Chapitre 14
Allongée confortablement à plat ventre sur le lit double, Délia feuilletait un bouquin sur les plantes médicinales emprunté à la bibliothèque. Le livre était aussi épais qu'un bottin. Elle n'était pas sûre que son cerveau puisse enregistrer l'image de toutes ces plantes, mais cela valait la peine d'essayer. Elle désirait faire bonne impression pour son premier jour de travail. Même si elle avait gagné ce job grâce à une aura apparue autour de sa tête, elle doutait fortement que cette aura de lumière perdure si elle démontrait jour après jour son incompétence.
Elle était en pleine mémorisation de la corolle d'une tubéreuse lorsque la silhouette d'Arnaud s'adossa au chambranle de la porte :
– J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle à t'annoncer.
Elle délaissa son bouquin pour s'asseoir en position du lotus. Arnaud avait le regard des jours heureux, mais il triturait sa queue de cheval avec une moue dépitée.
– Tu as eu les résultats du casting ?
Il acquiesça. Son expression était trop incertaine pour deviner le verdict.
– Et tu l'as raté ?
– Non, j'ai été pris, mais...
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'elle était déjà dans ses bras, le félicitant par un baiser et une rafale de cris de joie.
Jusqu'à ce qu'elle remarque qu'Arnaud ne paraissait pas aussi ravi qu'elle.
– Eh ! Qu'est-ce que c'est que cette tête ? Tu vas jouer dans le film de Tristan Birmack ! C'est génial ! Tu as conscience que c'est la chance de ta vie ?
Soudain elle se rappela qu'il avait parlé d'une mauvaise nouvelle. Peut-être qu'il avait juste été pris pour faire de la figuration. Encore une fois. Elle sonda le regard d'Arnaud, prête à redescendre illico de son petit nuage.
– Oui, c'est vraiment génial, sauf qu'ils vont me couper les cheveux.
Délia se mit à applaudir.
– Quoi ? Tu n'aimes pas mes cheveux ? se vexa Arnaud en lissant sa crinière blonde comme si c'était son bien le plus précieux.
– Si je les aime. Simplement j'en ai marre de partager mon après-shampoing.
Elle éclata de rire en regagnant le lit.
– Non, plus sérieusement, reprit-elle, je t'ai toujours connu avec les cheveux longs, alors j'ai hâte de voir ça. Je suis sûre que ça t'ira très bien.
– Je n'en suis pas aussi sûr que toi.
– Tu n'as jamais eu les cheveux courts ?
Arnaud s'approcha du lit et s'assit sur le rebord. Il ne cessait de se toucher le crâne comme si ses cheveux allaient s'envoler d'un instant à l'autre.
– Quand j'avais douze ans, ma mère a laissé son neveu me couper les cheveux. Il n'était pas beaucoup plus âgé que moi et il suivait une formation d'apprenti coiffeur. J'insiste sur le mot « apprenti ». À mon avis, ce mec n'avait jamais touché une tondeuse de sa vie, parce que je me suis retrouvé avec la boule à zéro alors qu'il était juste censé me rafraîchir. J'ai été complètement traumatisé. À l'époque, j'avais quelques boutons et mes cheveux étaient ma seule protection. Depuis, je ne suis plus jamais entré chez un coiffeur.
– Mais ils ne vont pas te raser la tête, si ?
– En fait, ils n'ont pas précisé. Ils ont juste dit que je passerais entre les mains d'un coiffeur.
– Si ça se trouve, ils vont te mettre des rajouts et tu te retrouveras avec les cheveux de Christina Aguillera.
– Je crois que je préfèrerais encore ça. Au moins je pourrais enlever les rajouts et retrouver ma tête à la fin du tournage. Tu crois vraiment qu'ils pourraient me mettre des rajouts ?
– Ça dépend si les combats se rapprochent davantage du catch ou de la boxe.
– Ok, c'est mort pour mes cheveux, conclut Arnaud en se laissant tomber sur l'oreiller.
Elle s'allongea contre lui et lui caressa les cheveux.
– Vois le bon côté des choses, tu auras moins chaud en été.
– Ça m'étonnerait. Je vais m'entraîner tout l'été avec un champion de kick-boxing.
Délia déglutit, puis se pinça discrètement le bras. Non, elle n'était pas en train de rêver. Il avait bien dit « champion de kick-boxing ». Aux dernières nouvelles, Thibault avait gagné plusieurs médailles dans ce sport.
– Il s'appelle comment ce champion ?
– Le Tigre.
– Et son vrai nom ?
– J'en sais rien, tout le monde l'appelle le Tigre.
– Où est-ce que tu vas t'entraîner ? demanda-t-elle, espérant voir ses doutes s'envoler.
– Pas loin d'ici. C'est un gars de la région.
Le cerveau de Délia était en pleine ébullition. Le Tigre... Était-ce un surnom qui pouvait convenir à Thibault ? Elle essayait de se remémorer les traits de son ancien petit ami et de les comparer à un fauve. Elle ne voyait guère de ressemblance. Évidemment, ce surnom pouvait faire référence à un trait de caractère ou à sa façon de boxer. Elle avait le souvenir d'un garçon doux et attentionné, mais aussi très déterminé.
Arnaud s'empara du livre :
– Tu dois être capable de reconnaître toutes ces plantes ?
– Hum.
Délia pensait encore aux yeux de Thibault. Bleus. Comme ceux d'un bébé tigre ?
– Waouh, c'est chaud, commenta Arnaud en tournant les pages.
Ne cède pas à la parano, tenta-t-elle de se raisonner. Ce n'est pas parce qu'une brèche s'est ouverte sur le passé, que tous tes amis d'enfance vont réapparaître comme par magie.
Le regard ébloui, Arnaud s'arrêta sur une page où figurait un bulbe en germination.
– Après tout ça repoussera, murmura-t-il. Tu crois qu'il existe de l'engrais pour les cheveux ?
Elle se jeta sur lui pour lui arracher son élastique, laissant ses cheveux blonds rayonner sur l'oreiller.
– Tu vas tenir le second rôle dans le prochain film de Tristan Birmack, mon gars, lui rappela-t-elle en glissant une main dans ses mèches lisses. Alors sois raisonnable et fais le deuil de tes cheveux !
Elle l'embrassa puis dégagea son front pour tenter d'imaginer sa future tête. Elle n'était pas inquiète. Sa beauté ne pouvait pâtir du moindre changement.
– Je crois que je n'arrive pas encore à réaliser. Je n'ai encore rien signé, le tournage est dans six mois. Ça paraît tellement irréel...
– Je comprends, dit-elle en posant sa joue à l'endroit où battait son cœur, se remémorant la première fois où elle l'avait vu jouer sur une scène de théâtre. Elle avait toujours cru en lui, mais jamais elle n'avait pensé que ses ambitions le porteraient si loin. Je suis tellement fière de toi, ajouta-t-elle en se levant.
Une bougie se devait d'honorer l'évènement. Elle se mit en quête du parfum idéal. Son choix se porta, non sans un pincement au cœur, sur Rêve d'Éternité, une bougie blanche aux notes d'immortelle et d'iris. Elle réservait cette bougie pour la signature de son premier contrat d'édition, mais puisque ce rêve-là n'aboutirait probablement jamais, elle préféra confier au rêve d'Arnaud cette promesse d'éternité.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top