3 - Entendre
Lorsque Eva reprit conscience, ses doigts étaient encore serrés sur la crosse du pistolet. Il faisait nuit. Les insectes et les oiseaux de nuit chantaient sans relâche. Et le moteur de la bonne vieille Jeep où ses enfants devaient se trouver ne tournait plus. La jeune femme sentit son souffle s'accélérer : la crainte maternelle qui l'avait envahie lui fit un instant oublier la raison pour laquelle elle se trouvait allongée sur la piste jaunâtre.
— Nao... Di... haleta-t-elle en se relevant.
Elle avait l'impression de se trouver à bord d'une fragile embarcation ballotée par des flots capricieux. Tant sur le plan psychologique que physique : le vertige qui s'était saisi d'elle lui fit perdre l'équilibre. À toute chose malheur est bon : en tombant, elle mit la main sur la torche qu'elle avait prise pour éclairer son chemin. Celle-ci s'était ouverte en tombant, mais Eva parvint à retrouver la pile qui s'était échappée du tube. La peur au ventre, la jeune mère alluma et balaya la piste. Un cobra lui avait-il réellement craché du venin dans les yeux ? Elle se souvenait de la douleur, de la peur. Elle se souvenait aussi des yeux du serpent. Ils lui avaient semblé humains. Eva secoua la tête : non, elle délirait. Le venin était peut-être peu concentré ou bien une très petite quantité seulement lui avait touché le visage. Rien n'importait : ses enfants étaient dans la voiture. Ils l'attendaient. Pourquoi le moteur était-il éteint ? Les pensées erratiques et désordonnées de la jeune Éthiopienne lui semblaient tourner comme une toupie dans sa tête, cognant contre les parois de son crâne. Soudain, la jeune femme se souvint de l'inconnu, du Blanc qu'elle avait volontairement percuté. Et s'il avait volé la voiture ? S'il avait enlevé Dimitri et Naomi ?!
S'il avait tué les enfants...
— N... non... s'étrangla Eva en se redressant.
Elle avait toujours le vertige mais elle parvint à avancer. Sans percevoir le ronronnement du moteur de la Jeep et sans voir ses phares brillants, elle ne savait plus de quel côté de la piste elle devait se tourner. Eva leva la tête et retrouva la constellation de la Grande Ourse. En se concentrant et en tentant de calmer sa respiration et sa panique, elle murmura comme une prière les noms des étoiles qui lui permettaient de se repérer et de retrouver l'étoile polaire:
— Merak... Dubhe... Le Dragon... Polaris.
Décidée, elle se racla la gorge et prit la direction de la Jeep.
— Fais qu'elle y soit... fais qu'elle y soit... répéta Eva du bout des lèvres tout en marchant prudemment sur la latérite. Fais qu'elle...
L'angoisse de cette marche fut pire que ce qu'elle aurait imaginé. Elle ne savait pas combien de temps elle était restée inconsciente : le moteur avait très bien pu s'arrêter seul. Ou bien le type armé rencontré plus haut avait réussi à voler la Jeep. Les mains tremblantes, des larmes menaçant de déborder, Eva avançait dans la chaleur nocturne, torturée par l'angoisse. Mais au dernier virage, derrière les branches épineuses d'un acacia mellifère, elle retrouva la voiture. En voyant qui se trouvait au volant, figé, le visage déformé par une terreur aussi saugrenue que satisfaisante, l'ornithologue releva le canon de son arme. C'était l'inconnu qu'elle avait percuté plus tôt.
— Sors de là ! rugit-elle sans attendre. Sors tout de suite !
Le type ne bougea pas. Il était faiblement éclairé, comme si la lueur venait d'un de ces porte-clés publicitaires bas-de-gamme. Furibonde, Eva écuma :
— Tu as deux secondes pour sortir de là, espèce de...
Elle retint un juron effroyable en balayant la banquette arrière du faisceau de sa torche : Naomi et Dimitri, tout aussi figés que l'inconnu, semblaient pétrifiés de terreur.
— Les enfants, tout va bien ! Vous ! Je vous ai dit de...
Sans hésiter, même si une vague de soulagement l'avait envahie en voyant le visage fatigué et tourmenté de ses petits, la jeune femme fonça vers la portière du conducteur et l'ouvrit grande. Le Blanc poussa un cri étranglé et écarquilla les yeux, mais il resta absolument statique malgré l'arme qu'Eva braquait sur son entrejambe.
— MAINTENANT TU VAS NOUS LAISSER TRANQUILLE OU BIEN JE TE...
Eva sentit le sang quitter ses joues. Son cœur se mit à accélérer et ses jambes ne semblaient plus exactement savoir si elles devaient cesser de fonctionner ou bien si elles devaient se préparer à une fuite olympique.
Il y avait un second serpent olivâtre. Pire encore, peut-être, qu'un cobra cracheur – petit et bien inoffensif en comparaison. Il se trouvait enroulé autour du volant et la jeune femme songea qu'il était sans doute déjà là lorsque cet imbécile qui se baladait la nuit tout seul avait voulu lui voler sa Jeep. Le serpent ouvrit la gueule comme s'il baillait, arborant de longs crochets hors de leurs membranes. Ce ne furent pas les crochets qui confirmèrent les pires craintes d'Eva, mais la couleur des muqueuses du serpent. Elles étaient noires comme de l'encre.
Dendroaspis polylepis.
Eva savait qu'elle était trop près. Elle ignorait si l'inconnu avait été mordu – sans doute pas – et ne souhaitait pas quant à elle recevoir le baiser mortel d'un mamba noir. Quelques secondes s'écoulèrent, des secondes qui s'égrenèrent comme des heures, et le long corps du serpent se déroula. La tête fine se dirigea lentement vers la jeune femme. Une sueur froide la recouvrait et d'énormes moustiques volaient autour d'elle, mais elle s'en moquait complètement. Elle allait mourir, elle, et pas ce sale voleur de voiture ! Ce dernier retint sa respiration en voyant la tête du serpent s'éloigner de lui, mais le mamba se retourna vivement dans sa direction. L'homme ferma les yeux, étouffant un hurlement et se contractant avec violence. Son sursaut aurait dû déclencher une attaque, songea Eva. Les mambas noirs n'étaient pas des créatures pacifiques.
L'ornithologue entendit alors un rire grave, cynique. Elle siffla à l'adresse de l'inconnu :
— Tu trouves que c'est drôle ?!
Il ne lui répondit pas. Le mamba noir se désintéressa de l'homme pour approcher sa tête tout près de celle d'Eva, qui se maudit d'avoir émis la moindre vibration. Il ouvrit un peu la gueule et sortit sa langue fourchue. Pour la deuxième fois de la nuit, l'Éthiopienne crut s'évanouir de frayeur car elle entendit distinctement le mamba rétorquer d'une voix basse et moqueuse :
— Non, je trouve que c'est mortel.
*
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Bisous,
Sea
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