Chapitre 3
Dix minutes plus tard, Délia était de retour dans la cuisine tandis qu'Arnaud réchauffait le repas, tout en se demandant si cela en valait la peine. Il s'attendait à ce que sa petite amie explose en cris ou en sanglots, et fut tout étonné de la voir s'asseoir, le sourire jusqu'aux oreilles. Elle tenait la lettre entre les mains, la contemplant béatement.
– Alors ils disent quelque chose de bien ? hasarda-t-il en éteignant la cuisinière.
Il déposa le wok sur la table et s'empara de l'assiette de Délia pour y déposer un magma de nouilles caramélisées.
– Non. Ils disent que mon histoire ne tient pas la route. Elle déplia la lettre pour en lire un extrait : Votre récit manque cruellement de crédibilité et votre style est truffé de maladresses. C'est donc à grand regret que nous ne pouvons envisager sa publication.
Arnaud resta perplexe face au sourire triomphant de Délia.
– Et il y a quelque chose de positif là-dedans ?
– Mais oui ! Tu as entendu ? Ils ont écrit À grand regret et pas malheureusement ! C'est magnifique ! Je vais la faire encadrer.
Arnaud remplit sa propre assiette, déconcerté, ne sachant s'il s'agissait d'un sarcasme ou d'un réel engouement. Il préféra s'empresser de changer de sujet :
– Alors, qu'est-ce que tu penses de ma nouvelle recette ? C'est un peu trop cuit, mais sinon...
– Mmm, c'est délicieux. Tu assures !
Elle lui décocha un sourire, mais il lut de la tristesse dans ses yeux. Il poursuivit sa tentative de diversion :
– Je stresse un peu pour ce soir. Je ne sais pas comment m'habiller. Tu penses que je devrais mettre mon chapeau ou plutôt me la jouer classe et discret ?
– Classe et discret ? Toi ? répliqua-t-elle en lui lançant un regard moqueur. Si tu veux mon avis, je pense que tu devrais jouer à fond la carte de l'artiste bohème. Tu ne peux pas défendre ta cause en costume-cravate.
– Oui, tu as sans doute raison. Mais c'est quand même la première fois que je vais passer à la télé. Et, bon, c'est un peu con, mais si jamais un producteur regardait...
Arnaud avait décroché un passage à l'antenne, sur une chaîne nationale, en tant que membre du syndicat des artistes. Même s'il n'était pas invité en tant qu'acteur, il espérait pouvoir glisser quelques informations sur son parcours professionnel et, peut-être, attirer l'attention d'un producteur de cinéma.
Ces dernières années, à côté de ses rôles au théâtre, il avait cumulé les castings et les petits rôles de figuration dans des films dont certains n'étaient jamais sortis en salle. Mais récemment il avait obtenu deux répliques – en suédois – dans un film d'auteur qui avait été diffusé au festival de Cannes. Il n'apparaissait que deux minutes à l'écran et entièrement nu, la scène se déroulant sur une plage naturiste. Heureusement ou malheureusement, on ne l'avait filmé que de dos. De ce fait, personne ne le reconnaissait dans la rue, de même que tout le milieu du cinéma ignorait son visage.
Une demi-heure plus tard, Arnaud passait en revue sa penderie, tout en se massant le cuir chevelu. Ses doigts, crispés, s'enfonçaient dans ses cheveux blonds, leur donnant un aspect ébouriffé. Délia ne l'avait jamais vu aussi nerveux. Il avait toujours été le pôle positif de leur couple, tandis qu'elle était la charge négative, anxieuse, défaitiste.
Elle s'approcha de lui et posa une main dans le creux de ses reins :
– Tu as le trac ?
– J'ai la pression depuis que j'ai appris que je passais juste après ce chanteur, tu sais celui qui chante la chanson sur les marrons verts.
– Euh, non, je ne sais pas. Une chanson sur les marrons verts ? Fais attention, il risque de te voler la vedette !
Elle lui donna une bourrade dans les côtes.
– Rigole, rigole, mais en fait il a plein de fans. Ça commence à cartonner pour lui en ce moment.
– Moi, en tout cas, je n'ai jamais entendu parler de lui. En revanche, murmura-t-elle en glissant une main derrière sa nuque, j'ai entendu parler de toi. L'autre jour, dans la rue, il y avait un groupe de filles qui sortaient du cinéma et elles n'arrêtaient pas de crier : « Oh, tu as vu celui avec les cheveux longs ! Il est trop sexy ! »
– Elles ne parlaient peut-être pas de moi.
– Il n'y a pas trente-six films avec un type qui porte un scarabée tatoué sur les fesses.
– Oui, bon, mais elles ne vantaient pas mes talents d'acteur.
– On s'en fou ! Si le public t'aime, les réalisateurs t'aimeront aussi ! Ce qui compte dans ce milieu, c'est de se faire remarquer. Et toi, tu es atypique. Tous les regards seront braqués sur toi ce soir et ce type avec sa chanson sur les marrons verts passera totalement à la trappe.
Elle lui décocha un sourire confiant et passa une main dans ses cheveux pour lisser un épis.
– Qu'est-ce que tu vas porter ? demanda-t-elle en reportant son attention sur la penderie.
– J'hésite entre ma chemise vert clair et mon tee-shirt bleu fluo avec le logo de ma troupe de théâtre. Ce qui est sûr, c'est que je mets mon chapeau avec la plume d'aigle. Il m'a porté chance pour le dernier casting.
– La chemise vert clair, sans hésiter, trancha Délia en s'emparant du cintre. Si tu portes le tee-shirt de ta troupe de théâtre, les gens vont penser que tu veux continuer à faire du théâtre. Et puis le vert, crois-moi, quoi qu'on en dise, ça porte chance.
Arnaud l'embrassa sur le front :
– Merci, tu m'évites un choix cornélien. Au fait, tu es sûre de ne pas vouloir parler de cette lettre ?
– Oui, c'est toi la star aujourd'hui. Et puis tous mes espoirs reposent sur toi maintenant. Si tu deviens célèbre, les éditeurs voudront peut-être me publier en tant que petite amie d'un talentueux acteur.
– Tu ne me mets pas du tout la pression là.
– Mais non, sois le plus naturel possible et tout ira bien. Tu es tellement beau que tu vas crever l'écran.
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