Chapitre 16

Délia faisait des va-et-vient entre la garde-robe et le miroir, la mine insatisfaite. Elle ne possédait rien pour aller à ce genre de soirée. D'ailleurs que portait-on dans ce genre d'évènement ? Des robes longues de gala, des robes froufroutantes style garden-party, des tenues de créateur ? Dans tous les cas, sa garde-robe ne recelait rien qui puisse l'empêcher de faire tache parmi les invités.

– Tu es bientôt prête ? s'impatienta Arnaud qui portait un jeans slim noir et une veste de costard achetée dans une friperie.

Malgré tout, il était super classe. Délia lui darda un regard jaloux :

– Non je ne suis pas prête. Comment veux-tu que je sois prête ? Je n'ai rien à me mettre pour une soirée people.

La soirée était organisée par une marque de téléphone pour célébrer le lancement d'un nouveau smartphone. Arnaud avait reçu, à son grand étonnement, un carton d'invitation la veille. Apparemment l'information circulait vite dans ce milieu.

– Tu es jolie dans tout ce que tu portes.

Délia lui jeta un regard noir qui signifiait : « Tu ne m'aides pas vraiment. » Arnaud posa sa tête sur le chambranle de la porte en soupirant :

– Si tu ne veux pas y aller, ne viens pas. Mais moi je suis obligé d'y aller. C'est une bonne occasion pour nouer des contacts.

– OK. Laisse-moi dix minutes ! tonna Délia qui certes ne voulait pas faire tâche à cette soirée, mais encore moins jouer les fantômes.

Elle enfila un débardeur émeraude avec un col montant et un dos-nu très échancré qu'elle assortit à une jupe droite qui était presque du même ton. Ce n'était pas la panacée, mais après tout elle n'avait personne à impressionner. Puis elle se rua à la salle de bain pour se concocter un chignon hollywoodien. Elle commença par torsader quelques mèches en jetant un coup d'œil à son portable qui affichait une photo d'Eva Longoria aux Grammy Awards. Au bout de trois minutes, elle avait une tête épouvantable et la certitude que ses cheveux ne ressembleraient jamais à une œuvre d'art. Elle retira les épingles de sa chevelure en poussant de petits « Aie » à tout va, et opta pour une simple queue de cheval.

Lorsqu'Arnaud cria « Dans trois secondes, je démarre. C'est à prendre ou à laisser », elle laissa tomber son mascara, jeta un dernier regard à son reflet qui lui répondit « J'ai connu mieux » et cavala vers la porte, sa trousse de maquillage sous le bras, comme un fugitif sous la menace d'une arme à feu.

Arnaud gara sa voiture toute cabossée dans un parking souterrain, entre une Range Rover et une Humley. Dans la précipitation, Délia avait oublié de mettre des talons et portait encore ses tennis aux pieds. Elle se sentait ridicule avant mettre d'avoir fait un pas à l'intérieur.

– Tu es très jolie, la complimenta Arnaud pour la quinzième fois. Essaye de profiter.

Il avait raison. C'était une chance en or d'être là. Et puis les stars étaient connues pour être égocentriques. Elles ne prendraient sans doute pas la peine d'examiner les chaussures de Délia.

À l'entrée, Arnaud dû décliner son identité. En revanche, on ne demanda pas son nom à Délia. Le vigile se contenta d'un bref regard de haut en bas avant d'acquiescer.

– Et si j'étais une terroriste ? souffla-t-elle à Arnaud. Je pourrais cacher une grenade dans ma culotte. Qu'est-ce qu'ils en savent ?

Arnaud pouffa, tout en l'entrainant vers un petit tapis rouge. Délia fut surprise par l'éclair d'un flash.

– Tu ne m'avais pas dit qu'on nous prendrait en photo, murmura-t-elle sur un ton de reproche tout en exhibant son plus beau sourire en posant sa tête sur l'épaule d'Arnaud.

– Ce n'est pas nous qu'on prend en photo.

Elle se retourna pour voir quelle star les suivait. Elle aperçut un grand type avec des dreadlocks. Inconnu au bataillon. Elle s'apprêtait à tourner la tête lorsque leurs regards se croisèrent. Délia sentit un courant la paralyser de la tête aux pieds.

Ce n'était pas une star.

C'était bien pire.

Elle vit son front se plisser, la confusion agiter son regard, puis un grand sourire soulever ses pommettes. Elle ne parvint pas à déterminer si ce sourire était destiné aux photographes ou à elle-même.

Elle aurait pu s'enfuir. Elle aurait pu pleurer. S'évanouir. Ou l'embrasser.

Mais elle ne fit rien de tout cela – toutes ces choses qu'elle s'était imaginée faire si jamais le Destin lui offrait de revoir Julien, mille scénarios, mille illusions.

Délia resta figée. Pas figée comme lorsqu'on est pétrifié par l'émotion. Pas figée comme lorsqu'on est subjugué par la beauté d'un coucher de soleil.

Figée de colère.

Oui, en ce moment, elle le détestait. Mille rancunes remontaient à la surface, tel un volcan prêt à exploser. Mais ce n'était pas pour ce qu'il avait pu faire par le passé qu'elle le détestait – même si elle prenait soudain conscience qu'elle aurait pu lui en vouloir mille et une fois. Elle le détestait d'être là, maintenant, face à elle.

Elle le détestait pour ce sourire qui faisait battre son cœur. Ce sourire qui lui faisait comprendre qu'Hier n'avait jamais pris fin.

Elle avait une vie maintenant, des projets, un amoureux, un équilibre... Et lui il avait le culot de débarquer après toutes ces années, au risque de tout détruire ?

Elle tira sur la main d'Arnaud pour l'entraîner hors du tapis rouge.

– Tu le connais ? tiqua Arnaud tandis que Julien s'approchait, charriant dans son sourire toute la lumière d'Autrefois.

Elle aurait préféré qu'il devienne une superstar dans un pays lointain – l'Indonésie, le Cambodge, l'Amérique (il aurait certainement fait un tabac en Amérique avec sa carrure d'armoire à glace). Elle aurait contemplé sa photo dans les magazines people, peut-être même l'aurait-elle découpée pour la placer dans son classeur, celui où elle collait toutes ces images de maisons et de vêtements hors de prix qui la faisaient rêver en se disant qu'un jour peut-être... Mais cela serait resté de l'ordre du fantasme, de l'inaccessible. Jamais elle n'aurait eu à avouer qu'elle le connaissait ce Julien Loiseaux qui s'étalait à la une des magazines – d'ailleurs il aurait sans doute changé de nom pour s'appeler Julian Lee Baker ou Julian Wonderful. Jamais elle n'aurait eu à avouer à Arnaud ce qu'elle s'apprêtait à faire :

– Oui, on se connait un peu. Mais ça fait très longtemps que je ne l'ai plus vu.

Délia espéra de tout cœur qu'Arnaud n'ait pas une mémoire infaillible. Qu'il ne se rappelât pas ce poème qu'elle avait lu sur scène le jour de leur rencontre, un poème dédié à un certain Julien.

– Salut...

Julien se tenait à présent face à eux, cherchant à accrocher le regard de Délia, hésitant visiblement à lui faire la bise.

– Comme le monde est petit ! lâcha-t-elle d'une voix sombre en se cramponnant à Arnaud comme à un bouclier pour dissuader Julien de s'approcher.

Tout en elle, du ton de sa voix à son regard fuyant, semblait hurler : Sors de ma vue ! Je ne veux plus de toi !

Regarder Julien, c'était comme approcher la flamme d'un briquet de la mèche d'un explosif. Si elle s'attardait trop longtemps, elle n'en sortirait pas saine et sauve. Il fallait mettre un terme à cette situation le plus rapidement possible, sauf qu'Arnaud ne semblait pas du tout mesurer l'enjeu.

– Vous étiez à l'école ensemble ? questionna-t-il avec un sourire ravi.

Il s'était adressé à Julien, mais elle s'empressa de répondre en affectant un air détaché :

– Pas du tout. On fréquentait les mêmes endroits. C'était il y a longtemps...

Arnaud ne semblait pas avoir fait le rapprochement. Pour lui, il existait des milliers de Julien dans le monde. Pour Délia, il n'y en avait jamais eu qu'un seul.

Et, tout à coup, elle entrevit une occasion inespérée de se venger :

– A l'époque, Julien avait une autre coupe de cheveux, révéla-t-elle avec un sourire narquois. Un massif de boucles... Un peu comme un caniche. Tu aurais dû voir ça. C'était impressionnant. On ne voyait même pas ses yeux.

– C'est pour ça que j'ai opté pour des dreadlocks, répliqua Julien en caressant la pointe de ses mèches torsadées. C'est moins d'entretien. Et puis tout le monde me dit que je suis mieux comme ça.

Délia fit une petite moue hésitante.

– Tu n'es pas de cet avis ? demanda Julien.

– Eh bien... Je ne sais pas.

– Tu n'aimes pas ?

– Je n'ai pas dit ça. C'est juste...

Pourquoi avait-elle l'impression de devoir faire le deuil des boucles de Julien, alors qu'elle n'avait pas été chagrinée lorsqu'Arnaud avait annoncé qu'il allait changer de tête ?

– Tu n'aimes pas. C'est bon, tu peux le dire. Je ne suis pas du genre à me vexer. Moi j'aime, c'est tout ce qui compte.

Pourtant, il avait l'air vexé, Délia le voyait bien. Oh, victoire d'avoir vexé Julien !

– Et tes fans aussi, 250000 amis sur Facebook, j'ai vérifié, ajouta Arnaud, qui n'avait pas compris le but de la manœuvre. Moi j'en suis seulement à 25 000 et la moitié ne passera sans doute pas l'année.

– Arnaud a beaucoup joué pour des associations de personnes malades, précisa Délia. Il a le cœur sur la main.

– Oui, enfin, c'était aussi pour arrondir les fins de mois.

– Ne te dénigre pas, chéri. Il y a les artistes qui veulent juste faire du business et puis il y a les vrais passionnés comme toi.

Bon Dieu ! Pourquoi l'avait-elle appelé chéri ? Elle ne l'appelait jamais chéri. Arnaud allait comprendre qu'il se tramait quelque chose de louche.

Heureusement une connaissance frappa sur l'épaule de Julien, mettant fin à ce tête-à-trois. Délia en profita pour empoigner le bras d'Arnaud et s'éloigner aussi vite que possible.

Rapidement, ce fut au tour d'Arnaud de se faire interpeller. Elle resta un instant à jouer les potiches tandis qu'il discutait avec un homme plus âgé. Et dire qu'elle s'était inquiétée de sa tenue alors que personne ne la regardait. Elle décida de se rabattre sur le buffet.

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J'aimerais bien savoir si vous avez trouvé que j'ai mis trop longtemps à faire rentrer Julien en scène ou pas ? Pour moi, tout l'enjeu du roman démarre vraiment maintenant. Néanmoins, il me semblait que je ne pouvais pas faire réapparaître Julien du jour ou lendemain pour des raisons de crédibilité et de suspense. Et aussi pour développer la relation Délia-Arnaud. 

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