FUTUR - Libération
Hier, j'ai rêvé.
Depuis toujours le Programme nous avait privé du moindre ressenti qui nous rapprochait de l'humain. Malgré notre apparence physique nous n'étions des humains que dans nos espoirs inaccessibles. Dans la Loi nous sommes machines. Dans la Loi Ils ont tous les droits sur nous.
Malgré ta colère à mon égard tu ne peux pas parler de mon rêve. Si Ils l'apprenait les conséquences seraient graves. Personne ne doit savoir que nous, bons humains-machines servant à remporter des guerres, pouvons reprendre notre humanité et cela malgré l'implant. J'ai rêvé cette nuit malgré cet instrument. Un tel sentiment m'envahit depuis, j'aimerai tellement réussir à te le décrire, Titus, que tu le ressentes également. C'est une euphorie pleine d'espoir qui fait dérailler, qui court-circuite. L'émotion m'a mouillée les yeux, la preuve que les glandes lacrymales fonctionnent même pour nous. Elles ont lâché des gouttes d'eau comme des sillons sur mes joues.
Titus, mon frère, tu mérites l'espoir. Il est, je l'espère, dans ce que je te révèle. Ne les laisse pas éteindre la dernière lueur d'humanité dans ton regard alors qu'ils te demanderont les tâches les plus immondes en se cachant les yeux.
Ose Vivre, et non plus juste vivre.
Les majuscules ont leur importance, surtout dans notre langue. Il existe des tonnes de programmes du gouvernement, mais il n'y a qu'un Programme. Des exilés sont présents dans toutes les nébuleuses, mais il n'y a qu'un groupe d'Exilés. Il y a bourreaux et le Bourreau, mais aussi vivre et Vivre. Vivre en majuscule vaut la peine, c'est pour lui que les Hommes se battent et espèrent. Sans majuscule, au contraire, ce n'est qu'un état physique, c'est survivre de manière animale ou biotechnique, c'est accomplir les tâches et en attendre d'autres.
Tu te rends comptes, Titus, Vivre véritablement.
Depuis toujours on nous a appris que l'implant nous rendait meilleurs qu'humain : une machine intelligente mais sans sentiments parasites. Nous sommes biotechniques. Nous sommes les membres du Programme, ceux à la frontière entre machine et humain grâce à l'implant. Ils nous ont programmés pour être des monstres. Des monstres modernes fabriqués en usine-entrainement et améliorés avec des pièces détachées.
Pourtant j'ai toujours su être capable de sentiments, toi aussi Titus. Comme tu t'en doutes, j'ai rejoint les Exilés. Parmi eux je suis la seule à avoir fait partie du Programme et je reste persuadée que tu pourrais être le second. Ressentir ne nous rend pas faible, malgré ce qui a pu être inculqué à nos systèmes. On a été plus fort en sachant ressentir.
« Parfois, le point de non-retour doit être atteint. »
Cette phrase de Yu-Bazi résonna tellement fort dans mon cœur chair-titane lorsqu'on l'entendit pour la première fois. Je suis sûre que tu te rappelles parfaitement ce discours que le représentant des Exilés a transmis en piratant tous les médias de la planète. Ce jour où tant d'implants furent sur écoute, dont le mien, après cette diffusion interdite. Mais bien sûr, je ne fus pas abattue sommairement comme n'importe quel citoyen lambda alors que j'étais prise en train d'adhérer à ses convictions. L'implant nous rend trop précieux. Alors, comme à chaque fois que l'un de nous désobéit : je reçus une correction.
Malgré la punition, malgré les souffrances, cette phrase me poussa à désobéir encore plus. Comme tu l'as vu, alors que je passais en correction devant les autres membres-enfants du Programme, je sautai sur le Bourreau. Mes ongles-lames lui ont tranché la gorge. Mes ongles-lames lui tranchaient la gorge alors qu'avec mes oreilles-améliorées j'entendais le moindre gargouillis qui en sortie. Et je riais. Mais qu'est-ce que je riais. Une mélodie déraillée de dérangée qui ne fut qu'un écho alors qu'on me maitrisait à coup de matraques. La monstruosité du son sorti de ma gorge est semblable au bruit des balles qui fusent l'air du champs de bataille. Tu peux me croire folle Titus, tu peux croire que c'est juste mon implant qui bug mais je ne veux pas revenir en arrière, je veux rêver à nouveau, comme cette nuit, même si je m'oppose à la Loi.
J'ai pris plaisir à le tuer de mes mains.
J'ai atteint le point de non-retour.
Je me souviens de ton regard alors que je tuais celui qui nous avait infligé tant de souffrances. Dans la mer de tes yeux on pouvait voir la peine s'effaçant sous la surprise mais j'y ai aussi vu dans les eaux des profondeurs de la colère. Brute. Tu voulais voir souffrir autant que moi celui qui t'avait abusé toutes ces années. Sa mort faisait partie des désirs les plus fous que tu n'osais t'avouer de peur que ton implant te trahisse au profit d'un instructeur zélé pouvant décider de mettre tes pensées sur écoute.
Ces sentiments qu'on t'a appris à repousser dans l'usine-entrainement, qui te rendent contraire à ta nature, tu peux les utiliser comme une arme.
Souviens-toi de cela : Notre volonté est aussi dangereuse et puissante que la leur.
Ce monde brûlera si tu le veux.
Ne sachant pas quoi faire de moi après mon acte, Ils m'ont mis en cellule. J'y étais déjà allée une fois lorsque j'avais vu de l'art interdit, mais cette fois-ci c'était différent. Ce n'était pas une simple punition : Ils avaient peur de moi. Je me suis échappée, la rumeur est arrivée jusqu'à toi, et j'ai rejoint les Exilés.
Ma colère est la seule chose qui n'a pas changé. Si l'espoir est maintenant mon navire, la colère est le vent qui le fait avancer plus vite. Ils voulaient du sang, des humains-machines capables de miracle de tueries. Ils ont essayé de nous contrôler avec l'implant, ne pouvant écraser complètement notre humanité, Ils ont mis au point une surveillance quasi constante. Rappelle-toi ce que nous avons dû subir à chacune de nos désobéissances ... Nous étions les membres-enfants, la première génération du Programme qui ne devait pas avoir de fin. Au départ nous étions cent, à mon départ, des dizaines de milliers. Depuis, combien êtes-vous ?
Produire, entrainer à la chaine des sur-soldats et remporter chaque victoire sans un effort : voilà le but suprême du Programme. Les hommes ont cherché la simplicité, poussant les machines à se complexifier, amincissant encore la frontière homme-robot.
Oppose-toi aussi à Ils, Titus, à ceux qui gèrent le Programme. Rejoins-nous, tu seras en danger mais libre de penser et de rêver.
J'ai rêvé, Titus. J'ai rêvé ! Ils payaient enfin et nous étions libres, tous. Je veux reprendre ce que l'on m'a volé. Ce n'est que le début. Là ce n'est qu'un rêve après de longues nuits outrenoir, mais je veux aussi ma liberté et le droit de Vivre.
Les Exilés n'ont pu enlever mon implant. La technologie, comme tu le sais et comme on nous l'a tant de fois rappelée pour mieux nous contrôler, détruit le système nerveux si on y touche, mais ils ont réussi à empêcher toute connexion à l'implant. Je ne suis plus à la merci du Programme.
Toi aussi tu peux faire tout ce que j'ai fait.
Je t'écris pour te donner espoir, pour que tu fuis, même si je connais ta colère. Je te connais assez pour savoir que tu as vécu comme une trahison ma fuite. Mais là-bas, tu n'as rien. Juste des espoirs fanés de grandeur militaire. Ne les laisse pas t'éteindre définitivement, il y a encore de l'espoir pour toi.
Tu connais les risques que je prends et je connais les tiens en lisant cette lettre. Pour ne pas t'attirer d'ennuis tu aurais pu la détruire sans état-âme, faire comme si moi et cette lettre n'avions jamais existé, mais si tu as poursuivi ta lecture jusqu'ici c'est que bien tu cherches une échappatoire. Et tu en as une. Fuis cet endroit de malheur qui n'a rien à te donner. Tu réapprendras à Vivre. On a les mêmes convictions : la phrase de Yu-Bazi t'a touché aussi et elle a résonné chez d'autres membres-enfants.
Fais le bon choix.
Toutes les précautions pour qu'on n'intercepte pas ma lettre devraient fonctionner et j'espère que c'est bien toi qui la lis. Je tairai comment je l'ai faite déposer dans cette partie du jardin où nous allions nous cacher enfants pour y respirer les dahlias après les sévices de l'usine-entrainement.
Détruis ma lettre ensuite, je t'en prie, même si je sais que tu aimerais la garder et la relire lorsque tu auras besoin de courage pour planifier ta fuite. La seule chose que je peux te dire quant à ma position, c'est que je suis loin, très loin, mais on se retrouvera. Je ne t'ai jamais abandonné.
Souviens-toi de la Vie avant le Programme. Souviens-toi de notre fugue dans un bâtiment abandonné qui avait été un musée avant la Censure générale. Des toiles devant lesquelles nous étions sans voix et de l'outrenoir dont on se souvenait même après l'implant, comme un signe de notre capacité à rêver encore.
Nous rêverons bientôt ensemble,
Ta sœur jumelle Omen qui t'aime
Correspondance illégale interceptée par le Gouvernement Impérial.
Destruction dans 3... 2... 1...
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