorge.
– Sauf que Raphaël est gay.
– Oh, merde !
Elle se laissa retomber et rit sous ses paupières inondées de soleil. Bien sûr, elle n'en avait rien à faire du frère de Vanessa. Il n'était qu'un visage croisé il y a longtemps, un espoir bref, rapidement dissipé. S'il était un son, il serait sans écho. Certains garçons n'avaient pas la moindre force de résonnance ; on ne pouvait pas les regretter, quand bien même ils devenaient de prodigieux architectes.
Au bout d'une minute, Rob fit remarquer que Vanessa avait peut-être agi de la sorte parce qu'elle savait que son frère préférait les garçons.
– Elle voulait peut-être éviter de te donner de faux espoirs. Raphaël a eu sa période « filles », mais ça n'a jamais rien donné. C'était pour faire semblant auprès de ses copains. Elle a sans doute voulu t'éviter une histoire sans lendemain.
– Si tu le dis...
Délia n'y croyait pas un seul instant. Vanessa avait toujours eu un très fort instinct de possession. La preuve, à la piscine, avec ses trois sèche-cheveux. Et puis, il y avait eu cette histoire avec Rob. Délia n'avait pas oublié à quel point Vanessa le snobait au début. Jusqu'à ce que Délia fasse semblant de sortir avec lui. Alors, tout à coup, Rob était devenu très attrayant.
Mais son instinct lui dictait qu'il ne fallait jamais dire du mal d'une épouse. Surtout lorsqu'on avait envie de rester amie avec son mari. C'était si agréable de passer du temps avec Rob. C'était comme autrefois. Avoir un ami garçon lui avait manqué durant toutes ces années. C'est ce manque qui avait entretenu, inlassablement, la nostalgie de son adolescence. Son amitié avec Ambre n'avait jamais suffi à la contenter. Rob lui offrait la possibilité de combler ce manque sans pour autant mettre son couple en danger. C'était probablement le seul garçon avec qui une amitié était réellement envisageable.
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