CHAPITRE 1

Maxence

Mon sac. Je ne le trouve nulle part. Dans cette petite chambre exiguë que je partage avec un autre étudiant, règne le plus grand des capharnaüm. Malgré mes plaintes répétées à mon colocataire sur l'importance d'un environnement propice à l'étude, il n'en a que faire. De toute façon, étant donné le peu de fois où ce dernier s'est rendu en cours, je ne pense pas que sa motivation première soit de faire de grandes études. S'il parvient à terminer le semestre, ce sera un miracle. Miracle qui ne se produit pas souvent, compte tenu du nombre de personnes avec qui j'ai déjà partagé cette chambre depuis mon arrivé à la faculté. Un vrai défilé. Cela ne me dérange pas plus que ça, puisque je ne suis pas là pour me faire des amis. J'ai depuis longtemps renoncé à connaître leurs prénoms d'ailleurs. Mon objectif est clair et rien ne pourra m'en détourner.

Sous la pile de vêtements que mon roomate s'évertue à déposer sur mon bureau, qu'il considère être une extension de son placard, je repère la sangle marron de ma besace. Je l'extirpe doucement, veillant à ne pas faire tomber ce qui la dissimulait. J'aurai pu tout jeter par terre, comme le reste de ses affaires auxquelles il accorde si peu d'importance et qui jonchent chaque centimètre carré de la moquette, mais ma mère m'a inculqué de meilleures valeurs que cela. Un coup d'œil au réveil posé sur la table de chevet à côté de mon lit et un juron m'échappe. Il est déjà six heures trente. Je suis en retard.

***

La porte vitrée du petit immeuble dans lequel je réside se referme derrière moi. J'inspire à plein poumon l'air frais extérieur. Enfin, une bouffée d'air plus respirable. Non pas que la cité U soit négligée, mais disons que les différentes odeurs s'échappant de certaines chambres confèrent une odeur générale assez désagréable.

Je secoue mes cheveux maintenant trop longs pour les dégager de mon visage. Je devrais vraiment prendre le temps d'aller les faire couper pour remédier à ce problème. Mais le temps me manque.

***

—Tu as tout ce qu'il te faut ?

Ma mère s'agite depuis plus d'une heure, rouvrant sans cesse les deux valises pourtant bouclées depuis deux mois. Elle court d'une pièce à l'autre, sans même prendre le temps de se reposer, ne serait-ce qu'un instant.

— Ton passeport ? Tu as bien ton passeport ? me demande-t-elle à nouveau.

Un sourire se dessine sur mes lèvres.

— Oui, il est dans la poche de ma veste.

Je m'abstiens de lui préciser qu'il s'agit de la troisième fois qu'elle me pose cette question et que ma réponse restera invariablement la même. Je vois bien le stress qui déforme ses traits habituellement si joyeux. Ma mère a peur pour moi. Qui ne le serait pas en voyant son fils partir si loin, dans un pays étranger.

L'obtention de ma bourse et mon admission à l'université d'Oxford ont surpris tout le monde. De ma famille à mes amis, je n'ai rien révélé de mes démarches. Je ne voulais pas qu'ils sachent dans l'éventualité d'une réponse négative. Cependant, le jour où assis sur mon lit superposé que je partage avec mon petit frère, mes doigts impatients ont déchirés la fine enveloppe pour y lire en belles lettres noires le mot « Accepted » les choses sont devenues bien concrètes. Trop peut-être, puisque c'est ensuite posé le défi le plus important de ma vie, l'annoncer à ceux qui comptent le plus pour moi.

***

Anxieux, je me triture les doigts sous la petite table recouverte d'une nappe en plastique aux motifs de fleurs toutes plus colorées les unes que les autres. J'opte pour la solution la plus simple à mes yeux. Alors que ma mère me tend mon assiette, pleine de purée et d'une tranche de rôti, après avoir servi mon petit frère, je lâche la bombe. L'assiette vacille un instant, et je la rattrape in extremis pour la poser devant moi. Le silence s'installe. Un silence angoissant dans notre petit appartement d'ordinaire emplit rires et de bonne humeur. Au prix d'un effort surhumain, je lève les yeux vers ma mère, dont l'approbation est essentielle pour moi. Sans son soutien, je renoncerais sans l'ombre d'une hésitation. Une main plaquée sur la bouche et les yeux remplis de larmes, elle ne dit rien. Je ne sais pas quoi en penser. Son cri de joie me libère, tout comme le fait qu'elle me saute dans les bras, manquant me faire tomber de ma chaise, dans une étreinte que seul une mère fière de son fils peut offrir.

— Mon fils est accepté dans une grande université ! Mon fils va faire de grandes études ! Mon bébé... s'exclame-t-elle en accentuant son étreinte.

— Quand ? Quoi ? Où ? Comment ? semble-t-elle réaliser d'un coup en m'éloignant d'elle à bout de bras.

Timothy qui, cuillerées après cuillerées enfourne son plat préféré dans sa bouche, ne semble pas prêter attention à notre conversation.

— Nate m'a aidé à perfectionner mon anglais, même s'il l'a trouvé aussi excellent que le sien. Il m'a donné des cours un peu plus poussés pour être au top. C'est quelque chose auquel je réfléchissais depuis un moment. Je voulais... Changer d'air. J'ai passé un examen pour valider mon niveau, demandé et obtenu les visas nécessaires ainsi que l'équivalence requise pour pouvoir prétendre à mon inscription dans une faculté étrangère. Le plus difficile a été de remplir les dossiers avec une lettre de motivation et attendre de voir si l'une d'elles me dirait oui, ce qui est maintenant le cas. Un vrai parcours du combattant, mais j'ai reçu la réponse la semaine dernière et...

— Et c'est maintenant que tu me le dis ! Fils ingrat !

Elle me pourchasse de son torchon de cuisine à travers toute la pièce comme si j'étais une mouche.

Timothy, qui a dérobé la lettre posée sur la table, éclate en sanglots et s'enfuit en courant vers notre petite chambre commune.

— J'y vais, dis-je à ma mère, la retenant d'un geste.

Trois petits coups portés à la porte, suivis d'un « y'a personne » entrecoupé de reniflements sonores, et j'entre. Là, recroquevillé sur sa couverture aux motifs de voitures que je lui ai offerts lors du dernier Noël, Tim pleure dans l'obscurité. J'allume sa petite lampe de chevet qui projette aussitôt des étoiles au plafond qui l'apaisent et l'aident à s'endormir le soir.

— Qu'est-ce qu'il y a bonhomme ?

Ma main passe doucement dans ses cheveux bruns. Un geste que j'ai maintes et maintes fois effectué. Notre geste affectueux à nous. Quelque chose que je ne pourrai plus faire dorénavant... Je chasse cette pensée de mon esprit, me concentrant sur la peine que je viens de causer à mon petit frère. Ce choix est le mien, tout comme les conséquences qui en découlent. Tim renifle de plus belle. Mon mouvement se fait plus doux, presque aussi lent que ma respiration. La sienne commence à ralentir à son tour.

Tim, de sa petite voix, brise le silence que j'aurais voulu voir s'étirer jusqu'à l'infini tant je redoute la conversation qui va suivre.

— Tu vas vraiment partir ?

D'une caresse, je repousse ses cheveux de son front.

— Oui mon cœur, mais tu sais que je reviendrai dès que possible.

Reniflement

— C'est obligé ? Je peux pas venir avec toi ?

— Et tu laisserais maman toute seule ?

Tim se redresse contre le mur et tire à lui son nounours préféré pour le serrer dans ses bras. Il n'arrête pas de répéter qu'il est un grand garçon, qu'il n'a pas besoin d'un doudou, mais il traîne partout dans la maison cet ours brun que j'ai surnommé Willy le borgne, avec son œil manquant, probablement perdu quelque part entre la maison et le centre commercial il y a de nombreuses années. S'il n'y avait que ça, mais il est tellement usé que sa fourrure n'en a plus que le nom. On peut lui voir l'intérieur à travers les trous. Le pauvre décédera sûrement d'une éventration. Reniflement

— Tu sais que tu vas être l'homme de la maison maintenant, dis-je

Il relève son petit menton vers moi. Amusé, j'observe ses yeux rougis qui s'illuminent soudain d'une autre lueur.

— Je peux prendre ton lit du coup ? demande-t-il.

— Tu perds pas de temps toi...

— C'est pour mieux monter la garde. Je vais protéger maman, et tuer tous les monstres !

Il extirpe de sous son oreiller une épée de plastique de son kit de chevalier, seul élément qui a résisté à l'épreuve du temps. En trois ans, son costume est devenu bien trop petit, et j'ai dû le subtiliser discrètement pour le jeter aux ordures.

J'évite de justesse de me retrouver dans le même état que son ours, sans œil.

— Pose-moi cette arme mortelle, je ne suis pas un ennemi moi, plaisanté-je

Tim obéit et se précipite pour passer ses petits bras autour de mon cou. Il sent si bon... Mon cœur se serre.

— Tu sais que tu pourras m'appeler quand tu veux, de jour comme de nuit. Je répondrai toujours.

— Toujours ?

— Oui, même si c'est pour me raconter que tu n'as pas vu l'écureuil dans l'arbre du square et que tu t'inquiètes.

Il ricane, car il sait très bien que c'est son unique sujet de conversation dernièrement en rentrant de l'école.

— Même pour raconter mon épisode de Bienvenue chez les Louds ?

— Tout ce que tu veux mon cœur.

Je le serre encore un instant contre moi. Il se détache rapidement et sort de son lit en courant vers la porte.

— Tu vas où, loustic ?

— Ben j'ai faim, moi ! me parvient sa voix étouffée depuis le couloir, ses petits pas résonants sur le sol. Tu viens ?

— Oui, j'arrive.

Je prends un instant pour graver notre chambre dans ma mémoire. Nous la partageons avec Tim depuis que ce dernier est en âge de dormir seul. Ici, peu de chose pour indiquer ma présence. Juste un bureau minimaliste pour pouvoir travailler, et encore, il est principalement recouvert de feuilles de dessins de mon petit frère. Je prends le premier dessin de la pile. Une voiture rouge, représentée de façon assez fidèle pour son âge. Il a toujours été très doué en dessin. Partout des jouets de mon frère. Cela ne m'a jamais posé aucun problème. À son âge, Tim à besoin de jouets. J'aime le cocon que nous avons créé tous les deux.

Le papier peint usé aux motifs de fusées que nous avions choisi ensemble, même si ce choix était plus le sien que le mien. La lampe et ses lumières au plafond. Ma couette assortie à la sienne, pour nous envoler tous deux vers les étoiles dans nos rêves. Même si l'espace peut sembler petit, pourquoi en avoir plus grand quand l'essentiel est de bien s'y sentir ? Nos fous rires, nos joies, moi descendant du lit superposé en pleine nuit pour le rejoindre et m'endormir auprès de lui pour le rassurer.

Ce rôle de père, je l'ai endossé en l'absence d'un géniteur qu'il n'a même pas connu, maman étant encore enceinte quand le lâche avait foutu le camp.

Je le protège, peut-être trop, mais je l'aime pour deux, et ce, depuis ce jour où j'ai, pour la première fois, tenu sa petite main dans la mienne. Je me suis juré de ne plus la lâcher. Pourtant, c'est exactement ce que je fais en partant si loin, mais c'est pour le mieux. Pour leur offrir, à lui et à maman, un meilleur avenir et enfin tout ce qu'ils méritent.

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